Sous protection policière


Disclamer : Cette histoire est très inspirée du manga Cat's Eye de Tsukasa Hojo popularisé en France par le dessin animé Signé Cat's Eyes. J'en ai repris la situation initiale et les principaux personnages.

L'image de couverture est un montage à partir d'images récupérées sur le site universcatseye (permission accordée par Sutefanii)

Remerciements : Merci à Owlie Wood qui m'a soutenue quand je me demandais si cela valait le coup que j'écrive ça et qui s'est retrouvée alpha lectrice malgré elle. Comme toujours, Fenice a été là avec ses remarques pertinente et sa relecture attentive. Quant aux dernières fautes, elles ont été impitoyablement traquées par l'indispensable Monsieur Alixe.


XXI : Ajouter une nouvelle page


Lyon
Octobre 2010 - juin 2011

Une fois que lui et Tam se furent enfin mariés, Quentin se concentra sur l'étape suivante : l'accueil de l'enfant à naître. Pour commencer, il se mit à la recherche d'un appartement plus grand et réalisa qu'il n'était pas si facile de trouver un endroit aussi proche de son travail qu'il l'était actuellement, avec deux chambres et dans ses moyens.

Tam ne semblait pas très intéressée par cet aspect matériel. Par contre, il y eut un sujet qu'elle aborda très tôt : le prénom qu'ils allaient donner au bébé.

— On ne sait même pas si c'est une fille ou un garçon, objecta Quentin quand elle lui en parla.

— Oui, enfin, il n'y a que deux possibilités, remarqua-t-elle. On peut quand même faire des prévisions. Si c'est une fille, j'aimerais que son second prénom soit Isabelle, annonça-t-elle tout de suite.

— Le prénom de ta mère, se rappela-t-il. Et Michaël si c'est un garçon ?

— Si ça ne t'ennuie pas. Et comme premier prénom, tu aimes Constance ?

— C'est joli, oui. Une raison particulière ?

— Mon père adorait le lac de Constance. Il l'a représenté sur plusieurs tableaux.

— Ça me va. Enfin, si c'est une fille, évidemment. Parce que Constant, ça ne me dit rien.

— Constance Isabelle Chapuis, éprouva Tam.

— Très très bien, confirma Quentin. Et si c'est un garçon ?

— Tu y tiens à ton garçon !

— C'est pas une chance sur deux selon les statistiques ? rappela-t-il à son tour

— Un peu moins, chipota Tam. Enfin, en principe. Parce que, je sais pas si tu t'en es rendu compte, mais on fait plutôt des filles dans la famille.

— Eh, ça veut dire quoi, ça ? Que tu penses qu'on aura que des filles ?

— C'est probable.

— Pas trois filles, trancha énergiquement Quentin. Je refuse.

— Et pourquoi ?

— Non, mais tu imagines ? Trois adolescentes à rester un temps infini dans la salle de bain, à glousser des heures au téléphone, dont il faudra surveiller la longueur des robes, vérifier l'heure du retour, dire deux mots aux soupirants...

— Eh ! mais c'est quoi ces propos sexistes ?

— C'est pas sexiste, c'est mon expérience.

— Donc, trois garçons, ça ne te gêne pas !

— Disons que j'aimerais mieux panacher, si ça ne t'ennuie pas.

— Comme si j'y pouvais quelque chose ! haussa-t-elle les épaules.

— Tu as l'air de ne vouloir que des filles, rappela-t-il.

— J'ai pas dit ça du tout. J'ai juste fait un constat.

— Bon, de toute manière, on prendra ce qu'on aura, calma-t-il le jeu. Tu veux combien d'enfants ? s'enquit Quentin, réalisant qu'ils n'avaient jamais abordé ce sujet.

— J'aurais bien aimé en avoir au moins trois, répondit Tam d'une voix timide, comme si elle pensait qu'il n'allait pas être d'accord.

— Moi aussi j'en veux trois ou quatre, la rassura-t-il.

— Même si ce ne sont que des filles ? insista-t-elle.

— Je suppose que j'arriverai à m'adapter, sourit-il. Surtout si tu es avec moi pour les élever.

Tam sembla penser que la réponse valait bien un baiser. Quand leurs lèvres se séparèrent, elle ajouta :

— Si on a plusieurs enfants, j'aimerais qu'ils ne soient pas trop espacés. Je me sens davantage la mère d'Alex que sa sœur. Enfin non, pas sa mère, mais...

Elle s'interrompit, frustrée de ne pas arriver à exprimer sa pensée.

— Je vois, la tranquillisa Quentin. C'est une petite sœur dont tu te sens responsable plutôt qu'une camarade de jeu.

— Voilà, soupira Tam.

— Et l'âge idéal entre frères et sœurs, c'est combien, à ton avis ?

— Deux ans ! affirma Tam d'une voix sans appel.

— Comme entre Sylia et toi ? remarqua Quentin d'une voix amusée.

— Parfaitement ! fit Tam sur la défensive. On a beaucoup joué ensemble, quand on était petites. On a toujours été très proches.

Quentin décida de ne pas faire de commentaire sur la relation entre sœurs, qui était effectivement très forte, mais sûrement pas égalitaire – surtout du point de vue de Sylia. De toute manière, c'était un cas particulier, dû à la situation spécifique de leur famille.

— Va pour deux ans, convint-il. Dis, faudra pas traîner, réalisa-t-il.

— Tu as peur de ne pas tenir la distance ? plaisanta-t-elle.

— On risque de se calmer un peu après quelques semaines de nuits en pointillé, prophétisa-t-il.

Même si leur lune de miel passionnée se poursuivait, il avait travaillé assez souvent avec des jeunes pères pour savoir que cela donnait l'air hagard et drainait toute énergie.

— T'en fais pas pour ça, ronronna-t-elle en se pressant contre lui.

— C'est pas pour maintenant que je m'en fais, protesta-t-il. Tu te donnes de la peine pour rien...

— Comment ça, pour rien ? fit Tam d'une voix rieuse en ondulant contre lui.

— Bon, peut-être pas complètement pour rien, convint-il en passant ses mains sous son chemisier.

Il plongea la figure dans son cou et soudain, sans qu'il sache d'où lui venait l'idée, il demanda :

— Pour un garçon, qu'est-ce que tu dirais d'Antoine ?

ooOoo

Par Tam, Quentin sut que l'oncle Lucas avait parlé à Sylia des œuvres en souffrance qui avaient appartenu à la collection Heintz et qui étaient encore aux mains de la police. Il avait fait valoir que, pour l'honneur de la famille, il serait bon de prouver qu'elles avaient réellement des droits sur les pièces volées. Par ailleurs, il songeait développer le mécénat de sa société dans le domaine culturel. Pour parfaire cette image valorisante, une exposition permanente de la collection était envisageable. Mais pour cela, il fallait commencer par les récupérer, et l'oncle avait demandé à Sylia si elle saurait retrouver les preuves que les objets avaient bien été acquis par son père.

L'idée de remettre la main sur son bien et de le présenter au public avait enchanté Sylia qui s'était lancée dans la recherche avec frénésie. Quentin se demanda si elle allait égaler son ancien collègue Gaudin dans ce genre d'exercice.

— Heureusement que votre peine est purgée et qu'elle peut enfin retourner dans les musées et galeries d'art, remarqua l'inspecteur.

En effet, avec le jeu des remises de peine, les sœurs Chamade étaient officiellement libres et avaient recouvré tous leurs droits et privilèges de citoyennes.

— Sylia en est heureuse, mais ce n'est pas déterminant, expliqua Tam. Ce sont les courtiers qui travaillaient pour Papa qui ont le double des papiers, et se sont eux qu'elle doit retrouver.

— On a eu du mal à les identifier, se rappela Quentin. Elle avance ?

— Oui, pas mal. Elle connaît leurs noms car, à la fin, c'était elle qui faisait le travail administratif pour notre père. Le problème principal est que la mort de papa n'est pas officielle. L'avocat d'oncle Lucas est en train de faire le nécessaire pour que la disparition soit reconnue et faire prononcer le décès. Il a également soumis au juge les reconnaissances de paternité que papa nous avait données. Ensuite, il faudra régler la succession.

