Bonjour à tous.

Avant toute chose, avant que vous ne commenciez à lire le chapitre, je vous demande de prendre sur vous l'espace de quelques minutes et de lire attentivement mon message. J'ai plusieurs choses à vous dire, sur divers sujet. Je vous remercie !

Tout d'abord, j'espère que vous allez tous bien. La fin de l'année 2018 s'achève, et avec elle son lot événements divers et variés, et notamment une attente qui aura duré trois ans. En effet, le chapitre IX de Nidaime Kiiroi Senkō, qui relatait l'enlisement catastrophique d'un antagonisme mondiale qui n'a que trop duré, est en date du 20 Octobre de l'année 2015.

Je tiens à tous vous remercier pour votre patience et le plaisir avec lequel vous avez suivi ma fanfiction Nidaime Kiiroi Senkō jusqu'à aujourd'hui. Je connais certains d'entre vous depuis 2011 et cela me réchauffe le cœur de vous savoir toujours avec moi malgré tant d'années. Alors je viens vous délivrer de la frustration avec ce chapitre X de Nidaime Kiiroi Senkō, qui en précède d'ailleurs un autre, qui viendra d'ici quelques mois.

Le chapitre X de Nidaime Kiiroi Senkō, Tensions frontalières à l'ombre de la Mangrove, vous révèle subtilement l'ensemble des événements qui se déroulent en marge et à la suite des événements récent du chapitre IX. Ce chapitre X marque un tournant majeur à l'univers de Nidaime Kiiroi Senkō. En premier lieu, il entame la clôture du voyage de Naruto. Il s'agit en effet de la première des deux parties de « l'Arc retour à Konoha ». En effet, au chapitre suivant, qui n'est autre qu'une forme de chapitre X-2 – même s'il portera le chapitre XI – le voyage finira bel et bien.

Je comptais en fait poster le chapitre X en un seul morceau, mais vous me connaissez, n'est-ce pas ? Le chapitre était bien trop gros. Les deux parties ensemble risquent (la notion de risque est à débattre) d'atteindre bien les 120 000 mots, or, je devais poster ce chapitre aujourd'hui à la demande de la Ligue des Chroniqueurs. Et aussi parce que je sentais qu'il était temps que je vous donne quelque chose. C'est chose faite.

En second lieu, ce chapitre X marque une reconversion de ma part au niveau de l'histoire. Je l'entrevoyais depuis quelques années et je l'avais amorcé en 2015 avec les publications des chapitres VIII et IX : pour ceux qui l'ont remarqué, les univers de ces chapitres sont plus sombres, plus à propos du dangers du monde shinobi. L'histoire poursuivra dans ce sens, dans cette ambiance exacerbée par des conflits multilatéraux : des tensions géopolitiques toujours plus fortes entre des nations rivales, des rancœurs culturelles et historiques entre les peuples, une économie toujours plus instable, une cristallisation d'une crise qui libère partout ses métastases et qui s'annonce peut-être comme la plus intense que le monde shinobi n'a jamais connu. J'ai cette vision et je l'applique lentement. J'espère que cela vous plaira.

Ceci dit, je passe à plusieurs annonces. J'en ai deux :

En premier lieu, la plus importante en ce sens qu'elle concerne directement Nidaime Kiiroi Senkō : je vous annonce que Lexias et moi collaborerons pour écrire le chapitre XII de Nidaime Kiiroi Senkō, c'est-à-dire l'arc qui suit celui-ci. Certains d'entre vous connaissez Lexias. C'est un excellent auteur, d'une précision scénaristique et stylistique incroyable. Son aide me sera capitale pour l'écriture de « l'arc Konoha », un méga-Arc, le plus gros prévu de cette fiction jusque-là, qui relatera l'ensemble des événements qui se sont déroulés à Konoha entre le départ de Naruto et son retour. Le chapitre XII. Et oui, plus gros même que « l'arc Haru ».

Je vous invite à aller lire la fanfiction « Hokage no Tabi » de Lexias, qui est vraiment excellente. Vous ne le regretterez pas. Et vous vous ferez une idée de l'auteur.

En second lieu, je n'ai pas fait l'annonce sur cette histoire faute de nouveau chapitre donc j'en profite :

La Ligue des Chroniqueurs vient de se former !

Pour faire simple, il s'agit d'un groupe d'auteurs et lecteurs, qui se sont réunis dans l'optique de partager autour de leurs passions et activités communes que sont les fanfictions, de redonner un souffle à notre fandom Naruto français dont la dynamique actuelle s'avère un peu à la dérive, voire un peu beaucoup si on compare notre activité d'aujourd'hui avec celle qui était la nôtre il y a quelques années. Si vous êtes en recherche d'activité, de rencontres, de nouvelles de vos auteurs préférés, de débat et le tout orienté autour de la fanfiction, vous êtes les bienvenus, car la Ligue ne recrute pas, elle accueille. Si vous souhaitez nous rejoindre, vous avez trois moyens :
- Sur Facebook : Adresse + /LigueDesChroniqueurs
- Sur Discord : Adresse + /8B6nZJ2
- Sur Twitter : Adresse + /LdChroniqueurs

Je me permets également d'apprendre à ceux qui ne sont pas au courant, que j'ai également une page d'auteur sur laquelle je vous informe de mes projets et de leurs avancements, ici :

Sur Facebook - Adresse + /EtsukazuOfficiel
- Essentiellement mes annonces formelles.
Sur Twitter - Adresse + /EtsukazuFR
- J'y poste plus régulièrement, notamment des infos et des sujets sur Nidaime Kiirois Senkō et son univers, et plus généralement sur les univers de mes fanfictions.

Pour conclure, je tiens à remercier spécifiquement les courageux vétérans qui ont patienté pendant littéralement trois ans. Ce chapitre est pour vous les gars. (Et les filles) Je tiens à remercier Lexias, AngelChips et Robb_Flynn pour l'aide exceptionnelle et le soutien tout proportionnel qu'ils m'ont apporté durant l'année 2018 et notamment ces derniers mois, qui ont vu mon rush sur ce chapitre et qu'ils ont béta-lu. Merci à l'ensemble des Chroniqueurs pour l'ambiance que vous m'avez apporté, en dépit des nombreux dissuasifs de notre groupe, l'émulation artistique et littéraire reste quand même bien présente et ça n'aurait pas été pareil sans eux.

Voilà. Ce que j'avais à dire est enfin dit.

Mesdames et messieurs. Je crois qu'il est temps.

Je vous souhaite une agréable lecture. Et un très joyeux noël à toutes et à tous !

Etsukazu


La lumière du soleil parvenait difficilement à passer à travers les denses et verts feuillages des cimes des arbres de la canopée. A cette pénombre équatoriale grise et morne venait s'ajouter l'humidité presque suffocante de l'air stagnant des marécages, qui se diluait à peine au gré des rares souffles du vent tropical. Il régnait au cœur de cette dense et labyrinthique forêt vierge une sensation d'inquiétude et de danger palpable. Dans le lointain comme à proximité, à travers les épaisses racines brunes et au sein des marécages boueux, il n'existait nulle autre réalité que celle des dédales sinueux et sans fin de la jungle, déserts de toute vie humaine, que celle des méandres oppressants des branches, toujours plus sombres et profonds, qui emprisonnaient en leurs seins vie et lumière. A quelques rares endroits, l'épaisse canopée se clairsemait et laissait entrevoir le ciel nuageux et gris. De rares rayons de soleil passaient alors et éclairaient tant bien que mal, à travers ces puits de feuillages et de branches, la surface boueuse et marécageuse de la jungle.

La faune n'était pas plus accueillante que la flore et l'environnement. Par moment, les hurlements profonds ou menaçants de divers animaux retentissaient à travers la forêt, témoignant de la présence de proies et de leurs prédateurs à proximité. Les piaillements stridents diffus et incessants des oiseaux s'entendaient depuis les hauteurs de la jungle, donnant un fond sonore étrange à la jungle car sans fin et sans source véritable. S'ajoutaient également à cet ensemble les insupportables bourdonnements des insectes tropicaux, qui virevoltaient par-dessus les marécages, entre les racines et dans les cimes des arbres. Mouches tropicales, araignées et moustiques donnèrent à ce tableau sauvage cette touche finale lugubre et rendirent le déplacement à travers la région pénible et épuisant.

Naruto claqua sa main sur sa joue dès lors qu'il perçut le vrombissement aigu caractéristique d'un moustique et le contact de la créature sur sa peau. Laconique, il sentit le sang se répandre sous sa main et le long de sa joue, son coup ayant littéralement fait mouche. Ecrasé contre sa paume, un énorme moustique tropical imbibé de sang gesticulait encore dans l'agonie. Le fluide rougeâtre qu'il devait avoir emmagasiné durant la journée sur divers animaux s'écoulait de sa petite carcasse. Grimaçant, Naruto retira l'insecte du pouce avant d'essuyer du bas de la paume la trace de sang restant sur sa joue. Irrité par l'atmosphère hostile de la jungle, l'Uzumaki regarda autour de lui pour se situer. Non loin de là, en contrebas sur sa droite, un marais semblait prendre source et s'étendre entre les troncs d'arbres et les racines, à en juger l'opaque couche de brume qui en tapissait la surface et qui en révélait de ce fait l'existence. Cela expliqua les incessantes attaques des moustiques, qui commençaient à avoir raison de sa patience et de son sang-froid… Ces insectes pullulaient dans les zones d'eau stagnantes, or les environs regorgeaient de ces zones.

Franchissant avec lourdeur une imposante racine qui sortait du sol et qui barrait sa route, Naruto essaya de réprimer le haut-le-cœur qui le saisit lorsqu'une odeur chargée d'humidité et nauséabonde parvint à son nez. Les effluves du marais croupissant en contrebas de la pente qu'il longeait remontaient au gré des légers mouvements du vent, évoquant une senteur exécrable pouvant éventuellement rappeler celle du fumier. Retenant son souffle comme il le put, Naruto se força à avancer tout en regardant devant lui et en essayant de repérer Jiraiya, qui ouvrait la marche quelques mètres devant lui. Il le repéra qui remontait la pente glissante et qui empruntait ce qui pouvait s'apparenter à un sentier en terre, étant donné que le chemin s'éclaircissait malgré les inquiétantes fougères dissimulant le reste du chemin et parfois même de dangereuses crevasses ou prédateurs. Gardant un rythme régulier mais ne cherchant aucunement à réduire la distance avec Jiraiya, Naruto s'occupa comme lui de trancher par des coups fermes de son kunai les branches qui gênaient trop sa progression, et qui risquaient même de lui faire perdre de vue son maître. Or, l'idée de se retrouver seul à chercher le Sannin à travers cette jungle ne l'enchantait guère, quand bien même s'agissait-il de Hi no Kuni et qu'il ne risquait ici aucune attaque de ninjas ennemis… C'était tout même assez difficile de croire qu'il s'agissait là de son pays natal, mais cet ensemble labyrinthique de jungles marécageuses faisait bel et bien partie intégrante du pays du Feu.

Le nord du pays du Feu appartenait à l'ensemble de régions que l'on connaissait sous le nom de « ceinture tropicale de la péninsule élémentaire ». La ceinture tropicale était une région très particulière. Succession de biomes dont le taux de précipitations pluviométriques était bien supérieur à la moyenne et rendait favorable le développement de la vie tropicale, la ceinture tropicale s'étendait de Yu jusqu'au sud de Taki, recouvrant intégralement le nord du pays du Feu. L'extrême nord-est du Pays du Feu, de toute la ceinture, était lui-même composé de jungles et de mangroves particulièrement dangereuses et peu praticables, la surface étant cachée par des canopées qui s'élevaient le plus souvent à plusieurs dizaines de mètres et qui ne laissaient que rarement passer la lumière du soleil. La ceinture tropicale était d'autant plus difficile à traverser que lui et Jiraiya atteignaient un seuil d'épuisement physique et mental qu'ils n'avaient sans doute encore jamais atteint.

Ils n'avaient pas eu un seul moment de répit depuis leur retraite catastrophée de la faille de Kasshoku-gō, si bien qu'en ce qui le concernait, Naruto sentait l'épuisement saisir son corps. Ses membres comme ses muscles étaient ankylosés et une douleur lancinante rongeait de stress son épaule droite, compliquant ses mouvements de coupe des branches et des feuillages pour éclaircir et ouvrir son chemin. L'air était lourd et lui pesait lorsqu'il respirait, tandis qu'une migraine persistante tendait à perpétuellement le déconcentrer dans sa progression. A un moment, l'Uzumaki s'arrêta quelques secondes pour reprendre ses esprits. Plus loin devant lui, Jiraiya semblait également touché par les même effets, à en juger la difficulté avec laquelle lui aussi effectuait ses mouvements.

S'il ne s'était agi seulement que d'épuisement physique, la situation n'aurait pas été aussi compliquée. Soupirant de dépit, Naruto reprit sa marche à travers les fourrés et emprunta le même chemin qu'avait pris juste avant lui Jiraiya, essayant tant bien que mal d'ignorer l'atmosphère lugubre autant que la morbidité qui en faisait l'écho dans son esprit. Le sentier en question gravissait la pente qui dévalait jusqu'au marais en contrebas, mais le dénivelé était si raide que l'humidité le rendait glissant, la terre se transformant en une boue instable. Une minute après, Naruto rattrapa Jiraiya, qui s'étaient arrêté et qui semblait observer dans l'expectation les éléments de l'environnement qui lui faisaient face.

Quand il arriva à son niveau, sans rompre le silence, Naruto comprit quel était le problème qui avait valu au Sannin de s'arrêter. Une énorme crevasse au sein de laquelle une cascade se déversait plongeait à plusieurs dizaines de mètres et leur barrait la route. Regardant un instant sur les côtés pour chercher un passage, Jiraiya se rendit compte qu'il n'y avait qu'une seule manière de traverser. Prenant un petit élan, le Sannin sauta alors et atterrit un peu plus bas, de l'autre côté du vide. Sans même regarder son apprenti, il reprit sa marche. Naruto fronça les sourcils mais ravala aussitôt son ressentiment naissant pour suivre l'illustre Jōnin. D'un saut vif, l'Uzumaki franchit en quelques secondes la distance et se réceptionna adroitement aux abords du gouffre. Se redressant, il repartit lentement à son tour, marchant dans les pas de Jiraiya. Ce silence oppressant perdura tandis que la distance entre les deux hommes tendit de nouveau à s'accroître, toujours dans cette même ambiance morbide.

Cela faisait presque trois jours que les choses n'avaient pas changé. Fixant sombrement le dos de Jiraiya, Naruto essaya de calmer ses pensées les plus amères. L'homme ne se retournait jamais pour s'enquérir de son état, mais ce n'était en aucun cas surprenant étant donné la nature actuelle de leurs rapports. Il n'y avait entre eux plus que tension, que désaveux, et ils ne s'étaient pas parlé depuis l'affrontement montagneux de Chairomisaki.

Depuis lors, tout paraissait plus triste, plus déprimant.

Plus sombre.


Deux jours plus tard.

Le relief du paysage luisait alors que le soleil éclairait les silhouettes des étendues vallonnées des jungles et des forêts à l'est. Le ciel de l'aube, ce jour-ci, s'avérait plutôt clairsemé, et la jungle étant moins dense depuis la veille, Naruto et Jiraiya profitaient désormais d'un semblant de luminosité plus cohérent. Si l'ouest de la ceinture tropicale était un ensemble de biomes tropicaux extrêmement dense, plus on progressait vers l'est, plus les régions tendaient à s'éclaircir. Il y faisait un peu plus chaud et l'eau claire des rivières et des torrents se substituait progressivement à l'eau stagnante des marécages. Pour autant, l'odeur nauséabonde en moins, le climat et l'environnement restaient toujours aussi compliqués et éprouvants à traverser. La zone était paradoxalement bien plus humide.

Naruto grimaça lorsque son pied droit s'enfonça dans un renfoncement rempli d'une bouillasse épaisse qu'il avait confondu avec le reste du chemin. Cette région ne leur laissait absolument aucun répit, même quand ils pensaient pouvoir se relâcher quelques minutes. Les insectes nuisibles, la flore lugubre et la faune prédatrice les encerclaient en tout temps. Tout comme cette vulgaire flaque de boue, qui se révéla être en réalité la partie visible de larges sables mouvants tropicaux, subtilement dissimulés entre les fourrés et les hautes herbes. Dès lors, Naruto perdit ses points d'équilibre et se sentit perdre pied, ses jambes s'enfonçant tout à coup au sein des sables mouvants. Il se retrouva en l'espace de quelques secondes enlisé jusqu'aux épaules.

Malheureusement pour l'Uzumaki, la consistance visqueuse qui l'avait amenée par le fond sembla se durcir au niveau de ses mollets, à tel point qu'il aurait pu confondre ce sable avec une nappe de béton fraichement coulée. Quand bien même essaya-t-il de bouger ses jambes, elles restèrent entièrement figées. Et bien entendu, Jiraiya était trop loin devant pour se rendre compte de sa situation actuelle.

Le piège était total.

- Et merde… jura-t-il dans un marmonnement.

Fronçant les sourcils, Naruto resta dans un premier temps immobile et évita tout mouvement brusque par crainte de s'enfoncer davantage. Extirpant ses bras du sable mouvant, ignorant le fait qu'ils étaient maintenant intégralement recouverts de l'étrange substance argileuse brunâtre, il canalisa le chakra dans la paume de ses mains et prit appui sur la surface du bassin pour extraire son corps du solide enlisement sablonneux. Il parvint lentement à ôter son corps de l'emprise des sables jusqu'aux hanches, mais soudainement, l'appui de ses mains sur le sable se déstabilisa sous son poids et la couche de sables mouvants sur laquelle il tenait s'affaissa aux travers des couches sous-jacentes.

« Là, ça commence à devenir vraiment problématique… » pensa Naruto en essayant de ne pas perdre son calme. Il ne devait en aucun cas céder à la panique. Il essaya tant bien que mal de regarder autour de lui, mais dans sa position actuelle, le geste s'avéra compliqué. Il était en effet presque immergé, son corps ayant entièrement glissé à travers la surface visqueuse, le bloquant jusqu'au cou. A peine s'était-il enfoncé que cette dernière s'était de nouveau solidifiée, aussi se retrouvait-il à la limite de la noyade, seul son visage restant émergé. Il venait de faire une énorme erreur, mais comment pouvait-il savoir qu'il n'était pas possible de rester stable sur la surface d'une lise ? « Enfin, peut-être que ça a été vu à l'académie… Bon sang, foutus sables, et dire que je n'ai rien vu venir… » Pour un shinobi supposément de son calibre, se retrouver empêtré dans cette situation, au sens littéral comme au figuré, était assez ridicule – pour ne pas dire humiliant.

Effectuant de petits mouvements de bras, Naruto essaya difficilement de fluidifier le sable qui les bloquait en faisant s'immiscer l'eau au travers des brèches qu'il parvint à créer. En l'espace de quelques minutes, il sentit l'eau froide imprégner de nouveau le sable et le rendre spongieux, ce qui lui permit dès lors de les ressortir. « Bien, maintenant, concentre-toi Naruto… Comment est-ce que tu vas faire pour sortir… ? » se dit-il intérieurement en observant autour de lui les éléments qui pouvaient lui sembler utile. « Réfléchis… » Une seconde plus tard, son regard s'illumina. Une liane elle-même issue d'une branche d'arbre épaisse semblait être entremêlée à travers les buissons et les fourrés qui dissimulaient les sables mouvants. S'il pouvait la saisir, il pourrait attirer à lui la branche d'arbre et s'en servir de support pour s'extraire entièrement du piège visqueux. Il s'employa dès lors à se pencher durant les minutes qui suivirent jusqu'à pouvoir saisir une touffe de feuilles et attirer petit à petit à lui la liane qui l'intéressait. Mais dans la mesure où cette dernière glissait le long des tiges des fougères qu'il tirait vers lui, mettre la main sur elle s'avéra plus facile à dire qu'à faire.

- Allez, viens là, foutue liane de mes deux…

Comment avait-il pu en arriver là, à tirer bêtement ces tiges pour tenter maladroitement de ramener vers lui une liane, là, pris au piège dans ces sables et mort d'épuisement ? Tout était de la faute de Jiraiya. Si ce n'était pas pour les idéaux incohérents et désespérants du Sannin, ils ne seraient pas là, à errer au fond de cette jungle lugubre, dans la défaite et dans la honte. Il ne se laissa pour autant pas submerger par son amertume, et après plusieurs tentatives infructueuses, la liane sembla se bloquer entre les embranchements de plusieurs feuillages du buisson dont il tirait les tiges depuis quelques minutes. Soupirant de soulagement, il saisit fermement la liane et l'enroula sans attendre autour de son bras droit. Méticuleux, il tira contre la liane pour en tester la fermeté, puis s'occupa de répéter la même méthode, pour cette fois faire venir à lui l'épaisse branche d'arbre située à plusieurs mètres au-dessus de sa tête.

Saisir la branche en s'aidant de la liane s'avéra être particulièrement simple. En quelques secondes seulement, il avait réussi à faire s'affaisser l'excroissance de bois. Il ne lui restait maintenant plus qu'à tirer et se traîner hors des sables. Lentement, après plusieurs mouvements pour défaire ses jambes de la solide emprise, il parvint à ramper hors du piège, jusqu'à atteindre le sol ferme. Allongé sur le dos, Naruto attendit quelques minutes avant de penser à ne serait-ce que s'asseoir, se laissant un temps de repos clairement nécessaire. Finalement, il se redressa et observa le bas-fond sablonneux caché entre les hautes-herbes. Le fourbe attendait sous ce terrain vague de piéger ses victimes et de les asphyxier lentement, à l'abri des regards.

Quand il jugea s'être suffisamment reposé, Naruto décida finalement de se relever. L'état dans lequel les sables mouvants l'avaient mis n'était vraiment pas beau à voir. Il était recouvert de la tête aux pieds de cette lise visqueuse, mélange de sable et de bouillasse aqueuse collante. Le tout commençait déjà à durcir sous l'effet du vent, ce qui n'était pas pour lui plaire. Le souffle du vent lui arracha plusieurs frissons désagréables qui le ramenèrent bien vite à sa situation actuelle : il devait poursuivre son chemin et rattraper Jiraiya. Il se remit alors en marche, faisant cette fois très attention au sol sur lequel il mit les pieds.

- Naruto !

Naruto s'arrêta tout à coup, dès lors que la voix de Jiraiya parvint à ses oreilles. Quelques secondes après, le Sannin surgissait dans un saut à travers les branchages des arbres et les buissons, l'air méfiant et inquisiteur. Un temps silencieux, il se décida finalement à prendre la parole, sur un ton proche de l'injonction.

- Où est-ce que t'étais passé ? Je te cherchais.

Le regardant les yeux dans les yeux, une lueur de défi brillant en leur sein, Naruto ne lui répondit pas. Finalement, dans une expression partagée entre amertume et ironie, il baissa le regard sur son corps et orienta l'attention de son maître sur l'état dans lequel il était. Dès lors, Jiraiya constata la couche boueuse qui recouvrait ses vêtements et son apparence pitoyable.

Le Sannin fronça les sourcils à cette vue et sembla accuser du regard son élève de sa mégarde et sa prise de risque. L'Uzumaki se rendit aussitôt compte de la pensée de Jiraiya et lui renvoya un regard encore plus amer, comme pour lui signifier de ne pas se mêler de ce qui ne le regardait pas. L'espace d'un instant, le cinquantenaire pensa intervenir et se vit réprimander l'inattention du jeune homme, mais se ravisa aussitôt ; il savait très bien que la tension actuelle n'était en aucun cas propice à tout dialogue. S'il daignait faire une remarque, il risquait la confrontation. Or, ce n'était pas le moment.

Résigné, partiellement dépité par cette vue pitoyable et par la situation, Jiraiya soupira de lassitude avant de s'en retourner. Rompant l'échange visuel, il reprit sa marche le long du chemin de fortune.

- Allez, c'est par là, daigna-t-il simplement prononcer.

Aussi vite qu'il s'était dissipé, le silence redevint maître des lieux, laissant alors le fond sonore diffus de la forêt reprendre ses droits dans ce tout pittoresque et lugubre. Les lèvres scellées, obstiné dans sa rancœur, ignorant le froid et l'humidité qui le harcelèrent dès lors, Naruto reprit à nouveau sa route, suivant à contrecœur les pas de l'homme aux cheveux blancs.

Comment en était-il arrivé là ? La question lui revint à nouveau à l'esprit, alors que les fourrés s'évasèrent sur les côtés, au fur et à mesure qu'il progressa au travers de la jungle. Comment en étaient-ils arrivés là ? A fuir toujours plus vers le sud, vers l'est, dans le regret, dans la honte. Abandonnant derrière eux leurs amis et alliés, les gens qu'ils avaient aidé, les gens qu'ils avaient sauvé. Cette sensation d'impuissance et ce sentiment de trahison étaient insupportables. Insupportables ; tant et si bien qu'ils le rongeaient, tourbillonnant et s'amplifiant dans un typhon de frustration et de rancœur.

Cette atmosphère le rendait fou.

En parallèle, la vue de Jiraiya qui avançait non loin devant et qui lui faisait dos fit croître lentement les graines de la discorde.

Celle-là même qui ébranlait avec fracas tout ce qui avait été bâti par eux jusque-là.


Les jungles marécageuses étaient des lieux particulièrement uniques de par l'étrangeté de leurs écosystèmes. Les arbres comme les fougères représentaient autant de reliefs aussi confus que colorés que d'espaces traîtres dissimulant les pires pièges que la nature la plus simple pouvait réserver à l'homme. Mais c'était aussi un lieu d'une diversité biologique à en couper le souffle. En dépit de son climat et de ses conditions de survie difficiles, c'était un lieu rempli de richesses de toutes sortes. La nature, toute reine qu'elle était en ces lieux, se développait sans même se soucier de la présence de l'homme et de ses infrastructures de métal et de béton ; Il proliférait en son sein autant d'espèces animales et végétales qu'il n'existait de ruisseaux et de fleuves, et il n'était également pas rare de trouver des veines d'or au fond des bassins minéraux. Les filons de minerais précieux courraient sous le sol fertile.

Naruto écrasa de nouveau un énorme moustique qui avait eu l'audace de se poser sur sa joue pour le piquer. Soufflant d'agacement une énième fois, il essuya les restes de l'insecte nuisible sur le flanc de sa cape tout en continuant sa marche. Seules quelques heures s'étaient écoulées depuis son enlisement dans les sables mouvants, or ni lui ni Jiraiya ne s'était encore arrêté pour faire une pause, aussi était-il encore partiellement recouvert de terre. Le Sannin continuait sa route une dizaine de mètres devant. La distance qui les séparait restait conséquence, mais depuis l'épisode des sables, il restait quand même à portée de vue pour éviter que cela ne se reproduise.

Un bruit sourd dans les feuillages détourna l'attention de Naruto du chemin qu'il pratiquait et le fit s'arrêter. Se tournant sur sa droite, il regarda dans les hauteurs des arbres tropicaux et vit à travers les branchages un petit singe qui le fixait. Le primate l'observait avec curiosité en mâchouillant distraitement les feuilles d'une branche qu'il avait saisie. Remarquant le regard de l'être humain sur lui, le petit primate lâcha la branche qu'il défeuillait alors et se dressa sur ses pattes avant de se mettre à gesticuler dans tous les sens et à pousser de petits cris. A en juger son comportement, la créature semblait se moquer de lui. Quelques secondes après, un autre singe de la même espèce attiré par le bruit se posa à côté de son congénère et ils commencèrent à chahuter. En l'espace d'un instant, ils quittèrent leurs feuillages et disparurent en se poursuivant à travers les arbres sans même se soucier de ce qu'ils faisaient juste avant. S'en retournant, Naruto haussa les épaules. Chercher à comprendre les comportements irrationnels de singes sauvages n'avait aucun intérêt.

Par ailleurs, ce n'était pas comme s'il risquait de tomber sur des singes faisant preuve d'intelligence humaine dans cette jungle et qui par le fait même représentaient un danger relatif. Les seuls singes de ce genre étaient ceux du légendaire clan d'invocation des Singes affilié au clan Sarutobi. Et l'Uzumaki doutait qu'un tel clan puisse loger dans les jungles du pays du Feu.

Rangeant dans un coin de sa tête ses pensées du moment, Naruto s'en tint à rattraper le relatif retard qu'il avait pris vis-à-vis de Jiraiya, qui ne l'avait évidemment pas attendu.

Le danger restait toutefois omniprésent, et souvent sous une forme alors insoupçonnée.


Le jour suivant.

Jiraiya avait décidé la veille qu'ils avaient suffisamment avancé pour le moment et qu'il était temps de s'arrêter pour se reposer. Au constat de leur fatigue mutuelle, aucun mot n'avait eu besoin d'être prononcé et l'installation s'était faite dans la foulée. Après avoir sécurisé leur campement de fortune, les deux shinobis avaient allumé un feu et avaient un peu mangé dans le silence, en s'ignorant. Ils s'étaient endormis tant bien que mal, dans l'heure qui avait suivi, accablés par la lourdeur du sommeil. La nuit avait toutefois été particulièrement courte, et ils s'étaient réveillés sans s'être vraiment ressourcés. La fatigue psychique et la désillusion se synthétisaient toujours plus en fatigue physique, pesant sur leurs esprits autant que sur leurs corps.

Naruto essuya la sueur qui perlait sur son visage d'un revers distrait de la main et cligna difficilement des yeux, l'air tropical chargé d'humidité renforçant la sensation de chaleur qui pesait aujourd'hui, en paradoxe du climat froid qui avait régné ces derniers jours. Contrairement à Jiraiya, le réveil s'était avéré étrangement compliqué pour lui, et s'il pouvait s'observer de loin actuellement, nul doute qu'il aurait constaté la lenteur inhabituelle de ses pas. Concentré sur sa trajectoire, il n'en fit toutefois pas grand cas. Il se contenta d'humidifier ses yeux avec un peu de salive pour calmer le picotement agressif qui les assaillait régulièrement. Par le fait même, se rendant compte qu'il avait la bouche particulièrement sèche, il en profita pour desceller rapidement une des gourdes qu'il gardait dans les parchemins de sa sacoche et se désaltéra. Sa soif étant momentanément calmée, il descella sa gourde et rangea son parchemin dans sa sacoche.

Plus loin, voyant à quel point son apprenti traînait des pieds et l'interprétant comme un autre signe de leur mésentente actuelle, Jiraiya ralentit lui-même sa cadence pour s'axer sur le rythme de l'Uzumaki. Au fur et à mesure qu'ils avancèrent, la forêt se fit plus clairsemée et le fond sonore diffus de la jungle s'atténua.

Il ne fallut pas plus de deux heures pour atteindre le lieu Jiraiya espérait qu'ils atteignent avant que le soleil ne soit à son zénith.

- Bon. C'est parfait, prononça à voix haute Jiraiya, fixant avec attention la surface qui s'étendait devant ses yeux.

Devant eux s'étendait la rivière Tadami, une importante rivière de l'ouest de la ceinture tropicale. Prenant sa source à la frontière entre le pays du Fer et celui de la Cascade, la rivière Tadami était l'élément principal qui avait déterminé les frontières entre le pays du Fer et ses voisins au sud : longeant sa frontière vers le pays du Feu, le Tadami bifurquait ensuite vers l'est et rejoignait les régions limitrophes à Chairomisaki. Il descendait ensuite pleinement au Sud, vers le centre de Hi no Kuni, coupant à travers la ceinture tropicale. Il était communément admis que la rivière Tadami délimitait les deux moitiés de la ceinture tropicale, puisque le climat changeait durablement de part et d'autre de ses rives. Il faisait plus froid à l'ouest, où le climat s'avérait être plus continental, tandis qu'il faisait plus chaud à l'est.

- A partir d'ici, nous avons fait la moitié du chemin, continua Jiraiya, alors qu'il fixait avec son filleul l'intensité des rapides. « Après ce fleuve, la ceinture est peuplée. On entre dans la périphérie nord du pays du Feu. »

Naruto ne répondit pas, mais le tint pour dit. Quitte à aller de l'avant, il préférait sortir de cette jungle au plus vite. Son atmosphère hostile et sauvage omniprésente commençait à attenter clairement à son moral. Tout à coup, Jiraiya soupira tout en se passant une main sur le front dans l'embarras.

- C'est là que ça se complique, continua-t-il en communiquant clairement son hésitation. « Il va falloir qu'on traverse. »

Pour illustrer le problème qui se présentait à leurs yeux, Jiraiya tenta de poser le pied sur la surface de l'eau entrainée par les rapides. Canalisant son chakra dans la plante de son pied, il manqua aussitôt de perdre l'équilibre à cause de l'instabilité provoqué par l'intense courant. Naruto comprit donc dès lors ce qu'il en retournait. S'ils cherchaient à traverser en marchant sur l'eau, ils seraient entraînés, et à en juger les pointes rocheuses aiguisées qui parcouraient le fleuve, prendre le risque de chuter, de se retrouver pris au piège dans les rapides et de finir empalé sur les rochers en dent de scie n'était pas une bonne idée. Qui plus était, à en juger la distance de la rive opposée, qui s'apercevait à plus d'une centaine de mètres, traverser en sautant se révélait impossible.

Croisant les bras, Jiraiya se tourna en direction de l'amont de la rivière Tadami, l'air pensif. Il sembla réfléchir pendant quelques secondes puis acquiesça à ses propres pensées.

- Traverser ici ne sera pas possible, déclara-t-il alors. « On va remonter le fleuve. Le courant doit être moins fort en amont et on devrait avoir pied à certains endroits. On traversera là. Allons-y. »

Sans attendre une éventuelle réaction de Naruto, Jiraiya repartit vers le nord en forçant le pas.

Les deux ninjas de Konoha se retrouvèrent ainsi à longer durant l'heure qui suivit le rivage du fleuve, en direction de l'amont, espérant que le courant se calme au bout d'un moment et qu'ils trouvent un passage pour traverser. Bien qu'impatient, Naruto prit sur lui et ignora les sursauts de fatigue qui l'assaillaient au point d'embuer ses yeux. Il se reprenant souvent dans la seconde en secouant sa tête pour dissiper ces étranges surgissements de confusion.

Il apparut heureusement bien vite que Jiraiya avait eu raison. Le dénivelé qui reliait les hauteurs à flanc de montagne de la ceinture tropicale avec les grandes étendues tempérées et fertiles du pays du Feu en contre-bas avait fait s'accélérer l'écoulement de la rivière Tadami. Dès lors que les deux shinobis eurent tôt fait de rejoindre un niveau de hauteur stable, le courant sembla se calmer. Qui plus était, la circonférence du lit de la rivière Tadami diminuait au fur et à mesure que l'on se rapprochait des montagnes, ce qui rendait bien évidemment son franchissement beaucoup plus praticable. Suffisamment praticable pour pouvoir le franchir sans trop de danger, mais pas suffisamment pour compter sur l'adhésion du chakra sur la surface de l'eau, comme Jiraiya le constata en reproduisant la même tentative de marcher sur l'eau qu'auparavant.

Le courant et les enfoncements au sein du lit de la rivière rendaient la surface instable, même aux niveaux les plus calmes du fleuve, mais il s'avéra à contrario du reste du fleuve qu'on avait à cet endroit largement pied.

- Vu qu'on a pied, on va traverser là, prononça tout à coup Jiraiya. « C'est notre dernière étape avant les zones habitées. Après ça, la jungle ne sera plus aussi contraignante. »

Tout en s'exprimant, Jiraiya commença à détacher les cordages qui servaient de sangles pour maintenir le rouleau d'invocation du clan des Crapauds. Défaisant ses appuis, Jiraiya saisit alors son rouleau et replaça plus confortablement sa veste désormais délestée de son poids. Inspirant une bonne fois, Jiraiya avança et s'enfonça dans l'eau. Bien que substantiellement plus faible, le courant tendit aussitôt à l'emporter. Pour pallier à cet inconfort et pour éviter tout risque, Jiraiya canalisa le chakra dans la plante de ses pieds et fit adhérer au lit vaseux de la rivière les imposantes semelles de bois de ses getas. Enfin, et naturellement, Jiraiya souleva l'imposant étui de cuir contenant son rouleau et le porta par-dessus sa tête pour l'épargner de toute éclaboussure. Quand bien même l'épaisse couche de cuir protégeait en théorie le parchemin, le risque restait élevé et il était inutile de l'augmenter davantage s'il pouvait l'éviter.

Il apparut assez vite qu'ils avaient effectivement pied, l'eau atteignant les hanches du Sannin.

Dès lors, Jiraiya se mit à avancer.

Naruto l'observa faire quelques pas. Le rythme du Jōnin émérite fut dans un premier temps irrégulier, sa progression se faisant difficilement et à l'encontre du cours d'eau. Par la suite, il sembla trouver son rythme et son adhésion au lit de la rivière Tadami se stabilisa. Sachant que son tour était venu, Naruto fouilla dans les poches internes de son manteau pour vérifier qu'elles ne contenaient rien de sensible à l'eau. Jouant sur la même prudence que Jiraiya, Naruto défit la sangle de sa sacoche dorsale sur ses hanches. Il laissa la sacoche sanglée sur sa cuisse droite, cette dernière ne contenant qu'une rangée soigneusement installée de shuriken. Sûr de ne rien oublier, Naruto mit alors à son tour les pieds dans l'eau et s'avança au sein de la rivière.

