Voici le deuxième chapitre de cette fic.

Encore merci à Phéline.

Enjoy !


Chapitre 2

Angel's Requiem

"- Aya ! Aya ils sont là !

- Qui donc ?"

J'avais passé la nuit dans la forêt et j'étais à peine de retour dans l'infirmerie, en train de montrer mon petit phorreur à Salenna qui l'auscultait, que Rau-Chan arriva à toute vitesse dans la pièce en criant. Elle semblait très contente et en même temps un peu triste. Elle s'arrêta en voyant le petit animal qui tremblait sur la table en bois avant de s'exclamer d'une voix suraiguë :

"- Oh comme il est mignon !

- Il est surtout mort de peur alors calme toi, s'agaça l'Eniripsa alors qu'elle tentait de maintenir son patient en place.

- Qui est là ?" demandai-je avant de crier de douleur.

Mais qu'il était vif et têtu ce bébé phorreur quand il s'y mettait ! Alors que j'espérais avoir réussi à l'immobiliser, il bougea la tête et me mordit violemment le doigt avant de sauter par terre et de filer sous un meuble en poussant ses petits piaillements de peur. Je poussai un long soupire et me tournai vers la jeune Ecaflip qui baissa les oreilles en me faisant ses petits yeux de chacha battu. La guérisseuse la foudroya également du regard avant d'ouvrir la fenêtre pour aérer un peu et de prendre dans le tiroir de son bureau un morceau de sucre. Elle me le tendit et je me mis à genou sur le sol. Sous le meuble, le bébé phorreur état en train de trembler, cependant dès qu'il me vit il redressa la tête, agita sa queue joyeusement puis me sauta dessus, croquant le morceau de sucre avec bonheur. Je le tins contre moi en le caressant pour éviter qu'il ne prenne une nouvelle fois la fuite. Après avoir regardé Rau-Chan de la tête aux pieds et s'assurer qu'elle ne représentait aucun danger, il se laissa poser sur la table. Il piailla gaiement en s'asseyant dès que je le lui demandai.

"- Il obéit bien ! Remarqua l'Ecaflip en s'approchant. Et d'où vient ce petit bonhomme ?

- Je l'ai rencontré et soigné hier dans la forêt.

- Comment s'appelle-t-il ?

- Il...eh bien...j'avoue ne pas y avoir réfléchie...

- Mais il faut lui trouver un prénom, pas vrai petit bout."

Le phorreur poussa un petit roucoulement alors que Rau-Chan lui chatouillait le bout du nez. Cela sembla l'occuper pendant que Salenna lui mettait de la pommade sur ses plaies. Elle avait raison il fallait bien que je lui trouve un petit nom à mon nouveau compagnon de route ! Mais quoi ? Je me mis à réfléchir alors que l'Ecaflip relevait le visage vers moi, souriant toujours de sa manière candide et espiègle.

"- Au fait ils sont arrivés. Valadion, Rearith et Kotaro. Ils sont en train de discuter avec tous ceux qui sont revenus de mission, après tu pourras les rencontrer.

- Parfait."

Elle acquiesça et je reportai mon regard sur le petit phorreur. Je réfléchissais toujours pour lui trouver un bon nom alors qu'il me donna la réponse de lui même. Un de ses piaillements ressemblait à un "wak". C'était pas mal, ça sonnait plutôt bien et c'était court, donc rapide à dire en cas d'urgence. Parfait en somme !

"- J'ai trouvé ! Il va s'appeler Wak ! Qu'en penses-tu ?"

L'intéressé me regarda puis se hissa sur ses pattes arrières et poussa un petit cri de joie. Visiblement, cela lui plaisait beaucoup et les deux demoiselles trouvèrent que c'était une bonne idée. J'entendis un petit gémissement un peu plus loin. Un lit était caché derrière un rideau blanc. La jeune Iop. Je me demandai si elle allait mieux. S'apercevant de mon inquiétude, Salenna me répondit de sa voix sérieuse qu'elle prenait lorsque le médecin en elle parlait :

"- J'ai réussi à soigner ses blessures, mais à cause du manque de force et d'énergie, elle est tombée dans le coma. Shiley a passé la nuit à son chevet. Je ne sais même pas si elle se réveillera un jour, tout dépend d'elle. Elle seule est capable de mener ce combat.

- Je vois..."

Je sentis une petite pression sur mon coude. Wak me regardait avec de grands yeux tristes. Il avait dû capter mon chagrin. Je le pris dans mes bras et il lécha mon masque au niveau de la joue. La rage s'était également emparée de moi. J'allais tirer cette histoire au clair et la personne qui avait osé mettre cette jeune Émilie dans cet état allait le payer. Pour une fois, j'espérais que ça soit la faute de Sao, je pourrais prendre ma revanche pour le dernier combat que nous avions mené. Et pour cela il fallait que je retourne à Astrub. Mes bonnes résolutions de partir en quête d'un endroit où attendre ma mort venaient de s'envoler purement et simplement, mais bon ce n'était pas bien grave. J'avais décidé d'aider les gens à présent, au lieu de semer la désolation et la mort. L'état de la Iop m'avait frappé. Tant de violence. Dire qu'une semaine plus tôt j'avais torturé et tué une famille de mineurs. Entre mes bras, Wak poussa un gémissement en montrant la porte de l'infirmerie de la patte. Quelques secondes plus tard, deux personnes entrèrent. Un Féca aux cheveux bleus-gris, vêtu de bleu et de marine, la coiffe de ses confrères vissée sur la tête. Il avait un bâton Shamanshot à sa ceinture et était habillé simplement dans des vêtements amples et confortables. Son compagnon ne m'était pas inconnu. Étrange, d'ordinaire je ne rencontrais jamais une personne deux fois étant donné que je les tuais. C'était le Crâ que j'avais croisé dans la forêt lors de ma dernière mission en tant qu'Hixilone. Sa chevelure bleue tombait sur ses épaules et il semblait avoir du mal à s'appuyer sur sa jambe gauche.

"- Bonjour, l'un de vous est sans doute le chef de cette Guilde, n'est-ce pas ? Je m'appelle Aya.

- Bonjour, je suis Sir Valadion l'Incendiaire, le bras droit et non le chef, navré, répondit le Crâ.

- Et moi je suis Rearith l'Intangible, le trésorier," ajouta son compagnon alors que je portais mon regard sur lui.

Bizarre, et le dénommé "Kotaro" n'était pas présent. C'était donc sans doute lui le chef, il devait être assez impressionnant à voir. Je m'attendais déjà à me trouver face à un puissant Iop ou encore devant un ingénieux Sram.

"- Poussez-vous les gars !"

Je me reculai légèrement. Je dus retenir un rire lorsque je vis arriver entre les deux hommes un Xélor aux allures de croque-mort à cause de ses habits noirs. Il me fixa de haut en bas. Il était plutôt grand pour un de sa race et vu que j'étais assez petite pour une Zobal, il m'arrivait honorablement aux épaules. Mais il n'en restait pas moins très proche du sol pour autant. Je comprenais Pépé-Vala lorsqu'il l'avait appelé le "p'tiot". Cependant, malgré sa taille, il était tout de même chef d'une Guilde plus que sympathique et qui semblait se débrouiller en mission, donc il était sans doute quelqu'un de respectable et puissant. J'inclinai la tête alors qu'il me reluquait toujours.

"- Encore une fille ? Le niveau baisse dans la Guilde, ça va pas du tout les mecs !"

Non mais quel goujat celui-là ! Si je ne m'étais pas retenue, je lui aurais fait manger mon bâton. Heureusement, avec les années, j'avais appris à garder mon sang-froid.

"- Pardon ?, dis-je d'une voix qui restait calme malgré l'agacement qui y perçait. Voir ce dont je suis capable pourrait bien rabaisser ton caquet sale nabot prétentieux."

D'accord, je ne savais pas si bien le conserver que cela. Alors que je pensais avoir fait la bêtise du siècle, je vis le Xélor éclater purement et simplement de rire. Rearith souriait légèrement et Valadion me lança un clin d'œil amusé. Je devais avouer que j'étais complètement perdue et encore plus lorsque Pépé-Vala entra dans l'infirmerie et prit le chef par les épaules, me lançant son éternel sourire édenté.

"- Alors p'tiot, comment qu'tu la trouves la nouvelle ?

- Elle a un sacré caractère ! C'est bon, un petit test pour juger de son niveau et elle nous rejoint ! Bonne recrue Pépé !

- J'savais qu'elle t'plairait Kota ! Petite, j'te présente Kotaro, notre cher chef.

- Enchantée, grognai-je.

- Et rancunière en plus ! Kotaro l'Intemporel, enchanté la Zobal"

Parfaitement, et fière de l'être. Une minute, il avait dit que je les rejoindrais ? Non mais je n'avais rien demandé à personne moi ! Je ne voulais même pas... bon d'accord je n'allais pas me mentir, rejoindre la Guilde des Angel's Requiem me plairait beaucoup. Cependant, je ne devais pas me faire remarquer. Ou du moins pas à Bonta, et pas avec eux, pour leur éviter tout ennui. Car même si les guerriers de cette Guilde étaient puissants, les Hixilones l'étaient aussi. Et ils avaient l'avantage du nombre. Le Xélor me regarda droit dans les yeux. Cela m'intimida légèrement. Il avait un regard tellement perçant, j'avais l'impression qu'il lisait en moi comme dans un livre ouvert. C'était différent d'Elèxandre. Lorsque ce dernier fixait quelqu'un, cela sonnait comme une menace. Là c'était comme s'il voulait tout simplement avoir mon avis sur la question. À travers les deux trous de mon masque, il semblait voir mes yeux mieux que personne ne l'avait fait depuis des lustres. J'acquiesçai. Après tout pourquoi pas, cette Guilde était très bien. Cependant il faudrait que je veille à ne pas les mettre trop en danger. Du moins à éloigner les Hixilones d'eux. Et je devrais aussi apprendre à les quitter si jamais les risques devenaient trop grands, pour eux comme pour moi. Ils ne devaient jamais savoir qui j'étais réellement. Je devrais partir avant qu'ils ne fassent cette découverte.

