Cauchemar

Auteur : Moi, Rubis-san (ou Rubis01 sur fanfic-fr ^^)

Genre : Drame, angoisse, horreur, famille, réflexions

Crédits : L'univers de One Piece, les personnages, tout appartient à Oda-sama. Bravo à lui pour ce manga fabuleux ! par contre, l'intrigue et la vision de l'esclavage qui est exposée ici est la mienne.

Le petit -ou pas- mot de l'auteur : La troisième et dernière partie est enfin là ! Toujours aussi glauque et sordide que les deux premières j'imagine U_U

Merci à tous ceux qui m'ont lue et/ou suivie, ça me fait chaud au coeur ! Un merci spécial à ceux qui ont pris le temps de laisser un petit mot, c'est vraiment motivant et rassurant de savoir vos avis ! =D

En tout cas, ce fut un plaisir de vous présenter cette mini-fic (même si le sujet n'est pas ce qu'il y a de plus joyeux xD), j'espère vous avoir offert un regard neuf sur cette chère Hancock ! =)

Bonne lecture !


« Allez sale esclave, mange ce fruit ! » somma le patriarche en faisant claquer une longue cravache sur le dos de la jeune fille.

Cette dernière étouffa une plainte. Elle n'émettrait pas un son. Non… Pour elle et pour ses sœurs, elle n'émettrait pas un son. Juste pour ne pas détruire la dernière et minuscule miette de fierté qu'il leur restait et qui avait fugitivement refait surface, émergeant du lac sombre qu'était son esprit empoisonné par la peur. Cette pensée lui était venue stupidement, sans qu'elle n'en saisisse la provenance. Après tout, les amazones étaient-elles seulement encore humaines ? N'étaient-elles pas déjà mortes il y a bien longtemps ? Mortes dans leurs cœurs, mortes dans leurs âmes en même temps qu'elles se résignaient à leur sort infâme ? Qu'elles se résignaient à n'être pas plus que de vulgaires objets, de misérables esclaves, tout en se détestant, se haïssant de cette capitulation ? Alors… pour quelle raison retenait-elle sa douleur ? Hancock ne comprenait pas, Hancock ne comprenait plus.

Elle n'en renonçait pas moins à sa décision incompréhensible. Elle ne donnerait pas à ses maîtres ce qu'ils voulaient, à savoir sa souffrance et ses cris. Elle crierait, elle hurlerait, oh oui elle hurlerait ! De toutes ses forces, de toute la puissance de sa voix, jusqu'à ce que celle-ci soit complètement cassée et éraillée. Jusqu'à ce que les lignes sanglantes qui striaient son dos cessent de la torturer d'un feu ardent. Oui elle hurlerait. Mais pas ici. Pas devant ses bourreaux, pas devant les gardes impassibles, pas alors qu'elle était là, au beau milieu de ce jeu atroce et pervers. Ses plaintes, elle les gardait pour les ténèbres des cachots, de son cachot, ce lieu noir, si noir, englué et perdu dans la déchéance, mais néanmoins le seul endroit où elle pouvait prétendre être en paix. En paix avec sa honte, en paix avec ses pleurs, en paix avec son agonie. Là-bas, entourée de la chaleur fébrile de ses cadettes, de la blancheur maladive des prisonniers, des râles des mourants et de la crasse qui rongeait les murs.

Le fouet claqua à nouveau, tachant de rouge sa peau meurtrie. L'écorchée sentit du sang dégouliner de ses omoplates pour imbiber lentement sa robe déchirée. Son tatouage la brûlait plus que jamais, comme s'il s'était embrasé de lui-même et contenait l'enfer. Il pulsait dans sa peau, méchamment, cruellement. Semblant lui susurrer et lui aboyer à la fois d'obéir. Lui rappelant doucereusement qu'elle n'était rien,qu'une esclave, que c'était là son destin de se soumettre.

« Mange ce fruit, espèce de chienne ! » vociféra de nouveau le noble, furieux.