Le courant se révélait assez fort, mais il n'avait en effet rien à voir avec les indomptables rapides en aval du fleuve. Concentré sur ses pas, Naruto s'occupa ainsi de suivre ceux de Jiraiya, faisant bien attention à ne pas exposer plus que nécessaire sa sacoche dorsale, qu'il tint bien haut par-dessus sa tête, et veillant à ne pas mettre les pieds où il ne fallait pas. La vase sur laquelle ils progressaient pouvait dissimuler des sols mous que le courant n'arrivait pas à découvrir, faute de force.

Petit à petit, pas à pas, Jiraiya et Naruto franchirent le quart du fleuve, puis la moitié. Le rivage était déjà loin derrière eux, à plusieurs dizaines de mètres, mais en contrepartie, chaque pas les rapprocha de la rive opposée et des régions habitées et surveillées du pays. Chaque pas les rapprochait du répit. Une fois cette rive passée, Jiraiya ne rechignerait plus à s'arrêter, les sachant définitivement protégés d'une incursion étrangère, au contraire de la frontière et des régions frontalières qui restait un lieu non sûr. Et dans l'immédiat, tout ce que Naruto souhaitait, c'était du repos ; un peu de sommeil, dans un endroit sec si possible, au sein duquel il pourrait reprendre ses esprits, retrouver ses repères et avoir le temps de faire le point.

Toutefois, à l'instant même où la pensée de profiter d'un répit mérité effleura son esprit, un retour à la réalité s'opéra brusquement.

Dans la douleur.

- Merde !

Le cri que poussa Naruto mourut aussi vite qu'il le poussa, ce dernier trébuchant et disparaissant sous la surface de l'eau. Le cri et la disparition subite de son élève fit instantanément se retourner Jiraiya.

- Naruto ? Naruto ! s'écria Jiraiya avant de rebrousser chemin.

Alors qu'il se rapprochait, Naruto émergea dans une toux irrégulière et recrachant de l'eau. Il avait de toute évidence bu la tasse en chutant. Jiraiya soupira de soulagement l'espace d'une seconde, puis se reprit, alors qu'un sentiment d'énervement vis-à-vis des inattentions de son élève naquit dans ses pensées.

- Mais bon sang, qu'est-ce que c'était, encore ? Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il sur un ton contrarié.

Naruto le foudroya aussitôt du regard, pour lui signifier tacitement de se mêler de ses propres affaires. Jiraiya soutient néanmoins son regard et lui renvoya un regard tout aussi irrité. Frustré, Naruto regarda sur le côté, tout en se tenant fermement le mollet. Sa posture était compliquée, dans la mesure où il devait se pencher pour se maintenir la plaie qu'il savait sanguinolente. L'eau lui arrivait au menton, et il tenait en équilibre sur une seule jambe. Bien entendu, sa sacoche était désormais immergée. Il espérait juste que l'eau ne s'y était pas trop immiscée et que l'encre de ses divers rouleaux n'avait pas été atteinte.

- Naruto.

- Je ne sais pas ! maugréa l'Uzumaki devant l'insistance de son maître. « Quelque chose m'a mordu… J'ai juste eu le temps de le retirer avant que ça m'arrache la jambe. »

- Et tu n'as pas vu ce que c'était …? questionna Jiraiya.

- Et comment j'aurais pu !? rétorqua Naruto. « Au cas où tu n'as pas remarqué, on est dans un putain de fleuve ! Tu crois que j'ai que ça à foutre que de vérifier ce qui se cache dans la vase ? »

- Ah… Peu importe. Sortons de là, on va vérifier ça après.

Secouant la tête de mépris en voyant le Sannin se retourner, Naruto ne lui répondit pas et tenta tant bien que mal de continuer sa route. Comme c'était attendu, Jiraiya atteignit le rivage le premier, et rattachant son rouleau, essora comme il le put les pans de vêtements à sa portée. Il attendit alors Naruto, qui parvint au rivage plus lentement du fait de sa blessure.

Rien ne fut prononcé entre les deux. Dès lors qu'il fut sorti de l'eau, Naruto jeta à proximité sa sacoche trempée et se posa à même le sol. Il s'occupa de retrousser la manche déchirée de son pantalon pour exposer la plaie saillante encore fraiche qui couvrait son mollet droit. Sa réaction fut immédiate.

- Merde… prononça-t-il en serrant les dents.

- C'est pas beau… rajouta Jiraiya en plissant les yeux dans l'inconfort.

« On m'a pas raté… » pensa l'Uzumaki en observant l'étendue du dégât. Quelle qu'ait pu être la créature l'ayant mordu, elle ne l'avait pas épargné. Une marque sanguinolente de double mâchoire était profondément imprimée sur sa chair. Et la douleur qui venait avec était difficilement supportable. Au moins, la créature l'avait lâché aussitôt qu'il s'était défendu. Elle s'était dissimulée dans la vase avant même qu'il n'ait eu l'opportunité de la saisir, et n'était pas ressortie par la suite pour le harceler.

Par chance, non content d'être un Uzumaki, il s'avérait qu'il était également Jinchuuriki. La plaie commençait déjà à se résorber, et lentement, la chair déchirée semblait se recoudre.

- Ca a l'air douloureux… Est-ce que ça va… ? demanda maladroitement Jiraiya.

Naruto se détourna de sa plaie et regarda Jiraiya dans les yeux.

- Tu trouves que j'ai l'air d'aller bien là ? lui rétorqua-t-il sur un ton cinglant.

Jiraiya n'y trouva rien à répondre, et il admit intérieurement que sa question avait été relativement idiote. Le visage de Naruto parlait de lui-même ; il était pâle et couvert de deux énormes cernes. Les signes inhabituels et anormaux pour l'Uzumaki ne trompaient pas : il était au bord de l'épuisement, et à en juger l'ensemble de ses réactions, il était moralement à bout.

C'était compréhensible.

Soupirant, il se releva et balaya la zone du regard.

- Bon… On va se laisser quelques minutes avant de partir, le temps que ta plaie se referme. Je t'attendrais plus loin, par là-bas, s'exclama Jiraiya en désignant du pouce la lisière de la forêt derrière eux.

Naruto l'ayant entendu, Jiraiya s'en retourna et il s'éloigna sans se retourner, d'un pas tranquille. Se concentrant de nouveau sur sa plaie, Naruto s'en retourna quant à lui vers ses songes.

Et la nature reprit ses droits, le flot sonore ininterrompu du torrent réinvestissant les lieux.

Mais au moins, les deux shinobis avaient franchis une étape prépondérante à leur périple. La suite serait forcément moins contraignante.


Quelques heures plus tard.

Le paysage de la ceinture tropicale commençait déjà à changer. L'humidité de la jungle semblait s'estomper et laissait place à un air moins chargé et plus sec. Le climat tempéré qui faisait la spécificité du pays du Feu semblait se départager la région avec le climat tropical propre à la ceinture, tant et si bien que la surface même des sols de la forêt tendait à se modifier, se faisant désormais plus terreux, moins boueux, moins marécageux. La rivière Tadami était dorénavant loin derrière eux depuis longtemps, et le soleil commençait déjà à réduire sa course dans le ciel. Il ne tarderait pas à amorcer sa descente vers l'horizon et les montagnes qui cachaient actuellement le lointain à l'ouest. Il était plus facile d'avancer, les chemins éventuels se faisant moins suspects et moins dangereux. Ce ne fut pas pour autant que les deux ninjas de Konoha baissèrent leurs gardes ; restant vigilants, ils se contentèrent simplement de pouvoir progresser plus facilement.

Cet état d'esprit ne perdura néanmoins pas bien longtemps, alors que la lueur agressive de l'après-midi se réverbéra sur les pupilles dilatées des yeux de Naruto. Lentement, comme une poignée de ronces sinueuses, une intense et douloureuse impression de photophobie prit d'assaut ses yeux jusqu'à l'en rendre aveugle. Plissant les yeux dans la douleur, l'Uzumaki se résigna à s'arrêter et à frotter ses yeux embués de larmes de ses doigts dans l'espoir de chasser cette cécité soudaine et invalidante. Il craignit durant un instant bien trop long à son goût que ses gestes seraient vains, mais l'aveuglement irritant qui l'assaillait diminua en intensité après quelques secondes douloureuses, si bien qu'il put retrouver la vue un tant soit peu. Plus loin, Jiraiya continuait sa marche et ne semblait pas avoir vu son état de mal-être. Secouant la tête, Naruto se résolut à reprendre ses esprits ainsi que sa marche, mais le geste négligeant réveilla brusquement une céphalée dormante qu'il ne soupçonnait pas. Sa vue se brouilla de nouveau et défila devant ses yeux, avant qu'il ne perde l'équilibre.

Paniqué, il se rattrapa par réflexe en s'aidant de l'arbre qui se tenait sur sa droite. « Qu'est-ce qui m'arrive… ? » pensa-t-il tout à coup avec inquiétude, avant de porter une main à son visage. Il se rendit alors compte qu'elles étaient tout aussi moites que pâles, et que son visage était en sueur. Inspirant calmement, Naruto attendit quelques instant et essaya de calmer les remous qui semblaient l'éprendre à lui en faire perdre l'équilibre. De lointains mais horripilants acouphènes achevèrent de le décontenancer, le répit par le silence n'étant pas même envisageable de par leur faute.

- D'accord… Je ne vais pas bien… Ce n'est pas la mort, reprends-toi… se dit-il d'un ton flegmatique, avant de faire un pas.

Avant même qu'il n'ait pu en faire le constat et agir en conséquence, l'ensemble des symptômes l'attaquèrent simultanément et d'une manière encore plus virulente qu'auparavant. Aveuglé et assommé par le mal, l'Uzumaki tourna de l'œil et flancha. Portant fébrilement ses mains à son visage, ahuri dans sa faiblesse et dans l'incompréhension, il tituba sur quelques pas avant de s'écrouler misérablement face contre terre. Ankylosé dans la douleur, paralysé, sa vue s'obstrua tandis qu'il sentit sa conscience s'estomper.

- Naruto ?! Que se passe-t-il ?! Réponds-moi ! Naruto !

Il ne discerna qu'à peine les cris de Jiraiya et ses appels continus avant de fermer les yeux et de se laisser aller à l'obscurité de l'évanouissement.

« NARUTO ! »

Il se sentit tellement fatigué…

Pourquoi le sommeil fut si séduisant… ?

« Naruto. »


- Naruto.

Naruto sortit de ses songes et revint à lui bien vite à l'entente de la voix d'un homme disparu depuis fort longtemps. Relevant la tête, il tomba nez à nez avec l'expression sereine et attentive du visage de Sarutobi Hiruzen, qui semblait le fixer depuis de longues minutes, à en juger le fait qu'il était accoudé à son bureau et installé confortablement sur son siège. La coiffe rouge et blanche du Hokage siégeait sur sa tête et couvrait ses épaules de part et d'autre avec son voile circulaire, tandis que son manteau ample et blanc le couvrait, ne laissant visible de l'homme que ses mains, sur lesquelles il faisait reposer sa tête. Ayant attiré l'attention de son protégé, le vieux shinobi esquissa un petit sourire bienveillant.

- Que dessines-tu donc, Naruto ?

A l'écoute de son vieux protecteur, Naruto recentra silencieusement son attention sur lui-même. Il était assis sur une chaise et siégeait au bord du bureau du Hokage, un cousin rehausseur le mettant à une hauteur suffisamment confortable pour qu'il ait une vision sur la surface en bois. Le bureau était recouvert de papier, des piles et des piles s'additionnant les unes sur les autres, formant comme une sorte de montagne infranchissable.

Naruto regarda ensuite la feuille blanche qui gisait sous ses yeux, et le dessin qu'il semblait avoir gribouillé au feutre depuis plus longtemps qu'il n'en avait souvenir.

- Alors ? Je peux voir ?

- Tiens, Jiji… répondit l'Uzumaki, avant de tendre sa feuille.

Hiruzen saisit humblement le dessin que Naruto venait de faire et lui adressa de nouveau un gentil sourire, en guise de remerciement. Devant le regard curieux et attentif de son jeune cadet, le vieil Hokage observa la création de ce dernier dans un silence contemplatif et respectueux. Il n'avait pas changé. En dépit des années, le Sarutobi semblait être resté fidèle à lui-même, son visage légèrement travaillé par le temps incarnant toujours la même douceur, la même bienveillance que Naruto lui connaissait. Il était presque impensable de lier ce visage doux et serein au fait que son possesseur était l'un des shinobis les plus redoutés de toute la péninsule élémentaire. Shinobi no Kami, Sandaime Hokage, Professeur… Ses titres illustres étaient connus de tous et réputés jusqu'aux confins du monde connu.

Mais pour Naruto, il n'avait toujours été que Jiji ; son doux et vieux Hiruzen-jiji, l'une des seules personnes qui acceptaient de l'approcher et de tenir une conversation avec lui, l'une des seules personnes qui daignaient reconnaître son existence et qui prenaient soin de lui. Et Kami seul savait à quel point ces personnes étaient rares.

- C'est un drôle de dessin que tu as fait là, Naruto-kun. Qui est donc cette jeune fille ?

Le Sarutobi avait posé sa question en redonnant son dessin au garçon, posant la feuille sous ses grands yeux bleus innocents. Naruto observa de nouveau son dessin, silencieux, contemplatif.

- C'est Kagerō ! répondit-il alors brillement.

Sur la feuille, la silhouette rudimentaire d'une jeune fille – ou ce que l'on pouvait en déduire – était dessinée, munie de ce qui ressemblait vaguement à des shurikens. Le trait enfantin n'égarait pas sur la nature shinobi de la jeune fille, dont l'uniforme de combat même caricaturé se reconnaissait. Quelques traits de couleur turquoise semblaient représenter les cheveux, tandis que deux petits cercles bleus incarnaient les yeux de la jeune fille.

- Qui est Kagerō ? demanda gentiment Hiruzen en se laissant reposer contre le dossier de son siège.

- C'est une ninja, répondit toujours aussi vivement Naruto. « Elle est très forte ! Et courageuse aussi ! »

- C'est vrai ?

- Oui !

Le grand sourire innocent et plein d'espoir de Naruto trouva un écho étrange dans celui bienveillant du vieil homme, et un silence serein sembla s'établir entre les deux.

- D'où vient-elle, cette Kagerō ?

D'où venait-elle ? Maintenant que Hiruzen avait posé la question, il se le demandait. S'accoudant et laissant sa tête reposer sur ses mains, Naruto se mit à réfléchir quelques secondes, le regard dans le vague. Mais rien ne lui vint, et même lorsqu'il fixa à nouveau la silhouette de son héroïne. La façon dont elle se tenait, entourée de shuriken, seule sur un fond confus et sans réelle signification, semblait annoncer sa nature nomade et sans foyer, éternelle apatride.

- Je ne sais pas… souffla-t-il presque dans un bougonnement, ayant mâché ses mots du fait qu'il s'appuyait nonchalamment sur les paumes de ses mains.

- Elle n'a pas de maison ? Si c'est une ninja, elle devrait en avoir une, non ?

- Hmm… Je ne me souviens plus.

- Et toi, Naruto-kun, d'où viens-tu ?

Naruto releva sa tête et regarda Hiruzen dans l'expectative. Ce dernier le fixait, le regard concerné. Sans même s'en rendre compte, le petit garçon venait de laisser place au jeune adolescent. Son t-shirt noir avait été remplacé par la veste orange et bleu qu'on avait l'habitude de lui connaître avant son départ de Konoha.

Sur son front, le bandeau de shinobi de Konoha se tenait fièrement.

- Je ne comprends pas, jiji…

- Ma question est pourtant simple, non ? demanda de nouveau Hiruzen, son visage se tordant dans un petit sourire éphémère.

Naruto inspira calmement, avant de regarder une énième fois le dessin qu'il avait fait. Et Kagerō. « D'où je viens… » souffla-t-il simplement. Voyant l'air concerné du garçon, Hiruzen poursuivit.

- Si tu es un ninja, ne viens-tu pas forcément de quelque part ?

Tournant la tête sur sa droite, Naruto plongea son regard sur la vue panoramique de cette immense ville colorée qui s'étendait au loin, et des hauts murs qui l'encadraient comme pour la protéger. C'était une ville magnifique, parsemée de nature, entre les grands arbres qui parcouraient ses rues et s'entremêlaient aux bâtiments, les nombreux parcs, le grand fleuve qui se scindait en son sein pour former deux bras… Ce lieu lui inspirait des sentiments compliqués et contradictoires. Mais intenses, tous autant qu'ils étaient.

- Dis, jiji… Pourquoi les ninjas se battent et font la guerre ? questionna-t-il tout à coup, sans même répondre à la question que son aïeul lui avait adressé juste avant.

Les sourcils de Hiruzen se haussèrent lentement, la surprise le prenant progressivement. Son regard sembla alors se faire plus sombre, et dans un réflexe que Naruto lui avait toujours connu, le vieil homme alla chercher dans sa poche sa pipe et sachet de tabac. Allumant son ustensile et commençant à consommer quelques bouffée de tabac, il se fit silencieux quelques instants, l'air grave… presque morose.

Puis il recentra son attention sur le jeune garçon.

- Parfois… Nous devons faire ce qui est en notre pouvoir pour protéger nos proches et notre maison. N'as-tu pas toi-même des choses à protéger ?

Sa réponse laconique énoncée, Hiruzen tira une bouffée sur sa pipe, le tabac brûlant et baissant de volume. Naruto ne sut pas vraiment quoi lui répondre… Etait-ce vraiment si simple ? Le monde se résumait-il à se battre pour protéger les siens ? Qu'en était-il de ceux qui se battaient sans n'avoir personne à protéger ? Pourquoi ceux-là continuaient-ils ? Les questions s'enchaînaient les unes après les autres, le harcelant sans cesse, ne le rendant que plus confus. Il ne comprenait pas. Tout ceci le dépassait.

- Et si… Et si on n'est pas assez fort ?

La question soucieuse de Naruto, soudaine, sortit Hiruzen de sa torpeur apparente.

Le jeune adolescent venait de laisser place au jeune et fringuant adulte. L'enfant avait grandi et le jeune homme l'avait remplacé, la veste orange au col blanc ayant fait place à la cape orange aux flammes noires. Ses jeunes yeux avaient été remplacés par des yeux contrastés, qui portaient en eux l'incertitude et la lourdeur du monde. Le Nidaime Kiiroi Senkō se tenait devant le Sandaime Hokage, à l'ombre du bureau éponyme.

- Que faire lorsque l'on manque de pouvoir ? Comment protéger ce qui nous est cher, à ce moment-là ?

Hiruzen baissa les yeux, l'air pensif et nostalgique. Des décennies d'aventures et de combats semblaient défiler en leurs seins. Victoires et défaites se tenaient les unes à côtés des autres dans un bal lointain, imperceptible.

- Tu sais, Naruto-kun… La vie d'un shinobi est semée d'embûches. Nous naissons et nous mourons dans l'adversité. Parfois, tout se passe comme c'était prévu, et peut-être que nous avons à ce moment-là eu suffisamment de temps pour nous préparer à ce qui doit arriver. Parfois, ce n'est pas le cas. Et nous souffrons. Il faut avoir la force d'accepter le monde, tel qu'il a toujours été.

Naruto regarda Hiruzen avec amertume, serrant imperceptiblement les poings, dans la frustration.

- Est-ce qu'on est condamnés à voir les gens qu'on aime disparaître les uns après les autres ? demanda-t-il sèchement, sa frange dorée cachant subtilement un regard sombre et opaque. « Est-ce qu'on est destinés à souffrir ? »

Fermant les yeux et se laissant aller à la réflexion, Hiruzen se contenta durant quelques secondes de fumer sa pipe, dans le silence.

- Je me suis longtemps posé la question, mais je n'ai jamais trouvé de réponse, céda-t-il alors avec honte, avant d'expirer dans un souffle lourd la fumée qui avait imbibé ses poumons. « Peut-être bien. Peut-être que c'est une fatalité. »

L'aveu d'impuissance du vieil Hokage ne laissa à l'incertitude de Naruto qu'un sentiment tumultueux de désarroi. Conscient des effets de sa réponse, Hiruzen saisit la pointe de sa coiffe et abaissa son couvre-chef, pour dissimuler son visage et cacher à son protégé ce qu'il jugeait à l'instant indigne. L'atmosphère n'avait jamais été si lourde et sombre jadis, entre les deux.

C'était à croire qu'ils avaient cessé de croire en l'avenir. C'était presque comme si l'espoir de voir venir des jours meilleurs et radieux n'était plus rien, sinon une vague désillusion.

Naruto serra les poings encore plus fort, la frustration se mêlant à une rage de vivre soudaine et renouvelée.

- Je n'y crois pas, jiji… Malgré tout ça, prononça-t-il alors, avant de redressant fièrement sa tête et de fixer Hiruzen d'un regard ferme, déterminé.

- Comment ça ?

Lentement, Naruto posa une main sur son ventre, à l'emplacement supposé du fardeau qui lui avait si longtemps pesé. Les mots lui furent longs à venir.

- Le destin, je n'y crois pas, je n'y ai jamais cru, reprit-il difficilement. « Je croyais que c'était le destin, tu sais. Je croyais que je serais seul toute ma vie, que j'avais été condamné. Je n'arrivais pas à trouver de sens à ma vie. Mais ça a changé. A l'Académie d'abord, en rencontrant mes amis. Puis après, quand je suis parti du village, en rencontrant encore plus de gens. Des gens que j'aime tout autant. »

Naruto fit une petite pause, se remémorant durant quelques secondes tous les évènements qui avaient composés son aventure durant cet impressionnant périple de quatre ans. Puis il reprit, l'air aussi calme que résolu.

- Je ne veux pas croire qu'ils sont condamnés, pas plus que je le suis.

Hiruzen se mit à sourire, son expression apaisée adoucissant les traits de son visage abimé par la fatigue et l'âge.

- Si tu ne crois pas au destin, alors en quoi crois-tu, Naruto-kun ?

Le regard de Naruto se fit vague, comme s'il semblait alors se remémorer d'une multitude de souvenirs qui avaient fait celui qu'il était alors.

- Tu le sais bien, n'est-ce pas ?

L'Uzumaki avait levé la main et fixait les lignes de sa paume, voyant quelque chose que seul lui était en mesure d'observer. Puis il sera le poing et inspira en fermant les yeux. Il revint ensuite à lui, et regarda Hiruzen, l'air serein.

- Faire ce que je crois juste, protéger ceux qui me sont chers, me battre et endurer pour ceux qui ne le peuvent pas, poursuivre mes rêves sans ne jamais abandonner devant l'adversité, perpétuer la volonté du Feu… Jiji, je ne crois qu'en une seule chose, et c'est mon nindō !

Prenant un temps appui sur ses jambes, le vieil homme se leva et se tourna en direction de la fenêtre et de la ville au-delà. Croisant ses bras dans son dos, le regard mêlé d'émotions bien différentes et pourtant clairement compatibles, il contempla le lointain.

- Même si tu n'as pas pu protéger Kagerō ?

La réponse d'Hiruzen suscita la surprise et la confusion chez le jeune homme, et sa résolution s'estompa alors.

- Tu sais, celle de ton dessin, la jeune femme au shuriken. Que faire si tu n'as pas pu la protéger ?

- Kagerō… ?

Il se mit à se tenir sa tête et essaya tant bien que mal de se rappeler. Mais qui était cette femme ? D'où la connaissait-il ? Quelles étaient ces réminiscences qui l'éprenaient spontanément et par bribes ? Quels étaient ces lueurs menaçantes qui s'élevaient dans le ciel noir par-delà les montagnes ? Ces sensations de séisme ? Quels étaient ces lointains échos de cris de guerre et de fracas ?

D'où venait tout ce sang, qui coulait à flot ?

- Je ne sais pas… Je n'arrive pas à me souvenir… prononça-t-il soucieusement, avant de se rendre compte de l'étrange silence. « Jiji ? »

Son appel soudain ne trouva que le silence, et Naruto se rendit alors compte qu'il était seul – à croire qu'il l'avait toujours été. Là, assis devant ce bureau froid, avec comme seul compagnon ce simple dessin et cette kunoichi solitaire qui dansait au milieu des shurikens, sa silhouette auréolée de cette imposante tâche rouge. « Rouge… » Rouge comme du sang. Puis il se rappela, de tout. Le kunai sous sa gorge. Sa peau de lait. La tasse de thé qu'il lui avait tendu. Le susurrement à ses oreilles. L'espoir. Ses cheveux turquoise. Puis le désarroi. La sensation d'impuissance. Puis le feu. La colère. Et du sang, partout. Du sang… tellement de sang.

Il avait échoué.


Jiraiya sentit un mouvement sur ses épaules alors qu'il avançait le long d'une petite route pavée à travers la forêt. Tournant un instant la tête, le Sannin observa la silhouette inerte de Naruto, qu'il portait depuis plusieurs heures tout en marchant. Par moment, l'Uzumaki semblait émerger de l'inconscience mais la fièvre ou la fatigue semblait avoir aussitôt raison de lui, et il s'évanouissait de nouveau si vite qu'il n'avait pas le temps de remarquer sa situation. Se reconcentrant sur son trajet, Jiraiya fit bien attention à ne pas faire de mouvement brusque sans pour autant ralentir son rythme. Par chance, il était tombé il y avait moins d'une heure sur un sentier pavé, ce qui signifiait que la civilisation était passée par là ; ce qui signifiait aussi potentiellement la présence de villages ou d'installations occupée dans les environs, et donc d'un lieu de repos. Or, étant donné leur situation actuelle, c'était ce dont les deux ninjas de Konoha avaient absolument besoin.

L'état de Naruto était alarmant. Il s'était aggravé au fil des heures, passant de la simple perte de conscience à un enchevêtrement de symptômes indiquant la présence d'une infection ou d'un virus particulièrement grave. La journée était passé sans même que Jiraiya ne s'en rende compte, et le soleil s'était couché tout aussi vite. Mais à la nuit tombée, Naruto n'avait toujours pas repris conscience.

Le jeune shinobi n'était pas supposé pouvoir être malade ; du fait de sa condition de Jinchuuriki de Kyuubi et de sa constitution biologique solide, héritée de son ascendance clanique. Malgré cela, l'Uzumaki était accablé par un mal qui rendait Jiraiya profondément impuissant. Le Sannin n'était pas un médecin, il n'avait donc pas même l'ombre d'une idée sur la nature de ce qui terrassait actuellement son élève. Il se retrouvait ainsi réduit à chercher désespérément un avant-poste ou un village, pour pouvoir ne serait-ce qu'au moins convenablement aliter Naruto, à défaut de lui trouver un guérisseur compétent, dans l'espoir qu'il se rétablisse. Et priant que ce sentier pavé mène rapidement quelque part, il continuait sans cesse.

- Jiji…

Jiraiya regarda son élève du coin de l'œil. Les rêves de ce dernier semblaient visiblement très agités, à en juger les soubresauts spontanés qui l'éprenaient ou les mots qu'il formulait inconsciemment – comme à l'instant. La couleur anormalement pâle de son visage faisait encore plus peur à voir, lui qui était pourtant connu pour cette peau couleur pêche dorant facilement au soleil. Le contraste était frappant, donnant à cet état lugubre une nature plus que vraisemblable et patente d'agonie. Mais plus encore que tout le reste, plus encore que le ton blafard de sa peau et plus encore que ses murmures agonisants, ce qui effrayait Jiraiya était le sang. Tout ce sang qui coulait, pour aucune raison.

Il ne l'avait pas remarqué tout de suite. Au commencement, les signes avaient été indécelables, mais avec le temps, les symptômes étaient apparus et s'étaient fait de plus en plus grave. Cela avait commencé par une diminution du souffle et du pouls, accompagné de cette perte de couleur rendant sa peau livide. Puis cela avait commencé, lentement. C'était d'abord quelques écoulements de sang sortant de ses oreilles et de son nez. Ce simple symptôme avait plongé Jiraiya dans un état d'incompréhension et de panique. Par la suite, ce phénomène sanglant s'était généralisé à toute sa peau, si bien que l'Uzumaki s'était mis à transpirer des gouttelettes de sang. En quelques minutes, les pores de sa peau surchargés avaient commencé à imbiber ses vêtements, le sang coagulé durcissant le tissu et formant sur son visage comme une seconde peau, crouteuse et humide.

Plus le temps passait, plus le risque d'une perte majeure de sang et d'une déshydratation se posait, en plus de l'état d'humidité constante qui risquait de faire entrer le garçon en hypothermie.

Cet aspect était effrayant.

- Les protéger… Jiji…

Jiraiya fronça les sourcils. Les gémissements pétris d'angoisse de son filleul le déchirait intérieurement comme jamais. Ce dernier semblait faire de nombreux cauchemars, et ça n'en finissait jamais. Fermant les yeux un instant, le Sannin se fit violence et pressa le pas, essayant d'ignorer sa fatigue. S'il commençait à ressentir durement le besoin de se reposer, ce n'était rien comparé à la situation de détresse du garçon inconscient qu'il portait.

Quand bien même restait-il sur le qui-vive, l'obscurité de la nuit rendait la perception de ce qui se trouvait au-delà du sentier pavé relativement compliquée. Il remarqua néanmoins que la végétation changeait rapidement de nature : elle se faisait moins dense et tropicale, plus clairsemée et tempérée. C'était relativement bon signe, puisque cela signifiait bel et bien qu'ils avaient passé la veille la moitié ouest de la ceinture tropicale.

- Kagerō…

Jiraiya serra les dents, la culpabilité à l'entente du prénom de la jeune Fūma éprenant son cœur. Il se ressaisit toutefois aussitôt et se concentra sur ce qu'il faisait.

Ce n'était pas le moment d'être distrait.

- Accroche-toi, Naruto, prononça-t-il fermement, raffermissant son emprise sur le garçon.

« Accroche-toi ! »


Le lendemain.

Naruto ouvrit les yeux, mais les referma aussitôt, la lumière de l'aube les agressant aussi fortement que la veille. Un violent haut-le-cœur le prit d'assaut dans les secondes qui suivirent et lui coupa le souffle. Dès lors, tout ne fut que souffrance. Entre les démangeaisons qui harcelèrent sa peau au point de susciter la douleur, la sensation écœurante de vertige qui le poussa à la nausée, les contractures musculaires qui par dizaines éprirent ses muscles à l'en paralyser, l'éveil de Naruto se fit de la pire des manières possible. Il se sentait épuisé, plus épuisé qu'il ne l'avait jamais été. Il avait du mal à ressentir son corps, comme s'il était encore pris par le sommeil, et ce malgré les nombreux spasmes de douleur qui le parcouraient de long en large.

Essayant de se calmer, à commencer par son souffle erratique, Naruto tenta de rouvrir les yeux petit à petit et de s'habituer à la lumière du soleil, qui, quoiqu'encore fébrile, perçait à travers les cimes des arbres pour refléter sur l'herbe et l'étrange chemin pavé. Il se rendit assez vite compte qu'il était comme balloté de droite à gauche, avant de réaliser qu'il reposait sur les épaules de Jiraiya. Ses jambes comme ses bras pendaient dans le vide, et le fait qu'il ait la tête en bas n'aidait pas quant à sa sensation de vertige. Le Sannin n'avait pas encore remarqué qu'il était éveillé, et à en juger son rythme et sa démarche, il ne faisait aucun doute qu'il était dans un état de fatigue si avancé qu'il préférait se concentrer sur sa marche. Et vu que l'aube se levait, c'était à croire qu'il avait marché toute la nuit.

Lentement, les gestes encore fébrile, Naruto tourna la tête sur sa gauche pour fixer la route avant de prendre emprise sur l'épaule de Jiraiya. Ce dernier s'arrêta aussitôt.

- N-Naruto ? prononça-t-il aussitôt avec surprise avant de reprendre tout aussi vite. « Naruto, tu es réveillé ! »

Une violente toux éprit Naruto dès lors qu'il chercha à parler.

- P-Pose-moi… par terre… réussit-il toutefois à dire.

Sa voix sonnait comme une voix cassées à tel point que Jiraiya n'arrive pas même à la reconnaître, pour autant, il s'exécuta et aida précautionneusement Naruto à poser pied à terre. Tremblant comme une feuille, le garçon tint péniblement debout, si bien qu'il pose les mains au sol et s'assit. Le souffle lui venait difficilement et il peinait à respirer correctement, comme si l'atmosphère était celle de haute altitude et que le taux d'oxygène était appauvri.

- De l'eau… Il me faut de l'eau.

Sans rien dire, Jiraiya s'accroupit devant lui et lui tendit dans la seconde une gourde remplit d'eau. Naruto la saisit sans attendre – et manqua même de la lâcher par maladresse et faiblesse – avant d'en boire sans retenu le contenu. Il était assoiffé comme jamais et sa bouche était aussi sèche que le désert du pays du Vent, s'il était une image qui lui venait en comparaison. Après quelques secondes, il se rendit compte qu'il avait vidé la gourde et regarda le goulot d'un air hagard.

Ce fut alors que la sensation de vertige, qui s'était apaisée durant quelques secondes, s'amplifia de nouveau. Sentant ses forces le quitter précipitamment et craignant perdre l'équilibre, Naruto se pencha et s'appuya sur ses mains. Mais ce ne fut cependant pas de son équilibre dont le soudain manque de force vint à bout.

Et avant même qu'il ne puisse essayer de se retenir, la nausée poussa l'Uzumaki à vomir l'eau qu'il venait de boire, et plus encore, puisqu'elle fut à son horreur suivie d'un flot de sang.

- Q-Qu… Qu'est-ce qui m'arrive, dattebayo… ?

L'incompréhension et la panique se lisait sur son visage, à travers la crasse sanglante et les cernes. En quête de réponse, il leva les yeux pour regarder Jiraiya, qui n'avait jusque-là fait que l'observer, dans le silence. Mais ce dernier ne semblait rien avoir à dire. Désespéré, Naruto serra les dents et tenta de résister aux spasmes nauséeux qui continuaient à l'éprendre.

- J-Je vais vraiment pas bien, là…

- Tu as attrapé un mauvais truc.

Naruto résista à l'envie de rire à l'ironie, de peur de céder aux vomissements.

- Ouais, ça j-j'ai remarqué…

Jiraiya ne poursuivit pas, le laissant reprendre son souffle, à supposer qu'il le pouvait.

- J'ai besoin d'une pause… souffla alors l'Uzumaki, ses yeux dans le vague et sentant déjà la fatigue le rattraper.

Jiraiya ne l'entendit toutefois pas de cette oreille. Avant même que son élève ne puisse reprendre, il s'avança et saisit le bras du garçon pour le passer sur ses épaules. Le saisissant ensuite, il le fit se relever. Naruto ne chercha même pas à protester, fixant le Sannin d'un air confus et las. Les deux shinobis de Konoha se mirent alors à marcher.

- Ce dont tu as besoin ce n'est pas d'une pause, mais d'un médecin.

Un petit rire essoufflé du jeune homme accueillit la réplique de Jiraiya.

- Ouais ben… Je te souhaite bien du courage p-pour en trouver… un…

Il regretta vite sa spontanéité lorsque les soupçons pressants de spasme furent si forts qu'il céda ; il se mit alors à tousser, d'abord un peu, puis beaucoup, avant de comprendre qu'il n'arrivait pas à s'arrêter. Et ce, jusqu'à ce que le sang vienne de nouveau au point de dégouliner de son menton. Les larmes lui vinrent sous la frustration et l'écœurement.

- Merde…

Jiraiya soupira et l'enjoignit tacitement de presser le pas en accélérant.

- Allez, courage. J'ai aperçu des lumières au loin quand il faisait encore noir. Accroche-toi.

Naruto resta muet, mais il ne protesta à aucun moment.

Et ce, d'autant plus lorsqu'ils aperçurent au loin s'élever dans le ciel des colonnes de fumée de cheminée.


Le feu crépitait dans la cheminée. Amaru s'approcha du foyer et déposa la buche de bois qu'elle était allée saisir à l'extérieur dans la remise par-dessus celles qui étaient en train de se consumer. Saisissant dans la foulée le soufflet qui était placé sur le côté, elle l'agita pour aviver les flammes vacillantes et faire prendre feu la buche encore intact. Quelques éclats spontanés de braises jaillirent des buches en feu et s'éteignirent aussitôt, retombant lentement sur le sol en pierre. Satisfaite de son travail, à la vue du feu de cheminée revivifié, Amaru remis le soufflet à sa place et se releva en se frottant les mains. La matinée était encore fraiche, et le soleil ne commencerait à réchauffer la pièce que vers les échos de onze heures. D'ici là, le feu devait être entretenu régulièrement, toute les heures si possible, pour ne pas que la température ne s'échappe, l'isolement de la maisonnette n'étant pas le plus optimal. Une quinte de toux la fit se retourner la fit se retourner et son regard tomba sur la silhouette d'un petit garçon qui dormait, couché sur un lit de fortune au coin de la pièce et emmitouflé dans une épaisse couverture.