"- Bien, Aya tu vas devoir nous montrer ce que tu sais faire, mais avant soigne bien tes blessures. Tu es la bienvenue," me dit Rearith.

Je lui souris derrière mon masque et il me rendit mon sourire. Il fit demi-tour avec Valadion et Kotaro pour sortir de l'infirmerie, le chef me saluant, les sourcils toujours légèrement froncés. Je soupirai doucement. Salenna et Pépé-Vala se tournèrent vers moi en souriant largement tous les deux. Sans dire le moindre mot, je partis à mon tour pour aller dans la cour intérieure voir Pandora. Lorsqu'elle s'aperçut de ma présence, elle s'avança vers moi jusqu'à la barrière par-dessus laquelle je sautai lestement. Ma monture colla sa tête contre ma poitrine pour réclamer des caresses que je lui donnai avec plaisir. Dans l'herbe, Wak, qui m'avait suivie, se roulait avec délice en ronronnant presque comme un chacha. Il était décidément trop mignon pour son bien ce petit. Après quelques papouilles supplémentaires pour ma Dragodinde, je lui proposai d'aller faire un petit tour à Bonta. À son cri de joie, je compris qu'elle était d'accord. Une fois sellée, elle partit d'un bon pas, le bébé Phorreur perché sur sa croupe en train de regarder derrière, suivant de ses grands yeux les papillons et les pious qui voletaient près de nous. Il était tout sage, se tenait tranquille sans bouger, se contentant d'apprécier la balade. Le soleil était encore au rendez-vous mais le vent semblait plus froid que la veille. Quelques nuages habillaient le ciel au loin. Dans la nuit, ou le lendemain au plus tard, il allait pleuvoir, c'était certain. Mais les champs n'allaient pas s'en plaindre. Et moi non plus d'ailleurs. C'était un bon moyen de passer une nuit tranquille en regardant le mauvais temps battre le paysage. Mais pour le moment, je profitai de ma petite balade dans les rues de Bonta toujours aussi animées. Pandora semblait roucouler de bonheur et Wak restait calme. J'aurais dû être aussi détendue qu'eux mais malheureusement j'avais l'esprit inondé de pensées et de réflexions. Pourquoi avais-je envi de rester chez les Angel's Requiem ? Je ne devrais pas accepter, et pourtant...

« Il faut que j'arrête de penser autant, c'est mauvais pour ma tête ! »

Bizarrement cela me faisait ressembler à Sao de me dire une chose pareille. Elle, au moins, elle ne se prenait jamais le chou. Cela avait quelques inconvénients, certes, mais la plupart du temps cela ne la dérangeait pas. Elle réfléchissait seulement lorsqu'elle partait en mission, pour mettre au point ses plans tordus et sadiques. Et encore, cela ne semblait pas lui demander beaucoup d'efforts, c'était une seconde nature pour elle. Bref ! Ce n'était pas vraiment le lieu pour penser à elle. Et pourtant... Sao avait été ma meilleure amie durant tant d'années, et même si elle voulait me tuer maintenant, je ne pouvais pas lui en vouloir. Ou plutôt si, je pouvais lui en vouloir et c'était le cas, mais je ne pouvais pas tirer un trait sur autant de moments d'amitié et de complicité. Cela n'aurait pas été juste, pour elle comme pour moi. Je poussai un lourd soupire. Pandora était elle aussi perdue dans ses pensées, ou plutôt elle commençait à s'endormir, marchant par automatisme, c'était plus logique pour une Dragodinde. Elle ne fit donc pas attention à la racine alors que nous entrions dans la forêt et trébucha dessus, tombant sur le sol alors que j'étais éjectée de son dos. Heureusement je réussis à rouler sur l'herbe habilement pour ne pas me faire de mal. Je me remis rapidement debout et courus vers ma monture qui se remettait sur ses pattes en secouant la tête. Elle ne semblait pas blessée. Elle poussa un cri d'indignation vers la racine, ce qui me fit rire. Oui, elle allait bien si elle pouvait râler. Wak sortit son petit museau d'un buisson. Lui non plus n'avait rien. J'entendis alors un petit bruit près de moi. Un piou ? Non, c'était différent, et je l'avais déjà entendu quelque part mais je n'arrivais pas à me rappeler où. Je fronçai les sourcils et marchai dans la direction des petits cris. Entre les arbres, je vis, coincé dans un piège et battant à tir d'aile, un bwak aux belles plumes rouges et orangées. Sans hésiter je me ruai vers lui. Me voyant, il se débattit encore plus, me picorant violemment la main lorsque je l'approchai.

"- Hey doucement ! Je veux seulement t'aider ! Calme-toi d'accord ? Sinon je ne pourrais pas couper les cordes et tu vas te blesser. Aller calme-toi mon beau."

Sous ma voix douce et rassurante, l'animal cessa de bouger, me regardant tout de même d'un très mauvais œil. Je n'avais pas de dague, ce qui n'allait pas me faciliter la tâche. Mais je contrôlais assez bien l'eau pour trancher les liens avec un peu du liquide claire sortie du sol et que j'avais rendu coupant. Le bwak s'envola dès qu'il fut libre et tourna autour de moi quelques secondes avant de me piquer le sommet du crâne.

"- Aïe ! Je t'ai aidé je te signale ! Ingrat !"

Alors qu'il s'envolait loin de moi, j'entendis un rire dans mon dos. Le temps de me retourner et je vis Kotaro, le bwak atterrissant sur son épaule. Le chef de la Guilde caressa le bec de l'animal.

"- Alors Futa, t'as encore déserté ? Mais dis merci, elle est des nôtres tu sais."

Je poussai un long soupire alors que le bwak me piaillait férocement dessus. Visiblement il n'était pas d'accord avec son maître pour être agréable envers moi. Wak répondit à l'animal, le poil hérissé, montrant ses petits crocs blancs.

"- Doucement tous les deux !, s'exclama le Xélor en s'avançant vers nous. Merci de l'avoir tiré d'affaire Aya.

- De rien, je n'allais pas le laisser dans une si mauvaise position."

Il me sourit. Je devais avouer que cela le changeait, lorsqu'il tombait son masque de misogyne insupportable ou de grand chef – enfin vous me comprenez – pour être un peu naturel. Je le vis me reluquer et je croisais les bras, faisant sans faire attention remonter ma poitrine au lieu de la dissimuler. Cependant mon regard assassin fut assez convaincant et mon nouveau chef de Guilde détourna les yeux en ricanant.

"- Te vexe pas demoiselle, j'ai bien le droit de profiter quand même."

Heureusement que j'avais un sang-froid assez élevé, sinon je lui aurais mis mon poing dans la figure. Pandora poussa un cri comme pour se moquer de moi, Wak faisant de même.

"- On voit de quel côté vous êtes, tous les deux ! Ne comptez pas sur moi pour aller vous chercher des fleurs sucrées et de la viande séchée !"

Avec satisfaction je vis mes deux compagnons cesser immédiatement leur comportement. La Dragodinde vint frotter doucement sa tête contre mon épaule et le bébé phorreur s'assit devant moi sur l'herbe en me faisant de grands yeux malheureux. Kotaro éclata purement et simplement de rire en les voyant comme cela. Mais, alors qu'il se calmait et que j'allais reprendre la parole, des éclats de voix nous firent sursauter tous les six – une Dragodinde orchidée se trouvant derrière le chef de Guilde. Ce dernier me lança un regard interrogateur sous lequel je haussai les épaules. Qui cela pouvait-il bien être ? Je fronçai les sourcils. Le bébé phorreur nous regarda avant de renifler le sol, de tendre l'oreille et de partir en courant à travers la forêt, suivi du bwak de feu qui semblait également savoir où se rendre. Leur faisant confiance, nous nous mîmes en route avec nos montures. Plus les secondes passaient plus les voix se rapprochaient. Nous retrouvâmes Wak et Futa à la lisière d'une clairière. Restant cachés derrière les arbres, nous pûmes enfin voir de qui venait ce qui semblait être une dispute. Je reconnus Sadi-Dad, en position de combat, des plantes aux aiguilles acérées dansant autour de lui. Face à lui se tenait un Osamodas avec des cheveux bleus-verts, des vêtements turquoises et une ceinture épaisse en fourrure. Un sanglier et deux tofus se tenaient à ses côtés. Les deux protagonistes se fusillaient du regard. Le murmure de Kotaro me sortit de ma contemplation :

"- Mais qu'est-ce qu'ils font là tous les deux ?

- Je connais Dad, mais qui est cet Osamodas ?, demandai-je, aussi bas que lui.

- Searis Na'al, il est de notre Guilde également. Je savais que c'était pas l'amour fou entre eux, mais j'ignorais que c'était au point de se battre.

- Pourquoi ne s'aiment-ils pas ?

- Aucune idée, mais si c'est au point de se mettre sur la tronche dès qu'ils se voient, il va falloir régler ça. On va écouter pour le moment, tiens toi prête à agir dès que je t'en donnerais l'ordre."