— Ça va vous faire de drôles de droits à payer, pronostiqua Quentin.

— L'idéal serait un accord avec l'État : on serait exonérées de droits et, en échange, tout serait exposé au public par une fondation qu'oncle Lucas financerait. Sinon, la moitié de la collection appartiendra à l'État, c'est certain, convint Tam.

— Et pour les œuvres de Kranaff ? songea Quentin. Pourrez-vous les faire authentifier comme étant de la main de votre père ?

— Sylia l'espère. Elle est en train de se faire connaître dans le milieu pour avoir des appuis quand le moment sera venu.

Quentin imagina Sylia en opération séduction auprès des personnalités importantes du monde de l'art.

— J'aurais mieux fait de me taire, regretta-t-il un peu tard. J'ai créé un monstre.

— Elle ne fera rien d'illégal, elle me l'a promis ! défendit Tam avec vivacité.

— Et que vaut sa promesse ? demanda sèchement Quentin.

— A-t-elle révélé à tes collègues qu'on était ensemble ? questionna Tam en retour.

Quentin réfléchit :

— Elle l'a plus ou moins dit devant le commissaire Bruno, se rappela-t-il, tout en convenant à part lui que c'était de son fait si l'interrogatoire avait tourné de manière aussi brutale et personnelle.

— Ça t'a posé des problèmes ? s'inquiéta Tam.

— Non, parce que j'avais pris soin de le lui avouer la veille, reconnut Quentin.

— Tu ne crois pas qu'elle aurait pu faire pire ?

— Si, admit-il en songeant que si elle avait parlé devant les autres inspecteurs au moment de l'arrestation, il aurait sans doute dû changer de métier. Elle t'avait promis de ne pas le faire ?

— Oui. Et je lui ai fait jurer de ne rien faire à présent qui puisse être préjudiciable à ta carrière. Je sais que tu ne l'estimes pas beaucoup, mais je t'assure que sa parole vaut de l'or.

— D'accord, d'accord, recula Quentin ne voulant pas discuter une fois de plus des qualités et défauts de Sylia avec Tam.

Il laissa passer un moment et précisa :

— Même si elle ne cherche pas à médiatiser l'affaire, il y a des risques que certaines choses se sachent. Les Cat's Eye qui récupèrent le produit de leurs anciens vols parce qu'elles en sont les héritières, c'est vendeur. Et si on creuse un peu, pas besoin d'être Sherlock Holmes pour découvrir que Mademoiselle Tam Chamade est maintenant l'épouse de l'inspecteur Chapuis qui l'a arrêtée il y a six ans.

— Quentin, commença Tam d'une voix désolée.

— Mais je savais déjà tout ça quand j'ai donné l'information à ton oncle, je ne vais pas jouer à la victime si ça me cause des ennuis, précisa Quentin. D'ailleurs, j'y ai réfléchi. Si certains commencent à nous interroger là dessus, nous ne sommes pas obligés de tout raconter non plus.

— Que veux-tu dire ? s'étonna sa femme.

— Ce qui pourrait être gênant pour moi, c'est qu'on sache que nous sortions ensemble alors que tu étais en activité et que je ne me suis rendu compte de rien. Mais ça, presque personne n'est au courant. Je sais que ton oncle a fait enquêter sur moi avant de me confier Alex, et tout ce qu'il a récupéré comme bruit de couloir, c'est les disputes entre Sylia et moi.

— Et comment penses-tu expliquer qu'on se soit mariés ensuite ? interrogea Tam, les sourcils froncés de concentration.

— Je me suis occupé d'Alex et, quand tu es sortie de prison, on s'est revus pour que je te passe le relais, répondit Quentin. Je ne serais pas le premier flic à épouser une ancienne taularde, après tout. Au pire, on pensera que j'ai des goûts bizarres.

— Si tu penses que c'est mieux pour toi, je ferai passer le message à Sylia. Mais je préférerais qu'on nous laisse tranquille avec ça.

— Moi aussi, mais je suis persuadé que quoi qu'il arrive, l'important, c'est que nous soyons ensemble, assura Quentin.

Tam ne répondit pas. Elle se contenta de poser sa tête contre son épaule. Quentin l'enlaça en se disant que certains risques valaient la peine d'être pris.

ooOoo

Quentin prit une garde la nuit du 24 décembre, laissant Tam fêter Noël avec ses sœurs. Le couple partit la semaine d'après pour Angers. Ils passèrent ainsi le réveillon du Nouvel An avec Mme Chapuis et avec Alexia qui les rejoignit pour deux jours. Tam et Martine avaient visiblement beaucoup de choses à se dire, et Quentin se sentit parfois en trop. Il en profita pour aller au cinéma et mettre à jour son blog.

Un dimanche de janvier, Quentin appela Alexia pour avoir des nouvelles. Il lui trouva une voix un peu éteinte.

— Hé ! Qu'est-ce qui se passe, Tête de Piaf.

— Rien, ça va.

— Tu as le droit de ne pas avoir envie de m'en parler, mais je sais que tout ne va pas bien, affirma Quentin.

— Zut, tu fais comment ?

— On a traversé assez de turbulences ensemble pour que je sache quand quelque chose te tracasse. Besoin d'un conseil ?

— Pff, je sais ce que tu vas me dire !

— T'es sûre ?

— Si je te dis qu'hier j'ai trop bu à une soirée, tu vas me dire que tu m'as dit plein de fois de faire attention à ne pas dépasser une certaine dose pour qu'il ne m'arrive rien de fâcheux.

— J'ajouterai aussi que je suis content que tu t'en rappelles mais que je ne me fais pas trop d'illusions : durant tes trois années d'études, tu vas faire un certain nombre de conneries et sans doute te prendre quelques cuites.

— Euh, vraiment ?

— Je ne te donne pas ma bénédiction, Alex, mais moi aussi j'ai été étudiant, et je sais bien qu'il faut avoir fait quelques erreurs pour comprendre pleinement l'intérêt des conseils des vieux croulants.

— Ah.

Quentin laissa Alexia méditer ses paroles avant de demander :

— Et qu'est-ce que tu as fait sous l'emprise de l'alcool qui te fasse te sentir aussi mal aujourd'hui ?

— Je crois que j'ai tout foiré avec le garçon de ma promo qui me plaît bien, avoua-t-elle d'une voix désolée. Ah, je suis trop bête !

— Laisse-moi deviner, fit Quentin. Il t'embrassait, tu aimais bien et tu lui as foutu une beigne !

— Mais non, pas du tout ! Et puis c'est stupide de mettre une beigne si on est d'accord pour être embrassée, tu ne trouves pas ?

— Je suis bien d'accord avec toi, mais ça arrive, je t'assure. Alors, tu as fait quoi ?

— Je sais pas trop, et c'est ça qui m'ennuie. Je crois bien me souvenir qu'il m'a raccompagnée chez moi, je me rappelle vaguement m'être jetée à son cou, mais après c'est le trou noir.

— Tu as repris tes esprits où ?

— Dans mon lit, ce matin. Toute seule.

— Habillée ?

— C'est bon, je sais qu'il ne s'est rien passé.

— Dis, tu prends toujours la pilule ? vérifia Quentin.

— Je me suis fais poser un implant contraceptif, t'en fais pas pour ça. Ce qui m'ennuie, c'est qu'il n'était pas là. Je ne sais pas si je me suis totalement ridiculisée ou si je le dégoûte maintenant !

— C'est toujours mieux que s'il avait profité de la situation alors que tu n'étais plus en état de donner ton consentement, remarqua Quentin. Et admet que c'est dommage d'avoir l'esprit trop embrumé pour profiter pleinement des Roméo qu'on a réussi à attirer chez soi.

— Je savais que tu allais me faire la morale ! grogna Alexia pour la forme.

— Je te fais pas la morale, je te donne un conseil, c'est pas pareil, rectifia Quentin. Et pendant que j'y suis, les implants, c'est bien, se protéger, c'est mieux.