Faisant quelques pas, Amaru s'approcha du lit et s'agenouilla au chevet du petit garçon. L'enfant était brûlant et l'épuisement était notable, mais au-delà de la lourde fièvre qui annotait de sa grippe, il n'avait rien de bien grave. Amaru s'attela calmement à essorer une petite serviette humide au-dessus du sceau dans lequel elle avait baigné. Quand elle la jugea suffisamment délestée, la jeune femme appliqua la petite serviette sur le front du petit garçon. Le morceau de tissu aiderait un tant soit peu à apaiser la fièvre – ou à défaut la rendre plus supportable pour l'enfant, l'humidité du tissu sur son front le rafraichissant sans pour autant nuire à son métabolisme. Replaçant bien la couverture sur le garçon, Amaru se releva enfin, fier d'elle. Au même moment, la porte de la maisonnette dans laquelle elle se trouvait s'ouvrit, avant que n'entre la jeune mère du garçon. Cette dernière portait un panier du linge qu'elle venait d'aller laver à la rivière.

- Merci pour ton bon travail, Amaru-chan, prononça la jeune mère tout en posant son panier sur une chaise à l'entrée. « Sans toi, je ne sais pas ce que j'aurais fait pour mon garçon. »

Amaru s'avança et s'inclina quelques secondes humblement.

- Ce n'était rien, Nishino-san, je ne fais que mon travail, vous devriez plutôt remercier Shinnō-sensei… C'est lui qui m'apprend à soigner les gens, répondit-elle dans un sourire.

La mère du garçon émit un petit rire à l'humilité de la jeune femme.

- J'en prendrais bien compte, répondit-elle aimablement alors qu'Amaru s'éloignait, prête à sortir. « Bonne journée, Amaru-chan. »

Silencieuse mais souriant, Amaru s'inclina une dernière fois respectueusement avant de franchir le seuil de la porte et de sortir de la maisonnette, laissant la dénommée Nishino et son fils à l'intérieur.

Le vent souffla tout à coup dans une grande et voluptueuse brise. Inspirant calmement et prenant le temps d'apprécier l'air frais qui soufflait dans ses vêtements de laine, Amaru savoura le silence relatif alors que le soleil refléta au sein de la grande vallée. Au loin, entre les montagnes à l'ouest, il était possible d'apercevoir bien que difficilement l'agencement de terrain qui laissait deviner la présence de la rivière Tadami. Les étendues de la ceinture tropicale, peu fréquentées par les hommes, s'étendaient au-delà. Jusqu'en contrebas de la colline où elle se trouvait, et tout le long de la descente jusqu'au fond de la vallée, s'étendait l'un des plus importants villages de la région.

Car devant Amaru s'étalaient les vertes prairies de la vallée de Midorihara et l'agglomération éponyme. Havre de paix parmi les villages du même genre, Midorihara était une bourgade de quelques milliers d'habitants qui se situait tout juste à la frontière nord du pays du Feu. Entourée de la jungle profonde à l'ouest et des mangroves humides à l'est, la vallée de Midorihara était à la croisée des chemins entre les biomes tropicaux de part et d'autre et formait un corridor vertical qui reliait le pays du Feu et le nord du pays de l'Eau chaude. Plus au nord, profondément dans la vallée, se trouvait la frontière, plus ou moins gardée par les autorités des deux pays. Du fait que la vallée de Midorihara était l'un des seuls points d'accès naturel et praticable à travers la chaine montagneuse de Chairomisaki, et qu'il n'y avait pas d'autres passages avant au moins trois cent kilomètres, Midorihara était le point de passage le plus fréquenté de toute la région. Il n'était pas rare du tout pour les voyageurs venant du sud comme du nord de venir faire escale.

Sans même s'en rendre compte, Amaru se mit à bailler. Le vent alizéen qui soufflait depuis quelques minutes tendait à se marier parfaitement bien avec le rayonnement chaud du soleil. Les matinées et les journées étaient souvent chaudes malgré le paysage montagneux, donnant ce climat tempéré et subtropical de façade qui évoquait assez souvent les climats des côtes sablonneuse du pays de l'Eau chaude. C'était également l'une des raisons qui rendaient Midorihara si populaire en tant qu'escale pour les voyageurs : il y faisait bon vivre. Sans y penser outre mesure, Amaru porta ses mains à son crâne et s'occupa distraitement de défaire le foulard qui enserrait sa tête et qui attachait ses cheveux. A ce moment, un flot de cheveux rouges sombres se libéra du tissu, pénétré par le vent et coulant sur ses épaules telle une cascade.

Profitant de ce temporaire et gratifiant moment de solitude, Amaru s'installa quelques minutes en marge du chemin, dans l'herbe, à même la colline. Elle évitait le plus clair du temps de dévoiler son apparence, dans la mesure où les jeunes hommes de Midorihara étaient souvent derrière elle, à la courtiser, même lorsqu'elle dissimulait son genre derrière un comportement de garçon manqué et des tenues masculines.

C'était une belle jeune femme. Sa longue et rêche chevelure rouge sombre lui donnait une allure très fière et forte qui plaisait visiblement beaucoup à ses pairs masculins. L'impression était accentuée par deux sourcils épais qui sautaient très vite à l'œil quand on la regardait. Ses grands yeux bleus donnaient un contraste coloré au rouge sombre de ses cheveux et ressortait tout aussi bien, tandis que sa peau naturellement mate, rendue dorée par le soleil, finalisait chez elle l'image exotique et captivante d'une jeune femme pleine d'assurance ; Et elle était pleine d'assurance. D'un caractère très indépendant, d'un naturel sincère et d'un mental solide, Amaru sillonnait chaque jour Midorihara, de foyer en foyer, et accomplissait ce pour quoi elle était reconnue et appréciée de presque tous : soigner les villageois.

Car elle était l'apprentie d'un ninja médecin nomade renommé, qui répondait au nom de Shinnō, depuis maintenant presque deux ans. Et désormais âgée de dix-huit ans, Amaru était elle-même devenue une ninja médecin qui faisait la fierté de son maître.

Sortant de ses songes, Amaru se mit à descendre le long d'un chemin de terre en pente, en direction du centre du village. Elle devait en sortir par la suite pour se rendre à l'extérieur, au sein d'une maison en périphérie, où une petite fille atteinte de grippe attendait ses soins. Tournant la tête sur sa droite, Amaru pouvait encore observer l'extérieur du village et la vallée qui s'étendait. Une rivière passait à quelques kilomètres et permettaient aux habitants d'irriguer la région de Midorihara. Par conséquent, une grande partie du lit de la vallée, déboisé, était couvert de rizières gorgées d'eau. Bien que techniquement au sein du pays du Feu, cette région du pays restait une extension géographique des vallées fertile de Ta no Kuni, et les denrées cultivées ici, à commencer par le riz et les courges, étaient très appréciées des habitants du pays du Feu.

Les villageois qu'elle apercevait vaquaient à leurs occupations. La plupart, paysans, étaient actuellement à l'extérieur du village et cultivaient leurs produits au sein des plantations et des rizières qu'elle pouvait voir d'ici. Les autres vaquaient au sein du village, comme les quelques riverains qui se promenaient ou comme le groupe d'enfants qui passa à côté d'elle en courant et qui rejoignit les hauteurs dans des cris et des rires. Ils jouaient sans aucun doute à chat, ou plutôt au ninja, étant donné que quelques-uns d'entre eux semblaient tendre des kunais et des shuriken en bois et en plastique. Se détournant de cette vue rigolote dans un sourire, Amaru reprit sa route.

La vie était paisible, à Midorihara. Abritée au sein du pays du Feu, protégée par la frontière proche et gardée, la région jouissait non seulement de son isolement relatif mais des excellentes relations entre le pays du Feu et le pays de l'Eau chaude. S'il existait une région de paix, c'était bien ici, et sur tout le long de la frontière, jusqu'à la mer loin au sud. Et à part les éventuels ninjas de Konoha qui montaient vers la frontière pour en alimenter la garde ou qui repartaient vers le Sud, le monde shinobi ne venait jamais prendre ses marques ici.

- Kengō-san, vous êtes beaucoup trop prudent. Nous n'avons peut-être encore aucune preuve de leurs méfaits, mais ce sont des shinobis et ils sont louches. C'est trop dangereux.

- Que dis-tu, Kaga ! Et vous tous, que suggérez-vous, exactement ? Je suis prudent et je pense à la sécurité de notre village ! Mais ça n'a pas l'air d'être votre cas !

Amaru s'arrêta et tourna la tête à l'entente de plusieurs voix. Plusieurs hommes du village s'étaient rassemblés sur la place centrale de Midorihara et semblaient débattre avec véhémence. Ils n'étaient pas seuls, des femmes étaient également présentes. Et tous semblaient inquiets. En temps normal, Amaru aurait passé son chemin, mais la présence du maire et de ses adjoints au centre du groupe l'intrigua.

- Je rejoins l'avis de Kengō-san. Ce sont des ninjas. Nous devrions être prudent et prévenir Shinnō-san. De plus, la frontière n'est pas loin, vous savez. Nous pourrions très bien aller quérir de l'aide.

Maintenant, elle était définitivement intéressée. Si l'attention de son maître était requise, alors ce n'était pas n'importe quel problème. Après tout, le dénommé Shinnō était sans nul doute le seul shinobi vétéran présent actuellement dans le village.

- Que se passe-t-il ? demanda-t-elle alors, annonçant de fait sa présence.

Certaines personnes affichèrent des expressions soulagées en voyant la jeune femme, tandis que plusieurs d'entre elles s'écartèrent pour la laisser passer. Passant donc entre les villageois, Amaru vint faire face au maire et ses contradicteurs actuels. Le maire, qui répondait au nom de Hibari Kengō, était un homme plutôt grand et costaud. Il était connu pour faire partie des maçons du village.

- Amaru, ta présence nous arrange, prononça-t-il en l'apercevant. « J'espère que tu n'es pas trop occupée, nous avons besoin de ton aide. »

- Ce que je faisais n'est pas urgent. Que se passe-t-il ? Je vous ai entendu parler de ninjas…

Les civils présents se regardèrent les uns les autres dans l'appréhension, jusqu'à ce que leur maire finisse enfin par répondre.

- Deux ninjas errants viennent d'entrer dans le village et on ne sait pas du tout comment les appréhender.

- Ils se sont montrés menaçants ? Que veulent-ils ? demanda Amaru en croisant les bras.

Le maire regarda son adjoint dans le doute, puis se concentra de nouveau sur Amaru, l'air un peu penaud.

- A vrai dire… Nous n'avons pas osé les approcher. Ils sont plutôt impressionnants, et l'un d'eux semble gravement blessé. Mes adjoints et les riverains ont eu peur de leurs réactions potentielles… Un ninja blessé peut être imprévisible.

Amaru fronça les sourcils aux paroles du maire. Un shinobi blessé pouvait avoir des réactions imprévisibles, mais un shinobi blessé auquel on n'avait apporté aucune aide pouvait devenir encore plus dangereux.

- Et vous ne savez pas de quel village ils viennent ? Ils n'ont pas de bandeaux ou d'insignes reconnaissables ?

Kengō hocha négativement la tête à la question d'Amaru, avant d'enrichir verbalement sa réponse.

- Apparemment non. L'un d'eux est même couvert de sang.

- Il y a quand même un insigne visible sur le plus grand des deux, ajouta rapidement un des adjoints en ajustant ses lunettes. « Il porte un insigne sur le front. C'est écrit « huile » dessus, mais on ne sait pas si ça se réfère à un village ou autre chose. »

Amaru fronça les sourcils, l'information ne lui évoquant absolument rien. Il n'existait aucun village de près ou de loin qui était à sa connaissance lié à l'huile. Elle soupira, sachant d'ores et déjà qu'elle ne tirerait certainement aucune information utile des habitants présents. Il ne restait qu'une chose à faire, au final.

- Bon… Je vais m'occuper d'eux, les prévint-elle alors sous les regards inquiets de plusieurs habitants. « Il faudrait que quelqu'un aille prévenir Shinnō-sensei. Il doit sans doute être dans les vieilles ruines au nord du village. »

- Nous allons nous en charger, répondit Kengō aussitôt. « Merci, Amaru. Tu nous rends un immense service. Sois prudente, s'il te plait… »

- Je suis une ninja, moi aussi. Je peux me défendre, leur rappela-t-elle en levant le poing serré.

Elle n'attendit pas la réaction de ses pairs avant de quitter le groupe au trot et de rejoindre l'entrée du village.


- Je ne vois plus rien…

- Ca ne t'empêche visiblement pas de l'ouvrir, ça ne doit donc pas être si grave que ça.

Malgré sa faiblesse évidente, Naruto ne put s'empêcher d'émettre un petit rire fatigué à la réponse ironique de son maître. Ce dernier tenait toujours son bras droit par-dessus l'épaule et le maintenait en appui contre lui. Ils marchaient ainsi depuis maintenant plus d'une heure, et à entendre ce qui se passaient autour, ils venaient visiblement d'entrer dans un village.

- Je te déteste, dattebayo…

- Tant que tu continues à marcher, ça me va.

Jiraiya se risqua à penser que c'était une chance que Naruto était atteint de cécité et qu'il ne pouvait pas voir ses sourires. Après des jours de silence et de tension, ces quelques échanges de mots étaient libérateurs pour le Sannin, à croire que la maladie foudroyante de l'Uzumaki les rapprochait. Il ne comptait toutefois pas trop là-dessus. La détresse et la faiblesse circonstancielle de Naruto l'écartaient sans aucun doute temporairement de sa rancune, mais Jiraiya n'ignorait nullement la ténacité de cette dernière. Mais quand bien même, il en demeura le fait que partager quelques mots avec son filleul après autant de temps à s'ignorer éperdument le rassurait quelque peu.

De part et d'autre de la rue, quelques riverains craintifs et méfiants les observaient discrètement. Le sang qui imbibait les vêtements de Naruto et son état déplorable devait être très impressionnant pour ces derniers, et de manière générale, ils étaient tous les deux plus grands que la moyenne. La situation et leurs carrures ne devaient enjoindre personne à les approcher.

- Il faut vraiment que je me pose, j'en peux plus.

- Tiens encore un peu. Il faut juste que je trouve un médecin.

Naruto ne lui répondit pas et se contenta de suivre le pas que lui imposait le Sannin. Au bout d'un moment, toutefois, il sembla ralentir le rythme et força Jiraiya à s'arrêter petit à petit. Il commençait à perdre la sensation de ses bras et il sentait au travers de son corps des sensations de fourmillements de plus en plus fortes. Il se sentit fatiguer dans ses respirations et les muscles de ses cuisses et de ses mollets s'ankylosèrent.

- Je… Je crois que je vais m'évanouir, déclara-t-il faiblement.

Jiraiya fronça aussitôt les sourcils.

- Il y a forcément un médecin ici, alors tiens encore un peu, Naruto. Ce n'est vraiment pas le moment de t'étaler… répondit Jiraiya, avant que le poids sur son bras n'augmente soudainement. Au même instant, et avant même qu'il ne le réalise, l'Uzumaki s'affaissa. « Naruto ? Merde, Naruto ! »

Jiraiya se tourna et retint la chute de son filleul comme il put. Ce dernier sombra dans l'inconscience avant même de toucher le sol. Jiraiya pesta contre lui-même et contre la situation dans sa globalité. Autour de lui, inquiets, les habitants observèrent la scène mais n'osèrent pas approcher, même d'un mètre. Jiraiya soupira, mais n'attendit pas avant de saisir pleinement Naruto et de le mettre sur ses épaules. Il secoua la tête pour se recentrer et reprit la marche plus rapidement. Maintenant qu'il avait atteint Midorihara, la situation ne pouvait plus durer. Il fallait qu'il trouve la clinique du village au plus vite, et à en juger la disposition des maisons de bois, qui s'étendaient dans la vallée et qui formaient un bourg plus en hauteur, il était prêt à parier que les bâtiments d'utilité publique se situaient plus avant.

Il s'occupa alors de franchir le pont qui séparait la périphérie du village aux quartiers plus centraux et commença à monter les quelques escaliers en pierre permettant de rejoindre le centre du village. Il arriva après quelques minutes sur un palier en terrasse, qui donnait sur la vallée et la périphérie de Midorihara. Observant le panorama au passage, le Sannin continua bien vite son avancée et franchit la terrasse pour continuer à gravir les escaliers, qui reprenaient de l'autre côté.

Mais il trouva dès lors un obstacle sur son chemin.

- Arrêtez-vous maintenant !

Jiraiya s'arrêta en réaction et leva la tête en direction de la personne qui lui avait adressé l'injonction. C'était une jeune femme au teint mate et à l'apparence exotique, ses cheveux rouges sombres et ses yeux bleus n'étant certainement pas les attributs physiques les plus courants dans le pays. Mais ce ne fut pas tant son apparence qui intrigua le plus Jiraiya après quelques secondes que sa posture qui ne lui évoqua en aucun cas celle d'une civile. La silhouette longiligne, ses appuis solides mais pourtant gracieux firent aussitôt comprendre à Jiraiya qu'elle était une kunoichi.

- D'où venez-vous et que venez-vous faire à Midorihara ? questionna cette dernière fermement.

- Nous cherchons simplement un médecin, répondit calmement Jiraiya, tout en adressant un petit sourire à la jeune femme histoire d'être diplomate. « Je serais ravi de répondre à toutes tes questions, mais comme tu le vois, ce jeune homme est gravement malade. Il faut absolument lui trouver un médecin compétent. »

La jeune femme le fixa d'un air circonspect, et les dévisageait lui et son élève comme si elle se méfiait d'une attaque surprise.

- Je t'assure que nous n'avons aucune mauvaise intention, jeune fille, rajouta-t-il ensuite. « Une fois mon disciple soigné, nous continuerons notre route. »

Sans qu'il ne comprenne exactement pourquoi, le mot disciple sembla toucher quelque chose chez la jeune femme qui leva son état de méfiance.

- Votre disciple ?

Jiraiya acquiesça simplement, laissa le loisir à la kunoichi de regarda le corps inconscient de Naruto sur ses épaules. Après quelques secondes, elle sembla s'être décidée et se mit à descendre les escaliers. Elle s'approcha alors d'eux, toujours un peu méfiante, mais davantage curieuse et inquisitrice de leur état. Jiraiya s'avança de bonne foi et là laissa approcher son filleul.

- Pourquoi est-il en sang ? Il est blessé ? Vous vous êtes fait attaquer ?

Jiraiya hocha négativement de la tête. En vérité, ils s'étaient effectivement fait attaquer, mais ça n'avait dans l'absolu aucun lien avec la maladie qui assaillait Naruto. Enfin, à sa connaissance. Et cette fille, aussi bien que quiconque, n'avait pas besoin d'être au courant de ce qui s'était passé il y avait presque une semaine.

- Non, il n'est pas blessé. Il s'est mis à faiblir avant que nous ayons franchi la rivière Tadami et il est tombé gravement malade hier.

- Une sorte de fièvre sanglante, alors… prononça la jeune femme en fronçant les sourcils. « C'est très grave. Il faut que nous trouvions ce que c'est très vite. »

Elle se tourna en direction de l'escalier montant et fit signe à Jiraiya de la suivre.

- Suivez-moi, il faut aliter votre élève au plus vite. Nous tenons une clinique au sein du village.

Elle n'attendit pas et prit sans attendre l'escalier. Jiraiya ne se le fit pas dire deux fois et embrailla aussitôt le pas.

- Au fait, moi c'est Amaru, s'exclama spontanément la jeune femme en accordant un regard rapide aux deux ninjas.

- Jiraiya, répondit simplement le Sannin. « Et ce jeune homme c'est Naruto. A en juger ta posture, j'en déduis que tu es une Iryō-nin. »

La susnommée se tourna cette fois clairement vers Jiraiya, le regard surpris.

- Wow… Vous avez l'œil, pour un vieil homme… répondit-elle avec étonnement. « La plupart des gens ne savent même pas ce qu'est un Iryō-nin… »

Jiraiya émit un petit rire à sa réponse génuine. Sa manière de parler, son regard curieux et l'atmosphère espiègle qui l'entourait lui évoquait Naruto, il fut une époque. Ce Naruto naturellement espiègle d'avant la guerre civile de Kirigakure no satō.

- Je suis peut-être un vieil homme, mais c'est précisément pourquoi je devine que tu es un ninja médecin, Amaru-san.

- Amaru, déclara la jeune fille spontanément. « Juste Amaru, ça fera l'affaire. »

- D'accord, Amaru.

La réponse amusée de Jiraiya sembla satisfaire la jeune rouquine, à en juger son acquiescement et son sourire fier.

Oui, elle lui rappelait incontestablement Naruto.

- Vous savez, vieil homme, vous me rappelez Shinnō-sensei. C'est mon maître.

Intérieurement, Jiraiya se mit à rire. Le sentiment d'identification était visiblement réciproque.

Par la suite, au fur et à mesure qu'ils grimpèrent dans les hauteurs de Midorihara, la silhouette de la clinique du village, qui n'était en vérité qu'un des nombreux grands pavillons en bois de la commune, apparut à sa vue. Et avec une telle vue vint ce sentiment apaisant de quiétude. Jiraiya en profita pour jeter un coup d'œil à son apprenti encore inconscient.

Ils n'avaient pas fait tout ce chemin pour rien. Et ils étaient bel et bien de retour au pays.

« Accroche-toi gaki. On est arrivé. »


Cinq heures plus tard.

L'atmosphère de répit, qui contrastait avec l'extrême tension des derniers jours, laissait depuis plusieurs heures Jiraiya dans un profond état de détente. Maintenant que lui et Naruto étaient relativement à l'abri et de retour à un semblant de civilisation, et à fortiori dans leur propre pays, l'air semblait plus léger. Et pas seulement l'air. Maintenant que son filleul était pris en charge et que leur situation n'était plus aussi incertaine, son corps était délesté du poids de l'angoisse et de l'impuissance. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour gagner la clinique de la jeune Amaru, à l'arrière de laquelle la jeune fille avait préparé une chambre propre et spacieuse au sein de laquelle il avait pu déposer Naruto. La chambre en elle-même était sobre. Comme le reste de la petite clinique de campagne, la pièce était dépourvue de meuble. La jeune Amaru avait donc sorti un futon, qu'elle avait posé au centre de la pièce, et l'avait congédié en lui proposant de se reposer pendant qu'elle s'occupait de son élève.

La clinique étant construite sur le modèle des maisons traditionnelles en bois, la chambre était reliée par une porte coulissante en toile à la terrasse surélevée, qui faisait le contour arrière de la clinique et qui donnait sur le jardin. Le Sannin s'était simplement contenter de s'asseoir à l'extérieur, sur la terrasse, tout en gardant au moins un œil sur son élève à travers la porte entrouverte.

La porte coulissante s'ouvrit, attirant l'attention de Jiraiya. Amaru se présenta alors, portant un petit plateau en bois.

- Tenez, prononça Amaru en s'accroupissant devant lui.

Jiraiya saisit humblement le plateau, le regard curieux. Un bol de soupe chaude et une tasse de thé fumante y étaient posés, ainsi que quelques biscuits. Jiraiya releva la tête pour regarder la jeune femme souriante.

- Shinnō-sensei m'a toujours enseigné d'accueillir au mieux nos patients et leurs proches. Il faut manger et reprendre des forces si vous souhaitez veiller sur votre élève, Jiraiya-san.

- Tu as remarqué, répondit le Sannin dans un sourire. « Désolé, si ça t'a dérangé. »

- Non, répliqua aussitôt Amaru dans un hochement négatif de la tête avant de lui adresser un grand sourire. « Vous êtes inquiet, c'est normal. »

En vérité, il n'était pas aussi inquiet qu'avant pour son élève. De ce qu'il avait vu des soins d'Amaru ces dernières heures, et en comparaison de ce qu'il se souvenait de Tsunade durant la guerre, la jeune kunoichi avait jusqu'à maintenant fait un travail respectable. Sous son regard attentif, elle l'avait déshabillé et avait entreprit sans attendre de le laver. Elle s'était donc attelée à l'éponger avec des serviettes imbibées d'eau chaude, et avait soigneusement nettoyé sa peau du sang séché et de la crasse issue de leur errance tropicale. Elle l'avait ensuite méthodiquement rhabillé d'une robe de patient sèche et chauffée. L'Uzumaki dormait paisiblement depuis, propre et protégé par une couverture.

A intervalle régulière, Amaru renouvelait les soins, et le nettoyait de nouveau – le sang suintant hélas toujours des pores de sa peau.

- Merci, en tout cas, souffla tout à coup Jiraiya, avant de poser le plateau à même la terrasse. « Pour les soins, et pour la nourriture. »

- Shinnō-sensei doit être sur le chemin du retour… Il devrait savoir par quelle maladie il est atteint. J'espère juste que l'on va trouver comment soigner votre élève.

Jiraiya ne put retenir un soupir à la déclaration de la kunoichi.

- J'espère aussi…

Car si la constitution de Naruto peinait à le maintenir solide face à sa maladie, il était clair qu'à part rendre sa convalescence moins douloureuse et plus confortable, les soins rudimentaires tels que le nettoyer ou le garder au chaud n'amélioreraient pas son état.

Ce dont il avait besoin, dans l'immédiat, c'était d'un remède.


L'air s'était légèrement rafraichi avec la descente du soleil, et le crépuscule laissant place à la nuit, le piaillement des oiseaux diurnes et les crissements discontinus des cigales avaient lentement laissés leurs places aux créatures nocturnes. Ainsi, en plus du son apaisant du vent qui glissait dans les fourrés et qui animait les buissons et les hautes herbes, les grésillements réguliers et aigus des grillons se mêlaient aux spontanés hululements de quelques chouettes et hiboux. Le ciel sans nuage s'obscurcissait au départ de l'astre solaire, alors que s'allumaient une à une les étoiles. Au sein de la vallée, couvertes par l'ombre rassurante de la montagne, les maisons commençaient à s'éclairer les unes après les autres, le village s'apprêtant petit à petit à s'endormir. C'était une vue apaisante.

Le bol de soupe et la tasse de thé, maintenant vides, étaient froids depuis un moment, et il ne restait des biscuits que de simples miettes. Tournée vers le sud, n'ayant pas bougé de son emplacement, Jiraiya s'était simplement contenté jusque-là de profiter du plein air. Il avait sorti les maigres réserves de tabac qui lui restait, sa pipe, ainsi que quelques feuilles blanches. Et rédigeant divers extraits de textes dont il avait été inspiré, au gré de ses songes, il entrecoupait le tout de bouffées de tabac, se laissant aller à l'atmosphère.

Quelle étrange atmosphère. Ce fut ce qui lui vint à l'esprit, alors que se dérobèrent à ses yeux les ombres des montagnes vertes qui incarnaient la porte du pays du Feu. La lune, en hauteur, et la vallée, en contrebas. Et plus loin, au Sud, leur patrie et l'avenir. Posant son stylo-plume avant de saisir de nouveau sa pipe pour prendre une énième bouffée de tabac, Jiraiya pensa à son filleul qui dormait derrière. Plus que jamais, ils se trouvaient tous les deux à un carrefour à l'enjeu immense. Soufflant la fumée de tabac dans l'air nocturne, le regard du Sannin se perdit au sein des constellations, qui lui rappelaient son maître. Quand tout allait mal et que l'heure était au doute, le vieil Hokage s'isolait souvent au clair de lune pour contempler les cieux. « Qu'aurais-tu fais, sensei ? Que ferais-tu ? » Jiraiya n'eut évidemment comme réponse que le silence. Inspirant un instant, il remit distraitement la pipe entre ses lèvres, son regard se perdant dans le vague.

Si Hiruzen n'était pas mort, les choses auraient été bien différentes aujourd'hui. Le monde serait plus sûr, pour eux comme pour tous.

Alors qu'il voguait au gré de ses songes, des bruits de pas annoncèrent l'approche d'une personne.

- Je vois que vous profitez de l'air de la nuit, Jiraiya-san.

Tiré de ses pensées, Jiraiya tourna la tête et accueillit du regard un homme d'âge mûr qu'il reconnut assez vite, pour l'avoir rencontré quelques heures auparavant.

- Shinnō-san, salua-t-il humblement, laissant son hôte approcher de lui calmement.

- Puis-je ? questionna Shinnō en désignant du regard l'espace vide sur la gauche du Sannin.

Comprenant que l'homme lui demandait poliment s'il pouvait s'installer à côté de lui, Jiraiya acquiesça dans un sourire. Sans attendre, le propriétaire des lieux prit place au côté du vétéran de Konoha et s'assit à même le bord, laissant une de ses jambes pendre dans le vide. Se penchant sur sa gauche, il chercha dans une sacoche à sa hanche quelques objets, que Jiraiya identifia bien vite comme du tabac à rouler et des filtres pour cigarette. Soufflant distraitement sa fumée dans l'air libre, Jiraiya observa son voisin rouler distraitement son tabac au sein d'une feuille. Satisfait de son œuvre, déposant sa salive sur le bout de la feuille pour sceller sa cigarette artisanale, il sortit un briquet et alluma cette dernière. Ils passèrent ainsi les minutes qui suivirent à profiter du silence.

Si Jiraiya avait senti que le courant était bien passé avec Amaru, il comprenait désormais pourquoi. Le commentaire de la jeune fille sur le fait qu'il était similaire à l'homme sur sa gauche n'était pas anodin. Shinnō et lui étaient effectivement plutôt similaires. D'un point de vue physique, pour commencer : Rares était les hommes qui atteignaient une taille similaire ou supérieure à la sienne. Les derniers en date, selon ses souvenirs, étaient Kitsuchi et A. Il s'avérait que Shinnō était aussi grand que lui. Mais pas seulement, puisque leurs corpulences respectives se ressemblaient, à l'exception du fait que ses épaules étaient plus hautes et robustes, là où celles de Shinnō étaient plus lâches. Plus remarquables encore était leur similitude : leurs cheveux longs et dépigmentés. Si les siens étaient blancs et épineux, ceux de Shinnō étaient davantage gris et lisses.

Les lueurs de la nuit, accentuée par la braise lumineuse qui émana de sa cigarette, reflétèrent sur la barbe taillée de Shinnō et firent luire ses iris jaunes. L'ayant suffisamment observé du coin de l'œil, Jiraiya en retourna à sa contemplation du paysage, tirant lui-même sur sa pipe, dont les braises du tabac s'avivèrent dès lors qu'il les sollicita.

A en juger par son calme et sa capacité à jouir des mêmes instants de silence que lui, force fut de constater à nouveau pour Jiraiya que ses points communs avec le maître d'Amaru ne s'arrêtaient pas au seul physique. Et à vrai, c'était plutôt satisfaisant. La modestie était une vertu bien trop délaissée, ces jours-ci.

- C'est une belle soirée, constata Shinnō, rompant dès lors le silence. « C'était plutôt rare ces derniers jours. »

- A qui le dites-vous… lui répondit le Sannin, sur un ton léger. « Il était temps. »

Le médecin acquiesça dans un sourire.

- Comment va Naruto ?

La question soudaine de Jiraiya laissa Shinnō songeur. Expirant sa fumée de cigarette, l'homme se fit muet quelques secondes.

- Pour l'instant, il est dans un état stable. C'est très surprenant, étant donné la gravité de l'état dans lequel il nous est parvenu. Amaru a toutefois judicieusement agit avant mon retour en le nettoyant et en désinfectant ses inflammations cutanées. Si on avait attendu trop longtemps, il y aurait eu un risque de nécrose généralisée. On a échappé au pire, pour l'instant au moins.

Jiraiya fronça les sourcils. Il ne pensait pas que ça aurait pu être aussi grave.

- Amaru a fait un travail remarquable, alors… Merci, souffla Jiraiya, recevant un sourire de Shinnō.

- C'est une élève brillante au potentiel immense. Pleine de sang-froid. Elle deviendra sans nul doute une grande Iryō-nin à l'avenir.

- Je le lui souhaite de tout cœur.

Prenez une bouffée de tabac de sa cigarette, il s'écoula quelques secondes avant que Shinnō ne reprenne.

- Quoiqu'il en soit, l'état de votre élève est stabilisé, pour l'instant. Mais ça ne va pas durer longtemps si nous ne traitons pas sa maladie au plus vite.

- Vous en avez les moyens ?

La question hésitante de Jiraiya, qui trahissait son appréhension, laissa son interlocuteur pensif.

- C'est compliqué… Mais le problème ne réside pas seulement là. Nous ne sommes qu'une clinique de campagne. Nous ne disposons pas de beaucoup d'équipements de soin. A part notre matériel de transfusion et nos réserves de médicaments, nous n'avons rien d'autre. J'ai peur que votre élève n'ait pas les forces nécessaire pour supporter la maladie d'ici à ce qu'il puisse guérir. Et nous ne pourrons pas l'assister médicalement outre mesure. S'il tombe dans le coma, je ne pourrais rien faire.

Jiraiya n'osa pas répondre dans un premier temps. Evacuant l'angoisse, il inspira pour rester en phase avec lui-même.

- Qu'est-ce qu'il a, exactement ? Est-ce un virus ?

- Ce ne sont pas des virus.

Jiraiya se tourna aussitôt vers Shinnō avant de l'interrompre.

- « Des » ?

Le maître d'Amaru soupira à cette question.

- Votre élève est touché par plusieurs maux en même temps. C'est ce qui rend son état aussi surprenant qu'exceptionnel. Normalement, personne ne devrait être en vie dans cet état. Son métabolisme est remarquablement résistant. C'est assez fascinant.

Jiraiya se retourna et fixa à travers la porte entrouverte la silhouette dormante de son élève. Il semblait paisible, en dépit de la situation.

- Dites-moi ce qu'il a.

- Il semble avoir été empoisonné au cours de votre périple. La trace de morsure est au mollet mais elle s'est largement résorbée pour une raison que j'ignore. Dans tous les cas, le poison s'est répandu au sein de son organisme et lui nuit gravement. C'est une substance neurotoxique qui paralyse les muscles… La murène à col rouge a un venin aux effets similaires. C'est une variété de murène d'eau douce qui vit dans la région.

« La morsure… » Jiraiya réalisa dès lors. La morsure sur la jambe de Naruto au sortant du fleuve Tadami. Etait-ce la fatigue qui ne lui avait pas fait réaliser la possibilité que la morsure soit empoissonnée ? Comment avait-il pu passer à côté ? « Comment ai-je pu être si bête ? » L'air déconfit de Jiraiya attrista le ninja médical sur sa gauche mais il continua malgré tout.

- C'est une des raisons qui fait que j'ai peur qu'on ne puisse rien faire sur le long terme. Je peux éventuellement essayer de le purger à l'aide de saignées et de lui appliquer un antidote, mais c'est là que le problème se complique énormément pour moi. Votre élève n'est pas seulement empoisonné, il est également atteint d'une forme extrêmement virulente de paludisme. Cette bactérie est transmise par l'intermédiaire des moustiques, généralement depuis des gibbons qui en sont des porteurs sains. Il y a beaucoup de ces singes dans la jungle. C'est cette souche du paludisme qui provoque cette fièvre sanglante. Une saignée dans ces conditions serait absurde. Et d'autant plus que ce n'est pas le seul mal qui agresse Naruto.

- Il y a encore autre chose… ?

L'embarras de Shinnō s'amplifia.

- Je ne sais pas ni comment ni pourquoi, mais votre élève semble comme… commença-t-il avant de réfléchir. « Comment dire… Il est biologiquement déréglé. Je n'avais jamais vu ça. Pas sur un être vivant, en tout cas. »

- Biologiquement déréglé ?

- Oui. Il semble avoir été contaminé par un effet radioactif que je n'ai pu observer que sur certains métaux, et en très petite quantité. Il s'avère que c'est ce dérèglement qui a provoqué l'apparition aussi rapide et virulente des symptômes paludiques.

Jiraiya poussa tout à coup un gémissement désabusé à l'entente du diagnostic extrêmement grave et enfouis son visage dans ses mains, se sentant rapidement dépassé par la situation. Shinnō l'observa dans l'expectative. Il semblait en pleine réflexion, en pleine analyse. Comme s'il cherchait à apercevoir au travers de Jiraiya quelque chose d'imperceptible en temps normal et à l'œil nu.

Après quelques secondes, Jiraiya se ressaisit et regarda Shinnō d'un air calme.

- Que pouvez-vous faire pour aider mon élève ?

Le médecin le regarda un instant avant de saisir son menton dans un air pensif. Il resta tel quel quelques secondes.

- En théorie, je pense avoir les moyens de le soigner efficacement… Mais je n'ai encore jamais soigné personne atteint des trois maux en même temps… Et encore moins atteint du troisième. J'ignorais que c'était même possible, répondit-il, avant de lever la main aussitôt qu'il vit le ninja de Konoha ouvrir la bouche. « Toutefois, comme je l'ai dit, je pense pouvoir le faire. Mais ça dépendra de votre élève. Le traitement en deux étapes que je lui appliquerais sera forcément expérimental. »

Tout en terminant sa phrase et en coinçant sa cigarette entre ses lèvres, Shinnō fouilla dans sa sacoche et en sortit un papier. « Tenez. » dit-il avant de le tendre au Sannin. Jiraiya fixa l'objet et remarqua aussitôt sa nature d'identifiant et de carte visa apparentée au système d'identification de Konoha. L'homme était donc un collaborateur officiellement référencé du village.