De toute manière je ne comptais ni partir ni lui désobéir. C'était cela, faire partie d'un groupe. Cependant j'acquiesçai pour lui montrer que j'avais entendu avant de reporter mon attention sur les deux jeunes hommes. Ils se lançaient tous deux des regards plus noirs que jamais. Cela me rappelait les règlements de compte chez les Hixilones, hormis que les combattants ne se regardaient avec cette haine farouche mais plutôt avec supériorité et suffisance. La plupart du temps cela se terminait par un mort que l'on jetait dans la forêt, laissant son corps aux charognards. Elèxandre intervenait très rarement pour deux raisons : tout d'abord nous ne manquions pas de candidats pour remplacer les morts et ensuite parce que cela l'amusait plus qu'autre chose. Il faisait cesser le combat lorsque les deux parties étaient de puissants guerriers irremplaçables pour la Guilde. Et comme pour lui, personne n'était irremplaçable, il était intervenu une seule et unique fois, alors que, lors de ma seconde année chez eux, pleine d'arrogance, je m'étais battu contre un de nos Eniripsas. À l'époque il était le plus utile de tous, notre chef m'avait donc stoppé au moment où j'allais l'achever d'un coup de dague et m'avait félicité. Mon adversaire avait été la risée de la Guilde jusqu'à sa mort, sept mois plus tard, lors d'une attaque. Mais là c'était différent de chez les Hixilones. Un véritable problème était au centre de cette dispute qui risquait très probablement de mal tourner. Ce n'était pas seulement pour prouver qu'ils étaient les plus forts, sinon ils ne se seraient pas cachés dans la forêt. Et, ayant parlé un peu avec Sadi-Dad, je me doutais que ce n'était pas vraiment son genre de s'énerver pour rien, ou même de vouloir montrer ses muscles juste pour le principe. Il devait avoir une excellente raison. Et celle-ci allait être évoquée très rapidement, alors que le Sadida prenait la parole d'une voix pleine de colère qui ne lui ressemblait pas :

"- Tu l'as mise en danger ! Tu savais qu'elle risquait d'y passer mais tu l'as quand même forcée !"

Le calme de l'Osamodas face à lui me surprit, de même que sa voix plus que glaciale et indifférente malgré son regard assassin. Il semblait de la même trempe que moi. On m'avait toujours dit que les Osamodas étaient très démonstratifs, visiblement ce n'était pas le cas de tous.

"- La mission était d'une importance capitale et elle a largement le niveau pour ce genre de plan. Si elle faisait un temps soit peu attention où elle mettait les pattes, des accidents de la sorte n'arriveraient pas. Sa maladresse n'a d'égale que ta bêtise Sadi-Dad.

- Pardon ?"

Ça chauffait. Le Sadida semblait de plus en plus en colère, les plantes autour de lui en frémissaient. Mes muscles se tendirent encore un peu plus.

"- Tu sais que c'est la vérité. À force de s'enfermer dans son monde enfantin elle perd toute efficacité en mission. Et ce n'est pas bon du tout.

- Si tu lui donnes des choses à faire bien au-dessus de ses capacités elle ne risque pas d'y arriver !

- Et si tu continues à la surprotéger de la sorte, elle finira par se faire tuer. Et tu ne pourras pas t'en prendre à moi, tu seras le seul et unique fautif. Pour quelqu'un qui l'aime à la folie je te trouve bien égoïste de penser de la sorte.

- Tu vas le regretter !

- On inter...hein ?!"

Kotaro n'avait pas eu le temps de finir sa phrase que j'avais déjà bondit vers les deux protagonistes en voyant les doigts de Sadi-Dad commencer à bouger alors qu'il parlait. Le Xélor me suivit dans la microseconde. Tout alla très vite. Il coupa net les plantes qui se ruaient vers l'Osamodas, faisant face au Sadida, alors que, d'un puissant coup de bâton, j'envoyais valser les deux tofus et le sanglier. Le ton sec et tranchant qu'employa Kotaro, et même si je lui tournais le dos, m'indiqua qu'il n'était pas content. Pas content du tout. Je pouvais voir toute l'étendue de son autorité, même du haut de sa petite taille.

"- Ce genre de problème se règle en discutant et non en employant la violence. Nous sommes déjà peu nombreux alors si nous commençons à nous battre, les Angel's Requiem n'existeront pas bien longtemps. Vous me décevez beaucoup tous les deux."

Je vis Saeris baisser les yeux, le visage toujours neutre mais le regard brillant légèrement d'excuse. Les trois créatures qu'il avait invoquées disparurent. Je me détendis alors et remis mon bâton à ma ceinture. Cependant je restai sur le qui-vive. On ne savait jamais, Kotaro était peut-être le chef mais les situations comme celles-ci restaient très sensibles. Il ne faudrait pas beaucoup pour qu'un des deux explose et ne remette une bagarre sur le tapis. Et le Xélor avait raison, la Guilde n'était pas bien fournie alors se quereller de la sorte n'amènerait à rien. À ma droite je vis arriver Valadion et Rearith accompagnés d'une Sram. Au vu de leur respiration, ils avaient couru pour se rendre ici rapidement. Un peu tard d'ailleurs. Cependant, Sadi-Dad ne semblait pas prêt à laisser tomber ce pourquoi il se disputait avec Searis.

"- Kota, il l'a mise en danger délibérément !"

Bien entendu il ne m'avait pas fallut longtemps pour savoir de qui les deux jeunes personnes parlaient. Tout simplement parce que j'avais vu le Sadida en présence de cette fameuse elle et que cela ne m'étonnait guère qu'il prenne sa défense de la sorte vu toute l'affection qu'il semblait lui porter. Je me tournai vers lui pour répondre calmement à la place du chef :

"- Crois-tu réellement qu'elle souhaite que tu t'inquiètes de la sorte pour sa santé et sa sécurité ? Moi je ne pense pas. Elle veut simplement vivre libre, comme nous tous. Si elle n'avait pas voulu obéir à Searis lors de cette mission dont tu parles, ou si elle avait senti qu'elle n'aurait pas été pas de taille, elle lui aurait clairement fait comprendre. Elle n'est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds ni à être suicidaire, même pour le bon déroulement d'une mission. Je me trompe ?, demandai-je en regardant Kotaro.

- Non, en effet, tu as raison. Dad, je ne veux plus entendre quoi que ce soit à propos de ce problème et la prochaine fois que vous vous battez pour une broutille pareille, je vous colle tous les deux au rangement des Archives de Bonta, c'est clair ?

- Mais Kota...

- J'ai dit : c'est clair ?" insista-t-il en les fixant l'un après l'autre, les yeux perçants et n'acceptant aucun commentaire supplémentaire.

Les deux intéressés hochèrent de la tête. Notre chef leur fit signe de disposer, ce qu'ils firent, chacun de leur côté, suivis de leurs montures qui ne semblaient pas très contentes de quitter une clairière avec une herbe si bonne. Je poussai un lourd soupire, me détendant cette fois complètement. Je regardai ensuite les trois nouveaux arrivants qui avaient fini de reprendre leur souffle et qui nous regardaient, les yeux pleins d'interrogations. Le Xélor éluda leurs questionnements d'un geste de la main avant de me présenter Nystil, l'espionne et assassin de notre Guilde. La Sram me sourit d'un air enjôleur qui semblait naturel chez elle. Je hochai la tête en signe de salut vu qu'elle ne pouvait pas voir mon visage. Apparemment elle revenait de mission. Elle devait faire son rapport à Kotaro, nous décidâmes donc de tous rentrer au Domaine. Nystil s'amusa grandement avec Wak qui la suivait et se cachait dans sa cape. Tous les deux traînaient un peu en arrière tandis que Valadion donnait quelques informations sur Brakmar à notre chef. Deux combattants de notre Guilde, Nyrel et Haraël, Pandawas de leur état, étaient revenus de cette ville une heure plus tôt. Le premier n'avait pas grand chose comme blessure mais la seconde en avait une sérieuse à la jambe. Ils étaient tombés dans une embuscade. Encore. Ils n'avaient pas reconnus leurs agresseurs car ses derniers portaient de longs manteaux sombres à capuche. L'un d'entre eux, le plus haut gradé, les avait attaqués avec une épée apparemment très volumineuse. Il avait une manière de parler très Iop, donc aucun doute sur sa race, et portait des chaussures renforcées d'une vive couleur rouge avec des croix noires dessus. Aucun doute quant à son identité non plus en ce qui me concernait. Mais deux questions me taraudaient : que faisait Calis si loin d'Astrub ? Et pourquoi deux membres des Hixilones avaient attaqué notre Guilde ? Car cette fois c'était certain, mon ancien supérieur n'était pas innocent dans toute cette histoire.