— J'ai pas oublié. Et la drogue, ça crame le cerveau.

— Bon, j'ai pas radoté pour rien, au moins.

— Mais non, mais non. Comment va Tam ?

— Toujours aussi belle.

— Eurk, désolée, mais la guimauve ça a tendance à me donner mal au cœur, aujourd'hui.

— Je te laisse te morfondre, alors. Tiens-moi au courant de la suite des évènements.

— Oh non, je le revois demain ! Qu'est-ce que je vais lui dire ?

— Aucune idée. Bonne chance Alex !

— Quentiiiin !

ooOoo

Le samedi suivant, dans la matinée, Quentin reçu un sms d'Alexia : 'Pas bu. Romeo resté. Vieux croulants ont parfois raison'. Il éclata de rire.

— Qu'est-ce qui est drôle ? s'enquit Tam qui lisait sur le canapé.

— Rien. Alex va bien.

— Et qu'est-ce qu'elle te raconte ?

— Tu le lui demanderas. Mais ne l'appelle pas maintenant, je pense que tu dérangerais.

Tam se tourna vers lui et questionna :

— Pourquoi j'ai l'impression qu'elle te raconte des choses qu'elle ne me dit pas à moi ?

— Peut-être parce qu'elle me raconte des choses qu'elle ne te dit pas à toi, répondit Quentin avec un grand sourire.

— Et elle t'a raconté quoi ?

— C'est entre elle et moi.

— Et notre règle du non-secret ?

— Ça s'applique à mes secrets à moi, pas à ceux que me confient les autres. C'est sa vie privée, pas la mienne.

Tam ouvrit la bouche pour protester, mais Quentin la coupa dans son élan :

— D'accord, tu me racontes tous les secrets que te confie Sylia et je te dévoile ceux d'Alexia.

Tam lui lança un regard noir.

— J'appellerai ma petite sœur ce soir, fit-elle le plus dignement possible en reprenant son livre.

— Ouais, tu me raconteras, ricana Quentin.

Il dut se baisser en vitesse. Son épouse visait toujours aussi bien.

ooOoo

La seconde échographie eut lieu en février. Lors de la première, Quentin n'avait pas été emballé par ce qu'il avait vu. Il avait trouvé la taille de la tête grotesque et avait eu du mal à voir son enfant dans l'espèce de gremlin qu'on leur avait présenté.

Cette fois-ci, il eut l'impression qu'on lui lui attribuait réellement un bébé : tête mieux proportionnée, deux bras, deux jambes, un...

— Mais c'est un garçon ! s'exclama-t-il.

— Oui, et c'est rare que ce soit aussi net, confirma la sage-femme en faisant glisser son appareil sur le ventre de Tam pour centrer l'objet de leur attention. J'espère que vous vouliez savoir, s'inquiéta-t-elle.

— On voulait, on voulait ! s'extasia Quentin.

— Vous êtes sûrs que c'est un garçon ? interrogea Tam d'une voix aiguë.

— Enfin, chérie, je ne sais pas ce qu'il te faut, répondit Quentin avant de se rappeler de leur conversation sur le sujet. Oh, désolé, tu voulais une petite fille...

— Eh bien, je... je m'attendais à une fille, corrigea-t-elle visiblement décontenancée.

La sage-femme enchaîna sur des précisions rassurantes – l'enfant était parfaitement normal. Elle prit toutes les mesures nécessaires, puis ils durent s'arracher à la contemplation de l'écran.

— Ça va ? demanda Quentin à Tam quand ils repartirent.

— Je suis un peu secouée, convint-elle. Mais, ça va. C'est notre bébé.

— Notre petit Antoine, se gargarisa Quentin, pas mécontent au fond que les gènes Chapuis se soient exprimés. Dans deux ans, on fera connaissance avec la petite Constance, promit-il en serrant la main de Tam.

— Toi, tu es bien content, bouda-t-elle.

— J'aurais été content avec une fille aussi, affirma-t-il sincèrement. Mais un garçon, ça change un peu. Parce que mine de rien, on a tous les deux déjà élevé une fille. Pas ensemble, pas en même temps, reconnut-il, mais la même.

— C'est vrai. Bon, va pour un garçon... Mais promets-moi qu'on n'en aura pas trois !

ooOoo

Un soir de mars, Quentin récupéra le courrier que Tam lui avait mis de côté sur la commode de l'entrée. L'enveloppe, non décachetée, était à leurs deux noms, mais il ne s'étonna pas que Tam lui en laisse la prééminence, au vu de l'identité de l'expéditrice indiqué à l'arrière.

Il ouvrit le rabat et découvrit un faire–part de mariage sur lequel était collé un post-it :

Si vous ne venez pas, j'en ferai pas tout un plat. Par contre, interdiction de venir tout seul, Quentin. Dans tous les cas, n'oubliez pas le cadeau. Ruth

Il sourit à la plaisanterie et passa dans la cuisine où Tam préparait le dîner.

— Tu n'es pas supposée te reposer le soir ? demanda-t-il en posant la main sur son ventre gravide.

— T'en fais pas, je me suis allongée un peu avant.

Quentin lui passa le courrier. Elle déchiffra le carton et le petit mot.

— On y va que si tu en as réellement envie, offrit Quentin. Les désirs d'une femme enceinte, c'est sacré.

— Tu aimerais que je dise oui.

— Effectivement, mais si je te donne le choix je ne te reprocherai pas l'option que tu choisiras.

— J'ai combien de temps pour donner ma réponse ?

— Le temps qu'il te faudra.

Le soir même, Quentin sentit une réserve inhabituelle chez Tam, alors qu'elle s'installait dans le lit à ses côtés. Au lieu de venir contre lui comme elle le faisait d'habitude, elle laissa un petit espace entre eux. Il comprit son attitude quand, faisant manifestement suite à la conversation qu'ils avaient eue plus tôt et à laquelle elle n'avait plus fait allusion de la soirée, elle demanda :

— Pourquoi tu as rompu avec elle ?

— On lui a proposé une promotion dans une autre ville, expliqua-t-il.

— Tu ne lui as pas demandé de rester ? s'enquit-elle d'un ton neutre.

— Non. J'étais content qu'elle trouve un poste qui lui convienne mieux.

— Tu ne l'aimais plus ?

— Je l'aime toujours beaucoup mais ça n'a jamais été autre chose que de l'amitié.

Tam tourna la tête vers lui.

— Tu es resté toutes ces années avec une femme dont tu n'étais pas amoureux ? questionna-t-elle semblant avoir du mal à le croire.

— Oui.

— Tu n'as pas trouvé… quelqu'un d'autre ? s'étonna-t-elle.

— Elle était la personne qu'il me fallait. Je n'étais pas prêt à… prendre des risques, tenta-t-il d'expliquer délicatement.

Il ne voulait pas que cette allusion aux moments difficiles qu'il avait endurés ne sonne de manière accusatoire. Elle savait parfaitement qu'il avait été profondément blessé, mais n'avait manifestement pas réalisé qu'il avait été, durant des années, incapable d'envisager un engagement amoureux.

— Et elle non plus elle ne voulait pas prendre des risques ? s'enquit Tam après réflexion.

— Je suppose que non. A moins qu'elle n'ait tout simplement pas trouvé la bonne personne avant de tomber sur mon ami Patrick.

Le silence retomba entre eux, puis Quentin tenta d'expliquer :

— Ce n'était pas seulement une question de libido si on a débordé de l'amitié. Je pense que j'avais besoin… que quelqu'un me prenne dans ses bras. Ça a peut-être l'air ridicule… mais au bout d'un moment… c'est dur quand personne ne te touche jamais, peina-t-il à exprimer.

— Je sais, abonda Tam. J'ai vu des femmes crever du manque de tendresse en prison. Et j'en ai vu d'autres, mariées et mères de famille, se mettre en couple avec leur codétenue pour mettre fin à cette affreuse solitude et combler ce vide autour d'elles.

Quentin étendit son bras vers Tam tandis que cette dernière roulait vers lui.

— C'est ce que tu as ressenti ? demanda-t-il doucement alors qu'elle se blottissait enfin contre lui.

