— Epilogue —
Hong Kong
Deux mois plus tard
Gregory Lestrade se baladait dans les jardins de l'immense résidence privée de Bai Long. C'était aussi en ces lieux paradisiaques que l'A Alpha avait élu domicile, il y avait de ça deux mois. Les mains dans les poches, lunettes de soleil Persol sur le nez, bermuda en lin bleu klein, chemise légère froissée vert pomme et blanc et sandales en cuir brut aux pieds, il avait finalement saisi les subtilités de l'art de l'habillement, et avait même réussi à se créer un style. Son style était d'ailleurs très Alpha selon son intendante.
Il se faufila entre les buissons et rochers du jardin chinois, prenant soin de rester à l'ombre des feuillages. Il ne voulait pas attraper une insolation en ces temps humides et chauds.
Ces deux derniers mois avaient été calmes et mouvementés. Calmes dans le sens où ils étaient tous réunis dans la joie et la tranquillité. Et mouvementés parce qu'on ne leur laissait aucun répit.
En deux mois, Gregory avait appris les us et coutumes de tous les pays alliés à leur cause, les rudiments du mandarin, un nombre incalculable de connaissances en histoire, économie, chimie, biologie... Et entre deux bouquins à apprendre par coeur, on lui assénait des cours d'autodéfense et surtout de techniques de combat. Son intendante personnelle et Meng étaient parties de son potentiel naturel A Alpha pour faire de lui un des meilleurs agents en combats à armes blanches.
Gregory songea à ses amis. La plupart se reposaient, à l'exception de John qui se soumettait à son examen gynécologique journalier. L'heureux oméga grossissait à vue d'oeil, tellement que Sherlock ne voulait plus le quitter d'une semelle. Il était d'ailleurs étrange de voir que loin d'avoir une humeur exécrable, John devenait plus compatissant et calme de jours en jours. Malheureusement, cela n'eut pas le même effet chez Sherlock qui semblait être plus en gestation que son Oméga. Leurs querelles quotidiennes suivies de séances de réconciliation improbables ajoutaient du piment dans leur petite vie désormais bien réglée.
Ils avaient eu très peu de nouvelles de l'extérieur. Avec la crise interne à la SSA et aux autres organisations liées, Bai Long était devenu presque paranoïaque. Prétextant un énième caprice d'empereur âgé, il avait fermé les frontières de l'Asie et restreint l'accès à Hong Kong à l'exception de quelques rares privilégiés.
Heureusement que Gregory pouvait compter sur la présence de ses amis. Seuls Kalyn, Ulanov, Dimmock et bien sûr Mycroft étaient restés hors du continent. De Paul et d'Anna, ils avaient eu des nouvelles régulières. La jeune B Oméga avait même fait plusieurs fois le déplacement, les saluant et apportant des nouvelles de leurs amis restés à Londres. Elle semblait s'entendre à merveille avec Bai Long.
Malheureusement, Mycroft Holmes et Kalyn Keller demeuraient toujours invisibles.
— Il est bientôt l'heure de dîner! Tu viens? cria Ethan Miller tirant Gregory de ses pensées.
Ce dernier avait de l'avance sur le reste du groupe, bien aidé par sa formation initiale de soldat, médecin et doté d'une mémoire photographique. Sherlock bien entendu était loin devant eux, le génie était et demeurait inclassable. Gregory, Sally Donovan et John traînaient à l'arrière. Mais John au moins avait une excuse des plus valables.
Gregory grogna et se dirigea vers son ami Bêta. Pas de chance, son intendante ne semblait pas être du même avis. Avant même que Lestrade ne put répondre à Ethan, cette dernière l'emmena vers une autre partie de la résidence.
C'était une partie recluse, interdite et confidentielle.
— Où allons-nous? demanda Gregory à la femme sans âge qui le guidait dans un dédale de pierres, arbres et ruisseaux artificiels.
— J'ai quelque chose à vous montrer. Je pense que le moment est venu pour vous de connaître un peu plus celui que vous aspirez à retrouver.