Une semaine. Une semaine venait seulement de s'écouler et encore une nouvelle attaque. Elèxandre s'acharnait donc contre nous, mais pourquoi ? M'aurait-il retrouvé ? Non, impossible. Je n'étais pas sortie de Bonta, à mon grand désespoir d'ailleurs car j'en avais marre de tourner en rond. Je restais souvent avec Rau-Chan et Etna, une Sacrieuse à la belle chevelure rousse flamboyante. D'ailleurs cette dernière semblait être en continuelle rivalité avec Nystil pour conquérir le cœur du cher et très estimé bras droit de notre chef qui ne semblait pas s'en apercevoir. Etna ne manquait jamais de râler contre lui derrière son dos en le traitant de "Crâ aveugle et insensible". La jeune Émilie s'était réveillée, au grand soulagement du Roublard Shiley qui, désormais, ne la quittait plus une seconde et la couvait comme une Dragodinde le ferait avec son œuf. Cela avait le don d'agacer hautement la Iop qui ne se privait pas de le rabrouer dès qu'il se faisait trop lourd. Autant dire que c'était mille fois par jour donc. Mais je voyais bien que, dans le fond, elle était heureuse qu'il soit près d'elle ainsi. Plus de dispute entre Sadi-dad et Searis, c'était un autre bon point de ces sept jours. Les deux jeunes hommes ne s'adressaient plus la parole. Rau-Chan ne comprenait pas, comme toujours, enfermée dans son monde enfantin, et Kotaro s'arrachait les cheveux qu'il n'avait pas de les voir comme cela. Lui qui prônait le respect, la bonne entente et la solidarité, il était servi ! Enfin bref. Pour résumer le reste disons simplement que Rearith était plongé dans ses comptes, Pépé-Vala était toujours aussi rapiat concernant les Kamas, Salenna valsait dans son infirmerie entre tous les patients pour soigner les petits bobos avec son éternel sourire enjoué et Nyrel et Haraël, s'étant bien remis de leurs blessures, avaient fêté cela en se beurrant à coup d'alcools divers. À peu de choses près. Et moi, au milieu de tout cela, je tentais encore et toujours de trouver ma place, ce qui n'était pas bien évident. Wak s'était bien remis de ses blessures, ce qui me rassurait. Il adorait gambader entre mes jambes ou entre celles de Pandora lorsque nous étions de sortie. Mais ce qu'il préférait c'était s'asseoir sur la croupe de ma monture pour regarder les pious voleter autour de nous lors de nos balades en forêt. Pour un bébé il était tout de même très calme. Je n'avais pas à me plaindre. Il aimait bien jouer un peu avec le Phorreur blanc de Pépé-Vala dès que nous les croisions. À la fin de la semaine, alors que tous les membres étaient réunis au Domaine pour une fois, Kotaro nous convoqua afin de nous parler. Son visage était grave, ainsi que ceux de Valadion et Rearith qui se tenaient à ses côtés. Le Xélor prit la parole d'une voix plus que sérieuse :

"- Bien, je vous annonce que nous savons qui a attaqué Émilie, Shiley et les autres. Vous connaissez sans doute la Guilde des Hixilones qui règne sur Astrub. Ils sont responsables de tout cela.

- Pourquoi nous ?!, lança Sadi-dad d'une voix forte et agressive, suivi des protestations de Salenna et Rau-Chan.

- Nous ne le savons pas encore, cependant vous devez rester très prudent. Je doute qu'ils veuillent s'arrêter à de petites attaques de ce genre. À mon avis, ils comptent bien nous éliminer. Peut-être pour prendre le contrôle de Bonta."

Il était très convaincant dans son rôle de grand chef qui veut protéger sa Guilde. Cependant j'étais une Zobal, donc j'avais l'habitude de comprendre tout ce qui n'était pas dit. Et Kotaro n'ayant pas de masque, ce fut encore plus facile pour moi d'interpréter la minuscule ride près de sa bouche et son froncement de sourcils. Il avait quelque chose à voir avec tout cela. Mais aller le voir pour lui en parler serait un très bon moyen pour moi de me faire prendre. Si jamais je faisais cela, je mettais un écriteau sur mon front indiquant "bonjour je suis Ayasturu la Pourpre, ancienne meilleure assassin de la Guilde qui cherche à tous nous éliminer !". Je ne comprenais pas assez les motivations d'Elèxandre pour prendre autant de risques. Kotaro avait peut-être raison. Le Zobal voulait peut-être prendre le contrôle de Bonta en y éliminant toutes les Guildes. Cela ne serait pas étonnant venant de lui. Mais c'était un peu trop évident justement. Non, Elèxandre cachait forcément quelque chose. S'il avait retrouvé ma trace, il fallait que j'en sois certaine. Et si notre chef était lié aux Hixilones, il fallait également que je le sache. Je devais faire mon enquête. Donc attirer Elèxandre dans un piège pour l'interroger. J'avais de grandes chances d'y rester mais c'était tout ou rien de toute manière.

"- Aya ? Aya tu nous écoutes ?

- Pardon ?"

Je sortis de mes réflexions pour me rendre compte que tout le monde me regardait. Bof, cela ne me gêna pas outre mesure.

"- Que se passe-t-il ?

- Kotaro demandait si tu acceptais de partir en mission avec moi et Searis si jamais la situation se dégrade pour tendre un piège aux Hixilones, répéta Rau-Chan. Pour le moment Nystil va être envoyée chez eux pour les infiltrer."

Risqué. Très risqué. Mais autant attendre que la Sram revienne de sa mission pour moi-même débuter la mienne. Et puis si Kotaro l'envoyait là-bas c'était qu'il était certain de ses capacités, même en ignorant encore la puissance de notre ennemi. Il ne pouvait que la deviner de part les attaques reçues. Je ne fis donc aucun commentaire, me contentant de répondre tout simplement :

"- Oui d'accord."

Notre chef fronça légèrement le nez. Soupçonnait-il quelque chose ? Je ne le pensais pas. Comment pourrait-il savoir qui j'étais réellement ? Pépé-Vala me sourit d'un air rassurant. Je l'aimais de plus en plus ce vieil Enutrof. Il ne pouvait voir quelle expression j'arborais cependant, et heureusement. J'étais très soucieuse pour la Sram, mais après tout elle savait ce qu'elle faisait. Enfin presque... La réunion se termina rapidement par la suite, plus personne n'ayant de sujets à aborder. Tous les membres de la Guilde s'en allèrent vaquer à leurs occupations. Des missions pour beaucoup. Nystil alla se préparer pour la sienne, accompagnée de Salenna. Quant à moi, je me levais pour sortir alors qu'une tornade me sautait dessus.

"- Aya !"

Je n'eus aucune peine à reconnaître la jeune Ecaflip qui affichait un immense sourire. Elle déposa une bise bruyante sur la joue de mon masque avant de plonger son regard pétillant dans le mien. Elle avait l'air de très bonne humeur et cette mine lui donnait un air encore plus enfantin.

"- Oui ?

- Tu viens en ville avec moi ? Je dois amener ma Griffe Rose chez le forgeron et tu pourrais peut-être trouver un autre bâton non ?

- Qu'a-t-il mon bâton ?

- Il est fissuré, regarde là."

Elle me montra mon arme. En effet du bout jusqu'au milieu environ une grosse fissure le décorait, si je pouvais dire cela. Je n'avais même pas remarqué mais je savais pertinemment d'où cela venait. De mon combat contre Sao, évidemment. Je ne frappais si fort qu'avec elle, ou un combattant de sa trempe. Je poussai un lourd soupir. En effet, j'avais besoin d'une nouvelle arme, celle-ci était foutue. Malheureusement. Elle avait une valeur sentimentale très forte et je comptais bien la garder. Je relevai mon visage vers Rau-Chan pour lui sourire. Elle le devina sans doute car elle hurla de joie.

"- Génial ! Rendez-vous dans une heure à l'enclos des Dragodindes !"

Elle partit à toute allure pour se jeter au cou de Sadi-Dad qui la traita de sac à puce en riant bruyamment. Cela m'amusa. Je me rendis dans ma chambre pour y déposer mon bâton abîmé. La fenêtre était ouverte, laissant entrer un vent légèrement froid. La saison chaude allait se terminer. Dehors, le ciel était bleu et clair et le soleil brillait, mais cela ne durerait pas. Encore une petite semaine avant que la pluie et que le froid ne viennent prendre possession des terres. Les paysans terminaient leurs récoltes et faisaient leurs provisions, les éleveurs achevaient de retaper leurs granges et leurs étables pour le bétail. Les Guildes pour la plupart, comme la nôtre par exemple, rassemblaient leurs guerriers et les envoyaient beaucoup moins loin en mission, sauf exceptions. Les tisseurs travaillaient la laine et le cuir et les pious commençaient à migrer ou à hiberner. Il fallait profiter des derniers beaux jours, ce que les enfants faisaient sans doute dans les rues de toutes les villes et de tous les villages. À cette époque, Astrub devait être en ébullition. Élèxandre convoquait ses meilleurs éléments pour des réunions presque tous les jours afin de savoir s'il continuait d'étendre son influence par des descentes dans les villages en cette saison ou bien s'il se contentait de ce qu'il avait déjà. La plupart du temps les Hixilones se tenaient tranquilles lorsque le temps devenait plus mauvais. C'était vraiment le bon moment pour que Nystil mène à bien sa mission. Plongée comme je l'étais dans mes pensées, j'en sortis en entendant un petit roucoulement près de moi. Wak, assis sur mon lit, me regardait de ses grands yeux. Je ne savais pas vraiment s'il comprenait ce qu'il se passait. Ni même qui j'étais. Après tout il ne me connaissait pas depuis longtemps, il ne pouvait rien savoir des atrocités que j'avais commises. Sentait-il l'odeur du sang sur mes mains et mes bras ? Peut-être, qui pouvait bien le savoir. Après tout, les phorreurs avaient un odorat hors pair mais lui était jeune. J'enlevai mon masque et lui souris doucement. Il piailla joyeusement avant de me sauter dessus pour un câlin. J'avais encore le temps avant de rejoindre Rau-Chan. Je m'allongeai sur le matelas et m'endormis, mon petit compagnon serré contre ma poitrine. Cependant ce dernier me réveilla bien vite. Le temps de boire un peu d'eau fraîche et de remettre mon masque puis je sortis sous le soleil. Wak me suivait de près. Il avait l'air légèrement déprimé. Peut-être n'aimait-il pas la saison froide. Après tout son grand plaisir était de regarder les pious voleter, ce qu'il ne pourrait plus faire durant quelques moins. Je me recoiffai rapidement alors que j'arrivais près de l'enclos. Les deux Dragodindes broutaient tranquillement, leurs selles sur le dos. La jeune Ecaflip me sourit.

"- Aller on y va !"