— Non, pas vraiment, le rassura-t-elle. J'avais Sylia. Après la disparition de maman, c'est elle qui me consolait quand j'étais triste ou que j'avais un problème. Du coup, on a le contact facile et naturel. Ça nous a énormément aidées toutes les deux.

Quentin avait du mal à se représenter Sylia affectueuse et aimante, mais il savait cependant que ni Alexia, ni Tam n'avaient manqué d'amour durant leur enfance. Les deux sœurs avaient eu beaucoup de chance d'avoir pu rester ensemble durant la l'accomplissement de leur peine. Chance qui devait sans doute énormément au fait d'avoir un bon avocat — celui envoyé par leur oncle — qui avait dû faire les demandes nécessaires pour qu'elles soient transférées dans le même établissement, puis qu'elles partagent la même cellule.

Ils s'endormirent pelotonnés l'un contre l'autre, pleinement conscients de la chance qu'ils avaient d'avoir une personne aimée dans leur bras.

Le lendemain matin, en repensant à leur conversation, Quentin espéra que le statut de co-détenue que Ruth venait d'acquérir allait rendre Tam plus compréhensive. Ce fut manifestement le cas. Le soir même il eut sa réponse et il put appeler son amie :

— On se voit dans trois semaines, parait-il, annonça-t-il.

— Tu peux m'envoyer un extrait de naissance en vitesse ?

— Pourquoi ?

— Parce que tu es mon témoin.

Il se demanda ce qu'en penserait Tam, mais décida qu'il ne pouvait pas refuser.

— Je te fais ça le plus vite possible.

— Et je peux inviter Alexia ?

— Ça lui fera plaisir, assura Quentin.

— D'accord, je l'appelle.

ooOoo

Tam et Quentin avaient réservé une chambre d'hôtel non loin de l'endroit où le Patrick et Ruth habitaient. Ruth appela Quentin alors que lui et Tam étaient en train de se préparer pour se rendre à la mairie qui était également dans les alentours.

— On vous attend chez moi dès que vous êtes prêts, lui dit-elle.

— Qu'est-ce que tu mijotes ? se méfia Quentin.

— T'es le témoin, tu dois venir, insista-t-elle. Et puis j'ai besoin de Tam pour me coiffer.

— C'est quoi ce délire ?

— Écoute, c'est moi, la mariée, c'est ma journée, alors tu fais comme je dis !

Et elle raccrocha sans autre forme de procès.

— Elle parle tout le temps comme ça ? s'étonna Tam.

— Oui mais, heureusement, elle ne se marie pas tous les jours. On n'est pas obligés de se plier à ses quatre volontés, ajouta-t-il prudemment.

— Tu vois, là, je suis assez curieuse de la rencontrer, finalement, répondit Tam.

Ils prévinrent Alexia qui était en train de se préparer dans la chambre à côté et convinrent de se retrouver à la mairie. Quentin sentit que la jeune fille brûlait de curiosité et mourait d'envie de les accompagner, mais Ruth n'avait pas parlé d'Alexia et le policier préférait s'abstenir de l'inviter à se joindre à eux, ne sachant ce qui les attendait.

En arrivant à l'adresse indiquée, Quentin ressentait une légère angoisse. Il savait que Ruth était capable de charmer n'importe qui si elle s'en donnait la peine – et il était certain qu'elle ferait son possible pour lui épargner des problèmes de couple – , mais Tam était profondément jalouse et il n'ignorait pas que, malgré l'explication qu'ils avaient eue, elle avait dû se faire violence pour accepter de l'accompagner.

— Tu es déjà venu ici ? demanda Tam.

— Non. J'ai pas revu Ruth depuis deux ans et demi et ça fait encore plus longtemps que j'ai pas vu Patrick.

Il sonna à l'interphone. Quelques instants plus tard, ils sortaient de l'ascenseur et Patrick les fit entrer. Avant que Quentin puisse faire les présentations, Ruth arriva de la pièce d'à côté. Elle était vêtue d'une longue robe rouge, les cheveux de la même couleur.

— Tu prépares un sacrifice humain ? demanda Quentin.

— Oui, le tien, tu n'avais pas compris ? répliqua-t-elle en l'embrassant sur les deux joues.

Ruth se tourna vers Tam qui l'examinait d'un air interloqué et s'écria en fixant son ventre proéminent :

— Oh, mon dieu, dans quel état tu l'as mise !

Sans laisser le temps à Quentin ou à Tam de répliquer, elle prit la main de la future mère et l'entraîna hors de la pièce en disant :

— Faut qu'on se dépêche, je ne suis pas coiffée et on part dans dix minutes.

Quentin regardait désespérément la porte où avaient disparu les deux femmes quand il reçut une bourrade sur les omoplates :

— Ben mon vieux, si tu voyais ta tête ! se moqua Patrick. T'en fais pas, tout va bien se passer.

— Désolé, ça me fout la trouille ! exprima Quentin qui se demandait s'il ne devait pas aller au secours de Tam.

— Bah, laisse-les. Dis donc, ça fait un moment qu'on s'est pas vus.

— J'ai compté, au moins huit ans, reconnut Quentin. La dernière fois, j'étais encore en poste à Bordeaux.

— Et déjà avec Tam, se rappela Patrick. Après t'as disparu sans laisser d'adresse. Heureusement que Ruth me donne de tes nouvelles de temps en temps. Même si à deux heures du matin, je capte pas tout.

— Désolé, dit humblement Quentin.

— Allez, c'est pas grave. Après tout, c'est toi qui me l'as envoyée. Tu bois un verre ?

Une boule de poil jaune fonça sur Quentin en crachant. Le policier fit un bon de côté pour l'éviter.

— Ouais, moi aussi, je t'ai reconnu, fit-il en direction du fauve. Et moi non plus, je ne t'aime pas.

Patrick se pencha, souleva l'animal d'un geste ferme et alla le déposer avec douceur dans la pièce d'à côté dont il ferma la porte. Quentin se dit que l'identité du mâle dominant ne faisait aucun doute.

Quand les deux femmes les rejoignirent, la chevelure de Ruth était joliment arrangée en une tresse africaine et Tam paraissait parfaitement conquise par la future mariée. En arrivant à la mairie, où les attendait déjà Alexia, Quentin constata que la trentaine de personnes qui se trouvaient là étaient tous des amis ou de la famille de Patrick. Si Tam n'avait pas donné son accord pour venir, Ruth n'aurait eu aucun invité à elle. Il serra la main de Tam, reconnaissant de l'effort qu'elle avait fait pour lui.

Quentin nota également que personne ne semblait choqué par la tenue de la mariée. Visiblement, Patrick l'avait déjà présentée à tout le monde et les invités savaient à quoi s'attendre. Il se rappela qu'il avait déjà eu l'occasion de rencontrer les parents de son ami une dizaine d'années auparavant, et qu'il les avait trouvés chaleureux et ouverts. Il se réjouit à l'idée que Ruth entre dans une famille capable de l'apprécier.

L'inspecteur était juste derrière son amie quand le maire égrena les articles réglementaires du code civil. Quand Ruth et Patrick furent officiellement unis, il signa les registres à côté du frère du marié et enfin pu s'avancer pour féliciter les héros de la fête. Il serra vigoureusement les mains de Patrick – le quart d'heure qu'ils avaient passé ensemble leur avait permis de renouer leur amitié – puis il étreignit chaleureusement Ruth. Il l'embrassa sur les joues et lui souffla à l'oreille :

— Je te souhaite tout le bonheur du monde. Tu le mérites, tu sais.

— J'essaye de m'en persuader, répondit-elle sur le même ton.

Il échangèrent un regard affectueux, puis il laissa la place à son épouse qui l'avait attendu pour adresser ses félicitations. L'étreinte des deux femmes fut cordiale et Ruth prononça quelques mots à l'oreille de Tam qui la firent rire. Quentin sut que sa femme n'avait pu garder la moindre rancune envers son amie. Elle avait été conquise et il se demanda comment Ruth s'y était prise pour y parvenir en si peu de temps.