— Heu... je ne vois pas de qui vous parlez.
— Gregory, je ne suis pas née de la dernière pluie. Je reconnais les signes de manque. Depuis que vous êtes ici, tout est tourné vers cette personne.
Son intendante lui sourit.
— Eva, je...
— C'est moi qui ai demandé à m'occuper de vous. Sinon, on vous aurait assigné Meng à plein temps. Vous êtes un des rares A Alphas assez calme pour la supporter et vous possédez les conditions physiques et mentales qui lui plaisent chez un apprenti. Mais j'ai des raisons plus importantes alors elle a cédé à mes demandes.
En effet, Eva était connue de toute la résidence pour avoir entraîné Mycroft Holmes en personne.
— La première fois que je l'ai vu, il était si timide. Et maintenant, voyez ce qu'il est devenu: la fierté de Bai Long et de toutes les élites dirigeantes du monde, continua Eva.
Elle ouvrit une porte reculée couverte de poussière. Gregory la suivit dans une grande salle.
C'était un cinéma privé hors d'usage depuis longtemps.
— William était un fervent amateur de cinéma, dit-elle en allumant les lumières de la salle abandonnée.
Gregory fut choqué de reconnaître une magnifique collection des plus grands films au monde.
— Tout cette partie de la résidence constituait en réalité le coeur de la maisonnée. Malheureusement, les évènements tragiques ont poussé Mycroft, Kalyn, et nous autres à la fermer du reste du monde.
— Comme un sanctuaire? demanda Gregory d'une voix timide.
— On peut dire ça comme ça.
Et Eva, Bêta comme les autres intendants, sortit une vieille cassette de la collection. L'insérant dans le lecteur d'un autre âge, elle fit signe à Gregory de s'installer dans un des fauteuils poussiéreux de la salle.
Elle tendit la télécommande à l'A Alpha avant de quitter la pièce tout en prenant soin de refermer la porte derrière elle. Et tout ne fut qu'éclairé par l'écran géant de la salle de projection.
Gregory s'assit au premier rang et leva les yeux. Quelques informations défilèrent. La vidéo avait été tournée treize ans auparavant, à Milan.
Et une première image apparut.
— Hey! Nous sommes ici en direct du centre de Milan. Je me présente, Merry. Je suis professeur à l'université de Milan, non titulaire malheureusement. J'enseigne l'histoire des civilisations et fais de la recherche le reste du temps. Ma spécialité est la mythologie des dynamiques et je commence à être un peu connue. Sinon j'aime beaucoup cette ville, l'Italie, manger, boire, m'amuser...
— C'est bon? Je pense que tu as assez dit pour aujourd'hui.
Mycroft Holmes, jeune et chevelu, apparut dans l'écran. Il rit, attrapa son amie par la hanche avant de tournoyer plusieurs fois sur eux-mêmes. Ils rayonnaient de bonheur.
— Et je m'appelle Mycroft Holmes, simple fonctionnaire...
— C'est ça, mon oeil!
— Merry! Il leva les yeux aux cieux. Et je suis souvent de passage dans cette merveilleuse ville pour voir comment vit la petite. Sinon j'aime la musique, les livres, la diplomatie...
— Dormir, glander et surtout manger! l'interrompit la métisse à nouveau.
Ils éclatèrent de rire à nouveau. Et puis un homme, grand, beau, élégant et charmeur surgit de derrière Merry. Il la prit dans ses bras et l'embrassa doucement avant de sourire, timide.
— Pas de bisous devant la caméra, cria Mycroft.
— William Rothschild à votre service. Je suis chercheur...
— Et milliardaire entrepreneur à ses heures perdues! cria Merry.
— Bon... et je joue la plupart du temps au baby-sitter de toute cette bande. Dont toi, derrière la caméra.
Le champ de vision se brouilla avant qu'une tête n'apparut.