Elle semblait toute contente d'aller faire un tour en ville. Et nos deux montures, aussi flemmardes fussent-elles, ne rechignèrent pas à nous y emmener. Je les soupçonnai de s'ennuyer avec le temps. Nous nous mîmes en route. Nous passâmes par la forêt pour aller profiter un maximum des derniers beaux jours. Wak, pour une fois, galopait entre les pattes de nos Dragodindes qui faisaient tout ce qu'elles pouvaient pour ne pas lui marcher dessus. Leurs têtes étaient très comiques à certains moments, surtout lorsqu'Ithaque dû choisir entre piétiner le petit phorreur où se prendre une branche dans la figure. Bien entendu elle opta pour la seconde solution et bouda pendant tout le reste du chemin. L'Ecaflip parla sans s'arrêter de sa voix aiguë et joyeuse. Sadi-Dad était au centre de sa conversation, avec Searis. Elle se demandait pourquoi les deux jeunes hommes ne se parlaient plus. Comme je m'y attendais elle n'avait rien remarqué, ce qui n'était pas plus mal d'une certaine manière. Nous finîmes par arriver dans Bonta. C'était bondé de monde. Tous les habitants, mais surtout les paysans qui vivaient un peu loin de la ville, venaient faire leurs réserves pour la saison froide. Certains venaient vendre les derniers fruits et légumes qui s'arrachaient à prix d'or. Enfin moins cher qu'à Astrub tout de même, mais bon.

"- Tu vas voir, Mine Ray est très gentil !"

Elle semblait bien le connaître et lui était sans doute quelqu'un de très doué pour avoir fabriqué la Griffe Rose de ma compagne. La lame était en effet décorée de très fines arabesques gravées et le pommeau était simple pour rester le plus confortable possible, mais deux rubans rouges étaient noués autour et dépassaient de quelques centimètres, un grelot accroché à chacun des deux bouts. Pourquoi des grelots, je l'ignorais. Ce n'était pourtant pas très discret en mission. Enfin elle semblait s'en sortir très bien comme cela, inutile de lui faire la morale. Elle m'amena dans le quartier des artisans et s'arrêta devant la boutique du fameux Mine Ray. C'était une échoppe assez modeste vu de l'extérieur, très simple où ne se trouvaient que les informations nécessaires à la compréhension de l'art du propriétaire. Une fois que nous eûmes mis pied-à-terre, les deux montures attachées devant un abreuvoir, nous entrâmes. L'intérieur était tout à fait différent et bien plus grand que ce à quoi je m'attendais ! Dans un coin se trouvaient deux énormes cheminées où brûlaient des feux d'enfer, deux immenses fenêtres ouvertes juste à côté pour éviter qu'il ne fasse trop chaud. Des seaux remplis d'eau froide, des armes un peu partout, du minerai, du métal, du fer, des gemmes, des enclumes et des outils. C'était la partie atelier. La partie magasin, elle, était bien rangée. Avec des épées, des cutters et des lances accrochées aux murs comme présentations, des armures rutilantes et des objets en tout genre posés sur des étagères. Le contraste entre les deux parties de cette même immense pièce donnait tout son charme à l'endroit.

"- Tiens, une p'tite Eca que j'connais ! Comment tu vas la boule de poil ?

- Mine !"

Une grosse voix venait de derrière une des enclumes et un homme sortit du nuage de fumée dans lequel il se trouvait. Ma camarade lui sauta au cou. Le forgeron était quelqu'un de très robuste mais étonnamment pas très grand comparé aux autres hommes qui exerçaient ce métier et qui ressemblaient à des armoires à glace de deux mètres de haut. Il faisait la taille de Valadion mais bien trois fois sa largeur. Il avait une moustache rousse et une barbe tressée, un gros nez et les cheveux attachés, une calvitie découvrant son crâne. Il était vêtu de vêtements en toile et d'un tablier en cuir épais, des gants de la même matière couvrant ses mains. Il les retira et ébouriffa Rau-Chan avant de se tourner vers moi.

"- Une nouvelle amie ?

- Elle s'appelle Aya, une nouvelle membre de notre Guilde !

- Enchantée.

- Salut petiote, je suis Mine Ray, mais appelle moi Mine. Qu'est-ce qui vous amène ?

- Ma Griffe Rose à réparer et un nouveau bâton pour Aya, elle a fendu le sien.

- T'as dû y aller bien fort pour faire ça !"

Il n'avait pas tout à fait tort sur ce point. Il examina tout d'abord l'arme de l'Ecaflip. En effet la lame était bien abîmée mais le forgeron lui assura qu'il pourrait la réparer. Après tout c'était son œuvre, il la connaissait sur le bout des doigts donc cela n'allait pas être un gros souci. Il mit le précieux poignard près des armes qu'il avait déjà à réparer. Ensuite il se tourna vers moi et me demanda quelques détails concernant mon style de combat. Je lui expliquai comment je me battais, du moins dans les grandes lignes. Mine était sans doute habitué à ce que les combattants ne lui disent pas tout. Normal après tout. Il me sonda une seconde, me regardant de haut en bas et me tournant autour. En bon professionnel qu'il était, il alla voir ce qu'il avait de mieux à me proposer. Il m'en fit essayer deux qui ne m'allèrent pas vraiment. Le premier était trop lourd. Le second trop fragile.

"- Je sais s'qu'il t'faut, attendez-moi là."

Il descendit par un petit escalier. La réserve sans doute vu le visage ravi de Rau-Chan qui m'assura qu'il allait me sortir une de ses œuvres parmi les plus belles. L'homme remonta avec une grande boite en bois. Elle faisait un mètre 20 de long environ. Il l'ouvrit pour y découvrir le plus magnifique bâton de combat que je n'avais jamais vu de ma vie. Je n'arrivais pas à en détacher le regard. Il semblait fait dans un métal très spécial, un mélange visiblement. Il était blanc comme de l'ivoire, le pommeau était sculpté de telle sorte qu'il soit confortable et facilement pris en main. Sur toute la longueur s'étalaient des fleurs finement gravées et peintes de rouge foncé et de marron. Les mêmes couleurs que mes vêtements. Comme s'il avait été fait pour moi.

"- Prends le et dis moi s'que t'en penses."

Il n'eut pas besoin de me le répéter deux fois. Je m'en saisis fermement et poussai un petit cri de surprise. Il était plus léger que ce que je pensais, ce qui m'effraya légèrement. Serait-il assez solide pour supporter la force de mes coups ? Je poserais la question après. D'abord je me fis le plaisir de faire quelques mouvements rapides avec. Il était assez facile à manier et donnait à mes mouvements une plus grande fluidité que mon arme précédente. Beaucoup plus efficace en somme. Derrière mon masque, mon visage était fermé par la concentration. Cependant les deux personnes présentes pouvaient voir mes yeux étinceler.

"- Il est magnifique, dis-je en le reposant dans la boite. Mais est-il solide ?

- Sinon je te l'aurais pas présenté. Une de mes plus belles créations. Je pense qu'il te conviendra parfaitement, t'es pas d'accord ?

- Si, j'avoue qu'il est parfait.

- T'es une amie de Rau-Chan, j'te fais un prix."

J'eus beau insisté pour payer le prix d'origine, Mine Ray ne me laissa pas le choix. Plus têtu qu'une bourrique ce forgeron. Ma nouvelle arme à la ceinture et une fois la boite attachée sur le côté de la selle de Pandora, nous le saluâmes pour repartir à la Guilde. Passant par la forêt une nouvelle fois, nous n'eûmes pas cinq minutes de calme avant d'entendre des hurlements. Dont un qui ne m'était pas inconnu, loin de là.

"- C'est Salenna !" s'exclama Rau-Chan, confirmant ma pensée.

Nous lançâmes nos Dragodindes à vive allure sur les chemins de terre en direction du vacarme. L'Eniripsa ne semblait pas être toute seule. À la sortie d'un virage, Pandora dû piler violemment pour éviter de rentrer de plein fouet dans notre guérisseuse qui se tenait à l'écart de ce qui semblait être un combat. Sadi-Dad et Searis se trouvaient sur les lieux. Encore une dispute ? Cependant cette idée me quitta bien vite lorsque je vis l'Osamodas se prendre une violente bourrasque de la part d'une silhouette encapuchonnée. Il y en avait deux autres, et une personne dont la capuche était tombée et que je reconnus sans mal. Je sautai à terre. Une occasion de tester mon nouveau bâton. Le tirant de ma ceinture, je courus rapidement pour frapper de toutes mes forces l'épée du Iop. Il recula sous le coup de la surprise, s'attendant à ce que sa lame loupe le Sadida devant lui. Je me redressai et le fusillai de mon regard pourpre.

"- Va t'en Calis, sinon tu mourras."

Il éclata de rire, son visage déformé par une expression de suffisance et de démence.

"- Regardez qui voilà les gars ! C'est Ay..."

Il n'eu pas le temps de finir sa phrase que j'avais changé de masque pour mettre celui du Psychopathe et que j'avais foncé droit sur lui. Mon arme le frappa dans le ventre, la sienne m'ouvrit légèrement l'épaule avant que je ne saute pour éviter d'avoir le bras tranché. Mon sang goutta sur l'herbe verte.

"- Aya !

- Restez en dehors de ça ! C'est mon combat. Dad, Searis, occupez vous des trois autres et essayez d'en capturer un vivant, Chan tu protèges Salenna !"

Dans cette situation, personne ne remit en question mon autorité soudaine. Le Iop ricana d'un air noir, léchant mon sang qui tachait sa lame.

"- Toujours aussi donneuse d'ordre, mais tu t'es empâtée, j'ai réussi à te toucher plutôt facilement.

- Toi aussi tu t'es empâté.

- N'importe quoi !

- Tes pieds."