Le repas dans la salle d'un restaurant privatisé pour l'occasion fut joyeux. Quentin participa à l'ambiance en racontant un certain nombre d'anecdotes datant de sa vie d'étudiant et impliquant le marié. Il prit cependant soin de ne pas embarrasser Patrick devant sa famille – rien n'aurait pu scandaliser Ruth – car il y avait des épisodes qu'il espérait ne jamais voir arriver aux oreilles de Tam et il ne voulait pas donner à son ami l'envie de se venger.

Après le repas, la compagnie poussa les tables et l'on dansa, sauf la pauvre Tam, clouée à sa chaise par sa grossesse. Quentin réussit tout de même à la persuader de lui accorder un slow. De son côté, elle l'encouragea à inviter Ruth et il fit valser Alexia. Cette dernière avait beaucoup de succès auprès d'un jeune cousin du marié. Quentin la surveillait de loin, lui faisant même, d'un regard, reposer un verre d'alcool qu'il jugea surnuméraire. Malgré son manque de mobilité, Tam ne s'ennuya pas car ceux qui se reposaient ou ne dansaient pas venaient s'asseoir à sa table et elle ne manqua pas d'interlocuteurs.

Les festivités terminées, ils retournèrent dormir à l'hôtel. Une fois dans leur chambre, après avoir souhaité bonne nuit à Alexia, Tam fit remarquer à Quentin :

— Elle est absolument incroyable.

— Oui, je sais. Qu'est ce qu'elle t'a dit pendant que tu la coiffais ? demanda son mari avec curiosité.

— Secret ! opposa-t-elle avec un petit sourire.

— Mhum, fit-il conscient que ses arguments passés étaient en train d'être retournés contre lui.

ooOoo

Quand Tam avait été entraînée par Ruth loin de Quentin, elle était encore sous le coup de l'ébahissement : celle qu'elle avait imaginée n'avait pas d'anneau dans le nez, pas de cheveux rouges en pétard, ni des manières aussi brusques. Elle s'était retrouvée dans une salle de bain. La mariée avait fermé la porte derrière elle et avait déclaré :

— Autant que ce soit clair : ton Quentin, je l'ai jamais eu. Pas une seconde. Il a toujours été à toi, de la première à la dernière minute. Et je le savais, avant même d'apprendre que tu existais. Alors tu vois, faut pas te biler pour ça.

— Je…, avait balbutié Tam.

— Ce que je lui ai donné, je l'ai donné à tellement d'autres que ça ne compte pas, avait continué Ruth avec un petit geste désinvolte. Mais ce qu'il m'a offert, j'y tiens beaucoup. C'est la première fois que j'ai un véritable ami, tu comprends ?

Il y avait une lueur au fond des yeux de Ruth qui avait commencé à faire fondre Tam. Elle avait vu des femmes désespérées en prison, l'avait été elle-même, et elle comprit que celle-ci n'était pas totalement étrangère à ce sentiment.

— Tu as beaucoup d'amis ? s'était enquis Ruth.

— Pas tellement, avait reconnu Tam.

— Tu veux bien être mon amie ? avait alors demandé Ruth.

Vaincue, Tam avait tendu la main. Ruth l'avait saisie, son visage s'était illuminé d'un grand sourire, puis elle avait fait une pirouette :

— C'est pas tout ça, mais je me marie dans une demi-heure, et je ne suis pas coiffée !

ooOoo

— Elle m'a demandé d'être son amie, avoua Tam à Quentin.

— Et tu as accepté ? demanda ce dernier.

— Je crois bien que oui.

— Merci, dit Quentin attirant Tam vers lui.

— Elle n'a pas de famille ? interrogea-t-elle d'une voix soucieuse.

— Non, sa mère ne s'est jamais occupée d'elle et elle n'a jamais rencontré son père.

— Qui l'a élevée, alors ?

— Personne. Elle a passé toute son enfance en pension. C'est pour ça qu'elle m'a encouragé à prendre soin d'Alex, pour ne pas voir l'histoire recommencer.

— Elle ne s'en est jamais remise, constata Tam.

— Non.

— Mais toi, tu l'as aidée, ajouta-t-elle.

— C'est un grand mot. Je suis juste venu quand elle m'appelait. Et elle en a fait autant avec moi.

— Je suis contente d'être venue. La connaître me permet de... relativiser.

— Comme quoi les bonnes actions sont parfois récompensée, conclut Quentin, conscient que Ruth resterait un sujet délicat pour son épouse, mais qu'il serait désormais moins douloureux.

ooOoo

Durant tout l'hiver, Quentin avait cherché l'appartement de ses rêves, mais sans succès. Ou plus exactement, il en avait repéré plusieurs qui auraient convenu, mais Tam n'avait pas souhaité qu'il donne suite. Finalement, elle lui fit remarquer :

— Mais pourquoi partir d'ici ?

— Où va-t-on mettre Antoine ? demanda Quentin.

— Dans un premier temps, il n'aura besoin d'une chambre que pour dormir. Si Alex retire ses affaires de son réduit, il y a largement la place de mettre un berceau et une commode pour les vêtements.

— Mais Alexia...

— Quentin, elle est à Paris et elle a une chambre chez Sylia, interrompit Tam d'un geste désinvolte. Si elle veut vraiment dormir ici, elle pourra toujours se mettre sur le canapé, ajouta-t-elle cependant en voyant l'air désapprobateur de son mari.

Quentin évalua la proposition.

— Tu aimes tant que ça cet appartement ? s'étonna-t-il.

— On y est bien, non ? Tu es près de ton travail, et c'est direct pour se rendre au mien, alors pourquoi changer ?

L'inspecteur dut convenir que la solution proposée par Tam pouvait convenir.

Durant les vacances de Pâques, Alex fut priée par sa sœur de venir vider son recoin. Les affaires qu'elle avait laissées sur place tenaient dans deux cartons. Quentin l'aida à démonter son lit qu'il avait prévu d'entreposer à la cave.

— Une page de tournée, constata Quentin le cœur un peu serré en contemplant l'espace désormais nu.

— Mais non, assura Alexia. C'est une page qui continue à s'écrire. Moi, ça me fait plaisir de savoir qu'il y aura un bébé qui dormira ici dans quelques mois. Faudrait donner un petit coup de peinture par contre.

— Je crois que ta sœur a déjà tout prévu. On m'a fait comprendre que la décoration, c'était pas mon fort, expliqua Quentin en lançant un regard faussement vexé à son épouse qui les regardait s'activer du canapé où elle s'était allongée.

— T'as pas grandi dans l'odeur de l'huile de térébenthine, commenta Alexia en riant.

— Non, du coup, je vais me contenter de jouer au déménageur. Je mets les cartons dans mon coffre ? Je raccompagnerai en voiture.

— D'accord, je descends avec toi, on ira plus vite, proposa la future tante.

Dans le hall de l'immeuble, Quentin et Alexia rencontrèrent Sébastien. Les anciens amoureux parurent embarrassés de se revoir – visiblement, Alexia avait réussi à éviter son ancien soupirant à chaque fois qu'elle était venue en visite les mois précédents. Avec délicatesse, l'inspecteur prit la conversation en main et expliqua à son voisin pourquoi ils étaient en plein déménagement.

— Besoin d'aide ? demanda spontanément le jeune homme.

— Je veux bien, accepta Quentin. J'ai un lit à descendre à la cave.

Sébastien prit le carton que portait Alexia et accompagna Quentin à sa voiture, avant de remonter avec eux au quatrième étage. Tam sourit chaleureusement à leur invité surprise. Elle avait fait la connaissance de Sébastien du temps où il était encore le petit ami d'Alexia. A ce titre, il avait été invité dans l'appartement que les trois sœurs partageaient.

Quentin se rappelait encore du regard stupéfait de son voisin quand ils s'étaient rencontrés dans l'ascenseur en compagnie de Tam, peu de temps après qu'elle se soit installée chez lui. Sébastien avait balbutié un salut en fixant leurs mains jointes d'un air éberlué, avant de se rappeler ses bonnes manières et de détourner précipitamment le regard. Tam et Quentin l'avait regardé partir avec amusement et se demandant ce qu'Alexia lui avait révélé. Suffisamment, en tout cas, pour qu'il sache qu'ils n'étaient pas supposés être en excellents termes.