Hancock encaissa vaillamment le claquement qui vint ricocher sur sa chair, y laissant une longue marque incandescente. A genoux, elle se mordit férocement la lèvre pour ne pas hurler. Un peu d'écarlate perla.

Elle avait été choisie pour commencer « l'animation » comme le disaient les Dragons célestes. On l'avait brusquement poussée au centre de la pièce alors qu'un doigt autoritaire la désignait comme première victime. Surprise, elle s'était étalée de tout son long sur le marbre. Son genou, qu'elle avait cogné durement contre le carrelage, l'élançait. Elle aurait sûrement un bleu. Elle s'était relevée rapidement, ignorant le tiraillement de son épiderme. Leurs maîtres n'aimaient pas que l'on succombe trop vite.

Pourtant, on l'avait fait se coucher à nouveau par terre, d'un geste brusque et froid. On avait jeté à ses pieds l'aliment démoniaque comme on lançait à un chien sa pâtée. Et désormais on voulait la forcer à manger à même le sol, comme un animal, ce fruit immonde ? Juste pour l'humilier un peu plus. Juste pour la maltraiter un peu plus. Juste pour lui montrer qu'elle n'avait véritablement plus aucun contrôle sur sa vie. Qu'elle était soumise. Complètement soumise. Purement et simplement assujettie.

Elle ne voulait pas. Obéir ? Abdiquer ? Ne pas résister et se laisser maudire sans rien dire ? S'affaiblir en s'empêchant de nager, de survivre dans l'eau ? S'enliser encore un peu plus dans la décadence et la honte ?

Et si par hasard ensuite, ces vampires insatiables la précipitaient dans un puits quelconque, que ferait-elle ? Se laisserait-elle noyer, n'ayant pas d'autre alternative ? Non, décidément, elle ne voulait pas. Jamais. Jamais, jamais, jamais.

L'hideux bourreau répéta encore une fois son ordre alors qu'il abattait sa cravache sur le flanc gauche de l'esclave, le barrant encore une fois de marques sanglantes. Cette dernière, trop faible pour résister à l'impact, alla s'écraser contre le mur dans un bruit sourd. Elle entendait ses deux jeunes sœurs se retenir de crier pour elle. Sans doute les adolescentes avaient-elles compris qu'il valait mieux se taire…

Une rafale de coups furieux s'abattit sur l'aînée des amazones, faisant gicler un peu d'essence incarnate. Elle se laissa ballotter de toutes parts, roulant sur le sol, encaissant les gifles du fouet. Que pouvait-elle faire de toute manière sinon supporter ? Elle finit par se recroqueviller sur le marbre, la tête entre les mains, attendant juste que la torture cesse.

Soumise. Encore ce mot, toujours ce mot qui résonnait dans sa tête. N'était-ce pas ce qu'elle était en ce moment ? D'ailleurs, ne l'avait-elle jamais été ?

Alors pourquoi s'acharnait-elle à résister ? A ne pas pousser de plaintes, à ne pas croquer dans le fruit démoniaque ?

Peut-être pour pouvoir juste encore croire qu'elle avait quelque chose d'humain, là, enfouie quelque part en elle, malgré qu'elle se soit résignée à sa condition et qu'elle vive en sous-être… Peut-être aussi pour pouvoir juste ne pas oublier qu'elle avait été humaine, un jour

Et ce fut là, sur la pierre froide, alors que la douleur fusait de toutes parts en elle, que les coups pleuvaient, grondants, rougissant son corps, qu'Hancock se souvint. Qu'elle rappela à sa mémoire le temps où elle avait été libre, où elles avaient été libres, loin de cette prison, loin de cette servitude, loin de ces maux.