Il baissa les yeux vers ses bottes. Pendant qu'il parlait et que je donnai mes instructions, de l'eau l'avait immobilisé au sol. Il gronda violemment et tenta tant bien que mal de se libérer. Cependant il était pris au piège. Complètement coincé. Il allait reprendre la parole mais, déjà, je l'avais désarmé et, d'un coup sec, je lui tranchai la gorge avec sa propre arme. Plus de Calis. Moi qui pensais que j'aurais plus de difficulté à le battre, finalement son orgueil aura été sa perte. Par les trous de mon masque effrayant, mes yeux brillèrent d'un éclat glacial. Ayatsuru la Pourpre n'avait pas disparu. Je me tournai vers le Sadida et l'Osamodas. Ils avaient achevé deux des trois hommes. Le dernier commençait à s'enfuir mais il n'en eu pas le temps. Sadi-Dad le cloua sur place avec ses plantes. Je m'avançai doucement vers lui. La capuche de l'homme avait basculée en arrière lorsqu'il était tombé à cause des ronces qui lui retenaient les jambes. Je ne le reconnus pas, mais lui visiblement semblait très bien savoir qui j'étais au vu de son visage complètement paniqué. Je me penchai doucement sur lui afin de lui murmurer quelques paroles qu'il fut le seul à entendre de ma voix froide :

"- Écoute moi bien petit, ici je suis juste Aya, alors tu balances sur moi et je me ferais un plaisir de t'éviscérer vivant, on s'est bien compris ?"

Il acquiesça vivement, effrayé par ma menace.

"- Bien. Maintenant tu vas nous suivre et nous dire tout ce que tu sais, sinon j'ai de très bons moyens de te faire parler. La torture, ça me connaît."

Je l'entendis déglutir. Un des deux autres hommes n'était pas mort et il passa à côté de moi sur le dos d'une Dragodinde. Searis voulut l'empêcher de fuir mais je secouai la tête.

"- Inutile, laissez le partir."

Elèxandre saurait que Calis s'était fait descendre et que c'était moi la responsable. Il saurait que nous avions un homme à lui et que je réussirais à le faire parler. Enfin, il saurait que s'il souhaitait tuer tous les Angel's Requiem, il devrait me passer sur le corps. En somme, en laissant cet homme lui rapporter ce qu'il s'était passé, je lui lançai une déclaration de guerre à laquelle j'étais certaine qu'il répondrait. Les cartes étaient distribuées, il suffisait de bien jouer à présent.

Deux jours plus tard. Mes compagnons n'avaient rien dit à propos de ma manière de me battre ni même à propos de l'exécution du Iop. Ils avaient été refroidis de me voir dans un tel état, mais quelques heures plus tard ils étaient redevenus comme avant. Notre prisonnier avait parlé, cependant comme je m'en doutais il ne connaissait pas grand chose des plans d'Elèxandre. Il avait juste été envoyé en mission pour tuer une Eniripsa sous les ordres de Calis. Il avait mystérieusement disparu la nuit juste après ses révélations. Je m'étais chargée de son cas. Une nouvelle tombe ornait le cimetière de Bonta. Une tombe anonyme où gisait un jeune homme que j'avais dû tuer. Cette nouvelle attaque avait secoué les trois dirigeants de la Guilde. Ils ne savaient plus quoi faire pour les éviter. Kotaro avait pris des mesures extrêmes : il avait instauré un couvre-feu. Valadion avait expressément interdit aux membres de la Guilde de quitter le domaine sauf en cas de mission. Enfin, Rearith avait imposé que ces dernières ne se fassent plus qu'en groupe de trois minimum. Il fallait que nous restions le plus prudent possible. Searis avait rapporté qu'un de nos ennemis, en l'occurrence celui que j'avais éliminé, me connaissait. Je n'eus pas d'autre choix que de mentir aux trois dirigeants en leur disant que je l'avais déjà croisé sur ma route autrefois et plusieurs fois combattu. Kotaro et Rearith semblèrent s'accommoder de mon histoire mais Valadion me lança un regard légèrement suspicieux. Je n'en pris pas garde. Il pouvait bien avoir tous les soupçons du monde, de toute manière maintenant j'allais sans doute être bientôt découverte. Un peu plus de mensonges ou un peu moins, je n'étais pas à cela près. Nystil était partie depuis quelques temps et nous n'avions aucune nouvelles de sa part. Pas de nouvelle, bonne nouvelle comme on dit. Le matin du troisième jour, la pluie s'était mise à tomber drue. Le froid s'était soudainement abattu sur cette partie des territoires connus. Le ciel était sombre, presque autant qu'en pleine nuit. Rau-Chan me força pourtant – inutile de vous dire que pour résister à ses yeux de chaton embués de larmes c'est impossible – à sortir avec elle pour elle récupérer sa Griffe Rose chez Mine Ray. Rearith lui avait donné l'autorisation si elle était accompagnée d'au moins une personne. Après moult soupires, je mis ma grande cape rouge foncé et nous partîmes vers la ville. Pour une fois nous ne passâmes pas par la forêt, ce qui rallongeait notre chemin. Nous arrivâmes donc plus rapidement devant l'échoppe du forgeron. Les deux Dragodindes trouvèrent leur place sous le préau, devant l'abreuvoir, et nous entrâmes dans la boutique. Une fois à l'abri, Wak sauta de dessous ma cape où il s'était couvert pour se secouer légèrement et renifler dans tous les coins. Mine Ray nous reçut avec un grand sourire et une immense tasse de thé chacune – tasse de la taille d'une chope de bière. Et thé que je ne bus bien évidemment pas à cause de mon masque sans ouverture pour la bouche. Nous nous posâmes autour d'une table dans la partie magasin.

"- Ta Griffe est prête boule de poil, dit-il en souriant.

- Super ! Merci Mine !

- Au fait les petiotes, y'a quelques rumeurs qui courent dans Bonta, et dans les Guildes de la région aussi."

Son visage soudain grave ne me disait rien qui vaille. Le mouvement discret des oreilles de ma compagne Ecaflip m'indiqua qu'elle aussi était inquiète.

"- Y'en a qui disent que les AR ont plus beaucoup de temps d'existence devant eux.

- Comment cela ?, demandai-je avec calme alors que Rau-Chan semblait paniquer à l'idée qu'une telle rumeur s'ébruite davantage.

- Ben ouais, apparemment vous seriez la cible d'une autre Guilde. Et y'en a même qui racontent qu'après vous, elle s'attaquera aux autres Guildes et à la ville. En gros vous êtes plus trop les bienv'nus près de Bonta.

- Comment ils osent nous traiter de cette...

- Ne vous en faites pas," dis-je en coupant mon amie qui s'emportait.

Il fallait que nous restions calmes pour prouver que nous étions maîtres de la situation. Ce qui, bien entendu, n'était pas franchement le cas.

"- Nous avons la situation en main et je vous assure que la ville n'a rien à craindre. Le Domaine dans lequel nous sommes ne peut nous être retiré, il est à nous. Et les habitants n'ont nulle raison de penser que nous allons apporter le malheur."

Rau-Chan semblait avoir compris qu'il ne fallait surtout pas céder à la panique car elle se reprit et acquiesça mes paroles. Le forgeron sourit légèrement. Il ne semblait pas vraiment rassuré mais s'il nous avait dit cela, c'était bien qu'il était un peu de notre côté. Sinon il aurait laissé les habitants de Bonta nous chasser sans vergogne. Lorsque l'Ecaflip eut terminée son thé et repris son arme, nous repartîmes pour le Domaine. Une fois arrivée, je mis Pandora dans l'enclos pour me rendre à grandes enjambées dans la salle de réunion. J'entrai sans frapper, ce qui fit froncer les sourcils de Rearith. Lui, Kotaro et Valadion se trouvaient être en pleine discussion avec Ametrhylde, une Osamodas, Shiley et Émilie. C'était la première fois que je la voyais vraiment en forme depuis son retour en catastrophe. Elle n'avait plus aucun bandage, elle se tenait droite, ses cheveux blancs brillaient doucement et semblaient aussi fluides que l'eau d'une source. Son regard s'était rengorgé de la supériorité que je voyais chez pas mal de Iop. Enfin bref. Le chef prit la parole d'une voix sèche à mon égard :

"- Tu déranges, alors j'espère que c'est important.

- Si pour vous les rumeurs dans Bonta parlent de notre future disparition ou du fait que les habitants comptent nous chasser par peur que notre ennemi s'en prenne à eux c'est important, alors je ne dérange pas le moins du monde.

- QUOI !"

Le Xélor regarda ses deux aides. Tous trois avaient l'air plus ou moins songeurs et surtout plus ou moins inquiets.

"- Comme par hasard tout a commencé avec ton arrivée, suspecta le Crâ.

- Je sais que tu ne m'aimes pas et je ne t'aime pas non plus. Et je sais que tu me crois coupable de tout ce qui nous arrive mais...

- Non, de tout ce qui nous arrive à nous les vrais AR. Personnellement je ne te considère pas comme l'une des nôtres. Je ne te fais pas confiance. Et crois-moi un jour je percerais ce que tu caches derrière ce masque."

Nous nous affrontâmes du regard une seconde. Peut-être était-ce dû à notre première rencontre dans la forêt. Quelle importance qu'il me fasse confiance ou pas, je n'en avais rien à faire. Tout ce que je voulais, c'était les aider à se débarrasser des Hixilones. Le fait qu'ils attaquent maintenant n'avait rien à voir avec ma présence ici. Tout simplement parce que lorsque les attaques avaient commencé, Elèxandre me croyait morte. Simple coïncidence. Troublante, certes, mais elle n'en restait pas moins une coïncidence. Le ton mécontent de Kotaro nous coupa dans notre duel intérieur.

"- Vala on en a déjà parlé. Am', Shi, Emi, allez-y, vous avez du travail.

- Moi non plus j'lui fais pas confiance Val'," grogna le Roublard en sortant à la suite de sa camarade.