Redonnant l'identifiant à l'Iryō-nin, Jiraiya essaya de se calmer.

- Combien de temps ça prendra ?

- Difficile à dire. Le traitement en lui-même, rien du tout. Il ne s'agit que d'une injection en deux temps. Antidote puis vaccin antipaludique agencé à un antibiotique extrêmement puissant. Mais la guérison, à supposer qu'il guérisse… Plusieurs semaines. Je ne peux rien vous promettre.

- C'est déjà largement assez, rassurez-vous, répondit Jiraiya. « S'il est correctement soigné, mon élève s'en sortira. »

Naruto était robuste, à n'en pas douter. Shinnō l'avait même dit : toute autre personne serait morte. Mais pas lui. Sa qualité d'Uzumaki et sa condition de Jinchuuriki faisait de lui une force de la nature. Tant que son état restait stable et qu'il était correctement entretenu, il traverserait sa convalescence sans soucis. Jiraiya y veillerait.

- Soit dit en passant, je tiens à vous vacciner également, Jiraiya-san. Si votre élève est infecté par le paludisme, vous l'êtes également. Mieux vaut taire tout risque maintenant, si vous le voulez bien.

- Bien sûr… répondit Jiraiya, n'ayant aucune raison de refuser.

Satisfait, Shinnō se leva et alla écraser son mégot de cigarette dans un cendrier posé sur une petite table contre le mur un peu plus loin. Il disparut à l'angle et partit rejoindre l'infirmerie. Il réapparut quelques minutes après, munis d'un flacon étiqueté et d'une seringue. Récupérant le contenu du flacon contenant le vaccin, il tendit le récipient vide à Jiraiya, qui consulta distraitement la notice intitulée « MRA-h54 ».

- Bien entendu, vous allez vous sentir un peu faible pour les prochains jours, le temps que le vaccin antipaludique agisse sur votre corps. Mais le risque de développement de la maladie sera définitivement écarté.

Jiraiya acquiesça silencieusement et défit sa veste, se retrouvant rapidement torse nu. Se plaçant derrière lui, il sentit Shinnō manipuler son épaule et son bras pour localiser le lieu d'injection. La seconde qui suivait, l'homme le piquait dans une précision chirurgicale et lui injectait le vaccin. Son épaule lui apparut dès lors comme ankylosée, la présence du vaccin se faisant pesante dans la chair.

- Et voilà, terminé.

Jiraiya s'étira alors, et fit rouler ses épaules. Il remit ensuite ses vêtements et se leva. Il commençait à se faire tard, et tous deux vinrent à la même conclusion qu'il était temps pour l'instant d'aller dormir. Amaru avait éteint les lumières quelques minutes avant, ce qui signifiait qu'elle était elle-même parti se coucher.

- Merci pour tout, Shinnō-san. C'est une chance qu'on soit tombé sur vous et Amaru. Je ne sais pas ce qu'on aurait fait, seuls dans la forêt.

- Le plaisir est pour nous. Bien, nous reprendrons notre discussion demain. Et je préparerais le traitement pour votre élève, en attendant, si vous le voulez bien, je me retire.

Ils se sourirent mutuellement et s'inclinèrent, puis Shinnō s'en retourna et entra dans la maison. Faisant de même, Jiraiya entra quant à lui dans la chambre où dormait Naruto. Un futon était posé dans le coin de la pièce, avec un oreiller et une couverture propre. Souriant à l'attention d'Amaru à son égard, Jiraiya referma la porte coulissante en toile derrière lui puis se déshabilla. Une fois dévêtu, le Sannin s'allongea calmement sur le matelas de fortune.

Il observa alors quelques secondes son élève, avant de se laisser lentement aller au sommeil.


Quatre jours plus tard.

La journée avait commencé calmement. Le temps doux du matin s'était clairement réchauffé lorsque le soleil avait atteint son zénith, et il devait bien faire dans les trente degré depuis. Comme pour la plupart des journées à Midorihara, rien n'avait été à signaler de particulier au village. Amaru avait fait sa ronde matinale et avait consulté ses quelques patients dans le besoin, poursuivant normalement ses suivis médicaux sur les rares malades alités disséminés sur l'aire rurale habitées et ses extensions. Son maître, Shinnō, recevait durant ce temps les patients auxquels la mobilité ne faisait pas défaut dans le cabinet de leur clinique, dans une petite aile isolée de la maison et donc séparée de plusieurs mètres des chambres et des espaces de vies. Moins d'une heure s'était passée depuis la pause du midi, et un silence de campagne naturel et relaxant berçait la propriété.

Ce moment d'accalmie et de transition entre deux activités était le moment parfait pour finir les tâches qui étaient en suspens. Le linge qu'elle avait lavé ce matin et qui était attaché à l'extérieur était sûrement sec. A défaut d'avoir autre chose à faire, la kunoichi médecin se dota d'un panier en osier et s'en alla récupérer l'intégralité des vêtements et des draps qui pendaient secs, fixés par des pinces en bois sur des fils tendus et la maison et quelques arbres du jardin. Elle détacha les draps propres les uns après les autres, et remarqua par la même occasion que certains gardaient le souvenir des marques de sang, en dépit du fait qu'ils avaient été désinfectés et aseptisés plusieurs fois d'affilées. Elle déposa distraitement les tissus dans son panier, l'image des saignements violents de leur dernier patient revenant à son esprit. Les jours précédents avaient été particulièrement éprouvants.

Son panier d'osier désormais plein et les fils de linge suspendus enfin débarrassés, la jeune femme s'en retourna s'asseoir contre le ponton en bois de la clinique. Laissant pendre ses jambes dans le vide, elle s'occupa alors de faire ce que Shinnō l'avait habitué à faire : plié les draps. Tout médecin qui se respectait comprenait l'importance des gestes d'hygiène et la rigueur exigées des tâches d'infirmerie. Malgré son indiscipline et son irrévérence structurelle, ce genre de tâche était un point d'honneur dans ce qu'Amaru considérait comme une déontologie des ordres de médecin.

Mais tout silence finissait par être brisé tôt ou tard.

Amaru pliait le linge lorsqu'elle entendit du bruit dans la chambre d'hôte de la clinique. Pendant quelque secondes, et tandis qu'elle fixait avec doute la porte coulissante en toile qui donnait sur la chambre, le silence s'établit. Alors qu'elle était sur le point de se lever pour aller vérifier leur patient paludéen, Amaru perçut tout à coup des bruits de pas irréguliers. Et ce, avant qu'une main moite et pâle saisisse le bord de la porte entrouverte et l'ouvre finalement plus ou moins lentement. Délaissant le drap qu'elle pliait et qu'elle reposa à demi plié dans le panier, Amaru se releva.

Son regard bleu croisa alors celui terne mais azur du patient qu'elle connaissait sous le nom d'Uzumaki Naruto.

Il était grand, atteignant facilement le mètre quatre-vingt et la surplombant, elle qui peinait à dépasser les un mètre soixante. Malgré son apparence maladive, ce fut facile pour elle de deviner qu'il était un combattant aguerri. L'aura qu'il émettait malgré lui et la façon avec laquelle il investissait l'espace de sa soldatesque carrure la plongea dans l'incertitude du comment elle devait réagir.

Dès lors, un silence de plomb s'abattit, tandis que le jeune homme la toisa comme s'il ne la voyait qu'à moitié… ou qu'elle n'était qu'une vulgaire demi-portion, s'il était un terme auquel elle aurait pu penser à l'instant. Que ce soit une impression erronée de sa part ou une réalité, elle ne put dans tous les cas réprimer un froncement soupçonneux des sourcils.

- Bon sang, mais où est-ce que je suis, dattebayo… ?

La voix rocailleuse et malade du garçon retentit alors, trahissant une fébrilité dont Amaru se doutait qu'il se serait bien caché de montrer devant quiconque. Les ninjas détestaient paraître faibles ou infirmes devant les autres. Plus par nécessité de ne pas montrer d'ouvertures et de garantir de fait la survie au quotidien que par fierté.

Il ne put toutefois pas cacher sa violente migraine, à en juger la façon dont il se tenait la tête au niveau de la tempe droite.

- Et toi, t'es qui ? Et depuis combien de temps je suis là ? rajouta-t-il soudainement.

Même si Naruto n'avait pas la lucidité pour l'exprimer ou le penser clairement, l'expérience de se réveiller en pleine convalescence était une expérience aussi nouvelle qu'effrayante. Les heures qui avaient suivi son réveil s'étaient écoulées lentement dans le calvaire, ponctuées d'assoupissements instables et brefs. Le sentiment d'être dépourvu de sa vigueur, de ne pas avoir un soupçon de résistance dans le moindre de ses muscles, de ne pas avoir de volonté pour se lever ou même de simplement l'envisager, tout en ayant l'esprit suffisamment éclairé pour contempler son propre état de morosité, était un sentiment effarant et incompréhensible… C'était sans compter plusieurs montées fulgurantes de fièvre et des chutes vertigineuses de température irrationnelles.

Il s'était assoupi avec l'assommante impression d'être écrasé sous des rochers de plusieurs tonnes, étouffant sous la chaleur et la sueur, pour se réveiller avec la sensation du sol se dérobant sous ses pieds et la peau glacée et livide. Tout ce qui restait n'était alors que confusion. Et le fait que le rayonnement estival et tapant du soleil qui frappait sur sa peau nacrée ne faisait rien pour calmer ses tremblements de froid n'arrangeait en rien son état de désarroi actuel.

Et c'était sans mentionner la jeune fille devant lui qui le toisait d'un air offusqué et qui s'apprêtait à lui répondre…

… Avant qu'un homme n'intervienne et coupe court à toute discussion éventuelle.

- Je vais répondre à vos questions à la place de mon élève. Si vous vouliez bien cesser de l'intimider.

Il se tenait à l'angle de la maison, duquel il avait surgi tout à coup. L'espace d'une seconde, l'apercevant du coin de l'œil, Naruto avait cru qu'il s'agissait de son maître, mais ce n'était pas le cas. De ses mots, il était plutôt celui de la jeune fille devant lui. Il réalisa ensuite ce que l'homme avait déclaré dans un second temps, et se rendit compte qu'il s'était avancé tout en posant ses questions, mettant une pression incongrue sur la rouquine. Il recula d'un pas raide mais preste et se tourna en direction du senior, qui n'avait cillé à aucun moment et continuait de le fixer avec attention. A un moment donné, ce dernier sembla se détendre et poussa un soupir avant de lui adresser de nouveau la parole d'un ton tout aussi formel que las.

- Bien… Allons parler dans mon cabinet.

L'homme s'en retourna alors et disparu sous le regard de l'Uzumaki à l'angle d'où il était apparu. Silencieux l'espace de quelques secondes, Naruto l'observa lui puis sa supposée élève, et à défaut d'une autre option, se mit alors à suivre. Il serra autour de lui la couverture qui le couvrait dans le mince espoir de réduire ses tremblotements de froid et rejoignit à son tour la petite aile de la clinique par l'extérieur. Il trouva sans mal le cabinet mentionné du fait des quelques portes ouvertes, et retrouva l'homme assis à son bureau. Le matériel environnant, posé sur les divers meubles, et le lit d'examen sur roulettes et équipé d'un matelas drapé de cuir noir, fit comprendre très vite à Naruto à qui il avait à faire. Un médecin.

- Installez-vous je vous prie, Uzumaki-san.

Naruto haussa un sourcil mais s'exécuta sans protester.

- Vous connaissez mon nom...

- Naturellement. C'est votre professeur qui vous a confié à moi alors que vous étiez totalement inconscient, il y a cinq jours. Vous receviez mes soins depuis.

- Cinq jours… ?

Ayant confirmation à sa question par un acquiescement rapide du médecin, Naruto s'autorisa inconsciemment à relâcher sa garde. Le soupir qu'il poussa les yeux mis clos laissa son hôte supposer qu'il se mettait à l'aise.

- Vous connaissez mon nom mais… je ne vous connais pas. Qui êtes-vous… ? demanda finalement Naruto.

Prononcée non sans difficulté du fait de sa voix encore enrouée par la fatigue et la convalescence, sa question fut toutefois bien reçue par son hôte.

- Je voulais justement y venir, Uzumaki-san. Nous avons beaucoup à dire. Mais laissez-moi d'abord me présenter. Je suis Shinnō, et la jeune fille que vous avez rencontrée juste avant se nommait Amaru et se trouve être mon apprentie. Me concernant, je suis un médecin de proximité, accrédité par le pays du Feu et en contrat de subordination avec Konoha. Votre confusion au réveil était un symptôme tout à fait normal du fait de la nature de votre maladie, mais pour vous éclairer, vous vous trouvez actuellement à Midorihara, au nord de la préfecture de Kitamori, au pays du Feu…

En parlant, il alla chercher dans une des poches de sa veste une carte d'identité plastifiée qu'il présenta et qu'il posa ensuite en évidence sur le bureau.

Il continua alors.


Trois jours plus tard.

« Vos facultés de guérison sont en réalité tout à fait remarquables. Pour être franc, j'avais de nombreux doutes sur votre capacité à vous remettre complètement de votre convalescence, mais je dois admette que votre maître avait raison. Vous êtes sur la bonne voie. C'est au-delà de toute attente. Vous devriez être bientôt sur pied. »

Entre une et deux semaines de repos, c'était le temps de convalescence que le dénommé Shinnō avait préconisé. L'homme n'avait pas eu assez de mots pour discuter de son état de santé et de lui faire éloge de sa résistance, lui rapporta qu'il était littéralement le premier patient de toute sa vie à guérir sainement du paludisme. Selon lui, on ne guérissait jamais vraiment d'une telle maladie, et on restait porteur de la bactérie à vie. Or, d'après Shinnō, il parvenait non seulement à guérir des symptômes paludéens mais en plus à mettre à mal la présence bactérienne. Il était encore loin d'être entièrement guéri, mais les résultats étaient là : il pouvait se lever et marcher, bien que difficilement étant donné les poussées intenses de fatigue, les vertiges réguliers et les assommantes migraines.

Sa condition de Jinchuuriki devait rester absolument secrète, mais l'esprit perspicace de Shinnō était quelque chose dont il devait se méfier. Après tout, il n'existait comme l'homme l'avait affirmé personne capable de résister aussi bien à une souche aussi virulente et mortelle de la maladie. Alors qu'il était inconscient, Jiraiya avait expliqué au shinobi médical que sa constitution immunitaire était particulière et qu'il l'avait hérité de sa famille. Shinnō avait ensuite pu le confirmer par ses observations successives et avait accepté l'explication. Ce n'était pas un mensonge, plutôt une vérité qui en cachait une autre. Son appartenance au clan Uzumaki était loin de constituer un mystère en soit ou un secret à défendre. Pour peu que les gens reconnaissent son nom et ses origines claniques, les Uzumaki étaient davantage connus pour la situation géographique et politique d'antan de leur clan que pour leurs capacités biologiques innées, bien moins connues.

Jiraiya l'avait soigneusement évité, ou alors il semblerait, selon ce que Naruto en avait conclu. Son absence notable à son réveil n'en avait pas été une. En vérité, le Sannin avait laissé derrière lui plusieurs crapauds qui avaient discrètement surveillé le périmètre. Malgré le contexte paisible de la région, le Sannin était loin d'avoir baissé sa garde. Il était parti vers le poste frontière de Hi no Kuni au nord le lendemain de leur arrivée à Midorihara, pour aller rendre compte de leur présence aux gardes-frontières de Konoha et récupérer les dernières informations. Les crapauds qui surveillaient la clinique l'auraient invoqué au moindre danger environnant. Shinnō et Amaru ne semblaient pas les avoir repérés, mais ce n'était pas si surprenant, dans la mesure où seul un invocateur de crapaud tel que lui ou quelqu'un qui y avait déjà été confronté aurait éventuellement pu discerner un simple crapaud d'un membre du clan d'invocation éponyme. Ces derniers n'étaient en plus pas des plus loquaces. Un crapaud de la famille de Bunta, tels que Kichi ou Tatsu, serait déjà venu le voir pour lui parler. Ceux-là se contentaient de rester à distance et se faisaient littéralement tout petit, cachés dans les hautes-herbes qui délimitaient le jardin de la clinique du terrain vague qui l'entourait.

Naruto poussa un soupir sans même vraiment le réaliser, l'ennui étant mentalement assez difficile à gérer. Ces derniers jours avaient été particulièrement longs. Et c'était sans omettre qu'en plus de l'absence notable de Jiraiya, il sentait l'inimitié de la jeune fille nommée Amaru. Elle semblait lui donner sciemment l'épaule froide et il n'était pas compliqué de remarquer qu'elle ne souhaitait pas passer plus de temps que nécessaire en sa présence, à savoir pas une seconde de plus que ses passages quotidien éphémères à l'infirmerie. C'était assez spécial, venant d'une infirmière, mais compréhensible dans la mesure où il n'avait pas été des plus respectueux à son réveil. Mais ce n'était néanmoins pas pour arranger l'atmosphère déjà pesante.

« Peut-être que je devrais simplement m'excuser… ? » pensa-t-il quelques secondes tout en imaginant le déroulement éventuel de la scène et ses issues potentielles. « Non, ça n'a aucun sens. On ne se connait pas du tout et j'ai l'air de trop l'irriter. Ça risquerait de faire empirer la situation. » D'aucun dirait qu'en temps normal, l'Uzumaki ne s'embarrasserait pas de ce genre de problème et irait de l'avant s'affirmer sans pudeur, sans y penser outre mesure, toutefois, sa situation physique invalidante actuelle et son ennui latent changeaient beaucoup la donne. Et les récents évènements qui l'éloignaient de Jiraiya lui revenaient sans cesse à l'esprit.

« Je dois faire bien peine à voir… »

Une pensée bien disgracieuse pour quelqu'un d'aussi intrépide que lui. Mais il avait indubitablement connu des jours meilleurs.

- Vous devriez égayer votre expression où il risquerait de pleuvoir, Uzumaki-san.

Naruto sortit aussitôt de ses pensées et redressa sa tête, qu'il avait gardé jusqu'alors baissée. Pris sur le fait de ses idées sombres, une expression de surprise remplacement son air défait d'alors. Shinnō se tenait debout sur sa gauche, une trousse de soin à la main, son air neutre et opaque habituel peint sur le visage. Il semblait serein.

- Shinnō-san, prononça Naruto en guise de salutation.

L'homme la lui rendit par un humble hochement de la tête puis mise davantage en évidence sa trousse de soin.

- Je viens pour votre traitement.

Shinnō lui administrait en effet un traitement quotidien en support de sa vaccination. Naruto ne prononça rien de plus, or son silence fit office d'acceptation. Le vieux médecin commença ainsi à faire ce qu'il était venu faire. Ce n'était rien de bien compliqué, puisqu'il se contentait simplement de l'ausculter. Cela ne dura pas bien longtemps.

- Vous semblez soucieux.

La voix calme de Shinnō trancha avec le silence. Naruto le regarda quelques secondes alors que ce dernier lui prenait la pression à l'aide d'un tensiomètre. Il acquiesça distraitement, devinant que le médecin était aussi disponible pour lui prêter l'oreille.

- Parfois, se confier sur ses soucis à l'existence… cela permet de dénouer des nœuds qui sont trop solide pour s'en occuper seul, vous savez.

Naruto lui adressa un petit sourire redevable, quoique qu'il fût difficile d'empêcher l'amertume d'y transparaître.

- C'est difficile d'appeler ça un souci à l'existence. Ce n'est pas grand-chose, vous savez.

- Cela reste quelque chose.

Naruto émit un petit rire maladroit.

- Vous marquez un point…

Le silence revint de manière passagère. Avant que Shinnō ne reprenne plus sérieusement.

- Il est difficile de ne pas remarquer votre distance avec Jiraiya-san. J'imagine que votre malaise vient de là.

Ce fut tout aussi difficile de le nier. Ce que Naruto ne chercha à faire que quelques secondes par le silence avant de réaliser qu'il était vain d'essayer. Il manipula et fit craquer son poignet dès lors que Shinnō lui retira le tensiomètre du biceps. Et fut un temps redevable à l'homme de ne pas insister et chercher à le faire parler.

Le vieux Shinnō était aussi patient et respectueux qu'il était discret dans sa manière d'approcher ses contemporains.

- Cela doit vous faire bizarre de voir ça, vous qui êtes si proche de votre élève…

Il avait lâché ça de manière anodine, mais Shinnō se tourna un instant vers lui, se détournant des ustensiles qu'il manipulait dans sa trousse de soin. Avant de s'y atteler de nouveau.

- Nous avons vécu des expériences différentes, répondit-il tout en lui faisant dos. « Vous savez, Uzumaki-san, la force des liens entre un maître et son apprenti est souvent très relative. Même les plus grands amours peuvent se briser dans l'adversité et l'épreuve. Et si même l'amour vacille face à l'épreuve du temps qui passe, alors l'amitié paraît souvent bien fragile. Et sans vouloir être trop indiscret, vous semblez être passés par des moments difficiles ces derniers jours. »

- Haha… Ce n'est pas pour me rassurer… prononça l'Uzumaki avec sarcasme. « Et puis, c'est compliqué. Il y a quelque chose… quelque chose de plus pareil qu'avant. »

Le fait que Jiraiya ait laissé partir deux meurtriers impunément. Deux meurtriers qui étaient venus se vanter de leurs méfaits devant eux. Ni Kagerō ni les autres ninjas du clan Fūma n'avaient mérité un tel châtiment. Ils n'avaient rien mérité d'autre que le bonheur d'une vie paisible. Ils avaient déjà tellement souffert.

Ceci, néanmoins, Shinnō n'en saurait rien. Il n'avait pas besoin de le savoir. Et Naruto n'était pas stupide au point de révéler une information aussi dangereuse.

Mais pour une raison quelconque, l'homme avait l'air de comprendre, à travers ses demi-silences, le poids du fardeau.

Et le fardeau des enjeux.

- Pour être honnête, mes rapports avec Amaru ne sont pas toujours des plus harmonieux. C'est une jeune fille pleine d'ambitions et de rêves, et nos opinions divergent bien souvent… révéla alors Shinnō en regardant un instant le terrain vague qui leur faisait face. « Peut-être en sera-t-il de même pour les chemins que nous emprunterons, à l'avenir. »

- Je vois…

- Mais vous savez, Uzumaki-san… En tant que sensei, je ne peux en aucun cas le voir comme une mauvaise chose. Si cela devait en être ainsi, alors je préférerais m'en réjouir et le respecter. J'ai le sentiment que Jiraiya-san et moi partageons le même sentiment, à cet égard.

Naruto observa l'homme quelques secondes, essayant de comprendre ce qu'il avait cherché à dire. Essayait-il de le faire relativiser vis-à-vis de Jiraiya ? Ou de le rassurer quant à son proche futur ? Ses mots positivistes étaient sujets à interprétation. C'était en fait un peu frustrant.

- Vous êtes bizarre, Shinnō-san, vous savez ? dit-il alors, sous le ton de l'amusement.

- Ah, ça, je veux bien le croire. Amaru me le dit souvent, elle aussi.

Shinnō pouffa brièvement. Un peu comme le faisait souvent Hiruzen, de son vivant. C'est à ce moment que Naruto réalisa qu'ils dégageaient un peu le même genre d'impression. En quelque sorte.

C'était peut-être ce qui le faisait apprécier cet homme.

Ce fut alors qu'il remarqua la seringue que lui présentait ledit homme. Seringue remplit d'un liquide translucide virant vers le jaune.

- Il s'agit d'un produit antibiotique stabilisant. Le vaccin antipaludique est expérimental et instable. Je préfère éviter tout effet secondaire à votre traitement.

Donc un autre antibiotique. « Compréhensible, je suppose… » pensa Naruto. Mais pour son bien ou non, le fait est qu'il continuerait à haïr profondément les piqures. Il soupira un instant, puis tandis le bras par dépit, laissant le médecin chercher sa veine calmement.

- J'espère que vous ne comptez pas m'empoisonner, Shinnō-san, parce qu'avec toutes les piqures de ces derniers jours et tous les couperets à proximité, je devrais être mort au moins vingt-huit fois maintenant…

Shinnō arrêta aussitôt tout mouvement, presque à croire qu'il s'était raté.

L'atmosphère changea étrangement de nature, alors qu'il fixa Naruto dans les yeux.

- Je plaisantais, Shinnō-san… C'était une blague…

Les quelques secondes qui s'écoulèrent entre sa blague et la réaction suivante du médecin firent se sentir l'Uzumaki étrangement nerveux. Cela, jusqu'à ce que le regard fixe de l'homme reprenne vie, que sa posture s'apaise et qu'un délicat sourire irrité s'étire sur son visage.

- S'il vous plait, ne plaisantez pas sur ce genre de choses, Naruto-san.

Le concerné se garda de faire une moue enfantine comme il l'aurait fait sans y penser auparavant.

Pour une seule raison.

Le sentiment de malaise qui avait fluctué s'était superposé avec un sentiment impromptu de danger.

- Voilà, prononça Shinnō avec satisfaction. « Le traitement devrait opérer sans problème à partir de maintenant, Uzumaki-san. Veillez à ne pas vous surmener. »

Le danger.

Les massacres et la mort qui l'avait sans cesse guetté ces quatre dernières années avaient appris à Naruto de ne jamais le négliger.

- Merci, Shinnō-san.

Cet homme n'était pas qu'un Iryō-nin.


Le jour même.

- Je pense que ta proposition est exagérée, Shirakumo. Il ne s'est encore rien passé.

- Et pourtant si nous ne faisons rien la situation va passer hors de notre contrôle. Nous devrions prévenir le village et entrer en contact avec la troisième division maintenant.

Jiraiya croisa les bras, ses pensées vacant à son gré tandis qu'il écoutait dans le silence la discussion ayant lieu devant lui. Il se concentra de nouveau sur les documents éparpillés sur la grande table devant laquelle il se tenait avant d'accorder un regard aux ninjas de Konoha qui se tenaient de part et d'autre de la table, à sa droite comme à sa gauche. La plupart d'entre eux semblaient plongés dans de profondes réflexions, et l'atmosphère formelle de réunion n'était pas pour diminuer cette impression.

- En ce qui me concerne, je fais confiance à Hayama-san. Vous savez, Taketori-san, ses décisions sont souvent justes… Je pense aussi qu'on devrait prévenir dès maintenant la troisième division.

- Quoi, toi aussi, Tekuno ? Prévenir la troisième division avant même d'avoir reçu l'aval du conseil des Jōnins et de Shikaku-sama ? Mais enfin, vous n'êtes pas sérieux !

La pièce dans laquelle Jiraiya se trouvait actuellement était éclairée sur la gauche par une fenêtre ouverte qui donnait sur une partie du nord de la vallée de Midorihara. Le Sannin pouvait entrevoir à l'extérieur les murs en béton de plusieurs mètres de haut qui délimitait le périmètre militaire. Une double ligne de grille en acier partait des murs et semblait tracer son chemin à travers les arbres et les collines, de part et d'autre de la vallée.

- Mais nous avons un des représentants du Corps des Jōnins ici-même. Jiraiya-sama, qu'est-ce que vous en pensez ? Que devrait-on faire ?

Jiraiya regarda son plus récent interlocuteur quelques secondes tout en cherchant les bons mots pour lui répondre.

L'homme en question était un homme assez grand et imposant. A bien en juger, ce dernier était même un peu plus grand que le Sannin, et sa carrure était plus épaisse, à en constater ses bras et ses jambes. Sa silhouette intimidante contrastait avec sa physionomie, en ce sens que ses petits yeux noirs, ses cheveux bruns et froufrouteux mal coiffés et l'apparente rondeur de ses traits faciaux lui donnait un air relativement sympathique. Son bandeau de shinobi à l'effigie symbolique de feuille, sa tenue bleue et sobre par-dessus laquelle il portait un gilet pare-éclat vert l'identifiait formellement comme un ninja de Konoha.

Il s'agissait de Kanden Tekuno. Vétéran de la frontière Nord, Tekuno était l'un des commandants Jōnins de Konoha en charge des opérations de surveillance de la frontière nord-est du pays du Feu depuis maintenant cinq ans. Il faisait partie des volontaires du corps des Jōnins qui avaient choisi leur mutation sur la frontière suite à l'invasion manquée d'Otogakure no satō. Il avait fait partie des pelotons frontaliers qui avaient repoussé les nombreuses incursions de Kumo et d'Iwa ayant fait suite à ces évènements.

- Sois patient, Tekuno-san, intervint aussitôt le prénommé Hayama. « Si Jiraiya-sama n'est pas encore intervenu, c'est que lui-même est partagé. Laisse-lui le choix de juger et de décider quand il interviendra. »

L'apparence de ce dernier parlait pour lui avant même qu'il ne puisse se présenter. D'apparence plus âgée que son camarade, Hayama arborait dans sa stature la transition d'un homme de la quarantaine vers la cinquantaine. Ses cheveux foncés étaient grisonnants et coiffés en queue de cheval et les traits fins de son visage commençaient à montrer les signes de fatigue d'un shinobi dont la carrière était déjà bien longue. Ses yeux noirs étaient perçants et il émanait d'eux la dureté d'un homme qui ne laissait rien au hasard. Plus particulier encore, il portait sur le menton, jusque sur la commissure droite de ses lèvres, une profonde entaille cicatrisée qui témoignait de l'ancien passage d'une lame.

Shirakumo Hayama était indubitablement un vétéran. Jōnin d'élite de Konoha, il était un élément bien connu du Corps des Jōnins, en ce sens qu'il était depuis maintenant vingt ans l'un des officiers stratégiques de Konoha en charge de l'organisation et la défense du nord du Pays du Feu. Il avait par deux fois été l'architecte des victoires tactiques de Konoha durant la troisième grande guerre shinobi, notamment contre Kumo. Il supervisait aujourd'hui la surveillance de la frontière nord et prenait ses ordres uniquement auprès de Nara Shikaku. Excepté l'éponyme Commandant des Jōnins et le Godaime Hokage, il faisait partie des maillons forts de la chaîne de commandement du village.

- Pourtant j'aimerais aussi savoir ce qu'il en pense, Shirakumo ! Arrêtons de noyer le poisson et parlons franchement. Ce que tu proposes n'est que pure folie ! Vous ignorez complètement la réalité de la région !

Hayama poussa un soupir presque imperceptible, sans doute contrarié par l'impatience et l'impertinence relative du nommé Taketori. Les autres ninjas de Konoha présents, visiblement tous au moins Chūnins, semblèrent tous contrariés par la prise de parole de l'impertinent. Ce dernier ne portait ni le bandeau de Konoha ni l'uniforme réglementaire de la force régulière de Konoha. Jiraiya avait facilement déduit le fait qu'il ne faisait pas partie du Seiki Butai de leur village.

Il s'agissait en fait de Taketori Saburo, membre du clan Taketori et son représentant auprès des services de défense de Konoha pour le nord du pays du Feu. De ce que Jiraiya avait compris, son travail consistait essentiellement à coordonner les mouvements des services du clan Taketori avec ceux de Konoha. A en juger l'opiniâtreté de l'homme, le Sannin était prêt à parier que c'était une tâche laborieuse.

Pour ce que ça valait, Jiraiya ne pouvait à peine compter que sur les doigts des deux mains des clans de cette envergure encore présents sur la scène politique du pays. Parmi eux, le clan Taketori était particulier dans le paysage de Hi no Kuni, dans la mesure où c'était l'un des plus grands clans encore entièrement indépendants. Et ils n'étaient pas bien nombreux. Excepté des clans de shinobis comme les Tsuchigumo qui cultivaient l'isolement total, la plupart des clans indépendants du pays du Feu étaient à degré plus ou moins important inféodés à Konoha.

Les Taketori s'étaient toutefois rapprochés de Konoha récemment, par le biais d'une alliance qu'ils avaient contracté avec le clan Hyuuga, par un mariage arrangé de leurs héritiers respectifs.

- Taketori-san… Sauf votre respect, mais la sécurité du pays du Feu est menacée, et elle prime très largement sur les seuls intérêts du clan Taketori. Soyez un peu plus consciencieux des réalités de la nation. La région ne fait pas tout.

Tekuno croisa les bras et poussa dès lors un souffle de dédain.

- Hayama-san, ne vous prenez pas la tête, c'est trop demander à un Taketori qui n'a que les intérêts de son clan en tête. Le concept de défense nationale ne doit pas beaucoup l'atteindre.

- Vous osez ?

La réplique cinglante de Saburo n'avait pas attendu, et il fixa Tekuno du regard avec indignation. Ce dernier lui regard son regard indigné de la même manière, et le toisa amèrement.

- Evidemment que j'ose ! rétorqua le grand Jōnin. « On en a par-dessus la tête de vos agissements ! Vos services empiètent sur le terrain des nôtres, vous traînez des pieds quand il s'agit de faire des actions coordonnées, vous ne transmettez pas la moitié des infos ! C'est à croire que vous êtes restés coincés à l'ère des clans ! Ne vous a-t-on pas dit que les shinobis s'organisent en villages cachés, en nations ? Qu'est-ce que ça vous apporte de nous mettre systématiquement des bâtons dans les roues quand il s'agit de protéger la souveraineté sur nos territoires ?

Si le visage de Saburo avait rougi au fur et à mesure de la réplique désobligeante de Tekuno, les derniers mots le firent aussitôt pâlir.

- Nos territoires !? Et depuis quand les propriétés du clan Taketori sont…

- Sont les propriétés de Konoha, et blablabla et blablabla ! On connait la chanson, le coupa aussitôt le Jōnin de Konoha. « On voit quelles sont réellement vos limites dès lors que la défense des intérêts du pays se fait au détriment des vôtres… »

Hayama tapa aussitôt de la main sur la table.

- Bien. Nous allons tous nous calmer. Je crois que la pression du moment nous fait dire des choses inconsidérées.

- Vous croyez vraiment… !

Hayama leva aussitôt la main pour signifier l'arrêt des échanges.

- J'ai dit « tous », Taketori-san. Inutile de nous enliser dans des batailles d'égo stériles. Cela ne nous mènera nulle part. Tekuno, excuse-toi pour tes propos inconsidérés et reprenons là où nous en étions. Tekuno, maintenant.

Tekuno sembla rechigner un instant, puis s'inclina très légèrement. « J'ai parlé avant de penser, Taketori-san. Je vous prie de m'excuser. » Le susnommé le toisa, mais sous l'intensité du regard d'acier du Jōnin Shirakumo, il répondit malgré son air amer par un hochement de tête témoignant de son accord à tempérer la discussion.

Rester silencieux durant tout l'échange, le moment s'imposa naturellement pour que Jiraiya intervienne et fasse aller cette réunion de l'avant.

- Je pense que la proposition de Shirakumo-san n'est pas forcément mauvaise, prononça-t-il alors avant d'enjoindre Taketori Saburo de ne pas intervenir d'un mouvement de l'index. « Avant de m'interrompre, laissez-moi parler. »

L'expression du Taketori avait rendu très prévisible le fait qu'il démarre au quart de tour. Après tout, son observation ne lui était pas favorable. Aussi développa-t-il rapidement son avis.

- Toutefois, des éléments récents extérieurs à votre situation font qu'une intervention immédiate de la part de Konoha est à proscrire dans l'immédiat. Shirakumo-san, nous sommes d'accord que les informations que j'ai devant les yeux sont très fiables ? Si c'est le cas, c'est très grave. Il n'y a aucun doute ?

- Absolument aucun, Jiraiya-sama.

Sur la table étaient déroulée une carte de la frontière entre Hi et Yu no Kuni. La plupart des massifs et des villages étaient indiqués, ainsi que les quelques villes situées plus au sud-est. L'enclave d'Oyu no Kuni figurait sur la carte mais n'était pas détaillée. Posés négligemment sur la table et couvrant ladite grande carte, de nombreux rapports d'espionnages et d'observations en provenance des patrouilles frontalières de Konoha et du clan Taketori faisaient mention d'un nombre conséquent d'information sur les populations locales, les activités relevées et les mouvements susceptible d'attirer l'attention des autorités. Et tous ces rapports, d'où qu'ils provenaient, peu importe à quel service appartenait la patrouille, s'accordaient pour faire état des mêmes choses.

- La situation politique au sud et le manque d'attention du daimyo a eu un impact sans précédent dans l'ensemble de Yu, continua Hayama avant de poser le doigt sur un lieu de la carte. « Le massif montagneux de cette région marque le point de passage le plus important entre le nord et le sud du pays. Quant à ce site, nous l'avons identifié comme une manufacture d'arme et un site d'entrainement. Si nous laissons la situation en l'état, cette région sera hors d'emprise dès le mois suivant et va devenir une véritable zone de guerre. »

Jiraiya soupira. Il était venu au poste-frontière du nord pour obtenir des nouvelles de Konoha. A aucun moment avait-il prévu de faire face à une situation de crise de cette ampleur.

- Shirakumo-san, je vais m'occuper de vous mettre en liaison avec la troisième division, déclara-t-il alors. « Toutefois, et je mets l'accent dessus, vous ne devez pas intervenir. Absolument. Le risque que la situation s'amplifie est majeur. Avant toute intervention, à ce rythme ce n'est même pas à Shikaku qu'il faut en référer mais à Tsunade. »

- Vous êtes sûr ?

- Absolument.

- Mais dans ce cas, que devons-nous faire ?