Il lui semblait lointain, très lointain, presque irréel, ce temps-là. Un peu comme s'il n'avait jamais vraiment existé, et qu'il n'avait été rien de plus qu'un long rêve duquel elle avait fini par se réveiller pour replonger dans la dure réalité. La captive se revit courir dans les rues d'Amazon Lily, cueillir des fleurs sauvages dans la forêt lorsqu'elle et ses sœurs s'y aventuraient. Elle pouvait presque sentir les brins d'herbe lui caresser les chevilles, presque entendre les rires de ses cadettes lorsqu'elles se poursuivaient, joueuses. Depuis combien de temps ne s'était-elle pas laissée librement effleurer par les rayons du soleil ? Depuis combien de temps n'avait-elle pas humé la flagrance délicate du printemps ? Depuis combien de temps n'avait-elle pas contemplé la surface tantôt soyeuse tantôt agitée de la mer ? Elle ne savait pas, elle ne savait plus.

Cela faisait-il simplement quelques semaines ou au contraire quelques longues années qu'elles étaient ici, emprisonnées, séquestrées, avilies ? Elles avaient simplement perdu la notion de l'heure, dans leur cage noire.

Leur île lui paraissait si loin…

Un coup de cravache plus violent que les précédents arracha l'amazone à ses pensées. Elle contint de justesse le hurlement qui tenta de franchir ses lèvres tremblantes. La douleur éclata dans son dos, sèche, brûlante. Sa chair lui parut être léchée par les flammes. Des myriades de larmes écarlates jaillirent de la plaie rougeoyante, à la place de celles qui ne voulaient pas couler, , sur son visage et de ses yeux. Hancock trembla alors qu'elle fermait les paupières, enfonçant ses ongles cassés dans la peau pâle de ses paumes, se mordant la lippe. Faisant couler le sang.

Le noble, furieux qu'elle ne réagisse et ne soumette toujours pas à sa volonté, s'approcha et frappa puissamment du pied son estomac. Elle cracha un filet incarnat avant de rouler sur le flanc gauche.

Un cri fusa. Ce n'était pas le torturée se redressa difficilement, respirant laborieusement, et laissa l'hémoglobine poisser ses cheveux épars.

« Grande sœur ! » avaient appelé, terrifiées et inquiètes, ses cadettes, n'arrivant plus à retenir leur crainte pour leur aînée.

Le noble se retourna lentement vers ces dernières, un sourire triomphant fleurissant sur son visage flasque. La brune s'affola. Son cœur s'emballa encore un peu plus alors même qu'il battait déjà à tout rompre. Ses mains tremblèrent. Que signifiait cette odieuse expression sur l'horrible face de son bourreau ? Que voulait dire ce rictus de victoire sur ses lèvres ? Elle pressentait le pire.

Et elle n'avait pas tort.

Cruel, le patriarche sortit vivement un pistolet de son manteau de fourrure et le braqua vers les deux adolescentes. Il ricana. D'un rire grave et moqueur.

« C'est simple, l'esclave, soit tu manges ce fruit comme on te l'a ordonné, soit je tue sur le champ ces déchets ! Et dépêche-toi, mon auguste bonté a des limites. » menaça-t-il.

Les pupilles d'Hancock s'écarquillèrent alors qu'elle se pétrifiait sur place. Il lui sembla que son fluide vital se figeait dans ses veines. Un froid, glacial et insidieux, se saisit de son corps ensanglanté, envahissant ses membres déjà bien peu tièdes. Le souffle lui manqua. Ses ongles se plantèrent un peu plus profondément dans ses paumes. Si on le lui avait demandé, elle n'aurait su dire si c'était son cœur qui tambourinait ainsi ou si c'était le glas, le glas sombre et fatidique annonçant sa fin, qui sonnait.

Tuer ses sœurs ? Supprimer la vie des seules personnes qui enduraient avec elle son calvaire depuis le début, lui donnaient la force de survivre chaque jour ? Les derniers êtres qui lui étaient chers et qui partageaient avec elle un peu de cette maigre chaleur qui leur manquait tant ? Les derniers êtres qui la liaient encore à son beau passé alors qu'elles étaient perdues dans la pire des déchéances ? Ses compagnes de cellule, ses sœurs de sang, sa famille. Un bout d'elle, une partie de ce qu'elle était.