Quentin revint de la cave avec Sébastien et lui offrit une bière. Alexia avait surmonté sa gêne. Elle posa à son ancien professeur de maths des questions sur sa scolarité. Il avait opté pour un cursus qui le mènerait vers les métiers de la finance. Ses matières étaient très différentes de celles de la jeune fille qui avait choisi les options les plus techniques qu'elle avait pu.

Ils parlèrent ensuite de leurs projets pour l'été. Sébastien allait partir pour Singapour où il devait faire un stage dans une banque. Alexia allait à Denver, elle aussi en stage, dans un bureau d'études. Elle apostropha Quentin qui suivait la conversation :

— Tu te rends compte ? Deux mois en pays anglophone, et ça ne me pose aucun problème. On est partis de loin, pourtant.

— Yes, you learn, learnt, learnt, convint Quentin en hommage aux verbes irréguliers qu'ils avaient appris ensemble.

— And you teach, taught, taught, rappela Alexia.

— Tu ne seras pas là pour la naissance du bébé ? s'inquiéta soudain Tam.

— Je ne pars que fin juin. Prend pas de retard, et ce sera bon ! précisa sa soeur.

— Je vais en faire part à ton neveu, plaisanta Tam.

ooOoo

Dans le courant du mois de mai, Quentin était à son bureau quand un de ses collègues revint d'une mission à l'extérieur :

— On a eu du spectacle dans le hall, annonça le nouvel arrivant.

— Ah bon, fit Mercier sans lever le nez de son écran.

— Ouais, le grand Dodoche a encore été ramassé.

On nommait ainsi un clochard relativement inoffensif et même charmant quand il était sobre. Le problème, c'est qu'il l'était rarement quand on l'amenait au poste. Or il mesurait plus d'un mètre quatre-vingt et avait des mains larges comme des battoirs. Ce n'était jamais une partie de plaisir de le convaincre de se laisser amener dans une cellule de dégrisement.

— C'est pas ce qu'on appelle une première, remarqua Quentin tout en continuant à lire son PV.

— Non mais, une fois de plus, il a réussi à échapper aux deux collègues qui s'en occupaient et il a foncé vers la sortie.

Mercier émit un petit grognement. La dernière fois que c'était arrivé, il avait renversé un homme qui arrivait au commissariat pour faire enregistrer une plainte pour vol. Ce dernier n'avait rien eu de grave, mais ça la foutait mal.

— Pas de casse, j'espère, émit-il.

— Eh bien, une femme enceinte jusqu'aux dents arrivait dans le sens inverse, et on a bien cru qu'il allait la renverser.

Quentin leva les yeux, son attention éveillée.

— Et ? s'enquit Mercier.

— On sait pas trop comment elle s'y est pris, mais le Dodoche, il a fait un vol plané et il a atterri en tas trois mètres plus loin. Si vous aviez vu...

Quentin n'entendit pas la fin de la phrase, il était déjà dans les escaliers, fonçant comme un dératé. Il eut vaguement l'impression qu'il se tordait plusieurs fois la cheville, mais il arriva à se rattraper à la rampe à chaque fois, et parvint au rez-de-chaussée sur ses deux jambes. Quand il débarqua dans le hall, rien n'indiquait qu'une scène sortant de l'ordinaire s'y était déroulée. L'inspecteur bondit vers le guichet d'accueil où l'officier de garde renseignait un couple. Quentin leur passa devant sans façon et demanda d'une voix haletante :

— La femme enceinte ?

Il n'entendit pas la réponse, son sang battant trop fort dans ses oreilles, mais le geste de son collègue lui indiqua la direction. Il fit irruption dans un petit bureau qui donnait directement dans le hall. Comme il l'avait craint, il y retrouva Tam, assise sur une chaise, avec une policière en uniforme à ses côtés qui lui proposait un verre d'eau.

— Ça va ? demanda-t-il en se précipitant vers elle et s'agenouillant pour être à sa hauteur.

— Mais oui, j'arrête pas de le répéter, assura Tam. Je n'ai rien du tout, il ne m'a même pas touchée.

— Il t'a foncé dessus, bon sang, et il fait plus de cent kilos. Et t'es pas supposée faire de l'aïkido dans ton état.

Cela faisait des mois qu'elle avait arrêté les arts martiaux et qu'elle avait choisi à la place yoga et taïchi – heureusement, son club s'était montré accommodant pour le changement d'activité un mois après la rentrée.

— Désolée, c'était un réflexe, dit Tam sur le ton de l'excuse.

— Hum, je pense que vous n'avez plus besoin de moi, fit la policière.

— Merci beaucoup, Madame, fit Tam. Pourriez-vous laisser le verre d'eau, s'il vous plait.

La policière examina Quentin et lui tendit le verre en hochant la tête.

— Merci, Lieutenant Dumond, dit ce dernier tentant de recouvrer sa dignité.

— Je vous en prie, Inspecteur. Je suis au guichet d'accueil si vous avez besoin de quelque chose.

Quand elle eut refermé la porte derrière elle, Quentin poussa un grand soupir, but son eau sur l'injonction de Tam puis appuya la tête contre le ventre de son épouse.

— Il va bien ? demanda-t-il.

— Il n'a pas bronché, je pense qu'il ne s'est aperçu de rien.

— Tant mieux. Il a bien le temps de rencontrer les ivrognes de service.

— Je ne savais pas que c'était aussi dangereux d'aller au commissariat, fit remarquer Tam sur le ton de la plaisanterie.

— Quoi, tu ne savais pas que notre boulot, c'est d'y amener les vilains criminels ? ironisa Quentin. J'aurais dû te prévenir quand tu m'as dit que tu allais passer cette semaine pour refaire ta carte d'identité.

— J'ai mal choisi mon jour, visiblement, commenta Tam. Je suppose que cela va attendre un autre moment, finalement.

— Non, puisque tu es là, je vais t'accompagner.

— Tu as déjà terminé de travailler ? s'étonna Tam. Il n'est même pas 16 heures.

— Ils se débrouilleront sans moi. Pas question de prendre le risque que tu rencontres un autre taré.

— Celui-là n'avait pas l'air bien méchant, opposa-t-elle. J'espère que je ne lui ai pas fait trop mal.

— Espère surtout que je ne lui mette pas la main dessus avant un bon moment, gronda Quentin. Je lui dirais bien deux mots à ce crétin. Si tu n'avais pas pratiqué des années d'aïkido, il aurait pu te blesser sérieusement !

L'inspecteur utilisa le téléphone se trouvant sur le bureau pour appeler Mercier par la ligne intérieure.

— Je reste avec Tam, indiqua-t-il. Appelle-moi s'il y a une urgence.

— Elle va bien ?

— Oui, mais je préfère être avec elle.

— Entendu.

Ils retraversèrent le hall. Quand ils passèrent devant le guichet, les deux policiers de garde s'enquirent de l'état de la future mère. Ils ne furent pas les seuls. Le temps que Tam ait accompli les formalités qu'elle était venue effectuer, plusieurs agents s'inquiétèrent pour elle et veillèrent à ce qu'elle soit confortablement installée pour attendre son tour.

— Eh bien, tu peux être sur que dès demain, tout le commissariat me demandera régulièrement de tes nouvelles, prédit Quentin. Décidément, tu ne peux pas t'empêcher de devenir la coqueluche du commissariat où je travaille !

ooOoo

— Quentin, dit Tam d'une voix bizarre alors que l'inspecteur émergeait de son sommeil un joli matin du mois de juin.

— Bonjour, ma chérie.

— Le travail a commencé.

— Non, je suis encore à la maison, répondit-il pas persuadé qu'elle soit bien réveillée.

— Je parle du mien. Le bébé.

— Quoi ? demanda-t-il parfaitement lucide. Tu as perdu les eaux ?

— Non, mais j'ai des contractions depuis quatre heures du matin. Pour le moment, elles sont espacées d'environ dix minutes et vingt secondes.