La réponse du Sannin semblait indisposer le Jōnin émérite.

- Pour l'instant, rien. Continuez d'observer et faites rapport.


Une heure plus tard.

A quelques mètres au nord de la vallée de Midorihara s'étendait le paisible pays de l'Eau chaude, Yu no Kuni. Le poste-frontière du pays du Feu était une infrastructure qui contrastait avec le panorama boisé de la vallée. Les murs gris et les grillages métalliques sortaient de terre et sillonnaient au sein des collines jusqu'à les perdre de vue. On aurait pu penser que le poste-frontière était une infrastructure disproportionnée au regard de la région et de son absence apparente de tension, mais la vérité était tout autre, puisque cette zone du pays du Feu avait été de nombreuses fois le théâtre d'invasion en provenance du nord. Que ce soit par percée territoriale à travers Shimo et Yu de la part de Kumogakure no satō ou d'un débarquement éclair sur les côtes nord de Yu de la part d'Iwa, les incursions avaient été nombreuses. Et la valeur stratégique de la région expliquait ce climat de tension paradoxal.

La réunion s'était terminé il n'y avait pas même dix minutes, la seconde partie de cette dernière s'étant déroulée de manière plus raisonnable que la première, notamment grâce au fait que les officiers de Konoha en présence avaient pu calmer les inquiétudes immédiates du clan Taketori. Toute déstabilisation éventuelle de la région frontalière était écartée temporairement tant que le Corps des Jōnins n'était pas sollicité stratégiquement. Il s'avérait toutefois que les responsabilités urgentes venaient de se multiplier pour Jiraiya, et c'était sans compter les nombreuses informations qu'il avait récupéré avant la réunion en consultant la dizaine de Jōnins présents sur l'avant-poste. Il était clair qu'il y aurait fort à faire durant les prochains mois, pour ne pas dire pour les prochaines semaines… Or, avec l'affrontement récent contre le duo de la montagne qui avait eu comme conséquence un épuisement massif aussi bien physique que moral pour lui et Naruto, Jiraiya n'avait certainement pas hâte de reprendre les activités de sitôt.

Pour l'heure, Jiraiya observait depuis le toit de la forteresse les cimes des arbres qui bruissaient au gré du vent. Tout en fumant la pipe et en se laissant aller au repos. Kami seul savait à quel point il devait le mériter. Pour autant, il ne put véritablement se détendre. Avec tout ce qu'il venait d'apprendre, l'exercice s'avérait tout à fait difficile, aussi suspendit-il de lui-même son moment de répit dès lors que sa pipe fut à court de tabac et qu'il ne chercha pas à en approvisionner de nouveau le réceptacle. Se levant alors, il s'occupa dans le silence de descendre le complexe tout en observant la disposition des salles sur son chemin, faisant des signes de reconnaissance de la tête aux quelques shinobis de Konoha qu'il croisait sur son chemin.

La forteresse de Midorihara était un lieu très défendu. Si on omettait la solidité et la disposition stratégique des infrastructures militaires, le fait était que le complexe abritait une garnison quasi-permanente d'environ deux cent ninjas.

La vie des « ninjas des frontières » comme on les appelait était une vie que la population shinobi majoritaire de Konoha était amenée à ignorer. Pour la moitié d'entre eux, l'existence quotidienne était incertaine et dangereuse, à l'aune des lisières des forêts et aux pieds des montagnes frontalières, où ils devaient faire preuve d'une prudence constante. Les ninjas de Konoha qui rejoignaient ces Corps d'armée frontaliers ne retournaient que rarement au village et formaient une armée semi-autonome du Seiki Butai, répondant naturellement au Corps des Jōnins de Konoha et au Hokage, mais ayant sa propre hiérarchie interne et ses propres objectifs stratégiques.

On le nommait le Kokyō Rentai, ou « Régiment de frontière ».

Le Kokyō Rentai était lui-même divisé en deux services. L'avant-garde frontalière, qui regroupait l'ensemble des groupes de patrouilles qui surveillaient la frontière et qui prenaient comme base de rattachement des forteresses telles que celle de Midorihara. On comptait trente-cinq bataillons de l'avant-garde sur l'intégralité des frontières du pays du Feu, avec des effectifs plus ou moins variables et mobiles. Le second service, l'arrière-garde frontalière, regroupait quant à lui un ensemble de cinq divisions de quatre-cent shinobis, dont les fonctions étaient d'être déployées pour soutenir les groupes frontaliers en cas d'incursions ennemies. Ces divisions participaient également aux opérations inter-service de Konoha, notamment celles de pacification au sein du territoire national.

L'effectif total du Kokyō Rentai atteignait presque cinq mille éléments. Il était donc après le Corps des Genins le corps d'armée le plus important en nombre du village de Konoha.

Lorsqu'il descendit dans la cour et qu'il parvint à l'entrée de la forteresse, il y retrouva les deux Jōnins Shirakumo Hayama et Kanden Tekuno, qui l'attendaient avec patience. En le voyant arriver, ces deux derniers s'inclinèrent respectueusement.

- Jiraiya-sama, nous vous attendions, prononça Hayama avec humilité.

- Oh. Y a-t-il une raison particulière ?

Hayama et Tekuno se regardèrent une seconde dans le silence.

- Nous voulions vous faire nos adieux et nous excuser pour… disons, le manque de séance durant la réunion. Nous n'avions pas prévu de recevoir quelqu'un d'aussi prestigieux parmi nous.

- Et puis, je peux parfois parler sans réfléchir et causer beaucoup de problème, désolé pour ça, haha… !

L'officier stratégique et son second s'étaient exprimé l'un après l'autre dans une gêne relative. Jiraiya émit un petit rire à leurs répliques.

- Ça ne me dérange pas vous savez. Je ne suis pas quelqu'un de cérémonieux. Et je n'étais de toute façon ni là pour inspecter la zone ni pour assister formellement à la réunion. C'était une coïncidence que je sois là aujourd'hui. Et merci pour l'accueil, je ne méritais pas autant, surtout pour le peu de temps que j'avais à passer ici.

- En fait, nous voulions vous demander quelque chose avant que vous ne partiez, Jiraiya-sama… intervint Tekuno avec un sourire penaud.

Le Jōnin se grattait l'arrière de la tête en cherchant ses mots. Mais avant que son supérieur ne prenne la relève pour l'aider, il se lança.

- N'êtes-vous pas sensé voyager avec Naruto-san ? On se posait la question depuis tout à l'heure… Vu qu'il n'est pas avec vous, vous savez…

- Vous connaissez Naruto ?

Les deux Jōnins se regardèrent de nouveau puis lui acquiescèrent dans un sourire.

- Nous avons eu l'occasion d'accomplir une mission de protection de frontière avec lui il y a quatre ans de cela. Peu après l'attaque d'Otogakure no satō, répondit fièrement Hayama, la lueur dans son regard démontrant qu'il revoyait le passé avec clarté. « Nous avions été impressionné et touché par son dévouement et sa bravoure. »

- C'est sûr ! enchaîna vivement Tekuno. « C'est un sacré Genin que vous avez là ! »

Le regard de Jiraiya se fit tout de suite plus lointain. Son cher filleul. Son impétueux Naruto. Il soupira un instant, comprenant sans même qu'ils ne l'aient encore mentionné la motivation derrière sa mention.

- Je suis désolé, Naruto n'est pas avec moi actuellement, leur déclara-t-il avec un regret circonstanciel. « Nous avons vécu des choses extrêmement difficile et pour tout vous dire, il est exténué par le voyage. Il se repose actuellement à Midorihara. Toutefois, avec ce que vous m'avez présenté, nous allons devoir partir pour Shōkō-machi plus vite que prévu. »

- Je vois. Quel dommage, soupira Hayama.

- Passez lui nos salutations, dans ce cas, propose alors Tekuno. « S'il n'était pas aussi fidèle à Konoha, nous ne serions sans doute plus ici aujourd'hui, moi et Hayama-san. »

Le regard du Sannin s'adoucit l'espace d'un instant. Il avait eu vent des missions de patrouilles qu'avait effectué Naruto juste avant qu'il ne le prenne en charge. Et des nombreuses difficultés qu'avait vécues la frontière durant ce laps de temps du fait des incursions étrangères. Acquiesçant aux deux Jōnins, Jiraiya leur adressa alors un sourire, auquel ils répondirent sans trop y penser.

- Je le ferais. Vous recevrez le soutien de la troisième division aussi vite que possible. D'ici là, soyez patients et attentifs. Ne laissez rien passer. Et prenez soin de vous et de vos hommes.

- Ce sera fait Jiraiya-sama. Nous vous souhaitons bonne route.

Après de brefs regards de reconnaissance marqués d'estime, les trois hommes s'en retournèrent prestement, chacun vers son univers. Les uns les yeux rivés vers le nord, l'autre en direction du sud.


Une heure plus tard.

Sa jambe fendit l'air alors qu'il tourna sur lui-même dans un mouvement d'art martial élaboré. Il enchaînait kata après kata, reprenant ses appuis et son équilibre aussi harmonieusement que possible. Pour autant, son corps était lourd et la raideur de ses membres lui rendait inconfortable et douloureux tout mouvement. Mais chaque posture aussi inconfortable fut-elle représenta un exutoire efficace contre l'ennui qui l'assaillait. Chaque soupçon de douleur lui permettait d'écarter les pensées vagabondes, sources de frustration ces derniers jours et encore plus maintenant qu'avant. Car maintenant qu'il arrivait à se mouvoir, qu'il pouvait se lever et se déplacer plus facilement, l'idée de ne pas en profiter lui rendait le quotidien insupportable et ridiculement long. Alors Naruto s'entrainait.

Cela avait commencé par une simple séance de mouvements de Taichi. Plus que pour chercher à relaxer son esprit, il souhaitait savoir à quel point son corps était fonctionnel. Il était très vite passé à des exercices plus difficiles et plus contraignants pour son corps, puis avait fini par passer à un entraînement clairement militaire, se familiarisant de nouveau avec ses souvenirs musculaires et enchaînant rigoureusement les postures et les prises shinobi du Geijutsu no suzume, le style de Taijutsu offensif qu'il pratiquait depuis maintenant quatre ans. Sarutobi Hiruzen, de son vivant, avait toujours inculqué à ses contemporains la rigueur et la diligence shinobi. S'il n'avait pas beaucoup écouté le vieil Hokage sur le plan académique, au moins Naruto avait-il écouté et mis en application ses préceptes sur le plan pratique. La rigueur de l'entraînement était donc une routine qu'il exécutait aujourd'hui avec méthode, et retrouver ne serait-ce qu'un peu de ce quotidien allégeait au moins une partie du fardeau qu'il trainait derrière lui depuis la frontière.

A chaque mouvement, à chaque coup, son esprit devenait plus fluide. Le souffle du vent dans ses cheveux et sa tenue de patient apportait une fraicheur qui contrebalança avec le lourd tapement des rayons du soleil. Le sifflement de l'air dans ses oreilles, alors qu'il voltigeait presque par pirouette, lui donnait cette impression de légèreté agréable. L'herbe fraiche sous la plante de ses pieds nus vivifiait ses sens et lui donnait une sensation vivace d'appui. Même si la maladie lui pesait encore énormément, et il le sentait, au moins sentait-il aussi cet agréable sentiment d'être à nouveau en capacité de ses moyens. Car la maladie et le désarroi lui avaient pris son identité, et qu'il était en mal de la retrouver. Enfin se sentait-il de nouveau shinobi, enfin pouvait-il se sentir de nouveau se sentir lui-même : indépendant et fort.

Cela, jusqu'à ce qu'il perde sans mégarde l'équilibre et que la force de ses muscles ne se dissipe soudainement. Le sol se délita sous ses pieds et la pesanteur faisant son travail, il s'écroula lourdement face contre terre dans un grognement aussitôt effacé par la chute et le choc. Il fut alors victime d'un tournis vertigineux et la confusion lui rendit compliquée le fait même de se retourner sur le dos…

Et ce, jusqu'à ce que la nausée ne l'assaille violemment, qu'il finisse par rejeter sur la pelouse l'intégralité de ce qu'il avait mangé ce matin et qu'il se perde aux geignements d'un malade en souffrance.

- Mais qu'est-ce tu fais !?

Naruto n'eut même pas la volonté de répondre à l'injonction immédiate d'Amaru. Car c'était elle qui venait de surgir de l'intérieur de la clinique, sûrement alertée par le récent raffut. Les violents vertiges qui l'éprenaient lui avait fait perdre ses repères, il ne savait donc même pas d'où venait sa voix. Il ne perçut qu'à peine les bruits de ses pas sur le bois du ponton puis dans l'herbe alors qu'elle approchait.

Il fut en revanche assez facile de se rendre compte qu'elle l'aidait à se relever, cette dernière lui ayant pris son bras droit pour le placer sur ses petites épaules. Il en aurait presque ri.

- Shinnō-sensei t'avait pourtant dit de ne pas faire l'idiot ! s'exclama-t-elle agacée tout en l'amenant vers le bâtiment. « Tu n'écoutes jamais quand on te parle !? »

- C'est possible…

Sa réponse à moitié ironique ne fut certainement pas bien reçue par Amaru. Cette dernière resta tout de même maîtresse de son agacement et le fit s'asseoir sur le rebord du ponton de la maison.

- Maintenant tu restes là et tu ne bouges pas ! Je reviens dans une minute.

Elle ne le laissa même pas répondre et s'engouffra dans le bâtiment. Elle resta effectivement moins de cinq minutes hors de sa vue avant de revenir, cette fois équipée d'une bassine d'eau et d'autres ustensiles. Toujours aussi prestement, elle posa son matériel au sol et vint s'asseoir à côté de lui. Tout en bougonnant, elle s'occupa de faire de faire dieu seul savait quoi.

Jusqu'à ce qu'elle déroule, littéralement dans un jet, une couverture sur lui.

- Couvres toi avec ça ! lança-t-elle sans ménagement avant de lui tendre un chiffon imbibé d'eau qu'elle avait extirpé de sa bassine. « Et débarbouille-toi, aussi ! »

Naruto s'exécuta alors. Replaçant la couverture sur ses épaules presque au point de s'emmitoufler en son sein, il saisit le chiffon imbibé d'eau, dont il réalisa qu'elle était chaude, et se nettoya le visage. Il remarqua également à l'odeur que le tissu était imbibé d'une solution désinfectante, ce qui n'était pas très surprenant dans la mesure où même s'il avait déjà été lourdement traité, les risques de contagion restaient présents.

L'adrénaline de son entraînement retombant, il se rendit tout à coup compte à quel point il avait froid. Puis il remarqua la pâleur de ses mains. Et à en juger le froncement de ses épais sourcils roux, Amaru semblait également l'avoir remarqué.

- Est-ce que tu réalises que tu es atteint de la forme la plus virulente du paludisme que n'a jamais vu Shinnō-sensei ? Que cherchais-tu à t'exposer à l'air libre de cette manière ? Mourir d'hypothermie ? Faire une rechute et te remettre à saigner jusqu'à la mort ? Tu n'aurais déjà jamais dû sortir de ton lit ! reprit-elle soudainement.

Ce fut dès lors à Naruto de froncer les sourcils d'agacement. Se faire sermonner comme s'il était un enfant n'était pas très agréable.

- Je ne pouvais plus tenir en place… Il fallait que je fasse quelque chose, que je m'occupe. Passer ma journée à ne rien faire c'est insupportable.

- Baka ! Ce n'est pas croyable d'être aussi stupide ! Les garçons sont tous les mêmes !

« Les garçons sont… Quoi ? » La réaction immédiate d'Amaru le laissa sans voix. Cette dernière s'était retournée vers la trousse qu'elle avait apportée avec la bassine et bougonnait des phrases incompréhensibles, qu'elle devait sans doute lui adresser indirectement. « Un quart d'heure sans le surveiller et il se met déjà en danger… Ne peut pas tenir en place qu'il dit… Tu vas voir… ! »

Ses bougonnements étaient en fait assez amusant, s'il y pensait quelques secondes. Non pas qu'il le lui dirait. Elle était déjà suffisamment caractérielle et avait l'air trop excédée pour recevoir une plaisanterie.

La jeune fille se retourna alors vers lui en lui tendant la main. Elle tenait un gros comprimé blanc coupé en deux et le même type de gobelet que Shinnō avait dans sa trousse de soin. Le shinobi regarda la jeune infirmière d'un air sceptique à la vue du comprimé.

- Qu'est-ce que c'est que ça ?

- Ca ne se voit pas ? C'est de l'aspirine.

Si sa question fut posée sur un ton méfiant, la réponse d'Amaru fut tout aussi spontanée et acerbe. Elle ne calma certainement pas Naruto. La vue d'un énième produit médical commençait clairement à l'écœurer. Et son air de dégoût n'échappa aucunement à sa soignante.

- Je suis fatigué d'avaler tout et n'importe quoi, déclara-t-il sans hésiter. « J'ai pas besoin d'aspirine. »

Et Amaru de rougir d'énervement à sa déclaration. Peut-être pas au point de confondre sa peau avec ses cheveux, mais certainement au point de révéler son état toujours plus amplifié d'agacement.

- Ne discute pas, tu la prends ! Est-ce que tu es un idiot ? Bien sûr que tu en as besoin, espèce d'idiot ! A moins que tu veuilles continuer à souffrir comme un idiot des maux de tête et des chutes de température qui vont être les conséquences idiotes de ton comportement ! A part les abrutis, qui cherche à s'entraîner tout en étant en convalescence et au point de se vomir dessus !? C'est absolument stupide ! Stupide !

- Ça fait beaucoup de fois le mot idiot. Je ne suis pas un idiot, ou un abruti, ou quoi que ce soit…

- Bien sûr que tu l'es !

- Je ne le suis pas !

- Bien sûr que si !

- Bien sûr que non je ne le suis-… Ah, ça suffit, donnes moi ces foutus cachets.

Naruto était capable d'enchérir mais elle aussi, et il le savait ; il mit fin à l'enlisement avant même que ce dernier n'advienne, avant de pousser un soupir vaincu. Présentant sa paume, il laissa la jeune fille lui confier l'aspirine et le gobelet d'un air satisfait, pour ne pas dire vainqueur. Une expression qui lui fit se rendre compte qu'il n'était certainement pas le plus puéril des deux. Il s'occupa donc d'avaler la dose médicamenteuse en s'aidant du contenu du gobelet, qu'il redonna ensuite à la jeune fille.

- Bien, tu vois, ce n'était pas compliqué.

Il ne chercha cette fois pas à répondre, mais l'envie le démangea suffisamment pour qu'elle s'en rende compte et qu'elle lui adresse un sourire hautain et moqueur. « Bon sang cette fille. Elle m'ignore toute une semaine et maintenant ça… » Et le pire, c'était qu'au fond, ça lui plaisait clairement davantage que le silence de l'indifférence. Car il nota avec ironie que c'était son premier véritable échange avec l'étrange et distante Amaru. Quelque part, ce comportement inégal et spontané lui rappelait Sakura. Les coups de poings pour le corriger en moins, bien entendu. Car Une Haruno Sakura était déjà suffisante pour ce monde.

- Bon. Tu restes là et tu te reposes. Je vais t'apporter un thé bien chaud. Et je le redis, pas de bêtise, d'accord ? s'exclama-t-elle alors, prenant une intonation accusatrice sur la fin de sa réplique.

- Oui madame…

Sa réponse n'était clairement pas la plus motivée des réponses, mais au moins lui exprimait-il son accord. Satisfaite, elle hocha la tête et se leva de nouveau en prenant avec elle la bassine et le chiffon usagé. Elle poussa la chansonnette tout en se dirigeant vers la cuisine, le laissant de nouveau seul face au silence reposant de l'extérieur.


Trois heures plus tard.

- Raah bon sang ! C'est tellement compliqué !

La voix d'Amaru perça soudainement à travers le silence dans une plainte. S'il ne se sentait aussi raide et s'il n'avait pas aussi froid, Naruto aurait sans doute clairement ri du désarroi de la jeune femme. Il ne libéra qu'un petit souffle hilare et afficha un sourire narquois, laissant comprendre son amusement actuel.

- Bien sûr que ça l'est, prononça-t-il naturellement, comme s'il était question d'une évidence. « Et tu t'y prends mal. »

- Mais ça fait une heure que j'essaie !

La réponse vivace de la rouquine fit soupirer l'Uzumaki, qui dès lors secoua légèrement la tête dans le dédain.

- Et moi, je pratique tous les jours depuis que j'ai cinq ans. Tu ne t'attendais quand même pas à y arriver comme ça ?

Amaru le fixa dans une moue pas vraiment intimidante. Le fait de gonfler ses joues comme une enfant ajouté à ses deux gros sourcils roux froncés lui donnait cette bouille hilarante et mignonne au point qu'il était difficile de la prendre au sérieux. Mais une chose était certaine en observant l'apprentie Iryō-nin : malgré l'échec, elle était obstinée. Sans doute autant que lui.

Car depuis plus d'une heure, la jeune fille s'exerçait à malaxer et canaliser son chakra. Et depuis plus d'une heure, elle échouait.

Pour lui, la raison de cet échec était plutôt évidente. C'était en fait même visible à l'œil nu pour un shinobi vétéran comme lui. Mais la jeune femme ne semblait pas le remarquer.

- Pas comme ça Amaru, tu as oublié. Regarde, je te montre à nouveau.

En voyant qu'il avait l'attention de sa cadette manifeste, Naruto lâcha l'ourlet de la couverture dans laquelle il était emmitouflé depuis tout à l'heure et sortit ses mains pâles du tissu. Les mettant en évidence sans pour autant trop les exposer à l'air libre, il forma clairement le « Hitsuji », le mudra du Bélier. Méthodiquement et progressivement, Naruto sentit l'afflux du chakra circulant au travers de son corps, sa bobine sollicitée pompant un flux régulier et harmonieux de l'énergie si chère au shinobi au sein de son système circulatoire. Ses mains se nimbèrent rapidement d'un halo translucide et bleuté témoignant de la réussite de sa malaxation et de sa canalisation.

Il retira facilement un regard envieux et admiratif de la kunoichi aspirante.

- Tu m'as dit qu'il t'arrivait d'utiliser le chakra inconsciemment quand tu cours ou que tu nages. Quand tu fais ce mudra et que tu te concentres, tu arrives à sentir ta bobine, non ?

- Et bien, j'arrive à sentir quelque chose

Naruto acquiesça aussitôt.

- Et bien il faut que tu t'accroches à cette sensation. Et que tu essaies de… comment dire ? Produire et diriger le flux. Ou quelque chose comme ça.

- Mais c'est pas super clair quand tu le dis comme ça… maugréa la jeune fille, ses mains toujours fixées dans le même mudra. « J'ai beau essayer, j'y arrive pas. »

Naruto réfugia de nouveau ses mains sous la couverture avant de la resserrer autour de ses épaules pour ne pas perdre la sensation de chaleur qui régnait au sein du cocon improvisé de tissu. Puis il essaya de trouver une bonne manière de formuler sa réponse. Enseigner l'usage du chakra n'était pas sa spécialité. Il n'avait jamais été le plus doué en matière de contrôle et de malaxation – c'était même un euphémisme dans son propre genre. Sarutobi Konohamaru, pour ne citer que lui, était un membre d'un clan shinobi vénérable et avait toujours été exposé à l'utilisation du chakra, même s'il ne l'avait jamais vraiment utilisé lui-même. Il n'avait donc jamais eu vraiment besoin de plonger dans la théorie pour que le garnement ne l'imite dans ses méfaits.

La difficulté actuelle résidait essentiellement dans le fait qu'Amaru venait d'un milieu exclusivement civil et que sa première exposition à l'univers des ninjas et du chakra remontait à sa rencontre avec le vieux Shinnō. Ses parents aujourd'hui décédés de maladie, d'après ce qu'elle lui avait révélé d'elle, n'avaient jamais utilisé le chakra ou montré être doué de son utilisation. Elle n'avait donc aucune familiarité inconsciente avec le concept.

- Je ne sais pas… Tu dois le comprendre par toi-même, je pense. Je veux dire… C'est comme apprendre à marcher quand tu es petit. Ou alors imagine que des ailes te poussent dans le dos. Je ne pense pas que tu pourrais te mettre à voler du jour au lendemain comme si c'était naturel.

L'exemple eut le mérite de faire légèrement rire Amaru et de la rassurer.

- En tout cas, j'en peux plus, je suis épuisée ! J'abandonne pour l'instant ! souffla-t-elle alors avant de cesser ses tentatives.

Elle s'appuya lourdement sur ses deux mains pour éviter de s'affaler sur le ponton et fixa distraitement le ciel qui s'assombrissait avec la venue de la soirée. L'excitation de l'entraînement la quitta petit à petit, la fatigue se faisant lourdement sentir dès lors que l'adrénaline et l'engouement retombèrent. Sa grande surprise fut les semi-tremblements dans ses avant-bras qui accusaient étrangement mal le fait de supporter son poids. Mais après plus d'une heure à bouleverser sens dessus-dessous son équilibre énergétique, son étonnement était très relatif. Elle était quand même déçue de ne pas avoir réussi l'exercice lorsque le garçon sur sa droite le faisait paraître si simple.

- Je me demande si j'y arriverais, à canaliser le chakra… souffla-t-elle pensivement. « Ca semblait tellement facile mais ça l'est tellement pas, en vrai… »

- En ce qui me concerne, je baigne dans le chakra, c'est donc facile pour moi de saisir sa présence et de le manipuler. Et puis comme je te l'ai dit, je suis shinobi de profession. J'utilise le chakra depuis que je suis tout petit. Toi tu commences très tard et tu as très peu de chakra… Donc au début ça sera compliqué pour toi car l'utiliser va t'épuiser rapidement et trouver la manière de l'exploiter ça aussi ça va être long, lui expliqua-t-il sur un ton suffisamment neutre pour qu'elle comprenne qu'il ne se moquait aucunement d'elle. « Mais tu peux voir ça sous un bon angle. »

Amaru haussa les sourcils à l'ajout du garçon.

- Quel bon angle ?

- Et bien… Vu que tu as de très petites quantité de chakra, quand tu auras réussi à le canaliser, le manipuler sera aussi super facile. C'est ce que j'ai appris à l'académie de Konoha. Moi, j'ai tellement de chakra que je ne peux pas faire grand-chose avec. J'ai dû mettre quatre ans pour combler mes lacunes de contrôle, et même aujourd'hui je ne peux pas affirmer que je suis un maître en la matière.

Cette fois, Amaru lâcha prise et se laissa aller sous son poids. Elle s'allongea nonchalamment sur le ponton.

- Shinnō ne t'a jamais enseigné quoique ce soit sur le chakra ?

Sa question réveilla la jeune fille au quart de tour. Elle se redressa avec une mine tout à fait contrariée.

- Pense-tu que non ! Il élude la question à chaque fois que je lui en parle. « Amaru, nous en avons déjà parlé. Deviens d'abord un bon médecin avant de devenir un bon shinobi. Le monde de la vie prévaut sur le monde de la mort » qu'il dit à chaque fois ! C'est tellement frustrant !

- Je… Je peux pas dire qu'il a tort de dire ça…

Bien entendu, sa réponse ne plut pas beaucoup à sa voisine, qui darda sur lui le même regard frustré. Il la regarda quelques secondes, une lueur contemplative dans les yeux. Puis il détourna son regard l'air de rien, se perdant dans la vue des hautes-herbes du terrain vague. Que pensait-il, lui, à la même étape ? Avant que son équipe de Genins fraichement promue ne mette le pied au Pays des Vagues. Avant qu'il pose les siens sur les plages du Pays de l'Eau. C'est difficile de se souvenir.

- Tu ne vis pas du métier, tu sais… Alors je pense que tu as le temps pour apprendre.

- Mmm-…

Amaru fit la moue.

Mais maintenant qu'il connaissait un peu le personnage, ça ne l'étonnait pas vraiment.

- Tu dis ça, mais toi tu peux utiliser le chakra et faire des jutsu…

Le silence manifeste du garçon attira l'œil d'Amaru. Et elle n'aima pas ce qu'elle vit.

- Pourquoi tu souris comme ça ? Arrête de te moquer !

- Mais je ne me moque pas…

- Mais si tu te moque ! Ça se voit sur ton visage !

Pour une raison qui ne lui parut pas si étrange, la morosité qui l'avait animé ces derniers jours était maintenant dissipée. Et le temps s'écoula plus naturellement qu'il l'avait imaginé, en compagnie de cette fille étrange et délesté momentanément de son lourd fardeau.

Et il respira enfin.


Le lendemain.

« C'est parce que tu es le seul capable de te la poser qu'il faut que ce soit toi qui le fasse Naruto. »

« Alors il faut supporter la rage et la ravaler avec la vengeance. Il faut donner une chance au reste, c'est ça être Hokage. C'est avoir des tripes ! »

Les cliquetis de l'horloge attachée au mur s'enchaînaient les uns après les autres. Une brise fraiche qui venait du dehors parcourait la pièce, depuis la porte coulissante extérieure entrouverte jusqu'au couloir de la clinique. Les sons du matin s'entendaient au dehors, les piaulements des oiseaux, les crissements des cigales, les bruissements des verdures. Tout indiquait un matin serein, un matin paisible. Alors pourquoi se sentait-il tout sauf serein ? Pourquoi se sentait-il tout sauf paisible ? La couverture qui était censée le recouvrir d'une chaleur agréable l'étouffait. Son corps essentiellement guéri – car il le sentait – était quant à lui raide sous l'angoisse. Naruto se redressa en position assise sur son futon, poussé par cette sensation éminemment psychologique d'inconfort.

Les souvenirs du terrible affrontement contre le duo de la montagne lui revenaient. La discussion qu'il avait eue avec Bakuton no Gari. Sa tentative impitoyable d'élimination vengeresse de Kitsuchi. Sa discussion avec Jiraiya. « C'est parce que tu es le seul capable de te la poser qu'il faut que ce soit toi qui le fasse Naruto. » L'Uzumaki se tint la tête, puis se laissant aller sous son poids, laissa son torse s'écrouler contre le matelas, se pliant en deux. Il ferma un instant les yeux. La maladie avait participé à repousser le sujet, à repousser les questions ; mais maintenant qu'il se sentait mieux, reposé, délesté, l'ensemble des problèmes qui précédaient le paludisme avait resurgi.

Et il avait passé une nuit absolument horrible.

« Préserver l'équilibre, c'est pourquoi Konoha existe, c'est pourquoi on existera toujours. Sans ça, le monde part en couille. Alors il faut supporter la rage et la ravaler avec la vengeance. Il faut donner une chance au reste, c'est ça être Hokage. C'est avoir des tripes ! »

Ces phrases tournaient dans ses songes constamment depuis hier. Voir Amaru essayer tant bien que mal de canaliser son chakra lui avait rappelé les jours heureux de son enfance, lorsqu'il avait lui-même été à sa place, bercé d'insouciance. Amaru semblait tout aussi innocente. Elle lui avait évoqué la douceur de vivre de Konoha. En plus de lui évoquer le discours de Jiraiya, encore et toujours absent. S'il omettait les bribes d'échanges verbaux qui avaient eu lieu depuis leur fuite de Kasshoku-gō, il n'exagérait pas en avançant le fait qu'il n'avait pas parlé depuis bien deux semaines. L'enlisement semblait toujours plus inextricable au fil des jours qui passaient. Qu'allaient donc réserver les prochains ? Qu'allaient-ils faire ? Il ne restait au final qu'incertitude et rancœur.

Se sentant las de tourner sur lui-même dans ses pensées, l'Uzumaki finit par se redresser avant de sortir de la couverture. Il regarda en vain la disposition de la pièce pour essayer de deviner un passage récent de ses hôtes ou de Jiraiya. Tout était rangé de la même manière que la veille. Quant à l'horloge, elle indiquait désormais onze heures moins dix, mais comme il ne l'avait pas consulté au réveil, il ne savait donc pas combien de temps était passé entre son réveil et le moment actuel.

Il ne mit pas bien longtemps à se décider de se lever, ce qu'il fit précautionneusement. Ses hôtes avaient généreusement mis à leurs dispositions quelques kimonos, les invitant à se mettre à l'aise et à utiliser les lieux comme de vrais invités – cela en plus de leur offrir le gîte et le couvert. Plus que la grâce, il s'agissait presque d'abnégation. Shinnō n'avait voulu entendre aucun refus de leur part, aussi poli avait-il pu être, alors ils s'en étaient accommodé relativement sans mal. Les premiers jours de gêne avaient laissé place à une redevable habitude. Alors calmement, Naruto vint chercher l'un des amples kimonos pliés dans le coin de la pièce ; un ensemble épais bleu qui tenait chaud en plus d'être seyant. Il n'avait jamais été un grand porteur d'habit traditionnel, lui qui était plutôt habits modernes, urbains et militaire. Mais il n'allait certainement pas se plaindre. Enfilant distraitement une paire de sandale qui gisait là, il fit coulisser la porte en bois et en toile déjà entrouverte donnant sur l'extérieur.

Un instant ébloui par la lumière du soleil, il tomba alors nez à nez sur Jiraiya, qui était assis juste là, sur le bord du ponton, sur sa gauche. Vêtu lui-même d'un kimono gris foncé, il lisait une série de document agrafés. Quelques piles de documents étaient posées sur le bois plus ou moins dans le désordre, maintenues par des kunais ou des shurikens pour éviter qu'elles ne s'envolent au vent.

Voir Jiraiya après ces quelques jours d'absence et ses nombreuses réflexions le plongea dans un état tout à fait mitigé. La quiétude du moment était contradictoire avec la confusion leur situation.

- Sensei, prononça Naruto pour manifester sa présence.

Le Sannin leva la tête et se tourna dans sa direction en entendant sa voix. La lueur de reconnaissance qui brilla dans ses yeux en le voyant se changea aussitôt en soulagement.

- Naruto, tu es réveillé !

Naruto s'arrêta un instant sur les lunettes de vue qui siégeaient sur l'arête du nez du Sannin. Du fait de son âge, il savait Jiraiya touché plus ou moins fortement par le phénomène naturel de presbytie, mais il était tout de même assez rare de le voir équipé de sa paire de lunette. Ça lui donnait un air complètement différent. Les deux hommes se regardèrent alors quelques secondes avant que Naruto ne pousse un soupir de résignation. Jiraiya afficha un grand sourire en le voyant se résoudre à l'approcher. L'Uzumaki regarda autour de lui dans l'expectative, ayant réfugié ses bras dans le kimono au souffle de la brise et tenant l'ourlet depuis l'intérieur, puis vint d'un pas prudent s'asseoir à côté du Sannin.

Jiraiya savait son élève dérangé par son air satisfait, mais en voyant l'état évident de guérison du garçon, il était compliqué pour lui de contenir sa joie. Il revoyait encore l'image atroce de son élève couvert de sang et à l'agonie de la semaine dernière. Le voir si bien rétabli comblait son cœur et dissipait toutes ses inquiétudes du moment.

- Tu as l'air d'aller bien, comment te sens-tu ? demanda-t-il alors.

Naruto lui adressa un regard apaisé avant de fixer le sol.

- Bien… Bien mieux que la semaine dernière.

Si Jiraiya n'avait pas caché sa bonne humeur, il semblait maintenant littéralement se réjouir. C'était en fait assez étrange pour Naruto… Donc il opta pour ne faire aucune remarque. Et puis à dire vrai, malgré les questions et les incertitudes qui le tourmentaient, il était vrai que la légèreté de son corps était libératrice. Pour changer de ces jours interminables.

- Ça veut dire que le vaccin de Shinnō fait effet. Dieu merci ! Je suis rassuré…

L'Uzumaki voulait bien le croire. S'il était une chose dont il ne pouvait tout simplement pas douter, c'était de l'affection de Jiraiya et du souci qu'il se faisait à son égard. S'il s'était vu mourir, il ne voulait même pas savoir quel spectacle il avait rendu du point de vue du Sannin. Ce que lui avait dit Amaru hier soir de leur venue à Midorihara était déjà suffisant pour se faire une idée.

- Tu as encore mal quelque part ? Des lourdeurs ? demanda ensuite Jiraiya en se penchant légèrement.

- Non… Rien pour l'instant, en tout cas…

Sa réponse fut reçue dans un hochement de tête.

Il fixa de nouveau Jiraiya alors que celui-ci l'auscultait du regard, à en croire qu'il cherchait la présence de défauts physiques ou de signes de maladie. Puis il sembla se satisfaire de son enquête, puisqu'il acquiesça comme pour se répondre à lui-même. Avec l'apparence sage et érudite que lui donnait sa paire de lunette de vue plutôt épaisse, la situation était définitivement bizarre.

- Quand est-ce que tu es revenu ? Je ne t'ai pas entendu rentrer.