Hancock. Marigold. Sandersonia. Elles avaient toujours été trois tandis qu'elles dégringolaient un peu plus chaque jour les échelons de la fierté, qu'elles tombaient dans la décadence et la terreur. L'incompréhension. La faim. La soif. La honte. La tristesse. La souffrance. La mort. Elles avaient toujours tout supporté en s'aidant mutuellement. Ensemble. Toutes les trois. Hancock. Marigold. Sandersonia. Il ne pouvait en être autrement. Ces noms ne pouvaient résonner autrement qu'alignés. Ils ne devaient pas. Ils ne pouvaient pas. C'étaient les trois ou personne. Il ne pouvait en être différemment. C'était tout simplement impossible. Inimaginable.

Comment continuer à survivre, non, imaginer simplement continuer à survivre alors que ses deux sœurs ne seraient plus là pour se blottir désespérément contre elle, pour cacher leurs visages dans son cou quand elles avaient trop peur, pour respirer le même air putride et sale ? Pour l'empêcher de sombrer. Alors qu'elle serait emprisonnée seule, toute seule, dans sa prison obscure, seule face aux tourments, seule face aux horreurs, seule face à l'épouvante. Sans elles. Et ses bien-aimées où seraient-elles ? Séparées d'elle, trépassées, pourries, aussi enfermées dans la mort qu'elle l'était, elle, dans sa petite cage de fer.

Oh non, elle ne voulait pas vivre si elles n'étaient plus là, avec elle. Elle ne voulait plus endurer la pénombre, ni ignorer les appels du trépas, ni supporter la brûlure de son dos, elle ne voulait même plus inspirer une seule gorgée de cet oxygène aussi souillé qu'elle si c'était sans ses sœurs. Et ses cauchemars elle ne voulait tout simplement plus les affronter si elle devait le faire seule. Elle ne voulait même plus continuer à croire en une quelconque illusoire liberté si elles, elles n'étaient plus là pour croire avec elle. Si Hancock n'était plus qu'une au lieu de trois alors elle les écraserait, les espoirs, les espoirs futiles et vains aussi bien que les espoirs fondés et vrais, tous ceux qui permettaient à son existence de ne pas s'éteindre. Elle laisserait juste son âme disparaître, s'évaporer dans le néant pour rejoindre les leurs. Alors elles seraient à nouveau trois, pour toujours, à jamais.

Hancock. Marigold. Sandersonia. Décidément ces noms ne pouvaient résonner autrement.

Alors, l'amazone avait-elle seulement le choix ?

Elle abdiqua. Une larme sale coula sur la joue pâle de la brune, noyant un peu plus l'ultime et infime lueur qui ne brillait déjà plus dans ses yeux. Traîtresse.

La captive saisit de ses doigts tremblants la nourriture démoniaque et la porta à ses lèvres écorchées. Elle la fixa quelques secondes. Aucun parfum n'émanait d'elle. Celle-ci avait la forme et l'apparence d'une pêche, tout en étant d'un mauve brillant et strié de sorte de vagues. Ironiquement, la pêche était le fruit préféré de la prisonnière, ou du moins l'avait été. Sans doute ne le serait-elle plus désormais…

« Eh bien qu'attends-tu esclave ? la rappela à l'ordre d'un ton froid son bourreau. Tu veux vraiment que je les tue ? »

Il brandit avec un peu plus d'aplomb son pistolet vers les adolescentes. Ces dernières pleuraient silencieusement, terrorisées. Le cran de sécurité de l'arme était débloqué. Au bord de la mort. Leurs vies ne tenaient plus qu'à un fil. Et ce fil, c'était elle.

Hancock trembla, et faiblement ouvrit la bouche. Elle rapprocha le fruit de ses lippes. Ainsi elle serait maudite… Elle prit une grande inspiration pour se donner un peu de courage. Agenouillée à même le sol comme un vulgaire chien, elle croqua.

Elle ne sentit d'abord rien, seulement la saveur du rouge qui avait déjà franchi ses lèvres, répandant cet arôme de fer qu'avait le sang sur sa langue. Puis, il vint. Le goût du fruit. Il explosa dans sa bouche comme le ferait une bombe sous un pont. Il explosa en une multitude de sensations qui, mêlées comme elles l'étaient, créèrent un mélange immonde.