Je levai les yeux au ciel. Si l'on devait se fier à l'avis d'un Roublard concernant un Zobal, c'était certain que j'étais coupable de quelque chose !

"- Es-tu sûre de ce que tu viens d'avancer Aya ?, demanda le chef sans prêter attention aux paroles de son homme.

- Je le tiens de Mine Ray, le forgeron. Demandez à Chan si vous ne me croyez pas, mais pourquoi mentirai-je ? Ce n'est pas dans mon intérêt, loin de là. Et j'ai cessé de penser uniquement par intérêt depuis que je suis ici.

- Pitié pas le coup du "depuis que je suis avec vous j'ai changé", rétorqua le bras droit. Cela ne marche pas !

- Crois-moi responsable de ce que tu souhaites, mais saches que concernant les attaques incessantes contre nous j'ai la conscience tranquille. Et réfléchis bien à ton cas également, car personne n'est tout blanc. Loin de là."

Je n'accordais plus un regard au Crâ, tournai le dos et sortis de la pièce alors que le Xélor râlait contre son bras droit et que Rearith tentait de le calmer. Le couloir était vide. Je décidai de me rendre à l'infirmerie. Salenna s'y trouvait, elle était en train de terminer de reboucher les flacons de quelques potions qu'elle venait de concocter. Elle m'accueillit avec son éternel sourire joyeux. Ses cheveux d'un rouge flamboyant se détachaient dans la semi-pénombre de la pièce engendrée par le manque de soleil. Quelques bougies éclairaient les lieux. Alors que je m'asseyais sur un lit vide, elle me demanda gaiement ce qui m'amenait ici.

"- Pas grand chose. Disons que je ne sais pas vraiment quoi faire. Aucune mission et interdiction de sortir sauf en cas d'urgence."

Mon regard se porta sur la fenêtre fermée. Dehors, la pluie n'avait pas cessé. Elle tombait même plus fort que tout à l'heure me sembla-t-il. J'étais seule avec Salenna et elle avait déjà vu mon visage, je pus donc enlever mon masque. Ce geste la surprit. Habituellement les Zobals ne le faisaient qu'en dernier recours. Inquiète, elle vint s'asseoir à côté de moi et posa une douce main sur la mienne. Ma mine fatiguée et les cernes sous mes grands yeux pourpres ne la rassuraient en rien. Le dos voûté, je semblais supporter tout le poids du monde.

"- Aya ? Que t'arrive-t-il ?

- Il n'a jamais été si lourd à porter," murmurai-je en regardant mon masque.

Je ne savais même pas si elle pouvait me comprendre. Elle ne prononça pas le moindre mot. Même si je savais pertinemment que toutes ces attaques n'étaient pas de ma faute, j'avais la sensation au fond de moi qu'Ayatsuru la Pourpre continuait encore et toujours d'amener et de semer la mort sur son passage. Certes inconsciemment cette fois, mais je ressentais que j'étais responsable. Si j'avais eu le cran de tuer Elèxandre, nous n'en serions pas là. Non, j'avais tort de penser cela. Je n'aurais pas pu le tuer, il était bien trop fort. Je me serais faite réduire en miettes. La jeune Eniripsa continua de garder le silence. Ses petits doigts se resserrèrent cependant sur les miens. J'étais heureuse d'avoir quelqu'un près de moi, elle de surcroît. Elle était bien différente de Sao. Cette dernière se serait mise debout sur mon lit – vu que l'on se retrouvait toujours dans ma chambre – et m'aurait chambrée en rétorquant d'une voix amusée un "Ayastsuru la Pourpre qui déprime ? Va tuer quelques paysans, ça te changera les idées !". Ou bien autre chose dans le même style. Elle arrivait toujours à me remonter le moral, à sa manière. Salenna, elle, ne disait rien. Tout simplement parce qu'elle ne comprenait pas et surtout qu'elle ne cherchait pas à comprendre. Elle ne sortait pas des paroles du genre "ne t'en fais pas, je sais ce que c'est". C'était quelque chose que j'appréciais chez elle. Elle se contentait d'être là, tout simplement. Elle ne demandait pas à ce qu'on lui explique et elle ne cherchait pas à résoudre les soucis des autres. Elle et Sao étaient certes différentes pour redonner le sourire, mais elles se ressemblaient sur ce point. La porte s'ouvrit violemment et l'Eniripsa se leva.

"- DEHORS ! cria-t-elle. Je ne prends AUCUN patient sauf très gravement blessé !"

Je remis mon masque rapidement et me tournai vers Pépé-Vala qui venait d'arriver en portant son phorreur blanc dans les bras. Wak courut vers lui et piailla d'un air inquiet.

"- C'est bon Salenna.

- P'tite, aide moi, il est mal en point.

- Pose-le sur le lit. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?"

L'Enutrof obéit et lui raconta pendant qu'elle l'auscultait. Apparemment ils étaient sortis sous autorisation de Rearith pour chercher un peu d'or dans une mine pas très loin. Alors qu'ils étaient en plein travail, une avalanche de pierre les avait surpris. Le phorreur avait poussé son maître hors de la mine. Pépé-Vala avait été aidé par quelques villageois pour l'en sortir et il était revenu en quatrième vitesse.

"- Rien de bien grave. Il a une patte cassée mais rien de plus. Il s'en remettra vite.

- J'suis bien content d'ça."

Une avalanche ? Je n'étais guère spécialiste des mines, mais ce genre de phénomène ne se produisait généralement pas tout seul. Pour moi cela ressemblait plus à une tentative de meurtre qu'à un banal accident. L'Eniripsa commença ses soins sur son patient sous l'œil de son maître. Je les laissai pour aller me promener un peu dans le Domaine. Presque tous les guerriers étaient présents, ce qui faisait vivre les lieux plus que durant n'importe quel autre jour que j'avais vu passer. Et c'était la première fois que je les regardais réellement. Que je voyais dans leurs yeux de la méfiance. Je m'étais toujours dis que je faisais partie intégrante de la Guilde juste parce que Rau-Chan, Salenna et Pépé-Vala m'avaient acceptée mais visiblement j'étais loin du compte. Peut-être m'étais-je menti à moi-même. Je ne fis pas attention à toute cette suspicion. Je me rendis dans ma chambre, suivie de mon petit compagnon à quatre pattes. Je m'étais trompée sur toute la ligne. Valadion n'était pas le seul à ne pas me faire confiance, toute la Guilde, ou presque, pensait comme lui. Pas étonnant qu'il soit le bras droit du chef.

Je m'affalai sur mon lit en soupirant lourdement, ôtant mon masque au passage. Il trouva sa place sur la table de chevet tandis que je regardais le plafond d'un œil distrait. Finalement, que ce soit dans cette Guilde ou chez les Hixilones, je n'avais pas beaucoup plus d'amis. Par la fenêtre ouverte, la pluie rentrait légèrement, ainsi que le vent froid. Quelques mèches de mes cheveux s'envolèrent autour de mon visage, portées par cette brise aussi glacée que mes pensées en cet instant. Avais-je eu un seul véritable ami durant ma vie ? Je ne savais pas vraiment. Après tout Sao me tournait le dos à présent et dès que Rau-Chan, Pépé-Vala et Salenna allaient savoir la vérité me concernant, ils feraient pareil. Pas pour les mêmes raisons, certes, mais la finalité serait la même. Peut-être étais-je faite pour rester seule au final. Seule à apporter la mort, repartant comme j'étais venue. Je fermai les yeux pour m'échapper de cette réalité que je détestais de plus en plus. Je sentis Wak monter sur le matelas. Il se roula en boule contre mon flan. Je ne savais pas vraiment s'il dormait ou non et cela m'était bien égal. Je voulais juste partir quelques heures dans le monde des rêves. Mais malheureusement cela me fut impossible. Le sommeil me fuyait comme la peste.

Je finis par abandonner cette bataille perdue d'avance. Je n'avais qu'à attendre que Kotaro ne me donne une mission. Je passai le reste de la journée allongée sur mon lit à tenter de ne penser à rien. Plutôt compliqué quand pendant sept années vous n'avez pas cessé de faire des plans tous plus tordus les uns que les autres afin de mener à bien vos assassinats. Alors que la nuit nous enveloppait doucement de son manteau noir je me redressai enfin, lassée de ne pas arriver à trouver une once de paix en moi. Je remis mon masque et sortis, Wak sur les talons. La pluie ne tombait plus. Je me rendis à l'enclos, sellai Pandora et partis en direction de la forêt, bien camouflée sur ma cape noire, ma capuche sur la tête. Seuls mes yeux couleur sang brillaient légèrement dans la pénombre. Le ciel était obscurci de nuages et la lune se voyait seulement à demi. Tout était calme. Tellement calme que cela m'en donna la nausée. Aucun bruit hormis celui des gouttes qui s'échouaient sur la terre en tombant des arbres à cause du vent froid. Mon petit phorreur était tout pelotonné contre moi sous la cape, sa tête dépassant, les pattes avant posées sur le pommeau de la selle. Ce silence avait quelque chose de presque religieux. J'avais l'impression que notre divinité me regardait en cet instant. Comme si un jugement divin s'opérait. Elle ne devait pas être bien fière de moi. Pandora marchait lentement.