- C'est normal. Je suis revenu dans la nuit. Tu dormais déjà, répondit le Sannin, avant d'en revenir à ses dossiers. « Laisse-moi deux secondes, je range tout ça. »

Naruto s'intéressa donc auxdits dossiers que Jiraiya avait commencé à récupérer et empiler. « Rapport sur les activités séparatistes… zone industriel de Dōtani… » parvint-il à lire en tête du document, en préface de nombreux profils de personnes avec descriptions et activités référencés durant l'année. Bien d'autres informations figuraient, des coordonnées et des descriptions de lieux divers… Il ne fallut que quelques secondes pour l'Uzumaki avant de se rendre compte qu'il tenait là un dossier de renseignement, et le sceau tamponné en tête de dossier lui indiqua qu'il s'agissait d'un document appartenant au village de Konoha. « Etat-major Kokyō Rentai Nord. Donc il s'agit du Régiment de frontière… Mais pourquoi Jiraiya aurait un dossier de renseignement qui vient d'eux ? Et où se trouve Dōtani ? » Les questions qu'il formula dans sa tête lorsque Jiraiya lui soutira le dossier des mains. Son regard entendu lui fit comprendre que ce n'était pas le genre de papier à manipuler avec autant d'insouciance. Il le céda donc sans s'opposer.

- Donc… J'ai entendu de Shinnō et d'Amaru que tu t'es écroulé hier en essayant de t'entraîner ?

La tentative de Jiraiya de changer de sujet et de ne pas parler de ce que Naruto venait de voir ne passa certainement pas inaperçue. Pour autant, Naruto ne chercha pas à garder le sujet sur la table. Il leva les yeux vers la cime d'un des arbres du terrain de la clinique et laissa quelque secondes de silence passer au profit du bruissement des feuillages.

- Je pensais pouvoir m'entraîner un peu… Je me suis surestimé… Je suppose.

En vérité, il savait bien que Shinnō lui avait déconseillé de faire exactement ce genre de chose. Que s'il se surmenait, avec sa constitution encore fragile, il risquait d'aggraver son état. Il n'en avait pas tenu compte. Mais il n'allait pas faire l'erreur deux fois. S'il se sentait bien ce matin, il sentait encore la faiblesse pesante de la maladie, et qu'il ne faudrait que d'un rien pour qu'il s'écroule à nouveau et fasse une rechute. Et actuellement, c'était vraiment la dernière chose qu'il voulait.

- Donc, du coup, Amaru ?

- Quoi, Amaru ?

- Bah, j'ai aussi appris de Shinnō que tu avais initié son élève au chakra. Il ne semblait pas très content de ce fait. Apparemment il n'est pas d'accord pour faire d'elle une kunoichi maintenant. Il préfère l'initier à son rythme.

Naruto haussa des épaules à l'information de son maître.

- Je n'étais pas au courant de ça, au début. Elle ne me l'a dit qu'après. Je ne vais quand même pas commencer à m'excuser pour ça, quoi…

- J'ai rien dit à propos d'excuse… se dédouana aussitôt le Sannin en voyant le regard un peu contrarié de son élève.

Jiraiya ne poursuivit pas la discussion aussitôt. Dans un premier temps, ayant entretemps fini d'empiler les quelques dossiers en une haute pile compacte, il entreprit de retirer ses lunettes et d'en essuyer les verres avec précaution en s'aidant de leur mouchoir assorti. Un petit tissu blanc à l'effigie de son fabriquant – une insigne de feuille cerclée d'une loupe – indiquant l'évidence de ses origines. Concentré sur sa tâche quelques secondes, le Sannin s'occupa ensuite de ranger le tout dans un étui translucide qu'il posa, enfin, sur la pile de document. La seconde qui suivait, l'ensemble disparaissait dans un nuage de fumée, laissant alors apparaître le parchemin déroulé en-dessous, dont les sceaux gravés indiquaient leur état actuel de remplissage. Pour finir, Jiraiya enroula de nouveau le petit parchemin de stockage et le plaça dans une poche interne de son kimono.

- Amaru est une fille plutôt gentille. J'aime bien son énergie. Elle ferait une excellente kunoichi à Konoha, déclara-t-il alors dans un petit sourire.

- Ce serait possible, ça ? Qu'elle soit intégrée, je veux dire.

- C'est assez rare, mais oui. Elle serait en service de probation pendant deux à cinq ans. Je pencherais plus pour deux, étant donné qu'elle est déjà dans la sphère des réglementaires.

- Les réglementaires… souffla Naruto d'un air pensif.

L'organisation des services de Konoha était un sujet que Naruto maîtrisait assez mal. Ce qui n'était pas tellement surprenant étant donné son manque d'assiduité manifeste durant ses années d'apprentissage en tant qu'Aspirant à l'Académie des ninjas. Cela étant, de la même manière qu'il avait entendu parler du Kokyō Rentai – et sous lequel il avait mené quelques missions de patrouilles peu avant de son départ – il avait tout aussi bien entendu parler des groupes du « Kiyaku Fuso-Dan », l'Organisation des Règlementaires Auxiliaires. Bien qu'il ne fût pas considéré comme un service officiel des Forces Régulières de Konoha – le Seiki Butai –, il s'agissait accessoirement de la plus grande force en effectif du village de Konoha.

Recoupés en une multitude de hiérarchies et de listes de collaborateurs, les Réglementaires se comptaient par dizaines de milliers. Il s'agissait tout comme Shinnō de shinobi non originaires de Konoha, étrangers du pays du Feu ou non, qui étaient référencés par le village et reconnus comme alliés. Leurs origines étaient diverses, mais ils remplissaient au sein de l'organisation des tâches de soutien et de collaboration sous la supervision de Konoha. On les comptait à environ cinquante mille, allant d'indépendants itinérants tel que Shinnō à des membres de clans semi-indépendants ayant arrangé un statut de subordination avec le village. Dans tous les cas, chaque Réglementaire disposait de son identifiant et d'un passeport tamponné par Konoha.

Et dans la mesure où une intégration au Seiki Butai passait essentiellement pour un étranger par plusieurs années de probation, le statut de Réglementaire représentait non seulement une étape nécessaire mais aussi avantageuse. Ceux qui étaient reconnus jouissaient d'une image meilleure et d'avantages non-négligeables.

- Au fait, j'ai rencontré des gens qui te connaissaient, à la frontière, se rappela tout à coup Jiraiya en se tournant de nouveau vers son élève.

Naruto haussa les sourcils dans l'écoute.

- Hm… Kanden Tekuno et Shirakumo Hayama, ça te dit quelque chose ?

- Heu, oui. Bien sûr, répondit assez vite Naruto, l'image des deux hommes lui revenant assez facilement en tête. « Nous avons été en mission à la frontière avec Taki peu après l'attaque d'Orochimaru sur Konoha… On a eu beaucoup d'ennuis à cause d'une tentative d'incursion de la part de shinobi étranger. On n'a jamais su d'où ils provenaient. Tu les as vus ? Ils vont bien ?»

Jiraiya acquiesça en souriant.

- Ils vont très bien. Et ils voulaient que je te passe leur salut. Ils ont apparemment hâte de te revoir.

- Oh…

Il fut assez compliqué pour Naruto de réprimer un sourire. Cette mission n'était pas un très bon souvenir au regard du danger immense qu'ils avaient traversés, mais leur camaraderie était restée inoubliable. Hayama et Tekuno représentaient ce qu'il y avait de meilleur chez les ninjas de Konoha. Juste, humble, solidaire, dévoué et courageux. C'était ce genre d'homme qui le rendait fier de faire partie de Konoha et auquel il aspirait devenir.

Jiraiya observa les réactions de Naruto dans l'expectative. C'était littéralement leur première discussion construite depuis leur dernière confrontation à proximité du gouffre de Kasshoku-gō. Il avait senti l'hésitation de la part du garçon, mais jusque-là, l'hostilité latente de son cher filleul à son égard ne s'était pas manifestée. C'était donc plutôt bon signe pour les nœuds accumulés se délient et que les blessures se referment. Deux semaines à s'ignorer froidement était déjà bien trop pour lui. Il espérait juste un peu de répit et la réconciliation.

Et que la confiance revienne.

- En tout cas, c'est une bonne journée. Les gens ont la vie paisible ici…

- Je ne sais pas si je pourrais m'habituer durablement à ce calme… souffla Naruto tout en s'allongeant sur le dos, l'espace de quelques instant.

Le sommeil commençait en fait à revenir. Et la lumière du jour ne faisait rien pour l'en écarter. En ce sens, le Sannin avait raison. Cet endroit était paisible au point d'inviter à la paresse. Ou alors était-ce la fatigue dû à sa convalescence. Sûrement les deux.

- Je finirais par mourir d'ennui à rester tout le temps au même endroit. J'ai déjà du mal à rester en place plus d'une journée… Je ne sais pas comment font les gens d'ici.

- Aucune idée. Ils n'ont pas le même rythme de vie que nous. Ils seraient sûrement dépassés comme n'importe quel civil par la vie que nous menons… Ceci dit, je comprends quand même pourquoi la frontière nord tient y son quartier général. Mieux vaut ici qu'ailleurs. Et ça explique aussi pourquoi Shinnō et Amaru restent ici.

Naruto se releva à la mention de leurs hôtes et regarda autour d'eux.

- Où sont-ils, au fait ?

- Shinnō est dans son cabinet. Il reçoit des patients ce matin, répondit-il docilement. « Quant à Amaru elle est partie faire sa ronde il y a moment. A mon avis elle rentrera cet après-midi. »

Le Sannin eut pour seule réponse un hochement de tête pensif de l'Uzumaki. Ce dernier poussa un petit bâillement comme pour essayer de se réveiller, et l'imitant machinalement, Jiraiya se mit à s'étirer. Rester assis à se reposer commençait aussi à le rendre somnolent. Il se frotta ensuite les yeux, évacuant l'humidité qui s'y était logée et dissipant la démangeaison naissante.

Il se leva alors.

- Bon… A tout hasard, est-ce que tu as faim ? demanda-t-il avec un entrain renouvelé.

- Pas spécialement, là, maintenant…

Le Jōnin vétéran ne se laissa pas décourager par le manque d'enthousiasme de son cadet.

- Ok. Dans ce cas, je pense qu'une petite marche matinale nous fera le plus grand bien. Toi qui dit que c'est dur de rester en place, allons donc nous dégourdir les jambes.

Même adressée sur un ton amical et enthousiaste, l'Uzumaki comprit que ce n'était vraiment une proposition. Plutôt une invitation entreprenante le poussant à accepter… Ce fut d'autant plus explicite que Jiraiya le fixait d'un regard certes affectueux mais aussi fort insistant. Il soupira une nouvelle fois de résignation, ne cherchant même pas à savoir ce que voulait son maître. Il lui était avis qu'il le saurait bien assez tôt.

Se relevant à son tour, il entreprit donc de suivre son professeur qui commençait déjà à ouvrir la marche. En l'espace d'une minute, les deux ninjas de Konoha faisaient le tour de la clinique par la droite et rejoignaient discrètement la petite route qui passait devant. Ils l'empruntèrent alors d'un pas calme et s'éloignèrent avant même que l'horloge n'indique onze heures.


Les deux ninjas de Konoha s'étaient assez vite retrouvés à évoluer sur la route en terre qui surplombait le bourg et sa vallée, à distance des bâtisses et à proximité de la lisière de la forêt. De là où ils se trouvaient, il leur était encore possible d'apercevoir en contrebas la clinique de Midorihara. L'ensemble de l'agglomération formait un tout coloré étrangement créatif. C'était en fait comme si tout de cet environnement leur rappelait constamment à quel point il n'y avait aucune place pour les ninjas et leur monde par ici. La vallée était comme un havre de paix, isolée de cette péninsule hostile et instable.

Ils continuèrent leur chemin à marche réduite, sans véritablement calculer leur direction, mais dès lors qu'ils furent confrontés à un croisement, ils bifurquèrent et empruntèrent un petit chemin qui leur faisait prendre davantage de hauteur et qui les rapprochaient des flancs de montagnes. Le chemin les fit s'approcher des bois, tandis que de part et d'autre du chemin sortaient de terre d'imposant buissons. Au fur et à mesure de leur avancée, les arbres s'y substituèrent, tout comme la lumière décrut substantiellement et naturellement. Cette fois, il ne fallut pas bien longtemps pour qu'on ne puisse plus apercevoir Midorihara.

Ils étaient désormais clairement et indubitablement seuls.

- Tu te méfie de Shinnō ? C'est pour ça qu'on s'est autant éloigné ?

Avant même que Jiraiya ne rompe avec le silence – comme il s'était apprêté à le faire – Naruto lui avait coupé l'herbe sous le pied en posant sa question. Il referma la bouche, surpris, puis pensif.

- Maa, Naruto. Tu sais bien qu'il est difficile de ne pas se méfier des autres quand on est un shinobi… !

Sa réponse enjouée ne perturba aucunement l'expression sérieusement de son élève.

- Arrête ce cirque. Réponds à ma question.

La lueur sérieuse s'était transformée en lueur acerbe. Il poussa un léger soupir, forcé de reconnaître le non-dit.

- … Oui. Donc j'imagine que tu l'as senti aussi.

- Je ne suis pas stupide. Evidemment que je l'ai senti.

Jiraiya croisa les bras et fronça les sourcils en ayant de se visualiser le brave Iryō-nin sujet de leur discussion.

- Je n'arrive pas à mettre le mot dessus. Il fait partie des réglementaires mais je ne peux pas m'empêcher de me méfier. Il cache clairement quelque chose.

- Je le pensais aussi, révéla Naruto tout en acquiesçant. « Derrière ses apparences de vieux médecin consciencieux, il y a quelque chose d'autre. Je m'en suis rendu compte après lui avoir fait une mauvaise blague sur l'éventualité qu'il m'empoissonne avec ses piqures. Sa réaction… C'était comme s'il l'avait envisagé au moins un peu. Ce type a déjà tué des gens de cette manière. »

Le silence revint quelques secondes. Juste le temps qu'ils pèsent chacun à sa manière le poids de leurs observations et de leurs théories.

- Du coup tu comprends pourquoi je voulais qu'on s'éloigne. Je préfère éviter de parler de ce qui s'est passé à Ta ou ce que j'ai appris à la frontière en sa présence. Ou celle de quiconque n'étant pas un membre important de Konoha. C'est beaucoup trop risqué.

- Qu'est-ce qu'i la frontière ?

La réaction curieuse de Naruto avait été prévisible. Jiraiya intima d'un mouvement de l'index à son élève de le laisser parler.

- Je vais t'en parler. Mais avant ça, toi Naruto, tu m'as caché quelque chose et j'aimerais avoir une réponse. C'était quoi, ce jutsu ?

- Ce jutsu ?

Cette fois, ce fut à Jiraiya de mal prendre le mauvais jeu d'acteur de son voisin.

- Fais pas genre, Naruto ! Tu sais très bien de quoi je parle !

L'injonction soudaine de l'ancien envers le cadet laissa ce dernier dans un état de surprise manifeste. La bouche légèrement bée et les sourcils haussés, Naruto n'avait certainement pas prévu l'insistante fulgurante de son professeur titulaire. Titulaire qui reprit d'ailleurs bien vite sa précédente prise de parole, le ton toujours plus acerbe.

- On n'en serait pas là à tomber en miette ou à vomir nos tripes si tu n'avais pas utilisé ce jutsu ! Qu'est-ce que c'était, bon sang ? Tu te rends compte dans quel état on est ? Shinnō a même parlé d'élément radioactif ! Tu penses bien que je n'ai pas pu lui dire ! « Ah, excusez-nous, on a juste fait sauter dix hectares de terrain dans une explosion au cours d'une malheureuse escarmouche. Ah, et c'était visiblement une explosion radioactive. Veuillez nous soigner, s'il-vous-plait. » ! Naruto, je ne sais même pas ce qu'est la radioactivité ! Je viens d'apprendre que ça existait sur le vif. Mais bon sang, c'était quoi ce truc ?!

Le visage de Naruto s'assombrissait à chaque mot, mais il avait besoin de le lui dire. Il fallait qu'il sache.

- Tu as cherché à nous tuer ou quoi ?

- J'ai cherché à nous sauver ! Si je n'avais pas utilisé « ce jutsu » comme tu dis, on ne serait pas là à tomber en miette ou vomir nos tripes parce qu'on ne serait pas là du tout, merde !

L'Uzumaki avait fini sa réponse explosive dans un cri, appuyant sur l'injure comme pour essayer d'imprimer sa résolution dans l'esprit de Jiraiya. Ils se fixaient tous les deux vivement, l'irritation que leurs regards exprimaient manquant de peu de se changer en colère. Mais finalement, des deux, ce fut Jiraiya qui préféra arrêter de soutenir la confrontation. Détournant les yeux pour fixer le chemin, il secoua légèrement la tête.

- Alors, qu'est-ce que c'était ? Comment as-tu fait ça et depuis quand est-ce que tu savais faire ça ?

- Je ne sais pas vraiment, répondit Naruto.

Il haussa des épaules et se reprit, appréhendant une réponse accusatrice de Jiraiya.

- Honnêtement. Enfin, je savais que ça aurait mis fin à l'échange mais je ne savais pas que ça allait réagir comme ça. Et qu'il y aurait des conséquences radio-… Attends, tu veux dire que c'est pour ça que je suis malade et que je me sens si faible ?

S'étant interrompu en milieu de phrase, l'Uzumaki fixait le Sannin dans l'expectative et la stupéfaction.

- D'après ce que j'ai compris, oui. Ça nous a affaibli à tel point que tu en es tombé malade. Tu sais très bien qu'avec Kyuubi et tes origines claniques ça n'aurait jamais dû arriver.

- Je vois…

Le jeune homme devint un instant songeur. Tout s'expliquait maintenant. De la faiblesse de ses membres à celle de son souffle lorsqu'il respirait ; la sensation désagréable de flottement, celle de son esprit qui ne semblait pas tout à fait attaché à son corps. Tous ces symptômes hybrides n'étaient pas tant ceux du paludisme qu'ils étaient ceux de ce mal étrange et inédit. Le souvenir de l'implosion et du souffle auquel ils avaient été exposés avant de se téléporter lui revenait en tête. Ainsi que cet étrange sentiment que d'être exposé à un rayonnement solaire plus intense que de nature ; exposé à la chaleur insupportable d'un four.

Mais comment aurait-il pu savoir qu'ils auraient à subir le contrecoup d'un mélange aussi explosif ? Il n'avait fait que fusionner deux de ses trois natures de chakra pour produire une cassure. C'était la première fois qu'il le faisait à cette échelle.

- Je ne sais pas quoi dire…

- Commence par le début ?

« Le début. » pensa-t-il. Mais à quand cela remontait-il ? Le Pays du Printemps ? Celui de la Foudre ? Ou des Vagues ? Ah, il se souvenait. C'était encore avant. Juste après leur départ du Pays de l'Eau, mais avant leur arrivée au Pays des Vagues. Lorsqu'ils étaient passés à travers Anko no Kuni, Pays des Haricots Rouges.

- Il n'y a pas grand-chose à dire. Je suppose que j'ai voulu mettre à l'épreuve mes natures élémentaires… Ça fait suite à nos discussions sur mon éventuel Kekkei Genkei à Anko no Kuni.

- Ca… remonte à loin, ça… J'avais presque oublié…

- Oui. Ben… Je me suis entraîné. Plutôt en secret. Enfin, j'ai testé des trucs.

- Et c'est ça que tu as trouvé… ? Ce serait un Kekkei Genkei élémentaire ?

L'Uzumaki eut la décence de paraître embarrassé à la question de son mentor.

- Je vais pas avancer ce que je ne peux pas prouver. J'en sais rien, vraiment. J'ai juste testé l'utilisation simultanée et fusionnelle du Raiton et du Fūton. A Haru no Kuni, sans faire attention, j'ai manqué de me couper en deux en testant la fusion de manière grandeur nature, révéla-t-il ensuite en ignorant la réaction de Jiraiya, dont les yeux exorbités dans l'incrédulité montraient l'extrême confusion de son état d'esprit à l'instant même. « Je connaissais donc l'effet d'implosion que ça provoquait. En l'utilisant contre les deux types d'Iwa, j'ai juste misé sur le même effet. »

- Mais pourquoi tu ne m'en as jamais parlé ? Anko no Kuni… Mais ça fait presque plus d'un an, au moins, ça !

- Je voulais juste te faire la surprise une fois que j'avais quelque chose de concret, c'est tout…

-Que-Pardon quoi ? Ah… Naruto, mais t'es pas possible comme garçon…

Jiraiya poussa littéralement un geignement tout en portant une main à son front pour marquer son expression désappointée. L'Uzumaki ne trouva rien à dire devant cette réaction. Ce n'était comme s'il avait menti. Il avait effectivement dissimulé ses progrès relatifs dans ce but. Même si l'objectif d'impressionner le Sannin n'était aujourd'hui plus à l'ordre du jour. La vérité était que l'enquête sur ses éléments naturels et le fait qu'il en ait trois distincts avait toujours été au second plan ; car comme Jiraiya l'avait noté par le passé, le seul moyen sûr de savoir s'il était doué d'un Kekkei Genkei était encore de faire des tests sous la supervision de médecins spécialisés et équipés de ce qu'il fallait pour un dépistage génétique.

- J'espère juste que Shinnō a raison en disant que les effets sont temporaires et bénins. Rappelle-moi d'en parler à Tsunade quand nous serons de retour à Konoha.

« De retour à Konoha. » Naruto retint une sueur froide, comme si la réalité à ce sujet le piquait à vif. Il était vrai qu'ils étaient sur le retour au moment où le duo de la montagne les avait surpris à la frontière de Ta. Si ces deux dernières semaines et l'intensité de ce qu'ils avaient vécu le lui avait fait oublier, la vérité était que cette quatrième année arrivait à son terme, et avec elle cet épique – et à bien des moments périlleux – voyage touchait lui aussi à son terme.

Quatre longues années. C'était à croire qu'elles étaient passées en coup de vent, car il se souvenait encore de la morosité de ce fameux mois de janvier, de la douceur d'une saison pourtant sans beaucoup de neige, de la lumière vivace du soleil hivernal qui reflétait sur les murs clair de leur cité fortifiée d'origine. Il s'était passé tant de chose depuis. Les aventures épiques au cours desquelles le sang avait malencontreusement coulé bien trop souvent. Mais aussi les rencontres heureuses, les amours et les amitiés naissant au milieu des rires et des larmes. Oui, il était difficile de croire qu'autant de temps était passé mais c'était pourtant le cas.

Cette transition estivale du mois d'Août vers Septembre de la quatrième année renvoyait comme une impression étrange de nostalgie et d'appréhension. Presque comme pour l'acclimater psychologiquement au retour certain qui s'opérerait à la venue de l'hiver. Jiraiya avait en fait prévu pour eux qu'ils reviennent entre la dernière semaine du mois d'Octobre et le courant du mois de Novembre. C'était presque trop soudain.

Et maintenant, plus que jamais, pour des raisons qui lui apparurent évidentes.

- J'ai répondu à ta question, maintenant c'est à toi de répondre aux miennes. Pourtant es-tu allé à la frontière ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

- C'est compliqué. Pour faire simple, disons que la situation se gâte à Yu. Et que ça ne sent pas bon pour nous. Vraiment pas bon du tout.

- Yu ? Pourquoi Yu ? Il se passe quoi à Yu ?

Jiraiya se fit pensif, et Naruto se fit en proportion tout aussi patient. Il était assez clair pour quiconque que le Sannin réfléchissait à une manière de lui formuler des explications sans se perdre en détails superflus. Puis il prit sa respiration, et commença à lui expliquer.

- Beaucoup de choses. La situation a empiré ces derniers mois au point que le pays traverse une situation de crise. Je n'en sais pas encore beaucoup. Je sais surtout que le sud traverse une crise humanitaire sans précédent depuis un an, et que ça a déconnecté le nord du pays. Le daimyo a perdu le contrôle des trois quart du pays. Le sud est sous la sédition de fanatiques religieux et la noblesse du nord a pactisé avec des factions séparatistes qui revendiquent la création d'un nouvel état indépendant. Tu as pu jeter un coup d'œil à l'un des documents que j'étudiais, juste avant qu'on parte de la clinique. Il s'agit d'une liste de séparatistes nordistes avérés.

Au fur et à mesure qu'il lui faisait un véritable topo de ce qu'il en était de la situation, le regard de Naruto se fit de plus en plus confus.

- La division de frontière de la préfecture de Kitamori tient son QG au nord d'ici. Donc je m'y suis rendu et j'ai appris tout ça. Ils voulaient carrément envoyer une force expéditionnaire de deux-cent ninjas de Konoha pour traquer et neutraliser les cibles et les sites qu'ils avaient identifiés sans s'en référer au Corps des Jōnins ou à Tsunade. Je crois que je suis intervenu à temps pour les empêcher de faire la pire connerie de l'histoire.

- Attends, attends ! Arrête deux minutes ! C'est quoi ce délire ? Nous avons traversé Yu l'hiver dernier ! On a rien vu du tout ! Comment c'est possible ? Enfin, Yu, quoi !

Jiraiya avait déjà prévu cette réaction de l'Uzumaki. C'était assez prévisible, dans la mesure où il était effectivement absurde qu'il se passe quoique ce soit dans un pays aussi paisible que Yu no Kuni, Pays de l'Eau Chaude. Et pourtant, la réalité divergeait souvent bien trop de ce que l'on désirait qu'elle fût. Mais était-ce si surprenant pour un pays shinobi majeur dont le démantèlement du village caché n'était plus qu'affaire de quelques années ?

Un pays dont une part majeure de la population suivait les préceptes d'une divinité locale aussi controversée que ne l'était Jashin ?

- Je te l'ai dit. Ça a dégénéré en l'espace de quelques mois, déclara de nouveau Jiraiya. « Au début du mois de mars, en fait. On venait de quitter le Pays de la Foudre. »

- Donc… Yu no Kuni devient instable… Et ça empire de jour en jour, répéta alors Naruto, plus pour lui-même que pour Jiraiya. « Et pour Konoha ? Ça a dégénéré à ce point-là ? »

Jiraiya acquiesça lentement. Il semblait comme fixer quelque chose malgré son regard perdu dans le vague : sans doute un objet ou un concept qu'il se visualisait intérieurement.

- Apparemment, les divisions des frontières, les garnisons et les services de renseignements de Konoha ne sont plus coordonnés. La confusion a rompu la ligne de commandement. Et d'après ce que m'a dit le commandant Shirakumo, une opération de maintien de l'ordre était en cours dans le sud du pays. Mais ils n'ont plus d'info depuis un moment et ils soupçonnent une querelle de service ou une tentative de la part d'autres garnisons d'étouffer quelque chose.

Jiraiya constata aussitôt le mutisme de son élève. Là encore, sa réaction fut loin de le surprendre. Il avait eu la même en l'apprenant de la bouche de Shirakumo Hayama. Si l'ensemble des théories et des faits étaient au moins partiellement avérés, alors cette situation était sans précédent pour Konoha et pour la région. C'était en fait une graine de catastrophe en croissance dans une région qui était paradoxalement, du fait de son importance stratégique primordiale, l'une des plus historiquement instables de la péninsule. La plupart des affrontements des grandes guerres shinobi s'étaient concentrés sur le territoire de ce pays.

- Dans tous les cas, j'ai pris le commandement temporaire de la région et j'ai stoppé toute initiative au nord de la part du Kokyō Rentai. Il faut que j'en sache plus sur la situation à Yu et que je rétablisse les lignes de communication rompues.

- Ce qui veut dire… ?

- Ce qui veut dire qu'on part dès demain. On va se rendre à Shōkō-machi, où se trouve l'Etat-major unifié de l'Est, et je vais exiger des réponses de la part des officiers stratégiques responsables présents.

La décision de Jiraiya avait été sans appel.

Sans hésitation.

Le souffle du vent se fit plus fort… Le bruissement des feuilles plus intense. Le rayonnement du soleil ricochant sur la pointe de la montagne imposa un contraste incohérent sur le sol, le long du chemin. Pendant quelques secondes, et alors que le Sannin parlait, quelque chose masqua tout ce qui n'importait plus à ses sens. Il oublia l'immensité de la vallée et du ciel. Il oublia la faiblesse de son corps. Il oublia les mots de Jiraiya. Et il se rappela du regard insondable des yeux d'Hiruzen. Avant que ceux de Kagerō, bleus comme ses cheveux, ne surgissent dans son esprit.

- Sensei.

Jiraiya s'arrêta de marcher et se retourna quand il remarqua que Naruto avait arrêté de le suivre et qu'il entendit sa voix. Ce dernier semblait particulièrement pensif, son apparent mutisme contrastant avec son regard en ébullition. Uzumaki Naruto était un jeune homme qui s'exprimait avec les yeux. Ses émotions y transparaissent comme la foudre qui striait le ciel lors des orages. Et cette lueur déterminée qu'il vit dans les yeux bleus de son filleul ne lui inspira rien de bon.

- Naruto-

- Sensei, écoute, le coupa aussitôt Naruto d'un ton respectueux mais ferme. « J'ai réfléchi. A tout ça. »

Désormais statiques le long du chemin, ayant arrêté leur marche, ils se faisaient face. Silencieusement.

Mais le silence était aussi épais et lourd de sens que l'intensité du regard de Naruto. Un silence que Jiraiya ne chercha pas à rompre. Il resta toute ouïe, laissant le nouvel espace à investir en appréhendant, du fait de l'ambiance, ce qu'il redoutait.

- Quand tu as dit qu'on devait ravaler notre rage et notre désir de vengeance… Tu avais raison. Si personne ne fait preuve de bienveillance et d'initiative, alors rien n'avancera. J'en ai conscience, je le savais. Je ne veux pas la guerre. Alors voilà… Désolé… pour t'avoir frappé. J'ai été con de faire ça. J'aurais jamais dû.

L'Uzumaki avait tourné la tête sur le côté pour éviter son regard. Il ne remarqua donc pas l'expression de surprise évidente littéralement peinte sur le visage de Jiraiya.

Une surprise qui laissa place à un grand sourire. Alors le Sannin s'empressa de lui répondre.

- Je ne t'en tenais pas rigueur, tu sais… Je veux dire, ce serait plutôt à moi de te demander pardon. Je sais que je t'ai dit était blessant.

En entendant l'aveu du Sannin, l'Uzumaki se remit à dévisager Jiraiya. L'homme lui envoyait un regard sincère et empathique. Il était assez clair qu'il souhaitait recoller les morceaux et en finir avec cette ambiance morbide qui régnait depuis leur fuite. Il envoyait un signe, un signal positif. Et pendant quelques secondes, Naruto fut tenté d'y répondre.

Jusqu'à ce que lui revienne le souvenir des cendres de la bataille.

- De nous tous je ne suis pas le plus à plaindre, déclara-t-il sur un ton qui se voulut cassant. « Je suis vivant, moi. »

Jiraiya fronça les sourcils à cette déclaration, ne voyant pas bien où le garçon voulait en venir. L'émotion de l'entendre présenter ses excuses se dissipa aussi vite qu'elle avait surgie. Par prudence, il préféra le laisser continuer.

- Ecoute. Comme je te l'ai dit, j'y ai réfléchi longuement. Je pense qu'il faut faire demi-tour, prononça l'Uzumaki en le regardant dans les yeux. « J'ai compris ce que tu as voulu me dire et je suis d'accord, mais je ne peux pas fermer les yeux et faire comme si de rien était. »

- Quoi ?

La réponse du Sannin avait été aussi courte qu'elle n'était brusque. Les deux hommes se jaugèrent du regard, le plus âgé des deux affiché un air tout à coup particulièrement contrarié.

- Je vais retourner à Ta, lui résuma Naruto.

L'humilité présente dans l'intonation de la voix de l'Uzumaki souleva une émotion contradictoire chez Jiraiya. Alors il ne se contenta que de lui poser une question. Une question simple.

- Naruto, tu es sérieux ?

- Bien sûr que je le suis ! C'est quoi cette question ? s'exclama l'Uzumaki, froissé par la suffisance de son interlocuteur.

- Bien sûr que non que tu n'es pas sérieux ! Tu te moques de moi, ma parole ! Tu retournes à Ta ? Mais tu délires mon garçon ! Bordel, mais je rêve ! Non, je cauchemarde, décidément !

Il avait répondu d'une voix forte mais désormais Jiraiya hurlait littéralement.

- Oh, c'est bon là, arrête ton cinéma ! le coupa prestement Naruto, mais Jiraiya ne l'entendit certainement de cette oreille.

- Pardon ? Cirque, cinéma… Ma patience à ses limites, tes effronteries commencent à sacrément m'énerver Naruto ! J'en ai par-dessus le marché de ton insolence à mon égard ! s'écria-t-il alors qu'il commençait à devenir complètement rouge de rage. « Et ma parole, si tu veux retourner à Ta c'est que tu n'as strictement rien compris à ce que je t'ai dit ! Strictement rien ! Tu dis que tu ne veux pas la guerre, mais pourtant tu veux retourner à Ta, bon sang mais tu es malade ! Tu es malade, tu comprends ça !? »

Ce que trouva alors Jiraiya dans les yeux de son élève n'était certainement pas ce qu'il s'était attendu à trouver alors. C'était dans ce genre de moment que le Sannin se rendait compte que de l'ensemble de ses apprentis, Uzumaki Naruto était décidément le plus opiniâtre. Car il aurait voulu y percevoir la surprise, l'humilité, ou la honte mais il y trouva la défiance et une résolution aussi solide que l'acier.

- Mais tu t'obstines en plus ! T'as vu ton état ? Tu étais presque mort Naruto ! MORT ! Tu pissais le sang, t'étais en train de crever dans mes bras ! Bon sang, je me suis mis à prier les dieux! Je ne crois pas en Dieu ! Je priais pour que tu passes la nuit, je priais pour qu'on trouve un médecin, je priais pour que tu te rétablisses ! Putain j'ai prié, prié, prié ! Qu'est-ce qui te serait arrivé si tu avais été seul ? T'as une petite idée !? Tu serais en train de crever comme une petite merde, tu nourrirais les poissons, ou les murènes, ou je ne sais pas quoi ! Et toi… Tu me dis que tu veux y retourner ? Tu veux retourner te battre ?

Jiraiya ne pouvait pas s'en empêcher. Les mots coulèrent les uns après les autres dans un flot ininterrompu. La fatigue de ces derniers jours lui pesa sur les épaules, telle une pierre d'Atlas, faisant vaciller sa volonté jusque-là était restée stable. Et la tension qu'il avait accumulée à attendre le pire se libéra à l'en rendre haletant d'émotion. Il tremblait, essoufflé, à la fois pétrifié par l'idée d'avoir perdu le contrôle et léger, presque comme l'air.

Face à lui, Naruto n'avait pas bougé. Il avait tout pris sans ne serait-ce que ciller. Le regard en biais incliné vers le sol, il semblait comme absorbé par le reflet du soleil sur l'herbe et la terre. Toutefois, il ne put cacher le fait d'avoir été touché par les propos de son maître, puisqu'il inspira pour essayer de relativiser et évacuer la tension qui s'accumulait en lui.

Ce fut son regard soucieux qui intima à Jiraiya de ne pas reprendre.

- Je ne veux pas y retourner pour me battre, dit-il dans un souffle qui trahissait l'incertitude dans sa voix. « Je veux retrouver Kagerō… Et Sasame. Et les autres. »

« Evidemment. »

Jiraiya expira longuement. Il essaya de se calmer tout en fixant les expressions pensives et instables sur le visage de l'Uzumaki. Le jeune homme semblait déchiré entre angoisse et remord. Il semblait comme plongé constamment dans des souvenirs désagréables. Il semblait ailleurs. Le Sannin savait qu'il était loin d'être le seul à être épuisé. Ils l'étaient tous les deux. Physiquement, mais aussi mentalement. La sensation d'impuissance était le plus terrible des générateurs d'envie de revanche.

- S'ils sont morts… S'ils sont morts, ils ont le droit à une sépulture décente, continua-t-il en empoignant le tissu du kimono à l'emplacement de son cœur. « Et je ne peux pas croire qu'ils sont tous morts. Ils doivent être en vie. Et s'il y a une seule chance qu'ils le soient, il faut qu'on retourne les aider ! Les sauver ! Alors je ne veux pas faire demi-tour pour qu'on se venge. Je ne peux simplement pas leur tourner le dos. »

Jiraiya resta silencieux mais ne détourna pas les yeux.

- Je n'arriverais plus à me regarder dans une glace si je me défile ! Tu comprends ça ? On ne peut pas abandonner nos amis ! Qu'en est-il de notre nindō ? C'est juste ça ? Ca ne compte que quand ça nous arrange ? Les nôtres sont en difficulté et on les abandonne comme ça ? Mais qu'est-ce que ça fait de nous, sensei ? Des traîtres. Des traîtres ! Si on abandonne les nôtres aussi facilement, alors c'est ce que nous sommes ! Rien que des traîtres ! »

Le Sannin le savait depuis longtemps. Il l'avait remarqué déjà quand Naruto était plus jeune. Hiruzen le lui avait dit à plusieurs reprise lors de ses rares retours à Konoha, puis il avait eu l'occasion de le remarquer bien plus souvent. Au cours des examens des Chūnins à Konoha d'il y a cinq ans, au cours de l'attaque d'Orochimaru sur Konoha et les combats qui s'en étaient suivis, puis encore à l'issue des affrontements qui avaient vu la désertion d'Uchiha Sasuke. Puis durant leur long voyage, à tellement d'occasion que cela s'imposait comme une évidence, un fait prévisible et inévitable : les convictions empathiques de Naruto étaient inextinguibles. Il ne faisait aucune différence ou n'établissait aucune hiérarchie entre ceux qu'il appréciait.