Doux. Trop peu peu comme ce qu'elle avait été, avant.

Âpre et amer. Très amer. Un peu comme cette goutte d'eau salée qu'elle avait laissée rouler sur sa peau ou comme toutes celles qu'elle avait versées.

Acide et sucré. Trop sucré. Un peu comme la bile qui lui était remontée à la gorge ou comme ce répugnant regard de luxure et de suffisance qu'avaient continuellement les Dragons célestes.

Velouté et sirupeux. Trop sirupeux. Un peu comme cet air putride dans les cachots qui l'étouffait plus qu'il ne l'apaisait.

Piquant et épicé. Très épicé. Un peu comme les coups de fouet qui lui brûlaient férocement le dos et comme le tatouage qui pulsait dans sa chair.

Et ce goût d'inachevé qui irritait ses papilles, qu'en dire ? Il était un peu comme son espoir, son futile espoir et sans doute vainde sortir un jour de cette servitude.

Immonde. Le fruit était tout simplement immonde. Horrible. Dégoûtant. A vomir.

Un peu comme sa vie peut-être…

Hancock éprouva immédiatement l'envie de recracher cette chose immangeable qui asséchait sa langue. Mais elle ne pouvait pas. Elle devait le faire. Les larmes lui montèrent aux yeux tandis qu'elle s'écœurait bouchée après bouchée. Elle toussa. Se força à avaler. Enfin… Elle avait fini.

Alors elle le sentit, lui.

Le pouvoir. Celui qui, à l'instant même où elle acheva de manger le fruit, courut dans ses veines, les envahissant, les conquérant. Elle eut la désagréable impression que son sang bouillonnait. Ainsi c'était cela être maudite par les eaux ? C'était douloureux. Ou était-ce parce qu'elle n'en voulait pas, de ce pouvoir,qu'il lui semblait avoir si mal ?

L'amazone se sentait fiévreuse. Ses prunelles, pleines de pleurs contenus, menaçaient de déborder. Elle avait honte. Honte d'être aussi démoniaque désormais que l'était ce fruit qui logeait dans son maigre corps. Honte de n'avoir rien pu faire pour lutter. Honte de n'avoir pas eu le choix. Et elle avait peur aussi. Toujours cette même peur qui l'empoisonnait peut-être autant que cette pêche qu'elle venait d'engloutir contre son gré. Cette peur qui ne la quittait jamais et qui, elle le savait, ne quittait jamais ses sœurs non plus. Qui ne les quitterait sans doute jamais. Cette peur enfin, qui leur faisait craindre le présent mais aussi le futur.

Et maintenant, qu'allait-il se passer ?

L'esclave releva lentement la tête, tentant d'adresser un petit sourire rassurant à ses cadettes éplorées. Le noble, satisfait qu'elle ait obéi, abaissa son arme. Ses enfants gloussèrent derrière lui. Puis il dit soudainement, dans une grimace cruelle :

« Maintenant voyons à quoi tu résistes, petite chienne. »

Et avant qu'elle n'ait eu le temps de comprendre, il braqua son pistolet sur elle et tira. La balle transperça l'épaule de la captive. L'amazone hurla tandis qu'elle s'effondrait, éclaboussant le marbre blanc d'écarlate frais.


Hancock ouvrit brutalement les paupières, réprimant difficilement un cri. Elle se releva vivement du matelas moelleux, repoussant ses draps de satin. Son cœur battait vite, bien trop vite pour un simple rêve. Ou plutôt était-ce un cauchemar. Sa respiration était chaotique, irrégulière. L'impératrice passa une de ses mains blanches sur son front, essuyant la sueur, la même sueur glacée qu'il y a des années, qui l'avait poissé. Elle la sentait aussi dans son cou et sa nuque, collant sur sa peau ses cheveux de jais. Son corps svelte tremblait.

