Son d'un tapement de pied frustré contre ce qui semble être du parquet, une profonde inspiration.
Des bruits de pas légers s'arrêtant parfois.
« - Bon, mon vieux, qu'on m'accuse à tort d'avoir cassé la vitre de ton magasin, je peux comprendre, qu'on me force d'accepter de prendre des améliorations de ma piaule afin de m'arnaquer, plus ou moins, qu'on me mette un abruti pour colocataire pour m'aider à payer un prêt alors que je suis capable de me débrouiller seul, à la limite, mais qu'on m'installe un second venu que je ne connais pas, sans aucune raison valable et sans même me prévenir ?!
- Calme-toi et écoute moi un moment, mon cher, j'ai- »
« - Non, mais sérieusement, j'ai une tête d'animatrice de centre-aéré ? »
Une respiration très forte.
Un bruit de paquets de chips. D'objets qui tombent. Un « Oups, pardon ».
Un profond soupir.
« - J'ai fait tout mon possible, hm ? Tu me vois désolé que ce soit la seule solution que j'ai trouvé afin de-
- Dites, elles sont à combien vos chips ?
- Abruti, on n'est pas là pour faire du shopping ! Soutiens-moi un minimum, pourquoi penses tu que je t'ai fait venir avec moi?
- 50 clochettes, je te les emballe ? »
Un autre soupir d'exaspération, beaucoup plus fort et plus long que le précédent.
Un éternuement. Un « J'crois que j'ai attrapé une allergie. »
« - Mais bordel Cédric, je vais t'en foutre moi, une allergie! Si ça continue, je me casse de cette ville de tarés, vous m'entendez ?!
- Oui, et une sucette aux cerises griottes, s'il-vous-plait. »
***
Mardi 11 janvier 2004
Cher Journal,
J'ai l'impression que la relation qui nous liait, ce fil de fer qui nous avait depuis toujours attachés, s'est tordu. Tordu, oui. Rien ne s'est cassé, le lien est bien là, mais lui non, et moi non plus, je pense. La droite est le chemin le plus court entre deux points. Je lui ai un jour dit que je n'avais jamais rien entendu d'aussi simple et aussi beau à la fois. Il n'a pas compris et a rigolé en m'ébouriffant les cheveux.
Je ne sais plus ce que j'écris, pardonne-moi.
Ma sœur m'aide à tenir bon, je me rends malheureusement compte qu'elle est la seule à se soucier de moi, aujourd'hui. Je ne reconnais pratiquement aucun des clients, ils partent et arrivent tellement vite que je n'ai pas l'impression à avoir affaire à des personnes de la même ville que moi.
Je ferais de mon mieux pour essayer de lui faire remonter le moral, demain, encore. Aussi longtemps qu'il le faudra.
Je ne le vois plus mais je vois encore la droite, ce maudit fil de fer que j'aurai aimé arracher de nous deux, enfin. Et recoudre avec les morceaux de ses rêves brisés.
-J'y suis finalement arrivée...
Mayu ne put réprimer un soupir de soulagement et se dépêcha de rentrer la carte de Lindertown dans la poche de sa veste, tout en s'avançant impatiemment vers la porte d'entrée. Elle l'ouvrit doucement –pourquoi diable n'a-t-on pas pris la peine de la fermer à clé ? -, et pénétra doucement dans la pièce principale, laissant derrière elle l'air froid du soir qui lui mordait le dos, les flaques de pluie et les agaçants croassements de grenouilles.
La pièce était très sombre, si bien qu'elle passa désespéramment près de dix minutes à chercher l'interrupteur qui était caché derrière une armoire. En l'appuyant, elle eut un hoquet de surprise.
Un petit cafard était confortablement installé sur une de ses ballerines, remontant sur sa jambe, bougeant curieusement les antennes.
Paniquée, elle se mit à bouger dans tous les sens, heurtant avec force une petite table de son coude droit. Elle crut entendre quelque chose tomber, mais trop focalisée sur l'insecte parti ramper quelque part entre deux planches de parquet, n'y prêta pas une grande attention.
Son coude lui faisait mal, elle était certaine qu'elle allait encore avoir un nouveau bleu. Maudissant sa maladresse, elle décida d'aller dans la salle de bain afin de se mettre de l'eau froide sur la peau. A hasard, elle prit une pièce à droite de la pièce d'entrée.
Il y régnait une odeur de vêtements sales, de renfermé, de cigarettes. Mayu en entrant marcha sur une assiette de plastique où collait une vieille part de pizza. Quatre fromages, peut-être. Elle sortit en se pressant, pour ne pas dire s'enfuit en trombe, de la mystérieuse chambre.
En repassant par l'entrée, elle se sentit d'autant plus nauséeuse devant les restes de kebab sur la table contre laquelle elle s'est cognée.
Elle retrouva finalement la salle de bain au papier peint humide, et, sur les serviettes sales recouvrant le carrelage, près de nombreuses boîtes de shampooing aux fraises vides, en face d'un miroir tellement sale qu'elle se voyait à peine dedans, tout en se passant le faible jet d'eau glacée sur la blessure, se demanda où avait-elle bien atterri.
Il existe des personnes rendues blasées et désagréables par les difficultés de la vie, d'autres qui le sont devenues sans aucune raison logique, tandis que certaines sont tout simplement nées ainsi. Rosco faisait précisément partie de cette dernière catégorie et en était bien fier, dispersant son sarcasme dans toute la ville comme quelqu'un d'autre vaporiserait une pièce d'un bon parfum.