Alors que je soupirai légèrement, de la neige se mit à tomber, donnant à la forêt une allure encore plus irréelle. Presque fantomatique. Comme si je marchais dans une sorte de rêve. Les flocons descendaient doucement du ciel. Ils venaient s'échouer sur les plantes, la terre, ma monture, moi. Wak éternua après s'en être reçu un sur le bout du museau. Il ne neigeait pas fort mais si cela continuait toute la nuit, le lendemain la campagne aurait revêtue un manteau blanc. Mais cela n'allait pas arriver, nous étions encore au début de la saison froide. La pluie reprendrait bientôt son office. En attendant son retour autant profiter de ce calme soudain qui la suivait toujours, et la précédait des fois. Le moment était propice au repos. Qu'il soit éternel ou non, il s'imposait clairement. Au repos ou aux souvenirs qui m'envahissaient avec une rapidité que je n'arrivais même pas à contrôler. Mes années à tuer de sang froid. Tous les visages de mes victimes, leurs cris de terreurs, leurs gargouillements d'agonie alors que je les avais éventrées d'un coup de dague ou frappées violemment à la tête de mon bâton. Mon rire glacial et sans joie aucune qui emplissait les lieux de mes méfaits à chaque fois. L'adrénaline de prendre une vie, la sensation de se sentir plus puissant que n'importe quelle autre personne au monde. Le hurlement du pauvre malheureux au moment de frapper. Le silence une fois que cela est fait. La peur panique ou la haine. La crainte inspirée. Tout cela me paraissait tellement loin et, paradoxalement, beaucoup trop proche à mon goût. Comme je le pensais, Ayatsuru la Pourpre était toujours présente, tapie dans l'ombre, et elle n'attendait qu'une seule occasion pour ressortir de nouveau. Comme lorsque j'avais éliminé Calis. J'étais redevenue l'espace de quelques instants la terrible tueuse que j'étais autrefois.

Me coupant violemment dans mes pensées, ma Dragodinde s'arrêta d'un seul coup. Je faillis tomber par terre. Elle regardait droit devant en grognant d'un air agressif. Wak hérissa son poil et montra ses petites dents pointues. Je scrutai une silhouette imposante face à moi. Inutile de réfléchir des siècles, je savais de qui il s'agissait. La personne enleva sa capuche. Des cheveux verts foncés, un masque encore plus effrayant que le mien, noir et vert. Sous la cape, probablement des vêtements de la même couleur avec des touches de marron et un bâton à la ceinture. La voix glaciale, narquoise et amusée de mon ancien supérieur retentit dans le silence du lieu :

"- Ayatsuru ma chérie, quel plaisir de te voir en si bonne forme.

- Épargne-moi ton hypocrisie Elèxandre."

Mon ton restait neutre, comme toujours. Cependant une pointe de haine y perçait. Je n'arrivais pas à la dissimuler complètement. Il avait fait tellement de mal à ma nouvelle Guilde.

"- Autrefois tu n'étais pas si farouche, répliqua-t-il, de plus en plus amusé.

- Ne me prends pas pour Sao.

- Je vois que tu as trouvé une nouvelle Guilde, c'est bien, j'aurais une occasion de te trancher moi-même la gorge après avoir profité de ton corps bien entendu. Pourquoi se priver, n'est-ce pas ?

- Touche à un seul de leurs cheveux et tu auras à faire à moi," grondai-je d'une voix noire.

Il éclata de rire. Bien entendu je devais être ridicule à proférer des menaces de la sorte. Nous savions tous les deux qu'il était beaucoup plus fort que moi. Mais je n'avais pas pu m'en empêcher. Moi, je m'en fichais, il pouvait bien me faire tout ce qu'il souhaitait. Mais les autres membres des Angel's Requiem devaient rester à l'abri.

"- Tu continues de leur mentir ?"

Il semblait en être ravi à entendre son intonation mielleuse. Je le foudroyai du regard.

"- Ferme-la.

- Cela veut dire oui. Quand vas-tu leur avouer que tu connais ceux qui les déciment peu à peu ? Et surtout quand vas-tu leur dire que tu as tué deux des leurs il y a peu de temps, de sang froid ?

- Pardon ?"

Il exulta de joie en comprenant que je ne savais pas de quoi il parlait. En effet je ne voyais vraiment pas. Oui j'avais tué des gens, mais aucun Angel's Requiem. Du moins me semblait-il. C'est alors que les souvenirs remontèrent une nouvelle fois. Un autel. Des bougies. Une posée sur un tabar bleu. L'autre sur une toge dont la couleur ne m'avait pas sauté aux yeux la première fois. Mais je me rappelais à présent. Elle était rouge. Mes yeux se plissèrent légèrement.

"- Je vois que tu te rappelles, ricana mon ancien chef. Un Iop et un Eniripsa. Zackiel et Pana. Respectivement le meilleur ami de votre trésorier et l'amant de votre guérisseuse."

Alors c'était moi la responsable de leur mort. J'avais provoqué la tristesse de Salenna et de Rearith. À l'époque, même si je n'aimais plus tuer, je ne me souciais cependant pas plus que cela des personnes qui allaient se retrouver à pleurer la disparition de mes victimes. Là, la réalité me rattrapait à toute allure, et c'était effrayant. Si jamais la Guilde apprenait ce que j'avais fait, je pouvais faire mes valises. Ou creuser ma tombe selon l'humeur de Kotaro.

"- Alors, tu vas leur dire ? Ou tu vas attendre qu'ils le découvrent ?"

Elèxandre était très fier de lui apparemment.

"- Je ne vais rien dire et ils ne découvriront rien. Maintenant dégage, ne remets jamais les pieds dans cette forêt qui ne t'appartient pas.

- Elle ne m'appartient pas pour l'instant. Oh et en espérant que ce cher Kotaro appréciera mon petit paquet cadeau."

Il me tourna le dos et s'en alla en éclatant d'un rire aussi froid que la neige qui tombait toujours. Sa dernière phrase me fit froncer les sourcils. Alors Elèxandre et Kotaro avaient bien un lien tous les deux. Cependant ce n'était pas cela le plus important. De quel paquet cadeau parlait-il ? Cela ne me plaisait pas du tout !

"- Pan, au Domaine !"

A mon ton pressé, la Dragodinde ne se fit pas prier. Elle fit un demi-tour rapide et courut à toute vitesse parmi les arbres. Les flocons se faisaient plus gros. Ils s'échouaient toujours lentement sur tout ce qui se trouvait sur leur route. Mon cœur battait la chamade. Venant du Zobal, une phrase de ce genre signifiait le pire. Le pire du pire même. Le vent froid sifflait à mes oreilles. Wak s'accrochait de toutes ses griffes à la selle tellement nous allions vite. Ma monture entra à toute vitesse dans le Domaine et s'arrêta après un dérapage plus ou moins contrôlé dans la cour. Je sautai à terre et me précipitai dans le bâtiment principal, suivie de mon petit phorreur. Je trouvai tous les membres de la Guilde dans le grand salon. Personne ne manquait, sauf ceux qui étaient en mission. En me voyant débarquer comme une tornade, la plupart sursautèrent. À bout de souffle, je scrutai la pièce pour m'assurer que tout allait bien en enlevant ma cape. Kotaro m'interrogea du regard. Après une seconde je me rendis compte du ridicule de la situation. Je me raclai la gorge pour me donner un peu contenance.

"- Excusez-moi."

J'allai m'asseoir par terre près de Sadi-Dad et Rau-Chan qui rigolaient. Le Sadida me tapota l'épaule en répliquant d'une voix amusée :

"- Eh ben t'as un Mulou aux fesses ou quoi !"

Je ris légèrement. Peut-être m'étais-je affolée pour rien après tout. Alors que j'allai ouvrir la bouche pour parler, quelqu'un sonna à la porte du Domaine. Pour me punir d'être entré aussi brusquement, ou plutôt pour m'emmerder mais bon, Kotaro me demanda d'aller voir. Je poussai un soupire en me levant et lui lançai un regard agacé. J'allai cependant ouvrir la grande porte. Personne. À mes pieds je vis un tissu épais enroulé autour de quelque chose. Je me mis à genoux pour l'ouvrir. Heureusement que j'étais habitué à toutes les horreurs possibles, sinon je serais tombée à la renverse. Voilà de quoi parlait le Zobal. C'était cela son soit disant paquet. Au creux du tissu sombre se trouvait un corps, ou plutôt ce qu'il en restait. Il était décapité mais je n'eus pas besoin de la tête pour reconnaître la personne. Elle avait échoué. Des lambeaux de peau se mêlaient à ceux de ses vêtements. Son sang imbibait ce qui la recouvrait. Son ventre était ouvert, elle avait sans doute était éventrée vivante. Ses entrailles décoraient sa poitrine découverte et pleine d'ecchymoses. Ses jambes étaient couvertes de griffures et d'entailles profondes, de même que ses bras. Ses cuisses avaient été maltraitées visiblement. Ceux qui l'avaient tué avaient apparemment bien pris soin de la violer avant.

"- Par Crâ..."

Ce murmure ne me fit même pas sursauter. J'avais senti la présence de Valadion dans mon dos dès qu'il était arrivé. Je me redressai en portant la pauvre malheureuse. Le drap détrempé tacha mes bras et ma poitrine alors que je la serrais contre moi. Le bras droit s'écarta pour me laisser entrer et, alors que j'approchai du grand salon, j'entendis Kotaro lancer d'un air amusé "alors, vous vous embrassez dans un coin sombre ou quoi !". Son sourire s'effaça instantanément lorsque j'entrai dans la pièce. Tous pâlir d'un seul coup. Ma voix noire s'éleva dans le silence pensant. Ayatsuru la Pourpre parlait, mais enfin elle s'exprimait pour le bien.

"- Cadeau des Hixilones. La guerre est belle et bien ouverte."

Je vis Etna se lever. Son visage était baissé et quelques mèches rousses cachaient ses yeux. Mais sa rage ne fut nullement camouflée dans sa voix tremblante. Elle ne cherchait même pas à la dissimuler.

"- Ils vont nous le payer. Oui je compte bien leur faire payer à tous."

Au creux de mon étreinte, le corps de la pauvre Nystil pendait misérablement...


Prochain chapitre : Voyage

En espérant que cela vous a plu.

Loune