— On va à la maternité, annonça Quentin en se levant. Tu aurais dû me réveiller avant. Tu ne dois pas prendre un bain pour être certaine que ce n'est pas du faux travail ? se rappela-t-il soudain, ayant participé avec elle aux cours de préparation à la naissance.

— J'en ai déjà pris deux. Un à quatre heures, l'autre à cinq heures trente. Les contractions n'ont pas cessé de se rapprocher depuis.

Elle s'interrompit, le visage crispé. Quentin se figea, ne sachant comment l'assister dans la douleur.

— C'est bon, annonça-t-elle quand ce fut passé. Ça n'a duré que quarante-six secondes. Par contre, l'espacement n'est plus que de neuf minutes dix.

Quentin avait entendu parler de plein de futurs pères perdant totalement leurs esprits au moment où leur femme leur annonçait que l'accouchement avait commencé. Pour sa part, il se sentait parfaitement calme, comme avant une arrestation prévue de longue date.

Il s'habilla, aida Tam à enfiler des sous-vêtements et une robe, prit la valise de vêtements pour la mère et l'enfant préparée selon les consignes de la maternité, n'oublia pas les papiers médicaux et administratifs. Il ferma les fenêtres et fit signe à Tam qu'il était prêt à partir.

— Tu a appelé Sylia ? songea-t-il soudain, sachant que les deux sœurs se communiquaient ordinairement sans délai les nouvelles importantes pour elles.

— Non, j'ai eu peur qu'elle veuille venir tout de suite, répondit-elle d'une voix gênée.

Alerté par le ton qu'elle avait employé, il vérifia :

— Et tu aimerais qu'elle le fasse ?

— Quentin, c'est ton bébé.

— Il y a une trêve aujourd'hui, la rassura-t-il. C'est toi qui fais comme tu le sens le mieux.

— Je l'appelle de la voiture, alors, fit Tam laissant percer son soulagement. Je te laisse prévenir ta mère et Alex.

Une fois à la maternité, Quentin s'occupa de l'admission pendant qu'on emmenait la parturiente pour monitorer ses contractions. Quand il la rejoignit, une sage-femme était en train de l'examiner.

— On va vous amener en salle de travail, décida-t-elle. Vous êtes déjà à quatre.

— Quatre sur combien ? demanda discrètement Quentin.

— Sur dix, le renseigna Tam qui commençait à être en sueur.

— C'est pas beaucoup, alors !

Un regard lui fit comprendre qu'il aurait mieux fait de garder sa remarque pour lui.

Une aide-soignante vint aider Tam à se déshabiller et revêtir une chemise d'hôpital qui se fermait dans le dos. Ensuite, elle entreprit de nettoyer le bras gauche de la future mère en vue de la pose d'une perfusion.

— Il faut retirer ça, indiqua-t-elle en montrant le bracelet de cuir et en joignant le geste à la parole.

— C'est obligatoire ? s'interposa Quentin.

— C'est une question d'hygiène, c'est...

La femme s'interrompit en découvrant la cicatrice hideuse qui était dissimulée. Elle jeta un regard à Tam qui avait les yeux fermés, concentrée sur une nouvelle contraction, puis sur Quentin.

— Je vais lui mettre une bande de gaze au poignet, décida-t-elle finalement. Si je le laisse, ma collègue voudra le retirer. Ça ira comme ça ?

— Oui, merci, fit Quentin soulagé en tendant la main pour récupérer le bijou.

Il accompagna le brancard vers sa nouvelle destination. Quand on lui demanda de sortir pour la pose de la péridurale, il réalisa qu'il n'avait pas prévenu sa mère, ni Alexia. Il était huit heures trente, il était temps de les joindre si elles voulaient être là pour voir le bébé au sortir de la salle de naissance. Il remonta dans le hall d'entrée pour passer ses appels.

— Le bébé est là ? demanda immédiatement Alexia.

— Pas encore, mais il est en route, précisa Quentin. Tam vient d'entrer en salle de travail.

— Je prends le prochain train, décida Alexia. Vous avez prévenu Sylia ? vérifia-t-elle.

— Oui, Tam lui a parlé, la renseigna Quentin. Je te tiens au courant, mais je pense qu'on risque d'en avoir encore pour plusieurs heures. Donc, t'inquiète pas si tu n'as pas de nouvelles pendant un moment. Je vais couper mon portable.

— D'accord.

Martine Chapuis aussi indiqua qu'elle prenait le premier train. Au vu des correspondances, elle ne pensait pas être là avant le milieu de l'après-midi.

— Je t'enverrai des nouvelles par texto et des photos dès qu'on aura quelque chose d'intéressant à te montrer, lui promit son fils.

Alors qu'il raccrochait, il vit alors Sylia entrer dans la maternité d'un pas pressé. 'Jour de trêve', se rappela-t-il espérant qu'elle serait dans les mêmes dispositions.

— On lui pose sa péridurale, indiqua-t-il d'entrée de jeu en terminant d'éteindre son téléphone.

Elle hocha la tête, sans répondre. Il repartit vers le corridor des salles de travail, Sylia sur ses talons. Il frappa puis entrebâilla la porte de la pièce où il avait laissé Tam.

— Entrez, Monsieur, l'invita l'infirmière en venant à lui. Pouvez-vous mettre cette blouse ?

Quentin s'exécuta puis demanda :

— Ma belle-sœur peut-elle venir aussi ? Ma femme a demandé à l'avoir près d'elle.

L'infirmière lui tendit une autre blouse, qu'il fit passer à Sylia sans la regarder. Le sourire de Tam quand elle découvrit sa sœur derrière son épaule le récompensa pleinement de son acte altruiste. L'infirmière alla obligeamment chercher un autre tabouret et ils s'installèrent de part et d'autre de Tam, juste avant qu'elle ne perde les eaux.

Cette dernière était très concentrée sur sa respiration. Quentin reconnut les exercices qu'elle avait pratiqués à ses cours de yoga. Elle continuait à égrener le temps que duraient les contractions et l'espace entre chacune d'elle, sans doute pour aider son esprit à garder le contrôle sur son corps. La douleur avait reflué avec le produit qu'on lui avait injecté, mais elle sentait encore son ventre se tendre régulièrement.

Au bout d'une heure, Quentin qui n'avait pas pris de petit-déjeuner laissa sa femme aux bons soins de sa sœur pour aller se restaurer. Il en profita pour envoyer un sms à sa mère, pour la tenir au courant. Ensuite, ce fut Sylia qui les quitta un moment. Ils se relayèrent ainsi jusqu'à deux heures de l'après-midi, aidant Tam à supporter la fatigue et l'effort en lui parlant, la massant, l'entourant de leur tendresse.

C'était la première fois que Quentin découvrait les deux sœurs dans leur intimité familiale. Il ne rencontrait pratiquement jamais Sylia, même si Tam allait régulièrement la voir quand il était occupé ailleurs et recevait ses appels téléphoniques devant lui. Il avait indirectement de ses nouvelles par sa femme, par Alexia et parfois par Stéphane Mercier, mais ils se tenaient soigneusement à l'écart l'un de l'autre. Même s'il était parfaitement conscient de l'attachement qui existait entre les deux sœurs, il fut frappé de voir à quel point leurs gestes reflétaient une étroite complicité. Il fit son possible pour ne pas s'interposer entre elles et fut soulagé de constater que Sylia respectait également les moments d'intimité qu'il partageait avec Tam.

Enfin, la parturiente entra dans la phase d'expulsion. Elle s'agrippa à leurs deux mains alors qu'elle s'efforçait de pousser de toutes ses forces, suivant les indications de la sage-femme. Enfin, au terme d'un effort qui cambra tout son corps, on leur annonça que la tête était sortie. Quelques contractions plus tard, on posa une masse recouverte de mucus blanc sur la poitrine de la jeune mère.

Émerveillés, les deux parents caressèrent le petit dos poisseux pour rassurer l'enfant et lui souhaiter la bienvenue. Enfin, dans la masse chiffonnée du visage, les paupières s'ouvrirent et ils échangèrent un premier regard avec leur petit garçon.