Et dans le cœur de la reine, la peur. L'affreuse, l'hideuse, l'odieuse peur. Celle qui ne l'avait jamais vraiment quittée depuis toutes ces années. Celle qui s'était juste rendormie, tapie dans un coin sombre de son âme mais qui était toujours à l'affût, toujours prête à ressurgir. Cette peur qui, comme l'amazone l'avait prédit il y a longtemps, ne disparaîtrait jamais complètement d'elle et de ses sœurs.

Mais, comment pouvait-il en être autrement ?

Hancock tenta de réguler son souffle. Elle s'extirpa de ses couvertures en laine et se recroquevilla sur son lit, entourant ses longues jambes de ses bras nerveux. Elle enfouit sa tête dans le creux de ses coudes, laissant sa chevelure humide couvrir son dos et son front. Et elle resta là, longtemps, à tressaillir en tentant d'apaiser son esprit effrayé.

Pourquoi ? Pourquoi était-elle tant affectée par un banal songe ?

Ce n'était qu'une illusion de plus, un mensonge créé par son subconscient.

Mais elle savait bien que ce n'était pas cela, qu'au fond elle essayait juste de se voiler la face. Et d'oublier, de les oublier. Tous ces cauchemars qui revenaient sans cesse la hanter, nuit après nuit. Tous ces souvenirs qui la poursuivaient sans relâche, songe après songe. Après tout, elle savait bien que ce n'étaient pas juste de simples rêves…

Elle savait bien qu'il était normal qu'elle se réveille terrorisée lorsqu'elle revivait des moments aussi atroces. Elle savait bien qu'il était normal qu'elle sente trembler violemment sa chair, agitée par cette vieille peur qu'elle ne connaissait que trop bien. Elle savait bien qu'il était normal que son cœur se serre à l'étouffer et que des larmes traîtresses lui montent aux yeux. Elle savait bien, aussi, qu'elle n'était qu'une femme torturée de plus parmi tous ceux qui souffraient. Hancock savait tout cela.

Mais… Ne pouvait-elle pas juste se libérer, s'échapper de ce passé obscur et misérable ? S'enfuir et laisser loin derrière elle cette existence sanglante et sordide qui avait été la sienne de longues années durant ? Effacer, balayer sa mémoire ? La brune ne voulait que l'oubli. N'y avait-elle pas droit, après tout ce qu'elle avait traversé ? Ne pouvait-elle pas être libre ?

Libre. Elle avait cru l'être il y a longtemps. Elle avait su l'être. Elle savait l'être.

Mais lors de ces nuits qui semblaient ne jamais vouloir finir, cette liberté n'était qu'une illusion trompeuse et colorée de plus. Et sa liberté elle volait en éclats lorsque l'amazone se retrouvait à nouveau confinée dans sa cellule ! Elle s'éparpillait au gré de l'air putride des cachots, gouttait le long des murs, s'infiltrait entre les dalles sales et froides, se terrait dans la pierre glacée. Ah ! Qu'elle était belle sa liberté lorsque Hancock retournait devant ses bourreaux ! Lorsque le rouge éclaboussait les barreaux, lorsque la mort lui frôlait les pieds ! Le rêve prenait alors des allures de vérité tandis que la réalité paraissait mensonge. Et la reine redevenait esclave.

Au final, si l'impératrice avait brisé certaines de ses chaînes, il lui restait les autres. Toutes les autres. Celles spirituelles et mentales, liens invisibles et intangibles qu'il était encore plus difficile de dénouer. Et qui entravaient toujours ses mouvements malgré l'absence de cliquetis.

La pirate se leva maladroitement de son immense lit et, repoussant le baldaquin, esquissa quelques pas fébriles vers le grand miroir qui occupait tout un pan du mur. Son regard bleuté se fixa, comme vide, sur la surface lisse. Elle effleura tristement de son doigt fin et tremblant le verre avant de laisser retomber mollement son bras le long de son corps soudainement repris de soubresauts. Ses pupilles s'écarquillèrent légèrement alors que de nouvelles perles cristallines fleurissaient aux frontières de ses yeux. Ses fines jambes tressaillirent. La plus belle femme du monde tomba à genoux sur le tapis bordeaux.