Il vivait sans filtre.

- Naruto… soupira Jiraiya, le ton laconique de sa voix contrastant en vérité avec la compassion qu'il ressentait profondément. « Visiblement c'est ça que tu n'as pas compris. Ce ne sont pas les nôtres. »

Bien évidemment, l'expression choquée et abasourdie de l'Uzumaki démontra sa prévisible incrédulité. Il le fixa bouche-bée, muet, figé comme la pierre. Ce fut à croire que le temps s'arrêta pour lui. Alors le plus âgé des deux continua.

- Je voulais te le dire depuis longtemps, je vais te le dire maintenant. Tu es beaucoup trop émotif. Tu t'attaches trop aux gens, et bien trop vite. Le monde ne va pas changer parce que tu le veux, Naruto, déclama-t-il avec sang-froid. « Ils ne sont pas les nôtres, et ils ne l'ont jamais été. Sors-toi ça de la tête maintenant. »

Il avait souvent eu tendance à l'oublier, mais Naruto était loin d'être Minato. Malgré sa tignasse blonde épineuse, ses grands yeux bleus émotifs, sa peau qui tendait à varier sur le doré et ses nombreuses autres particularités physiques en tout et pour tout similaires à son père, le fils était loin d'avoir le même profil psychologique. C'était pourtant si troublant. A bien des égards, Uzumaki Naruto marchait dans les pas de son père. Il était devenu un combattant spécialiste nin-tai aussi impitoyable et expert que son paternel, il accomplissait exploit sur exploit, il émanait de lui le même genre d'aura qui mêlait cette touche exotique de virilité à une touche de sensibilité qui écartait tout cliché trop masculin. C'était un juste milieu subtil qui le rendait raisonnablement attirant auprès de tout un chacun, en amour comme en amitié. Ce garçon était brillant à tout point de vue comme Minato, et pourtant ce n'était pas Minato.

Il était impulsif et obstiné. Loin d'être dans la tempérance, il fait parfois preuve d'un jusqu'au-boutisme acharné même sur des choses qui pouvait être désuètes. Il était en remise en question morale constante sur un nombre incalculables de concepts et de sujets, du fait de son éducation inégale voire inexistante sur bien des plans – en comparaison, là où il était un ouragan, un tourbillon, son père avait été une brise équilibrée et continue, un modèle exemplaire et sans équivoque de stabilité. Ce trait qui lui évoquait une tempête allant tout azimut pouvait faire son charme, mais c'était aussi l'un de ses défauts les plus visibles.

Car quelqu'un qui vivait sans filtre et sans limite ne s'adaptait jamais vraiment au monde qui l'entourait.

Surtout leur monde.

Et comme pour lui donner raison, les tremblements de frustration qui synthétisait la manifestation de son outrage envers ses propos se changèrent en tremblements de rage.

- JIRAIYA !

Avant que l'ancien ne puisse réagir, Naruto se jeta sur lui et empoigna le col de son kimono.

- Comment peux-tu dire ça !? Merde, je rêve, pas toi ! Comme oses-tu !? Comment peux-tu !? Ils ne sont pas de notre village, c'est ça ? Alors ils ne sont pas des nôtres !?

Le Sannin se laissa faire et resta de marbre. Son manque de réaction participa à provoquer et énerver son filleul d'autant bien. Ce dernier commença à le secouer, comme pour essayer de l'atteindre.

- Où sont passés tes idéaux d'entraide entre les peuples si tu abandonnes tes camarades parce qu'ils manquent d'importance stratégique ? Où est passé ton nindō ?! S'il a toujours été aussi variable, c'est pas étonnant qu'Orochimaru se soit foutu de ta gueule toute ta vie ! C'est pathétique !

Les images de trois jeunes adolescents sur fond de monde dévasté et pluvieux apparurent à l'esprit du vétéran de Konoha. Celles de deux garçons en kimono bras-dessus bras-dessous, tout sourire malgré la dévastation environnante. Celles d'une jeune fille vêtue de la même manière qui surveillait ses amis avec bienveillance.

- Et qu'est-ce que ça fait de Mei et les autres ? De Koyuki ? De Yugito ? Elles sont pas de Konoha, ce sont des étrangères, alors elles ne sont pas des nôtres, c'est ça ? Putain de merde, elles sont ma famille !

Les visages éteints et froids de Minato et de Kushina lui apparurent. Leurs cadavres presque sereins étendus l'un à côté de l'autre sur leur lit de morgue. Même dans la mort, ils étaient ensemble, en famille. Un sursaut d'émotion le poussa à saisir les poignets de Naruto et de forcer sur eux une étreinte écrasante.

- Justement. Et tu vas tout foutre en l'air avec ton obstination, rétorqua-t-il fermement.

- Q-Quoi… ?

Interloqué par la réponse soudaine de son maître, sa colère perdit aussitôt en intensité, remplacée par un soupçon de peur à la simple idée qui venait d'être évoquée.

En constatant le regard de son cher et pauvre garçon, Jiraiya secoua la tête dans le dédain. Ce tumulte émotionnel était décidément le plus instable et inconditionnel qui soit. Fermement, le Sannin repoussa l'emprise de son cadet, forçant les mains de ce dernier à lâcher son col. Ledit cadet ayant arrêté d'insister, la tâche s'avéra très facile.

Alors Jiraiya le lâcha à son tour et s'écarta d'un pas, faisant attention à tenir la distance.

- Tu viens toi-même de le dire. Elles sont étrangères. Et tu vas tout foutre en l'air comme le pauvre abruti sans nom que tu es. Tu as réfléchis, tu dis ? Et tu as pensé à elles ? Naruto ! s'exclama Jiraiya, provoquant un sursaut chez son filleul à l'entente de son prénom. « Mei Terumī est la Mizukage de Kiri. C'est le mariage diplomatique le plus important de Konoha depuis celui de Hashirama Senju avec Mito Uzumaki, il y a soixante-ans. Que penses-tu qu'il va se passer si tu retournes à Ta ? Quelles sont tes chances de ne pas retomber sur Gari ou Kitsuchi ? Que penses-tu qu'il arrivera à tes fiancées ? A ta « famille » ! Allez, je t'écoute, dis-moi ! »

Naruto ne répondit pas.

- Tu es un irresponsable ! Que crois-tu qu'il pourrait arriver à Koyuki si jamais tu faisais tout foirer ? Tu veux vraiment y ajouter une guerre totale avec Iwa ? Le Pays du Printemps est déjà aux premières loges d'une guerre ! Et ils sont au large du Pays de la Terre ! Si le sort de millions de personnes ne te suffit pas, alors pense à tes fiancées les plus exposées ! Koyuki aurait déjà pu mourir ! Tu veux multiplier les risques !?

La lueur de réflexion intense qui émergea dans les yeux de l'Uzumaki montra à Jiraiya que ses propos l'avaient atteint.

- Justement, ta famille, continua-t-il, clairement décidé de poursuivre sur sa lancée. « C'est avec ces filles que tu vas la fonder. Dans notre village. Dans la paix. Et tu vas tout risquer pour alléger ton cœur. Ce n'est pas de l'altruisme à ce niveau. C'est de l'égoïsme. Grandis un peu, Naruto. Tu vas avoir dix-huit ans dans deux mois. Tu as des responsabilités envers les tiens, envers ton pays et ses alliés. Tu es un soldat. Tu es fiancé. Tu seras sans doute bientôt un père. Tu es un homme maintenant… »

« Alors conduis-toi comme tel ! »

Les mains de l'Uzumaki se serrèrent de nouveau. L'expression de son visage se contorsionna dans une expression obstinée qui rappela aussitôt à Jiraiya la mère du garçon. Il avait tellement pris d'elle que c'en était presque effrayant. Mais il était d'en finir avec ce « cinéma », comme l'avait dit le blond. Tout ceci ne menait plus à rien.

Alors Jiraiya s'exprima.

- Ce n'est même pas la peine de répondre. Tu ne retourneras pas à Ta. Et ce n'est pas une requête. C'est un ordre. Je te l'interdis formellement et je te jure que si tu oses contester je vais te le faire regretter.

Naruto releva les yeux dans une surprise muette. Il vit le dédain et la sévérité d'un supérieur Jōnin.

- Je viens de te donner un ordre ! J'ai été clair ?

Le Sannin ne reçut que le silence. En réaction, il fit machinalement un pas en avant et imposa de sa présence à celui qui incarna à l'instant ni plus ni moins que son subordonné.

- J'ai rien entendu ! Est-ce que j'ai été clair !?

- H-Hai. Très clair…

La voix comme l'expression de Naruto étaient éteintes.


Le jour suivant.

Le soleil avait atteint son zénith au moment où le temps était venu de partir. L'ambiance de la veille avait été particulière, ponctuée par l'incompréhension de leurs hôtes et par leur souci apparent. Shinnō et Amaru n'avaient en effet pas bien compris pourquoi l'expression des deux ninjas était si lourde, et encore moins pourquoi ils s++emblaient encore plus distant qu'auparavant.

- Est-ce vraiment prudent de partir si tôt ? Vous devriez vous reposer davantage.

La question de Shinnō sembla presque passer sans que Jiraiya ne la reçoive. Le Sannin revint vraisemblablement à lui à cet instant. Il avait l'air plus ailleurs que jamais. Les deux hommes se tenaient à quelques mètres de la clinique, et cela faisait quelques minutes qu'ils attendaient sur la route que leurs élèves les rejoignent.

- Ce n'est malheureusement pas possible, répondit le Sannin sur un ton désolé. « Un… impératif nous contraint à partir dès que possible. Nous ne pouvions pas passer un jour de plus ici. Même si ça aurait été préférable, pour nous deux. »

- Un imprévu de Konoha ? demanda alors Shinnō d'un ton neutre.

Pour autant et malgré le ton avec lequel il avait sa question, il était clair qu'il aurait aimé en savoir plus.

- Je ne peux pas vous en dire davantage. Sachez que ce n'est pas personnel.

- Je vois. Je comprends.

L'homme accepta sa réponse sans rechigner. L'instant qui suivait, Naruto sortait de la clinique, accompagné d'Amaru. Il était habillé, ayant délaissé la tenue de patient et le kimono qu'il avait revêtu par-dessus pour remettre ses vêtements de shinobi et son manteau aux couleurs vives. Cela faisait presque étrange de le voir reporter de nouveau ses seyants apparats. A ses côtés, sa camarade l'observait même sous tous ses angles avec une curiosité sans complexe. Mais dans la mesure où il était un shinobi accompli malgré leur même âge, et qu'il devait sans doute être son premier modèle de référence après Shinnō, la vue ne surprit pas Jiraiya plus qu'elle ne l'amuse au moins un peu.

Les deux jeunes adultes vinrent à leur niveau, le premier accordant un regard aux deux maîtres, plus froidement pour l'un que l'autre.

- Bien… Il semble que vous soyez prêts à partir, prononça alors Shinnō, en direction de l'Uzumaki. « C'est encore assez surprenant que vous puissiez repartir si vite. Je n'avais encore jamais vu quelqu'un se remettre d'une aussi violente souche du paludisme en une semaine. »

Naruto lui adressa un sourire fugace.

- C'est grâce à vous, Shinnō-san, répondit-il avant de remarquer le froncement de sourcils de la jeune fille sur sa droite. « Et à toi aussi, bien sûr, Amaru. »

La jeune fille acquiesça fièrement, assez vite imitée par Shinnō ; quoique d'une manière plus humble le concernant.

- En vérité, vous ne devez votre guérison qu'à vous. D'une manière ou d'une autre, il m'apparait clair que votre crise d'il y a deux jours n'était pas dû à un surmenage mais plutôt à la présence du vaccin. Après en avoir capté les effets, votre corps l'a vraisemblablement rejeté et éliminé. Surprenant, c'est le mot. Vous êtes vraiment unique.

- Ah, merci pour le compliment, je suppose…

Naruto émit un petit rire gêné tandis que le médecin hocha la tête. Par la suite, et tandis que ce dernier se tournait vers son maître, l'Uzumaki se concentra sur Amaru, qui cherchait son regard.

- Et bien… C'était assez rapide.

- Ouais…

- Encore merci, Amaru. J'ai entendu de Shinnō que c'est toi qui m'a aidé quand nous arrivés ici. Sans toi, je serais peut-être mort. Tu m'as sauvé la vie. Merci pour tout.

La jeune fille se mit à rougir, sûrement du fait qu'elle ne recevait pas souvent de remerciements aussi formels. Ou peut-être que le sourire affectueux du garçon provoqua quelque chose chez elle. Dans tous les cas, elle fut émue et n'arriva pas à le cacher.

- N-Non, y a pas de quoi. C'est plutôt à moi de te remercier, tu sais !

Plutôt que de demander pourquoi, le haussement de ses sourcils parla pour l'Uzumaki. Amaru enchaîna donc aussitôt.

- Bah… Tu m'as initié à la manipulation du chakra, ce que Shinnō me refusait depuis qu'il m'enseigne à devenir médecin. Il m'a passé un vrai savon… Mais du coup, ça a fait avancer les choses, puisqu'il a accepté de me former entièrement pour devenir une vraie kunoichi.

- Oh… Mais c'est génial, ça, non ? commenta aussitôt Naruto, se calquant sur l'enthousiasme de la jeune fille.

- Yep ! Je ne serais plus à la traîne. Quand on se reverra, je ne serais plus une novice, je serais une vraie ninja moi aussi, Naruto.

« Si jamais on se revoit vivants. » ne put s'empêcher de penser le jeune ninja de Konoha. Si elle mettait le pied dans leur monde, l'avenir s'assombrirait tout comme leur chance de se revoir vivants un jour. Mais peu enclin à se laisser dominer par ce genre de pensées, ne voulant certain pas céder au même genre de pragmatisme qu'il avait reçu de plein fouet, il adressa un grand sourire à sa cadette.

- Tu sais, des fois que la vie de ninja te plaise vraiment, un jour pense à rejoindre Konoha. Les meilleurs shinobis de notre monde s'y concentrent, et comme tu es l'apprentie d'un shinobi règlementaire de Konoha, il y a des opportunités pour que tu puisses intégrer le village officiellement.

Le reflet d'intérêt qui anima les yeux bleus de la rouquine démontra que l'idée lui avait parlé au moins un peu.

Sur le côté, il vit leur deux maîtres se serrer les mains et s'accorder quelques derniers mots cordiaux.

- Portez-vous bien, Jiraiya-san. Et bonne chance pour la suite.

- Vous de même. Je tâcherais d'évoquer un éventuel approvisionnement de votre clinique auprès de Konoha. Votre travail est salutaire.

- Merci bien.

Alors Jiraiya se tourna vers lui, et ils se regardèrent. L'ensemble de leurs rapports luirent dans leurs yeux à ce moment, et malgré les non-dits pesants qui y régnaient, ils s'accordèrent tacitement jusqu'à un certain point pour ne rien en faire à l'instant. Jiraiya hocha la tête, et accordant un dernier regard de reconnaissance à leurs deux hôtes, s'en retourna vers la route, en direction de la sortie de Midorihara.

Plus lentement, Naruto l'imita alors, saluant d'un mouvement silencieux de la main les deux médecins à qui il devait la vie. Puis il s'éloigna à son tour, sans se retourner.

Avant même que le soleil ne décline, et alors que le jour était à son apogée, ils quittaient la vallée de Midorihara, en vers le Sud-Est.

En direction de la capitale frontalière de l'Est du Pays du Feu : Shōkō-machi.


Les rayons fébriles d'un soleil pâle perçaient difficilement à travers l'épaisse brume, et un silence lourd prenait constance à travers les nappes successives du brouillard, dissimulant au sein d'une atmosphère froide et morte les silhouettes d'imposantes pierres tombales. Une éclaircie apparut alors, et laissa entrevoir la nouvelle extension mortuaire de la zone, plus imposante encore que l'emplacement initial.

En rangée bien définie, des tombes s'alignaient par millier, présentant de nombreuses épitaphes dont les aspects particulièrement entretenus ajoutés aux nombreuses gerbes de fleurs en démontraient la pose récente. Au loin, partiellement dissimulée par l'épais brouillard et par les cimes des arbres, la silhouette ombragée des murailles du village de Kiri s'élevait, suivant les collines et les vallons irréguliers sur lesquels la ville avait été bâtie. En son centre, l'immense tour-forteresse du Mizukage siégeait parmi la brume et semblait comme atteindre le ciel, disparaissant dans l'opacité des hauteurs.

Un mouvement des nuages blancs du ciel et du vent déplaça alors une partie des brumes, et un soleil vif perça momentanément à travers la région, illuminant comme jamais les champs de fleurs qui entouraient les monuments aux morts et les vieux tertres de l'ancien cimetière. Guidé par le vent et libérant un piaillement distinct, un petit corbeau isolé des siens vint se poser au sommet d'un mausolée devant lequel gisait un trou béant et entouré d'un petit groupe de personnes. Une plaque de métal brillante au fond du trou dévoila la présence d'un cercueil que l'on mettait en terre et sur lequel était gravé l'insigne de Kiri doublée de celle du pays de l'eau. Quelques gouttelettes de pluie commencèrent à tomber et l'espace de quelques instants, l'air se rafraichit, apportant avec lui les senteurs humides de la rosée et la tristesse mordante du froid.

Les reniflements sporadiques de quelques personnes autour de la tombe s'entendirent et témoignèrent de leur douleur, comme ils fixèrent avec peine le dernier message qu'on leur avait laissé de leur proche. « Yoshida Ririko – Morte au combat. » Pour deux d'entre eux, une femme d'âge mûr et un petit garçon d'environ dix ans, les reniflements laissèrent place aux pleurs dès lors qu'un shinobi de Kiri en uniforme se mit à pelleter le tas de terre à proximité du trou pour en couvrir le cercueil et l'enfouir à jamais. Tandis qu'ils pleurèrent, les mines de tous ceux qui étaient présents s'assombrirent alors qu'ils jetèrent un ultime regard à la défunte kunoichi de Kirigakure no satō, énième victime de la guerre civile qui avait sévi depuis si longtemps.

Naruto fronça les sourcils alors qu'il fixa ceux qu'il comprit être respectivement la mère et le fils de la défunte. Quelques secondes après, un homme vint soutenir les épaules de ladite mère, qu'il comprit être son mari et sans nul doute le père de la victime. Fermant les yeux spontanément quand le sanglot du jeune garçon parvint à ses oreilles, l'Uzumaki reposa finalement son regard sur le trou à moitié enseveli dans lequel gisait désormais le cercueil. L'amertume saisit ses muscles alors qu'il croisa ses bras, et la main délicate de Mei Terumī qui se posa sur son avant-bras pour lui signifier sa présence parvint à peine à calmer son état de morosité actuelle. Car la mort n'était jamais douce, pas même lorsqu'on l'infligeait aux autres.

Car c'était lui qui l'avait tué.

- Okaa-san… !

Plus que tout autre chose, ce furent les sanglots irréguliers et les appels douloureux du jeune garçon sur sa droite qui déconcertèrent le ninja de Konoha. Il avait tué sa mère quelques mois auparavant, et cet enfant qui lui rappelait tant de Konohamaru pleurait encore à chaudes larmes. Et plus que jamais, l'Uzumaki devait faire face aux conséquences de ses actes. Son regard se posa ensuite en face de lui, de l'autre côté de la tombe, où une kunoichi en uniforme fixait d'un air fermé le trou que l'on finissait de combler.

Une kunoichi de Kiri qu'il connaissait bien. Quand elle releva les yeux, elle croisa ceux de sa Mizukage, qui lui adressa un regard plein de soutien et d'affection. Puis elle le fixa, et son regard se teintant de peine, elle communiqua par ce simple échange toute l'étendue de sa confusion. Gêné un instant, ne sachant dès lors que faire ni où se placer, Naruto baissa un moment les yeux sans ne laisser rien paraître de ses émotions, arborant un air placide. Puis il recroisa de nouveau son regard, lui laissant comprendre à quel point lui-même ne savait plus vraiment où il en était. Car à cet instant, plus rien n'avait de sens sinon la mort. Et le temps passa, lentement, jusqu'à ce qu'enfin, la tombe ne soit achevée sous les yeux d'une famille brisée par la guerre.

- Mes condoléances, Ruka.

La voix de Mei sur sa droite ramena rapidement Naruto à la réalité, aussi remarqua-t-il la présence de la susnommée devant eux.

- Merci, Mizukage-sama, répondit-elle en portant discrètement une main à son cœur dans l'émotion.

Comme tout au long de l'enterrement, Naruto resta silencieux. Sa présence ici était à la base une étrange controverse, dans la mesure où il devait être la personne la moins appréciée au monde de la famille Yoshida. Mais le regard que lui adressa Ruka à l'instant le poussa à s'exprimer, à lui dire quelque chose, n'importe quoi.

- Ruka, je suis sincèrement désolé…

Yoshida Ruka n'était autre que l'un des plus importants membres de la cellule de résistance de Mei Terumī. Iryō-nin de carrière, elle avait choisi de déserter Chigiri au commencement des hostilités et s'était engagée au sein de la résistance alors que les mouvements n'en étaient qu'à leurs balbutiements. Naruto avait affronté maints dangers à ses côtés et l'avait considéré comme une sœur d'arme. Aujourd'hui, il n'était plus certain qu'elle-même le voyait comme tel, dans la mesure où la défunte Yoshida Ririko, une Iryō-nin de Chigiri qu'il avait tué en mission, n'était autre que sa sœur aînée.

Les yeux de Ruka se vitrèrent à la venue de larmes qu'elle peina à retenir. Elle porta rapidement une main à ses yeux pour en récupérer ses premières larmes avant que ces dernières ne soient vu par quiconque. En voyant sa subordonnée aussi désemparée, Mei s'approcha d'un pas et vint la soutenir, la serrant avec bienveillance. Accordant un regard honorée à sa leader, la Yoshida adressa par la suite un regard désolé et contrit à celui que les siens appelaient désormais Senkō.

- Tu ne dois pas t'excuser, Naruto-sama. Ma sœur… Elle connaissait les risques. Elle avait choisi de rester, de ne pas se battre pour ce qu'elle croyait. Alors ne t'excuse pas, ne t'excuse pas…

Si elle s'était contenue jusqu'à maintenant dans son silence, la soudaine prise de parole de la kunoichi de Kiri fut une libération douloureuse d'émotions contradictoires. Les larmes coulèrent dès lors à flot, vulnérabilité qu'elle cacha en se couvrant des mains le visage sous la mine désemparée de Naruto. Il serra les poings alors que la colère saisit son cœur, une colère sourde contre lui-même et contre l'injustice de ce monde. Il avait tué tellement de gens en un laps de temps si court qu'il se demandait sans cesse s'il avait le droit de vivre heureux. Etait-ce même possible pour commencer, alors qu'à chaque instant, les visages mourant de ses victimes s'alignaient, s'enchaînant dans ses songes, sans ne lui laisser un seul répit ? Les cris, les pleurs, le sang. La guerre.

- Tu devrais me haïr, Ruka. J'ai tué ta sœur. Je vous ai privé d'elle, à toi et ta famille. Même la guerre ne peut l'excuser, souffla-t-il sombrement. « Ce n'est pas juste. »

A cette réplique, Naruto s'attendait à tout de la part de la petite Iryō-nin de Kiri. Il s'attendait à ce qu'elle l'insulte, à ce qu'elle le remette à sa place. Il s'attendait même à ce qu'elle l'attaque, à terme. Après tout, il avait froidement tué sa sœur. Le fils de cette dernière pleurait derrière eux. Leurs parents en deuil priaient dans le silence devant ce qui restait maintenant d'elle. Mais loin de désirer la vengeance, ce fut en larmes que Ruka se jeta dans ses bras.

- Rien n'est juste pour personne, se lamenta-t-elle. « Ce monde n'est pas juste. »

Un temps surpris et choqué par le mouvement de sa camarade, Naruto chancela d'incertitude tant il hésita à faire quelque mouvement que ce soit. Mais le regard insistant de douceur de Mei face à lui le convainquit de répondre à l'étreinte de Ruka. Fermant les yeux, il posa sa tête sur la sienne et la laissa pleurer et faire le deuil de sa sœur comme il essaya tant bien que mal de calmer l'agitation pleine de remord qui secouait son cœur dans tous les sens.

Les choses auraient pu rester telles qu'elles l'étaient. Mais le monde était loin d'être parfait, loin d'être si lisse.

- Pourquoi ?

Naruto se retourna et croisa le regard du petit garçon qui pleurait la défunte. Son fils.

- Pourquoi t'as tué ma mère !? Qu'est-ce qu'elle a fait pour mériter ça !?

Le regard de Naruto croisa celui des grands-parents en deuil, qui observaient tristement leur petit-fils tout en lui adressant une lueur opaque qu'il devina facilement être une animosité latente. Derrière lui, Ruka s'était effacée et se tenait en retrait derrière Mei. En l'espace de quelques secondes, et tandis qu'il plongea dans le regard plein de haine du garçon, Naruto se sentit bien seul.

Naruto ouvrit la bouche… puis la referma, ne trouvant absolument pas les mots. Il ne savait pas quoi dire, il n'y avait rien à dire. Lui qui était orphelin, il pouvait aisément concevoir à quel point une mère pouvait être précieuse pour son enfant. Plus que toute chose au monde, c'était bien une mère, sa mère, que Naruto avait toujours voulu. Et il avait pris celle de ce garçon. Que pouvait-il dire pour répondre à la colère de l'enfant ? Qu'il était désolé ? Ce n'était pas suffisant.

Rien ne le serait.

- Je n'ai pas tué ta mère parce qu'elle le méritait. Je ne suis pas apte à dire qui mérite de mourir et de vivre.

Sa réponse laissa le garçon sans voix. Mais ce fut la seule réponse qui était venue à l'esprit du ninja de Konoha. Les yeux embués de larmes et pleins de colère du garçon ne lui firent pas regretter ses mots pour autant. Alors il le regarda fermement, souhaitant au moins rester honnête malgré la tragédie.

- Mais alors pourquoi ?

La réponse du garçon avait été plus calme, plus amère. Mais non pas sans colère.

- Parce que c'était la guerre. Parce que nous étions ennemis. Et malheureusement, parce que nos chemins se sont croisés sur le champ de bataille.

S'il s'était momentanément calmé, l'indignation qui teinta lourdement les yeux du garçon démontra toute l'intensité de son courroux renouvelé et d'autant plus vivace qu'il n'y avait véritablement aucune raison qui justifiait la mort de sa mère.

- C'est tout ? Tu as tué ma kaa-san juste parce qu'elle s'est trouvée en face de toi !?

- E-Eiji-kun… souffla honteusement sa grand-mère juste derrière, pour essayer de calmer la discussion et de détourner l'attention de l'enfant du meurtrier de sa mère.

Mais la réaction du garçon fut instantanée alors qu'il repoussa agressivement les mains de sa grand-mère et s'éloigna de plusieurs pas en lui hurlant de le lâcher. Puis il se retourna vers Naruto en le pointant du doigt.

- Un jour je te tuerais ! hurla-t-il avant de passer son poignet sur ses joues pour hargneusement se sécher.

Sans même attendre de réponse, il s'en retourna en courant et s'enfuit. Paniqués, ses grands-parents le poursuivirent en l'appelant, laissant Naruto, Mei et Ruka seuls devant la tombe. Les ninjas et autres personnes qui avaient jusque-là été présents étaient déjà partis entre temps.

- Naruto…

Le murmure de Mei sur sa gauche ne l'apaisa pas, pas qu'il eut besoin d'être apaisé.

- C'est bon, répondit-il. « C'est bon. Tout va bien… »

Le monde n'allait pas bien.

- Naruto, répéta Mei alors que son emprise sur son bras fut plus insistante.

- Mei, c'est bon, je te dis. Pas besoin d'en faire tout un plat.

- Naruto.

La prise de Mei devint soudainement douloureuse tandis qu'elle prononça son nom dans un ton qu'il n'avait jamais entendu. « Mei, sérieusement qu'est-ce qu–… » Naruto s'arrêta brusquement alors que ses yeux bleus plongèrent dans ceux morts de celle qu'il reconnut être Yoshida Ririko. L'espace de quelques secondes, l'Uzumaki resta de marbre tandis qu'un filet de sang noirâtre coula à flot d'une immense et profonde entaille qui parcourait le cou du cadavre. Quand les prunelles du garçon se dilatèrent dans la stupéfaction et qu'il réalisa la présence subite et inexpliquée de l'intrus, il se défit de son emprise d'un violent revers du bras et bondit aussitôt en arrière, sur le qui-vive. Comme s'il avait toujours été inerte, le corps grisâtre et mort de Yoshida Ririko s'écroula au sol, ses yeux éteint et grand ouverts tournés vers le ciel.

Naruto regarda autour de lui dans une incompréhension mêlée d'effroi et essaya sans succès de comprendre l'origine de ce qu'il pensa être une sorcellerie. Mei et Ruka avaient disparu, tout comme le cimetière autour de lui. Tout avait laissé place à la plus épaisse et lourde des brumes. Un silence de mort s'abattit autour de lui et la sensation d'insécurité inexplicable poussa Naruto à s'éloigner le plus vite possible de l'endroit. L'image écœurante du cadavre de la Kiri-nin à ses pieds, dont les yeux étaient étrangement tournés vers lui, l'aida à se convaincre que c'était pour le mieux. Il recula alors, de quelques pas, puis se retourna quand il fut sûr de ne pas être épié. Alors il se mit à marcher vite puis à courir.

Sans même regarder autour de lui et torturé par un effroi qu'il jugea inexplicable, Naruto poursuivit sa course dans l'inconnu, ne se souciant pas même du sol sur lequel il posait les pieds. Jusqu'à ce que la texture boueuse de la terre et de l'herbe ne laissa place à une matière spongieuse et qu'il enfonça ses pieds dans ce qu'il crut être de la graisse. Il s'arrêta alors et fixa ses pieds. Saisit d'une sueur froide, il se rendit compte des tripes et autres organes humains dans lesquels il avait jusque-là marché, avant que ne se révèle à ses yeux une véritable mer de cadavres à demi-enfoncés dans une nappe brumeuse à même le sol.

Bien qu'inodore, l'horreur ne lui fut pas moins totale. Quand il se retourna pour faire demi-tour, il réalisa qu'il était entouré par cette réplique de champ de bataille ou de massacre. Luttant contre une envie irrépressible de panique ainsi qu'une nausée tout aussi forte, il se décida à avancer sans poser une seule fois ses pieds sur l'un des corps. Hélas, sous les cadavres s'en trouvaient d'autres. Le carnage, sans commune mesure à l'observation des mutilations dont étaient victimes de nombreuses dépouilles, était omniprésent.

Mais la peur laissa place à une sensation plus angoissante encore dès lors qu'il reconnut un visage au sol. Il bloqua littéralement sur ce visage, qui lui évoqua quelque chose. C'était un homme. Un homme brun et barbu, au physique somme toute assez générique. Un homme qu'il reconnut.

Un homme qu'il avait déjà tué.

Naruto se tourna alors, lentement, et observa les visages des morts. Son regard croisa celui mort de Yoshida Ririko, qui gisait parmi un tas mutilé d'organes et de bustes dont les armures étaient aux effigies de Kirigakure no satō. Dans le désarroi, Naruto porta une main à son visage et essaya d'ignorer le haut le cœur dont il fut violemment victime. Il se retourna pour cesser de fixer ces visages qu'il connaissait. Mais son regard croisa alors celui d'une personne qu'il aurait reconnu entre mille.

La tête décapitée d'Honma Jomaru siégeait par-dessus un tas de corps dont il reconnaissait la teinte violette des armures. Des milliers de cadavres de soldats de Daya no Kuni s'étendaient sur des centaines de mètres et se perdaient au loin dans l'étrange et angoissant brouillard.

Naruto se sentit chanceler, agressé par les milliers de regard de ceux qui étaient mort de sa main.

Il fallait qu'il parte de cet endroit, peu importe où il se situait, ou il deviendrait fou.

Il avança, difficilement, à travers le relief accidenté des morts, et tenta sans grand succès de localiser une issue à cet enfer. Peu importait où son regard se posait, il y voyait des morts à perte de vue. Et il se souvenait de chacun d'eux. La constatation le révolta alors que son dégoût, à la fois de l'horreur et de lui-même, le fit frissonner. Dans son frisson, le jeune homme baissa les yeux vers ses pieds dans une veine tentative de se défiler à la vue…

Mais alors ses yeux s'écarquillèrent dans l'épouvante la plus totale, lorsque ses prunelles céruléennes plongèrent dans celles mortes d'une kunoichi dont il piétinait sans le savoir le visage. Une personne dont les yeux et la chevelure turquoise l'identifiait comme une seule et unique femme.

- Kagerō…

Déséquilibré, il trébucha en arrière mais se rattrapa vite. Il se mit à genou et extirpa du mieux qu'il put la dépouille rigide et glacée de Kagerō de la masse de corps parmi laquelle elle avait été immergée. « Qu'est-ce que ça signifie ? » pensa-t-il de manière totalement désemparée. Il écarta une mèche rebelle du visage de Kagerō et la contempla longuement, torturé par le regret. En ayant finalement assez, il passa une main sur ses yeux pour les fermer et la redressa légèrement pour la serrer contre lui. Il les maudissait. Il maudissait Iwa et leur sauvagerie. Jamais elle n'avait mérité de mourir, et surtout pas pour lui.

- Ce n'est pas terminé. Ce n'est jamais terminé.

Sans lâcher la précieuse dépouille de Kagerō, Naruto regarda devant lui pour apercevoir une silhouette humaine floue à travers la brume.

- Ils continueront à mourir autour de toi.

Le regard vide du Yondaime Mizukage perça à travers la brume pour se réverbérer dans les yeux de Naruto, laissant à l'Uzumaki l'occasion de fixer ce qui restait du corps de l'homme qu'il avait tué. La chair à vif et sanguinolente, l'épiderme du Kage semblait fondue et trouée sur toute la surface de son corps. Seuls ses yeux encore intacts et dont la lueur morte était significative permirent à Naruto de le reconnaître.

- Nous sommes pareils, toi et moi. Nous sommes issus de la haine et nous vivons pour elle. Puis nous mourons pour elle.

Naruto sentit un changement de masse au niveau de ses bras et se détourna de Yagura pour fixer sa défunte amie. Mais ce qu'il vit alors reposer dans ses bras le tétanisa. Car il ne resta dans ses bras qu'une sorte de corps carbonisé, la chair encore rougeoyante d'un choc explosif et dont les membres étaient manquants ou explosés.

La seule réaction de l'Uzumaki fut de lâcher l'horrifiante dépouille dans un sursaut d'effroi.


Naruto ouvrit subitement les yeux aussitôt qu'il émergea du sommeil. Ses sens en exergue se déchainaient alors qu'il chercha à se situer et comprendre où il était à travers son ahurissement cauchemardesque. Petit à petit, les battements paniqués de son cœur se calmèrent et la lucidité lui revint, lui permettant effectivement de réaliser qu'il venait simplement de faire un odieux cauchemar. Son regard s'affina et tomba finalement sur son torse nu luisant sous la lumière du soleil, et les tressaillements auxquels il fut proie sous l'air plus frais qu'à l'accoutumé lui firent comprendre qu'il venait d'émerger de son sommeil en sueur.

« Ce n'était qu'un rêve… » pensa-t-il finalement avant de pousser un soupir de soulagement et de se rallonger momentanément. Fermant les yeux, le jeune shinobi porta ses mains à sa tête et se chargea pour les secondes qui suivirent de faire le vide dans son esprit. Ses paumes couvrant ses yeux, l'Uzumaki se laissa finalement dériver au gré de ses songes, de pâles rayons du soleil éclairant partiellement à travers ses doigts ses yeux encore lourds.

Quand Naruto se redressa pour se tenir en position assise, son regard plongea sur la coquette pièce au sein de laquelle il avait passé la nuit. Puis sur le lit dans lequel il avait dormi. Le cadre n'avait plus rien à voir avec l'austérité de la pièce au tatami de la clinique de Shinnō et Amaru à Midorihara. La pièce était tout aussi spacieuse, mais était clairement moins austère. Les murs étaient décorés d'un étrange papier peint à rayures bleues sur fond blanc. Une imposante armoire se tenait sur le côté gauche de la pièce, presque contre son lit, et presque cachée par l'armoire du fait de son angle se trouvait un petit couloir qui menait à l'entrée de la pièce. Son lit en lui-même était en fait vraiment un lit. Avec un matelas épais comme il n'en avait pas apprécié la douceur depuis son départ du Pays du Printemps.

La lumière du soleil passait à travers les épais rideaux qui couvraient la fenêtre sur sa droite. L'éclaircie qui naquit à la seconde même vint ricocher sur son visage, l'éblouissant un moment, puis disparut, sans doute effacée par le passage d'un nuage dans le ciel. Mais les yeux maintenant éveillés par l'expérience, il put entrevoir à travers la fenêtre les silhouettes volumineuses de la ville qui s'étendait. Ni le bruit de la ville qu'il percevait depuis la rue ni les piaillements mélodieux et matinaux des oiseaux n'arrivèrent à lui rendre la situation enviable. Baissant le regard sur ses mains ouvertes, l'Uzumaki soupira alors, la pleine réalité lui revenant petit à petit.