— Il a tes yeux, s'enchanta Tam.

Quentin ne l'aurait pas parié, mais il ne la contredit pas. C'était une parfaite réussite, par contre, ça, il en était certain.

Quentin se recula un peu pour laisser Sylia venir à son tour voir son neveu de près – elle s'était discrètement tenue en arrière pour laisser les parents faire connaissance avec leur enfant.

— Voulez-vous couper le cordon, Monsieur ? demanda la sage-femme.

C'est avec gravité qu'il accomplit cet acte hautement symbolique. Il accompagna ensuite son fils pour le premier bain et la première visite médicale. Quand il revint, portant fièrement son enfant, Tam en avait terminé avec la délivrance et on finissait sa toilette. Ce fut ensuite le moment du premier repas, et Tam put être installée dans une chambre.

Alexia qui était arrivée plusieurs heures auparavant et qui avait été reléguée dans la salle d'attente fut enfin admise. Elle s'extasia sur le nouveau-né. Après l'avoir bercé, elle le rendit à Tam et s'assit sur le lit pour regarder l'enfant dormir contre sa mère. Sylia était de l'autre côté. Quentin, qui avait pris plusieurs photos avec son téléphone pour les envoyer à sa mère toujours dans le train, prit un nouveau cliché.

En voyant dans l'objectif les trois sœurs tendrement penchées sur le bébé, Quentin revit un portrait crayonné qui jadis lui avait donné la clé d'une enquête. Le dessin avait été exécuté vingt et un ans auparavant. Il était temps d'ajouter une nouvelle photo à l'album de famille.

ooOoo

Bordeaux, octobre 2011

— Dis, le Kilimanjaro, tu y as déjà grimpé ?

— Quentin ? Tu es à Bordeaux ?

— Non, mais j'y viens mardi prochain pour assister à un interrogatoire. On peut déjeuner ensemble ?

— Avec plaisir. Ça te plairait de revoir Bruno aussi ?

— Excellente idée. Je te laisse organiser ça ? Je te rappelle mardi dans la journée pour les détails.

— D'accord. A mardi.

— A mardi, Odile.

Ils se retrouvèrent tous les trois au restaurant, dans un autre quartier que celui où se trouvait le commissariat où travaillaient encore Bruno et Asaya. Quentin se demanda si c'était simplement pour être tranquilles ou par crainte qu'il ne supporte pas de revoir le café où travaillait Tam autrefois.

— Alors, Chapuis, qu'est-ce que tu deviens ? demanda le commissaire Bruno.

Quentin décrivit rapidement où il en était dans sa carrière. Il avait grimpé deux échelons depuis qu'il était parti de Bordeaux.

— J'ai toujours su que tu réussirais, Chapuis.

— Vous m'avez bien aidé, Chef. Merci encore.

— Quentin, c'est pas une alliance que tu portes ? interrompit Odile.

— Oui, je me suis marié il y a un an.

Avec un sourire, il prit son portefeuille dans sa poche et en sortit une photo. Il la posa devant ses anciens collègues. Elle représentait une femme au sourire de Joconde, un enfant de trois mois dans les bras.

— Nom d'un p'tit bonhomme, tu l'as fait ! s'exclama Bruno après quelques secondes de stupéfaction.

— Je suis heureuse que tu te sois enfin décidé, commenta Odile.

— Dis donc, tu pourrais avoir l'air étonnée quand même !

— J'ai su que tu replongerais dès que j'ai vu que tu vivais avec Alexia.

— Pardon ? fit Bruno d'un ton choqué.

— J'étais son tuteur, expliqua précipitamment Quentin. Je l'hébergeais parce que son oncle ne savait pas s'y prendre avec elle.

Le regard de Bruno était maintenant interloqué.

— Oui, je sais, mais c'est une longue histoire, tenta de justifier l'inspecteur.

— Te cherche pas d'excuses, Chapuis, t'es un tendre, c'est tout ! décréta Odile.

— La vieille fille a parlé ! répliqua l'inspecteur.

L'inspectrice et lui éclatèrent de rire, sous le regard indulgent de Bruno.

— Alors, que devient-elle cette petite Alexia ? demanda-t-il quand les deux inspecteurs se furent calmés.

— Elle est dans une école d'ingénieur en région parisienne, répondit Quentin avec fierté. Elle est à fond dans la mécanique, précisa-t-il en clignant de l'œil en direction d'Odile. Elle a passé deux mois de stage aux États-Unis cet été.

— On a l'impression que c'est toi qui as passé les concours, se moqua Odile.

— Mais je l'ai presque fait ! Tu vas voir quand les tiens auront grandi. Les ados, c'est quelque chose à élever, moi je te le dis !

— Je confirme, appuya Bruno.

— Et comment ça se passe avec Sylia ? interrogea Asaya les yeux pétillants.

— Elle a arrêté de me renverser des cafés dessus. Mais on s'évite autant qu'on peut.

— Ah ! les cafés de Sylia, fit le commissaire avec nostalgie.

— Et les plats du jour de Tam, renchérit Asaya. Comment l'as-tu revue ? s'enquit-elle avec curiosité.

— Elles sont sorties en conditionnelle au bout de quatre ans, contextualisa Quentin. Il y a un an, Tam m'a écrit pour demander de me rencontrer, histoire qu'on ait au moins une fois dans notre vie une explication sincère.

— Me dis pas que tu t'es fait avoir avec un piège aussi évident ! s'écria Odile.

— Je suis un tendre, convint Quentin.

— Ça a l'air de te réussir, dit gentiment Bruno en lui rendant la photo.

— J'ai fait de plus mauvais choix, assura Quentin.

— Donc aucun regret, Chapuis ? demanda le commissaire Bruno.

— Vous parlez de l'arrestation ou du mariage ? plaisanta Quentin. Non, je ne regrette rien, ajouta-t-il plus sérieusement. Je devais faire les deux.

Ils parlèrent ensuite des grands enfants du commissaire Bruno, et l'inspectrice leur confia son bonheur d'être mère et apprit à Quentin qu'elle était en pleine préparation pour passer le concours pour devenir commissaire de police. Des bons et des moins bons souvenirs se rappelèrent à eux. Au moment de prendre congé, Quentin serra affectueusement Odile contre lui :

— On a fait du bon boulot ensemble, affirma-t-il.

— Oui, on était une super équipe !

ooOoo

Quelques jours plus tard, sept ans précisément après l'arrestation des Cat's Eye, une grosse enveloppe destinée à 'Monsieur et Madame Chapuis' arriva chez Quentin. Elle contenait des lettres écrites de sa main, ainsi que les souvenirs d'un voyage en Italie.

Et la photographie de deux amoureux souriant devant la Tour de Pise.

FIN


Notes : Nous voici à la fin de cette histoire. J'aurais pu raconter d'autres épisodes, mais il faut savoir s'arrêter, et l'endroit s'y prêtait bien.

(Et au fait, oui, l'enveloppe vient d'Odile qui a gardé tout ce temps les affaires impliquant Quentin qu'elle a trouvé dans le placard de Tam, pendant la perquisition).

J'ai été heureuse de constater que j'avais autant de personnes (environ 150) qui m'ont suivi sur ce petit fandom, je n'en espérais pas tant. J'ai adoré renouer avec la publication.

Merci infiniment aux 30 lecteurs qui ont laissé un mot, cela m'a fait plaisir de les lire : LaSilvana, MarsJovial2312, Ron Ravenclaw, Yann, sokadens, Crookshank, SiaAhn Sacham, Arrion, clodina, chrys63, Shima-chan, skarosianlifeform, Letilableue, Ezhra-June, Finelame86, Paulyfou, Aqualys, lilou black, Fenice, Lul 22, Adhafera, BastetAmidala, Circae, Jyel, Kaorilili, Lou-i-ze, Owlie Wood, sangdelicorne, et les 2 Gest.

Il ne me reste plus maintenant qu'à retrousser mes manches et reprendre l'écriture des Sorciers, que j'espère bien terminer un jour !