-Nan, mais t'y crois ? En plus de ne pas m'écouter, ce type me prend pour sa boniche et m'envoie donner des papiers à l'immigrée. Tu sais quoi, vieux ? C'est mort, je ne viendrais plus jamais faire mes courses chez lui. Et son prêt, il pourra se le mettre où je pense.
Trottinant à ses côtés, Cédric l'écoutait à moitié, plus concentré sur les blagues de ses Carambar que la tirade de son camarade. De toute façon, il était trop dangereux de lui faire remarquer que le seul magasin des alentours était justement celui du vieux Nook, et qu'il ne comptait pas se nourrir des navets blancs qui moisissent à vue d'œil de Madame Porcella, la vieille Italienne du marché, jusqu'à la fin de ses jours.
Contrairement au pas lourd et alerte de Rosco, celui de Cédric était léger, presque enfantin. Il était d'ailleurs plus petit et plus menu que lui, mais ses cheveux sombres et lisses, son regard détaché, et même un certain rictus dans son sourire, étaient tellement similaires à ceux de Rosco qu'on aurait dit deux frères étranges, sortis d'un conte, ou des amis d'enfance qui ont presque fini par se mélanger l'un à l'autre après des dizaines années en commun.
Ce qui était loin d'être le cas. Ils ne se considéraient pas comme de véritables amis, ne se connaissaient que depuis tout juste un an, et leur première rencontre a pour le moins été... Mouvementée.
Les yeux noirs, constamment à moitié-clos de Cédric -qui lui donnaient un air tantôt songeur ou endormi, selon le point de vue-, vinrent se poser sur la fenêtre de leur modeste maison de tuiles rouges qu'ils pouvaient tous deux voir d'une dizaine de mètres.
- Oh, y'a quelqu'un qui est entré.
L'expression de visage de Rosco devint pour le moins comique.
- C'était quand même une bien étrange enfant. Je me demande ce qu'elle vient faire ici.
- Arrête de te tracasser pour des détails pareils, tu sais bien qu'elle partira dans moins de six mois, comme tous les autres. Finis-moi ce dossier, plutôt. Je n'aurai jamais le temps de tout finir en une nuit.
- Mais, tout de même... Elle est venue seule, sans bagages, et je n'arrête pas de me dire qu'elle me rappelle quelqu'un. Ou peut-être même que je l'ai déjà vue auparavant.
- Oh, tu deviens folle ?
Ophélie poussa un faible soupir et prit d'un air découragé le tas de papiers que lui tendait la main aux ongles vernis de sa sœur.
Faire des heures supplémentaires ne la dérangeait pas tant que ça, d'autant plus qu'avec tout le café qu'elle avait avalé, elle sentait que la fatigue mettrait encore du temps à venir. En rentrant, elle serait seule chez elle, n'ayant personne à qui parler, toute la ville étant couchée à cette heure-ci. Là, sa sœur pouvait la sortir un peu, sans le savoir, des pensées tristes qui prenaient un malin plaisir à lui tourmenter l'esprit depuis une bonne semaine, et puis... Il y avait Antoine, qui ne devrait pas tarder à rentrer après sa tournée.
Ses joues prirent une magnifique couleur tomate qu'elle essaya de faire partir en secouant stupidement la tête.
Comme lisant ses pensées, Elisa lui fit remarquer de sa voix arrogante, moqueuse, quoiqu'un peu cassée, tout en se remettant une couche de rouge sur ses lèvres abimées
- Ne laisse pas tomber pour ce qui est de la réorganisation de la banlieue, ce serait dommage de décevoir les attentes du maire, pour une fois qu'il a une bonne idée de lui-même.
C'était une fille qui devait avoir seize ou dix-sept ans tout au plus. Elle était voûtée sur le bureau inutilisé, recouvert de poussière et mal rangé qui était le leur, et écrivait quelque chose sur du papier à lettres, sa mâchoire dans le creux de sa paume. Ses cheveux étaient d'un brun boisé sous la lumière faible de l'intérieur, et tombaient doucement jusqu'au creux de son cou.
Surprise par leur entrée, elle reposa le stylo sur la feuille ou elle était en train d'écrire, et se leva de sa chaise pour s'avancer vers eux, de son allure simple, légère, tellement pleine d'aise qu'on aurait dit qu'elle était la maîtresse des lieux.
Les yeux verts d'eau, en amande, semblables à ceux d'un chat, dévoilaient un esprit curieux, attentif, presque joueur, détenant cette impression de vie, cette force enivrante, sans limites, mais savamment domptée, un élément que Rosco ne serait jamais en mesure de contrôler ni de comprendre réellement.
J'ai décidé de poster un chapitre que j'avais déjà préparé depuis belle leurette, parce que je savais que si je ne le faisais pas maintenant, je ne le ferais probablement jamais. Vous avez donc ici une double raison de me détester, haha.
Pourquoi l'avoir posté, me diriez-vous? Eh bien, d'une part pour avoir bonne conscience, d'autre part pour prouver (à vous, mais surtout à moi-même en fait, je crois) que je suis bien vivante (en dépit d'être débordée et de ne toujours pas disposer d'un ordinateur qui marche, mais ça va venir, enfin je crois), et que je ne compte pas lâcher cet histoire de sitôt. Ni toutes celles que j'ai commencées en fait, postées ou non ici.