Une fois encore… ce n'était pas son image qu'elle avait vue dans la glace…

La brune serra à s'en blanchir les jointures les poings pendant qu'elle se mordait si fort la lippe qu'un goût de fer infiltrait ses lèvres.

Après la terreur due aux souvenirs, il lui venait toujours un autre sentiment, tout aussi sombre que le précédent. Peut-être même plus encore. Il surgissait soudain de tous les pores de sa peau, l'envahissait, se mêlait à la remplissait l'esprit d'idées toutes plus noires les unes que les autres. Et Hancock ne résistait pas, Hancock se laissait submerger, se laissait conquérir, se laissait succomber. Trop faible pour y résister. Ou peut-être juste trop humaine.

L'amazone enfonça méchamment ses ongles dans ses paumes blanches tandis que sa mâchoire se contractait âprement.

La haine. Qui pouvait prétendre, dans son arrogance, être assez fort pour l'ignorer ? Qui pouvait prétendre rester indifférent aux tourbillons de sang qu'elle formait dans les veines, aux sensations fortes et vindicatives qu'elle provoquait, aux pensées macabres qu'elle faisait naître dans l'âme ? A cette envie de meurtre et de mal si puissante, si enivrante, parfois même jusqu'à la folie, qui secouait les entrailles ? A cette fournaise qui s'allumait pour ne plus jamais s'éteindre, détruisant à petit feu à mesure qu'elle consumait implacablement ? Qui en effet, qui n'était pas tenté ?

Sûrement pas elle. Sûrement pas tous ceux, toutes celles qui avaient vécu la même chose qu'elle.

Alors Hancock laissait son corps et tout son être crier férocement vengeance. Hancock laissait son cœur se cabrer en réponse à l'appel ténébreux. Hancock se laissait envoûter par la haine.

Et tous les soirs, , bien dissimulée dans la pénombre silencieuse de sa chambre, abandonnant sa splendide armure de femme insensible, Hancock se consumait un peu plus chaque jour, s'abîmait un peu plus chaque nuit.

Elle les haïssait. Ses bourreaux. Pour tout, tout ce qu'ils lui avaient fait, tout ce qu'ils leur avaient fait.

Les longs doigts de la corsaire se faufilèrent insidieusement sous sa nuisette de soie et échouèrent fiévreusement sur son dos nacré. Ses ongles acérés pénétrèrent et lacérèrent cruellement sa chair, cette chair souillée par l'odieux tatouage, cette chair souillée par les hideux Dragons célestes. L'écarlate perla et dégringola ses reins en petites rigoles avant d'imprimer de sombre le tapis.

Elle se haïssait aussi. Elle. Pour tout ce qu'elle avait été, pour tout ce qu'elle n'avait pu être, pour tout ce qu'elle était toujours sous sa pathétique petite carapace de pirate indomptable.

La douleur prit place à son tour dans son corps, résonnant dans sa peau, dans ses muscles et ses os. Hancock se mordit un peu plus les lèvres, les striant encore de rouge.

Demain, quand le soleil se lèverait, quand la lumière viendrait chasser l'obscurité, elle ré-endosserait fermement son rôle, elle revêtirait courageusement son masque de fierté et d'arrogance. Elle cacherait à nouveau ses larmes derrière un teint frais.

Demain… Demain, elle serait à nouveau forte, elle redeviendrait ce qu'elle se devait d'être, pour son peuple et ses sœurs.

Mais pour l'instant, le temps était à la souffrance et aux pleurs.

Une goutte sale s'écrasa sur le genou pâle de l'impératrice alors que le sang imbibait toujours un peu plus sa nuisette de soie.

Et dans la glace, c'était le tatouage qui brillait.


Finito ! La torture (dans tous les sens du terme xD) est terminée !

Alors, vous impressions maintenant ? Aviez-vous deviné la chute ? (faut dire que le titre était un indice gros comme une maison quand même xD).

Encore merci d'avoir lu ce three-shot, à la prochaine ! =)