Rien ne finissait jamais.

Le monde était empreint d'un cycle infini et se répétait encore, encore et encore. Le vent se taisait et revenait. Les guerres laissaient place à la paix pour ne revenir que de plus belle. L'équilibre se brisait pour laisser place au chaos, et du chaos émergeait toujours un nouvel ordre. Impuissants, les hommes étaient amenés à regarder le jour laisser place à la nuit et à observer le cosmos, à se perdre parmi les étoiles, l'esprit plein de questions mais hélas dépourvu de réponses. Ils ne pouvaient que regarder leurs proches se dissiper dans le vent comme s'ils n'avaient jamais existés, et attendre que le temps passe, jusqu'à ce qu'ils se dissipent à leurs tours, ne redevenant que poussière. Jusqu'à ce qu'ils s'écroulent et qu'ils meurent. Comme la Kagerō de son cauchemar.

Avait-il été si égoïste que ça ? Cette pensée le dévorait. Il s'était posé la question, encore et encore, inlassablement, chaque jour de la semaine. Depuis leur départ de Midorihara jusqu'à leur arrivée silencieuse durant la nuit à Shōkō-machi, la veille. Avait-il été égoïste ? Envers ses fiancées, qui plus était ? L'idée que Jiraiya ait eue raison là-dessus l'effrayait. Depuis cette discussion, dans tous les cas, il cauchemardait, entrevoyant des souvenirs et des peurs qu'il avait avalées et oubliées. Les morts revenaient le hanter et il avait comme l'impression de se faire rattraper par quelque chose. Il était fatigué. S'il s'était relativement bien rétabli de la maladie – en dépit des quelques soupçons de faiblesse restante – le mal-être moral s'était substitué au physique.

La situation était en quelque sorte pire qu'avant.

C'était dans ce genre de période solitaire qu'il se rendait compte que Mei lui manquait. En plus d'être sa future épouse, la belle Mizukage était assez naturellement devenue sa confidente. Elle lui apportait le réconfort moral d'une aînée et souvent les réponses qu'il cherchait sans s'en douter. C'était peut-être même bien pour ça qu'elle apparaissait systématiquement dans ses cauchemars. Il l'appelait peut-être inconsciemment à l'aide. Il savait qu'elle viendrait. Ils savaient qu'elles viendraient toutes. La vérité, c'était qu'après deux mois éloignés, leurs absences se faisaient sentir. Sa famille. La situation était encore tellement confuse et unique qu'il n'avait en fait jamais pensé si sérieusement à l'avenir, même quand Koyuki lui avait formulé le vœu d'avoir un jour – aussitôt que possible – des héritiers. Il était même rattrapé par cette incertitude ; celle d'avoir quatre compagnes qui ne se connaissaient que de nom et qui attendaient de se rencontrer.

L'idée lui apparaissait trop intimidante pour qu'il essaie de l'imaginer davantage. Chaque problème en son temps. Celui-là viendrait à l'issue de son retour à Konoha, lorsque tout serait amené à rentrer dans l'ordre, à s'officialiser, se formaliser. « Dans deux mois… » Deux mois. En Novembre, lorsque la venue de l'hiver serait annoncée par les premiers froids et les prémices de neiges. D'ici là, les deux ninjas de Konoha, maître et élève, termineraient sur cette touche triste un voyage qui ne l'avait pas tant été. Maintenant qu'ils étaient au sein du Pays du Feu, enfin chez eux, bien chez eux, les chances étaient particulièrement minces pour qu'ils aillent ailleurs. La probabilité la plus grande étaient qu'ils se rapprochent petit à petit de Konoha, créchant de préfecture en préfecture, de ville en ville, jusqu'à revenir au final au village.

Jugeant qu'il n'avait que trop dormi, Naruto décida finalement de se lever. De toute façon, maintenant qu'il avait émergé, l'idée de se rendormir n'était pas envisageable. Posant pied sur le lino du sol, il s'étira quelques secondes et évacua comme il put toute pensée parasite. Contournant l'armoire, il rejoignit le petit couloir d'entrée de la chambre et découvrit sur le côté une porte donnant sur une petite salle de bain rudimentaire : une douche et un lavabo. Se dénudant sans y penser outre-mesure, il entra dans la douche et activa le robinet, avant de profiter pour la première fois depuis une semaine d'un vrai filet d'eau chaude. Fermant les yeux, il laissa la tension se dissiper et ses muscles se détendre sous le passage de l'eau. Il ne sut pas exactement combien de temps il attendit, peut-être bien dix minutes, avant de finalement mettre fin au débit de l'eau et de sortir. Il s'occupa pendant les quelques minutes de finir de se purifier.

Il rejoignit sa chambre et après s'être assis sur le bord du lit, se laissa quelques secondes aller à la paresse. Puis il remarqua l'heure affichée sur le réveil électronique qui siégeait sur la table de nuit de l'autre côté du lit. Il était onze heures passé. Il poussa un soupir, essayant de vaincre le manque de volonté qui l'animait alors. Ce n'était un secret pour personne qu'il pouvait être un lève-tard si jamais il était laissé seul. Or Jiraiya n'était pas là pour le réveiller. Il était sans doute déjà parti là où ils devaient tous les deux se rendre initialement. Le fameux Quartier général de l'Est, où étaient basé l'Etat-major unifié interservices de Konoha pour l'Est du Pays du Feu. La troisième division de garnison y était apparemment aussi basée.

Alors il se leva et descella prestement un ensemble de ses vêtements habituels : une tenue bleue foncée et uniforme telle celles que portaient nombre de shinobis de Konoha. Il s'habilla distraitement, puis alla chercher sur le porte-manteau à l'entrée son long manteau orange à motif de flammes noires. Il regarda une dernière fois la pièce puis la salle de bain, avant d'ouvrir la porte et de retourner la pancarte attachée à la poignée de la face rouge indiquant Occupé à la face blanche indiquant Libre. Puis il quitta ce qui s'était avéré être sa chambre d'hôtel, et emprunta l'escalier du palier sans même se retourner.

Il n'y reviendrait pas.


Naruto regarda autour de lui tout en avançant dans les rues du marché de la ville connue sous le nom de Shōkō-machi. Aux fortes annonces des marchands sur les côtés de la grande avenue, qui vantaient les produits présentés sur leurs étals, s'ajoutaient le brouhaha environnant des passants qui venaient faire leurs courses et profiter de la matinée. Quelques caravanes de marchands ambulants déambulaient dans les allées, proposant à qui voulait les écouter leurs marchandises du jour et des groupes de moines en quête de dons et de fidèles défilaient par groupes en psalmodiant des paraphrases de leurs textes religieux. Cette ambiance animée rendait le centre-ville très vivant, aussi était-il relativement difficile d'avancer tant la foule était compact autour de certains stand ou de groupes ambulants.

Malgré cela, Naruto évolua au sein des rues du centre-ville et observa la vie citadine suivre son cours assez curieusement. Les milieux civils de ce genre semblaient si éloignés du monde que c'en était dépaysant. Les populations ici semblaient méconnaître les grandes questions du monde ninja et les menaces d'une guerre entre les nations semblaient ridicules, à supposer que le sujet vienne à être abordé dans une discussion, ce qui en soit était déjà assez rare.

Shōkō-machi était une ville prospère et dense du nord du Pays du Feu. Située à l'intérieur d'un bassin, la ville avait été fondée le long du Mogami, un fleuve qui prenait sa source au sud du Pays du Fer et qui, longeant la chaine de Chairomisaki vers l'est, se déversait dans le delta d'Oyu no Kuni et la baie du même nom. Par sa taille et son histoire, le fleuve Mogami délimitait de manière presque intégrale la frontière actuelle entre Hi no Kuni et Yu no Kuni. Passant sur un pont large qui franchissait le Mogami, Naruto observa les diverses barques et péniches qui mouillaient à quai ou qui partaient vers Oyu no Kuni, chargées de marchandises. D'autres embarcations venaient elle-même d'Oyu, acheminant les flux de marchandises internationales qui y avaient transité à destination de Hi no Kuni.

Petit à petit, passant le centre-ville animé, Naruto se dirigea en direction du quartier nord de Shōkō-machi, où se trouvaient les parcs industriels les plus récents de la région. Shōkō-machi était connue pour eux, puisque la ville était le poumon industriel de la région frontalière de Yu no Kuni, la frontière étant située à moins de soixante kilomètres à l'est. Cette particularité industrielle majeure et la situation géographique avantageuse de Shōkō-machi en avait fait l'un des points de transit terrestre les plus importants du pays, et la ville était accessoirement l'une des portes marchandes du commerce international au sein du Pays du Feu. En conséquence de cela, la ville représentait en termes de point d'encrage pour les réseaux de renseignements et l'ensemble des services de Konoha un atout substantiel, sinon même capital.

Dès lors qu'il quitta les quartiers résidentiels pour passer à la périphérie, les bâtiments bétonnés et esthétiques firent place à des sites de dépôt et des bâtiments en briques et en taules, couverts pour certains de tuyaux imposants et de cheminées, les identifiants comme des raffineries et autres usines de traitements de matériaux. L'aménagement des quartiers était tel que les voies étaient pour la plupart en partie ferrées, si bien que des chemins de fer liaient les sites et semblaient se rejoindre en amont pour former ce que Naruto soupçonnait être une gare de triage. Des trains partaient alors de la ville en direction, sans doute pour la plupart, de la capitale du pays du Feu et peut-être d'autres grandes villes.

Alors qu'il avança sur le trottoir d'une allée, son regard fut attiré par une large nappe de fumée qui se diffusait depuis une immense cheminée pour se diluer avec le vent au sein des cieux. Çà et là, des hommes transportaient des caisses et divers autres objets, achalandant à l'aide de charrettes d'énormes pièces de métal et autres outils industriels bien étrangers à l'Uzumaki. Dans une péninsule shinobi encore majoritairement rurale et peu développée, l'ère industrielle naissante et le développement massif des moyens technologiques restaient encore très surprenants pour un ninja tel que lui. Mais à constater l'organisation de la production, il était clair même pour un shinobi que le monde de demain se destinait à quelque chose qu'ils étaient encore loin d'imaginer et qui se trouvait peut-être même à l'antithèse de ce pour quoi eux existait. Un monde de construction et de création, et non plus un monde de destruction et de conquête.

Un monde d'industrie et de technologie.

L'Uzumaki continua sa marche pendant presque un quart d'heure et traversa le quartier en direction de la limite nord de Shōkō-machi. Jiraiya lui avait donné l'adresse du Quartier général unifié lorsqu'ils avaient pris leur chambre d'hôtel dans le centre-ville hier soir. Il lui avait aussi dit qu'il serait assez difficile de louper le complexe, étant donné sa taille. Et le Sannin avait eu raison, parce qu'une fois arrivé à proximité, l'Uzumaki l'aperçut d'assez loin.

Ce n'était pas un bâtiment. Parler d'un bâtiment aurait été réducteur et inexact. Il s'agissait en fait d'un complexe immobilier et industriel entier, dont les immenses et épais bâtiments semblaient presque se superposer les uns aux autres pour former une grande base. Au centre de la zone, trois d'entre eux étaient même imbriqués les uns les autres, formant un édifice en ziggourat d'au moins quarante de haut et dont la façade était couverte par des parois de verre et d'acier, au style plutôt High-Tech. Si Naruto y ajoutait les imposants mur de béton de six mètres qui délimitaient le périmètres interdit d'accès aux civils, ce fameux Quartier général de l'Est était littéralement une citadelle. Et selon les propos de Jiraiya, la zone abritait une division de garnison toute entière ainsi qu'une multitude de services de Konoha. Soit largement plus de cinq cent ninjas de Konoha – une véritable armée.

L'Uzumaki en aperçut d'ailleurs deux qui gardaient le portail principal. Il ne leur fallut pas bien longtemps pour le remarquer, visible comme il était avec son manteau stylisé orange et ses traits physiques colorés. Il approcha du portail sous leur regard extrêmement surpris et leurs mines dubitatives. Ils ne semblèrent pas bouger, ni même oser parler, mais dans tous les cas ils ne lui bloquèrent pas le chemin ; s'ils ne l'avaient pas reconnu – ce qui était fort peu probable étant donné leurs expressions – le bandeau à l'effigie de Konoha qu'il arborait au front l'identifiait assez clairement comme l'un des leur. L'Uzumaki leur adressa un sourire et les salua d'un petit mouvement de la main avant de franchir le portail.

L'atmosphère changea du tout au tout en un instant. Il tomba sur une vue qu'il n'avait pas vu depuis longtemps : celle de shinobis de vert vêtus, vaquant et discutant les uns les autres – leurs bandeaux attachés au bras, à la taille, à la cuisse ou plus simplement porté sur le front. La cour d'entrée du quartier général unifié de l'Est servait visiblement de lieu de regroupement et de détente à l'air libre, puisque les ninjas en garnisons semblaient pour plusieurs dizaines d'entre eux s'y réunir, notamment pour y fumer leurs cigarettes. Des bancs et des pelouses avaient été aménagés à cette fin. Cette citadelle était un petit Konoha dissimulé derrière ses hauts murs. La nostalgie à cette vue frappa aussitôt Naruto.

Inspirant un grand coup, il s'avança à travers le grand espace et traça son chemin vers le bâtiment principal du complexe, celui qui supportait sur ses hauteurs l'importante ziggourat de béton, d'acier et de verre. Il se rendit sans mal compte qu'il était observé de toute part, la quasi-totalité des ninjas de Konoha présents ayant remarqué son apparition et ayant arrêtés leurs discussions pour l'observer. Comme il s'éloignait, les discussions semblèrent reprendre de plus belle, certains des shinobis partant de part en part sans doute pour répandre la nouvelle de son arrivée.

Il entra alors dans un grand hall, au milieu duquel se tenait un accueil occupé par plusieurs ninjas que Naruto devina être des Chūnins. Il vint rapidement à leur hauteur, ces derniers le fixant incertains. Ils étaient quatre dont deux kunoichis.

- N-Naruto-san, nous vous attendions… ! s'exclama l'une d'elles en se levant avant de s'incliner. « Bienvenue parmi nous ! »

Les autres l'imitèrent aussitôt.

- Ah, euh… merci, répondit l'Uzumaki en essayant tant bien que mal de dissimuler sa gêne. « Je suis là pour rejoindre sensei… Enfin, Jiraiya des Sannins. Vous pourriez m'indiquer où il est ? »

- Hein ? Ah ! Oui, s'empressa de lui répondre la Chūnin de Konoha. « S-Suivez-moi ! »

Cette dernière quitta son poste devant le regard plein d'appréhension de ses trois collègues, à qui Naruto adressa un bref regard de reconnaissance. Il suivit alors la jeune femme dans la cage d'escalier montant aux étages supérieurs. « Pourquoi est-ce qu'ils ont l'air si gênés ? » se questionna-t-il continuellement, au constat qui s'imposa assez vite, à en voir la démarche de sa guide et les comportements toujours incertains et timides des ninjas qu'il rencontra sur son chemin. Il ne posa toutefois pas la question. Chaque chose en son temps.

- Jiraiya-sama est arrivé ce matin vers neuf heures, Naruto-san, s'exprima tout à coup la jeune femme alors qu'ils montaient les marches de l'escalier. Ils avaient déjà passé le deuxième étage.

- D'accord.

Sa réponse avait été simple, mais ce n'était pas comme s'il avait grand-chose à lui répondre en particulier.

- Une réunion est en cours depuis un moment avec les Jōnins, continua-t-elle tout en laissant sa phrase en suspend et en le regardant tout à coup. « Jiraiya-sama semblait particulièrement en colère… »

Maintenant il voyait ce qu'elle voulait. Elle misait sur le fait qu'il savait quelque chose et qu'il lui en parle. Et à en voir la curiosité presque penaude dans ses yeux, c'était sans doute pour ça également que la plupart des ninjas présents semblaient incertains ou intimidés. La venue de Jiraiya ne semblait pas avoir été des plus plaisantes. Mais de ce que le Sannin lui avait révélé à Midorihara, c'était compréhensible.

- Je sais ce que vous voulez, dit-il tout à coup sous la surprise de la jeune femme. « Mais je ne peux pas en parler. Si vous devez le savoir vous le saurez, mais ce n'est pas mon rôle. Je ne suis qu'un simple Genin. Désolé… »

- Oh… J'avais oublié ce détail… Avec tous les exploits que vous avez accomplis, on pourrait penser que vous faites partie des Jōnins. La quasi-totalité n'a même pas réalisé la moitié de ce que vous avez fait.

Naruto émit un petit rire à la pensée sans filtre de celle qui était techniquement sa supérieure hiérarchique. La Chūnin eut la décence de paraître embarrassée.

- Merci, c'est gentil, lui dit-il alors qu'elle souriait gentiment.

Arrivés au sixième étage, sa guide ne poursuivit pas leur ascension et l'intima d'un regard aimable de la suivre. Ils empruntèrent donc le corridor devant eux, croisant au passage plusieurs ninjas qui les saluèrent plus ou moins formellement.

- La salle de réunion est un peu plus loin. Jiraiya-sama devrait y être avec Takaoka-sama.

- Takaoka ? Qui est-ce ?

- Ah, c'est vrai que vous ne le connaissez pas. Takaoka Masao-sama. C'est le commandant en chef de la garnison. C'est lui qui est à la tête de l'Etat-major de l'Est. Jiraiya-sama voulait absolument le voir…

Naruto acquiesça et ne demanda rien de plus. Lorsqu'ils approchèrent de la salle, un groupement de shinobis se tenait devant l'entrée, la plupart affichant de soucieuses expressions. Naruto se doutait du pourquoi. Ils passèrent entre eux en demandant poliment l'accès, ce qui se fit au prix de nombreux regard curieux ou stupéfaits dès lors qu'ils le reconnurent, mais finalement, ils parvinrent à atteindre la porte. Ils perçurent aussitôt les vifs éclats de voix qui passaient dans les interstices, et notamment la voix facilement distinguable de Jiraiya.

- … Ce n'était pas à vous de décider ce genre de chose ! C'est au Corps des Jōnins de statuer sur une décision pareille, pas à la Garnison ! La prochaine fois, abstenez-vous de prendre des décisions aussi téméraires ! Vous auriez pu causer d'immenses dégâts, merde !

La Chūnin le regarda, et voyant son attente et son approbation, elle frappa à la porte et l'ouvrit. Et ils y entrèrent sans attendre. Ils furent aussitôt accueillis par une masse de regards irrités venant de divers officiers présents. Ils étaient tous debout et autour d'une grande table de réunion sur laquelle étaient posés de nombreux documents. Leur faisant dos, Jiraiya était assis avec le visage enfoncé dans ses mains. La Chūnin chercha du regard le dénommé Takaoka Masao et le trouva qui les observaient tout deux depuis un côté de la salle.

- Takaoka-sama, pardonnez mon interruption. J'amène Uzumaki Naruto-san, prononça-t-elle tout en s'inclinant respectueusement.

Jiraiya se retourna aussitôt pour regarder son élève.

- Naruto. Je pensais que tu viendrais plus tard, s'exclama-t-il, essayant d'harmoniser son expression.

En vain, puisque son état d'énervement était visiblement sans difficulté. Non pas que ça intimida l'Uzumaki. C'était aussi assez facile de deviner que son énervement ne lui était pas dirigé. Pas cette fois.

- Ah. Ben, je suis là…

Jiraiya soupira et secoua la tête dans un évident dépit. Il se leva ensuite et vint à niveau de Naruto.

- Ecoute, tu tombes mal, lui souffla-t-il en se penchant. « J'ai appris pas mal de choses et d'ailleurs certaines ont l'air de te concerner. On en parle ce soir. Pour l'instant, attends à l'extérieur. D'accord ? »

- Et je fais quoi pendant ce temps-là… ? demanda l'Uzumaki assez amèrement.

- Ano… Si je peux me permettre, la cafétéria ouvre dans quelques minutes, Naruto-san… Si vous cherchez un endroit pour attendre.

- Tu as entendu la dame ? Bonne idée, non ?

Naruto réfléchit quelques secondes en fronçant les sourcils mais acquiesça au final.

« D'accord… »


Une heure plus tard.

Lorsque Naruto avait quitté la salle avec elle, la Chūnin l'avait ensuite invité à la suivre pour rejoindre le réfectoire de la base. Shindo Mayumi, c'était comme cela que son accompagnatrice improvisée s'appelait. Elle n'était en fait dans les rangs Chūnin que depuis deux ans, ce qui expliquait, davantage que pour les autres, l'humilité avec laquelle elle s'adressait à lui. Bien qu'elle était visiblement âgée de trois ans de plus que lui, elle était encore Genin lors de l'attaque d'Oto et n'avait jamais participé à un examen des Chūnins : comme la majorité des Chūnins du village, elle avait été promue non pas suite à une exposition internationale mais par promotion par le commandement du Corps des Chūnins, décision validée par le Corps des Jōnins et le Hokage à l'unanimité. De fait, elle le considérait donc inconsciemment comme son supérieur, du fait de ses réalisations de ces dernières années et de sa position d'apprenti de Jiraiya.

Ce n'était pas légitime en termes de hiérarchie officielle, mais il pouvait facilement le comprendre : beaucoup de ninjas à Konoha reconnaissaient d'abord le prestige ou le niveau pure de leurs semblables avant leurs grades quand il était question de discuter avec eux. Bien que ce n'était pas forcément très courant, ce n'était pas non plus exceptionnel qu'un Chūnin face à certaine occasion preuve d'humilité face à un Genin vétéran ; plus âgé ou plus expérimenté au regard de sa carrière. Sur les presque dix milles Genins que comptait le Seiki Butai, tous les âges et tous les profils étaient en effet représenté. Le poste se résumait davantage à un poste de fantassin plutôt qu'à un poste de débutant – même si les nouvelles recrues et les Chūnins fraichement promus tendaient à le penser et l'avancer publiquement. Donc tous les cas, Naruto n'avait pas cherché à changer le comportement humble de Mayumi – elle se comportait d'une manière telle qu'il savait par avance qu'il serait vain d'essayer de la convaincre.

Ils étaient donc descendus au rez-de-chaussée et avaient rapidement rejoints la fameuse cafétéria. La zone était assez grande, puisque la cantine en elle-même était tout aussi spacieuse que lumineuse. Les tables plutôt qu'être agencées en ligne de manière austère étaient disposées çà et là, certaines près des grandes baies vitrées qui donnaient sur une des cours de la citadelle. La salle avait de quoi abriter bien trois cents clients, si ce n'était même pas plus. Elle était d'ailleurs déjà occupée à un certain point, puisque les ninjas de Konoha circulaient un peu partout, rejoignant en groupe certaines tables, discutant gaiment et riant de mille choses et bien d'autres.

Mayumi était finalement restée avec lui pour discuter, et la période de midi approchant – et à défaut d'avoir pris un petit-déjeuner -, ils s'étaient rendu au comptoir pour être servi par les cuisiniers ninjas en place. Et les choses en entraînant d'autres, il en était là.

Littéralement encerclé.

- Uzumaki-kun, raconte-nous ton aventure à Kiri ! Tout le monde en parle au village mais nous on a tellement peu d'info par ici, c'est frustrant ! Raconte-nous, racontes-nous !

- Hey Naruto-san, comment as-tu fait pour devenir aussi puissant en quatre ans ? Tu as des conseils à nous donner, nous les humbles Chūnins de l'Est ?

- Ouais, raconte-nous comment tu as fait pour reproduire le Hiraishin !

- Tu savais que le quatrième Hokage était ton père depuis longtemps ?

Naruto ne savait même pas où donner de la tête. A peine s'était-il installé à table avec Mayumi et avait-il commencé à déjeuner tout en discutant qu'ils étaient venus les uns après les autres, tous excités d'en savoir plus, d'apprendre à le connaître, d'avoir des nouvelles ou des récits d'aventure de l'étranger. C'était presque effrayant. « Ano… S'il-vous-plait, faites-lui un peu d'espace, ne soyez pas aussi nombreux… » En face de lui, Mayumi essayait de tempérer les ardeurs de ses collègues, mais sa petite voix ne perçait qu'à peine le brouhaha environnant. Son attitude en retrait était en fait assez mignonne pour lui donner envie de la taquiner. Non pas qu'il aurait pu à l'instant.

- Uzumaki Naruto ! s'écria un Chūnin en traversant la foule et en tendant un papier tant bien que mal. Il semblait avoir le même âge que lui. « Mon frère est ton plus grand fan depuis Icha Icha Paradise avec Kazahana Koyuki, mais il est en permission ! Pitié, un autographe pour lui ! »

D'accord… Maintenant, c'était vraiment gênant. Essayant de contenir son rougissement de gêne, il se résigna à signer un autographe au jeune homme, qui hurla littéralement un « Yeah ! Thank you Senpai ! » dès lors qu'il récupéra sa signature et sauta dans tous les sens. C'était presque à croire que ce n'était pas pour le frère de ce dernier qu'il avait signé le papier…

- Uzumaki-senpai ! s'exclama une des Chūnins présentes. « Plein de rumeurs circulent sur ta relation avec Mei Terumī, la Mizukage ! Est-ce que c'est vrai que vous êtes mariés et qu'elle attend un enfant de toi ? »

- Euh… Quoi ? Attendez, pas tous en même temps…

Soulevant quelque peu les bras en signe de reddition, l'Uzumaki préféra plutôt en rire qu'en pleurer.

La journée allait être longue.


Le soir même.

La caserne de la citadelle de Shōkō-machi n'était pas forcément le plus confortable des endroits, mais Naruto s'écroula sur sa couchette sans grand-état d'âme. Quand il était devenu évident qu'ils avaient définitivement quitté l'hôtel de la veille, on leur avait sans mal trouvés une chambre avec couchette superposée au sein des dortoirs. L'espace était petit, mais c'était suffisant s'il s'agissait d'y passer la nuit. L'Uzumaki ferma un instant les yeux, essayant de récupérer comme il pouvait de la journée, qui s'était résumé à répondre aux questions incessantes de ses semblables. Après deux heures de présence, c'était presque la moitié des ninjas de la base qui étaient venus lui parler.

Ouvrant les yeux, à défaut de n'apercevoir que le sommier de la couchette supérieure, il essaya de se remémorer les visages qu'ils avaient vus durant la journée. Cela avait été une drôle de journée. Il n'avait jamais imaginé qu'il provoquerait ce genre de phénomène. C'était à croire qu'il était perçu comme une sorte de star… Assez ironique dans la mesure où il était sûrement le seul Genin sur place. S'il faisait face à ce genre de réaction à Konoha, où la population atteignait presque les cinq-cents mille habitants, il ne s'en sortirait jamais. Lâchant un baillement de fatigue, il tourna la tête sur sa droite. Excepté la couchette double fixée au mur, un petit bureau remplissait l'espace dans sa largeur à niveau de la tête du lit. Et Jiraiya y siégeait. Il semblait concentré.

L'homme finit par soupirer, ne s'en sortant visiblement pas de la masse de documents qu'il triait sur le bureau. Cela, jusqu'à ce qu'il lui jette un rouleau.

- Tiens, c'est pour toi, s'exclama-t-il simplement.

Surpris, Naruto saisit l'objet par réflexe, et se redressa sur sa couchette. Il observa Jiraiya dans le doute. Le Sannin s'était tourné vers lui et le fixait silencieusement.

- … C'est quoi ?

- Je te l'ai dit ce matin. J'ai appris des choses, répondit-il dans un énième soupir. « Il faudra que tu lise ça demain au plus tard. Ce sera à toi de décider quoi faire. »

- A moi ? Pourquoi ?

- Parce que je ne serais plus là pour te dire quoi faire. Donc la décision te reviendra.

Un lourd silence tomba dès la révélation du Sannin. Ils se fixèrent, le plus jeune incertain et ne comprenant pas du tout la nature de ce que venait de lui dire le plus ancien.

- J'ai peur de pas comprendre…

Jiraiya commença à se gratter la tête et regarda dans le vague. Se replaçant plus à l'aise sur son siège, il fit de réfléchir.

- Du coup je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je pars demain matin.

- Tu pars demain ma-

- Je pars seul.

Jiraiya le coupa, lui intimant par le regard de ne pas répondre et de le laisser développer.

- J'ai eu des nouvelles du village et les choses se sont accélérées. J'ai compris pourquoi les services de communications sont bloqués. Disons que plusieurs problèmes internes majeurs sont tombés les uns après les autres, commença-t-il sur un ton neutre. Voyant qu'il avait l'attention de l'Uzumaki, il continua e la même manière. « Ca fait suite aux perspectives d'alliance avec Kiri et aux évènements à Haru no Kuni… Tsunade a des ennuis. »

- Baa-chan a des ennuis… ? Comment ça ?

- Même le Hokage doit répondre de ses actions… soupira Jiraiya avant de s'accouder au bureau. « Le Pays du Feu n'est pas très heureux de la tournure des évènements. Le Daimyo est inquiet et je suis prêt à parier qu'il n'approuve pas que Konoha se rapproche de Kiri. Il faut dire qu'on a profité de notre autonomie pour pousser la diplomatie du pays dans un sens qui indispose le gouvernement. »

- Mais toi, dans tout ça ? Pourquoi tu pars ? Et pourquoi tu me laisses derrière ?

- C'est pas comme si j'avais le choix. Il faut que je me rende à la capitale au plus vite. Et j'ai reçu des informations, je ne peux pas t'en dire plus. Sache juste que c'est important et que je ne peux pas t'emmener avec moi.

L'Uzumaki regarda le rouleau dans ses mains. Mais à quoi tout cela rimait ? Il n'arrivait pas à comprendre. Qu'est-ce que cela signifiait pour les jours qui suivaient ? Visiblement, Jiraiya remarqua son expression et comprit la nature silencieuse et intérieure de son questionnement. Parce qu'il y répondit en fait assez vite.

- Ce qui veut dire que notre voyage s'arrête ici.

L'Uzumaki le regarda béat. Rien de surprenant.

Mais au moment où ce dernier allait réagir, sans doute de manière tout à fait outrée, Jiraiya l'appréhenda.

- Avant que tu ne te mettes à hurler, laisse-moi t'expliquer. Tu ne rentres pas à Konoha. En tout cas, pas maintenant. Calmé ?

Il en avait l'air, étant donné que malgré ses sourcils froncés et son expression contrariée, l'Uzumaki ne semblait plus sur le point de partir dans les aigues.

- On ne change rien à la date de retour. Je te laisse ici mais je devrais avoir fini ce que j'ai à faire avant Novembre, donc on entamera le retour à la date convenue.

- Attends, mais je vais faire quoi ici pendant deux mois ? T'es sérieux ?

- Parce que tu penses que je te laisse ici à rien faire ? Tu prends tes rêves pour des réalités mon garçon, répondit alors le Sannin sur un ton à la limite du dédain. « Je ne te laisse pas en vacance. Je te confie à l'Etat-major de l'Est. »

- Donc, en gros… Je vais rester à Shōkō-machi et exécuter les ordres de ces mecs pendant deux mois jusqu'à ce que tu reviennes ?

- Ouaip. Enfin, c'est si tu refuses d'étudier la proposition de mission que tu as dans les mains.

L'attention de l'Uzumaki se porta de nouveau au rouleau dans ses mains.

- Je ne te l'ai pas donné pour rien. Il y aura des conditions à respecter pour suivre cette mission… mais à mon avis, elles seront largement acceptables vu de quoi il en retourne. Quoiqu'il en soit, tu décideras demain. J'en ai parlé à Takaoka Masao, donc il respectera ta décision. Bien, sur ce…. Je pars tôt demain donc je pense qu'il est temps de dormir.

Sans même attendre que Naruto lui réponde, Jiraiya éteignit la lampe sur le bureau et retira rapidement sa veste. Il grimpa l'échelle pour aller se poser sur sa couchette.

L'Uzumaki reçut un dernier « Bonne nuit » avant de ne plus rien entendre de sa part. Après quelques minutes, il décida d'allumer la loupiote fixé au mur sur sa gauche et qui lui servait de lampe de chevet.

Il s'attela à lire les éléments du rouleau jusqu'à ce que le sommeil ne le prenne.

Jamais il ne se serait attendu à ce genre d'informations.


Le lendemain matin.

La fraîcheur de la brise de l'aube se faisait ressentir lorsque le souffle passa à travers leurs vêtements et leurs cheveux. L'air était légèrement humide, apportant avec lui la rosée du matin. Le soleil encore bas illuminait le ciel et les quelques nuages d'un contraste rose et orange. Jiraiya et Naruto firent quelques pas à travers la cour, jusqu'au portail où se tenaient déjà deux ninjas de Konoha qui montaient la garde. Les saluant du regard, le maître et son élève les passèrent et continuèrent un peu plus loin, jusqu'à l'avenue qui donnait sur la gare. Ils ne prononcèrent rien ni ne se regardèrent jusqu'à ce que le Sannin ne s'arrête au détour d'un pont et se retourna vers Naruto.

Ils entendirent au loin le départ bruyant d'un train, et aperçurent du coin de l'œil la silhouette de la locomotive au charbon et de ses wagons qui s'éloignaient rapidement, laissant derrière une ligne de fumée. Autour d'eux se réveillait déjà la grande ville, et l'économie reprenait son cours quotidien avec la montée du soleil.

- Je crois que je vais continuer seul, commença Jiraiya calmement. « Je suppose que notre grand voyage prend fin ici. »

Naruto acquiesça lentement mais ne lui répondit pas.

- La prochaine fois qu'on se reverra, ce ne sera sans doute pas avant Novembre. J'ai vu que tu as lu le rouleau cette nuit. Qu'est-ce que tu as décidé de faire ?

Cette fois l'Uzumaki haussa les épaules.

- La réponse est plutôt évidente… Même si la mission ne me plaisait pas, je l'aurais prise quand même. Hors de question que je reste ici deux mois.

- Donc ça te plait.

Le silence de Naruto compta comme un oui. L'hypothèse qui ne l'était pas vraiment était renforcée par le regard léger du garçon. Jiraiya émit un petit sourire.

- C'est bien. Je m'en doutais. Vois ça comme un cadeau d'anniversaire avant l'heure. Vu que je ne serais pas là le mois prochain.

- Hm…

Jiraiya attendit quelques secondes avant de reprendre, un peu plus soucieux cette fois.

- Naruto, je veux juste m'assurer de quelque chose. Nous sommes d'accord que tu as compris les enjeux pour Ta, n'est-ce pas ? Je peux te faire confiance là-dessus ?

- … Quoi, tu penses que j'y retournerais maintenant sans ton accord ? questionna sèchement Naruto. « Je ne suis pas si stupide. C'est bon, j'ai compris. Je ne veux plus en parler. »

Jiraiya l'examina un instant. Il ne savait plus quoi dire. Il savait que Naruto lui en voulait profondément. Il accusait difficilement le coup de sa résignation, à en croire ce qu'il avait entendu ces dernières nuits. Le garçon faisait des cauchemars. C'était aussi pour ça qu'il lui avait confié ce rouleau d'information. Pour se faire pardonner. Pour occuper l'esprit en ébullition du garçon. Pour le détourner de ses remords.

- Bon… Je te dis au revoir…

L'Uzumaki hocha la tête sans le regarder.

- Et surtout fais attention… Je sais que tu ne seras pas seul et que tu es fort, mais on n'est jamais assez prudent.

Lorsqu'il vit que son filleul n'était pas prêt à lui répondre, Jiraiya lui adressa un petit sourire et s'en retourna, en direction de la gare.

- Hey, sensei.

Jiraiya s'arrêta et regarda par-dessus son épaule.

- Quand tu verras Baa-chan… Embrasse-la de ma part. Et bonne chance.

- Biens sûr, gaki. Bonne chance à toi aussi.

Naruto regarda le Sannin s'éloigner en direction de la gare de Shōkō-machi. L'homme traversa le pont qui surplombait les voies ferrées et disparut plus loin, tournant sur la droite.

Il ne sut alors combien de temps il resta là, seul, immobile, à regarder le pont, à l'écoute du silence bercé par la ville. La ville éclairée par l'aube.

Puis il s'en retourna à son tour, revenant sur un rythme lent vers le Quartier général de l'Est. Il se perdit dans l'immensité du ciel bleuté du matin, seul avec lui-même, avec ses songes, avec l'incertitude de l'avenir. Mais lorsqu'il défit le rouleau qui lui avait été confié hier, l'objectif pour les prochains mois s'avérait en vérité tout à fait clair.

Lorsque sa vue tomba sur un rapport d'activité d'Oto décrypté par les soins de l'unité de décryptage de Shōkō-machi. Et qu'il contempla la photo de cette femme. Son kimono aux thèmes familiers. A sa peau de lait. A ses grands yeux noirs évocateurs. Et plus que tout autre chose…

À ses longs cheveux amarante.

Son choix était clair.

« Cap sur Yu no Kuni. »

Yu no Kuni, terre de plaisance. Yu no Kuni, terre de conflit.

Yu no Kuni, terre de Jashin.


Ce chapitre est terminé.

On se retrouve dans quelques mois pour la partie II de l'arc. Pensez à me suivre sur Facebook ou Twitter, ou même me rejoindre sur Discord si vous souhaitez avoir des nouvelles de l'avancement de mes fanfictions ou discutez d'elles.

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A bientôt ! Et bonnes fêtes !
Etsukazu