Gregory reconnut de suite Kalyn Keller, soit Anthea, bien plus jeune et sans son maquillage prononcé. Naturelle, elle riait avant de dire:
— Kalyn Keller. Je suis toujours celle derrière la caméra ou l'appareil photo. Je suis entrepreneuse et étudiante à mes heures perdues. C'est Mycroft qui m'a fait entrer à l'Université de Columbia à New York. J'y étudie les mathématiques et surtout la géo-politique. Sinon je suis danseuse et chanteuse à mes heures perdues. Voilà!
L'A Alpha se focalisa sur le reste de la vidéo qui montrait ses amis et William bien plus jeunes et insouciants. William était vêtu d'une chemise vert pâle retroussée au niveau du coude, un pantalon beige clair et des mocassins en daim marron. Il était vraiment beau, avec ses yeux verts et ses cheveux courts châtains. Tout lui allait comme un gant. A ses côtés, Mycroft, plus grand et de même carrure qu'aujourd'hui, possédait une chevelure abondante et couleur brun foncé. Il n'avait pas encore son air autoritaire et glacial. Au contraire, jamais Gregory n'avait vu de regard aussi tendre et passionné chez l'A Oméga. Il était élégant, mais jeune, et sa chemise sur mesure blanche ainsi que son pantalon bleu marine mettaient ses yeux en valeur. Il n'avait ni veste, ni veston, juste une montre de luxe au bracelet bleu marine. Kalyn était rayonnante et très en couleurs. Une robe toute en fleurs fluide, des sandales colorées, sa chevelure longue et ondulée couvrait son dos. Elle riait, tantôt derrière la caméra, tantôt filmée par Merry. Cette dernière possédait déjà sa personnalité exubérante. Ses cheveux étaient raides et très longs, elle n'était vêtue que d'un t-shirt rouge et d'un short blanc. Des baskets aux pieds, une silhouette ronde. Elle mettait l'ambiance.
— Tu portes encore la montre de Will! s'écria Merry en attrapant le poignet de Mycroft.
— Si tu l'aimes tellement, je te l'offre, fit William.
— Heu... Mycroft secoua la tête. Un gros plan se focalisa sur la montre. C'était une Girard-Perregaux, WWW TC, modèle d'origine, avec un bracelet en cuir de crocodile bleu marine.
Le filme s'écoula lentement, révélant de plus en plus sur la vie antérieure de Mycroft Holmes. Gregory n'était pas dupe, Eva lui avait montré cette vidéo pour lui dire quelque chose. Mais quoi?
*xXx*
— Tiens, on vient de recevoir cela de la part de Dimmock.
Sally Donovan tendit une enveloppe brune provenant du MET à Gregory. Ce dernier s'assit dans le fauteuil de la salle de repos.
Il savait très bien ce que cette enveloppe contenait. Et ses doutes furent enfin dissipés.
— Je suis officiellement radié du MET. Retour à la vie civile donc, constata-t-il, amère.
Bizarre comme il ne ressentait presque plus rien. Quelques mois auparavant, son boulot était ce qui lui importait le plus, à l'exception de John Watson. Désormais, il n'en avait que faire du MET, des sentiments de John...
Mais il n'était pas heureux pour autant.
Gregory se leva du fauteuil et sortit dans la pénombre du jardin où il avait pris ses quartiers. Il se dirigea vers son spot préféré: une colline surplombant la résidence. Il aimait y venir durant les soirées paisibles pour s'isoler et observer le ciel, à l'abri de la civilisation.
Il s'assit sur l'herbe et fixa le ciel étoilé. Il faisait calme, et une brise légère refroidissait l'atmosphère humide et chaude du début de l'été.
Gregory Lestrade repassa une énième fois les derniers mois de son existence. Et puis, il repensa à la vidéo d'Eva. Cette dernière ne la lui avait pas montré sans raison. Et elle ne l'avait pas pris sous son aile pour rien non plus.
Et si Mycroft était derrière tout cela?
L'A Alpha connaissait les méthodes peu banales de l'aîné Holmes. Sa tendance à kidnapper les gens qu'il affectionnait, sa manie de les observer à tout bout de champ, le sourire si unique qu'il leur adressait dans l'intimité.
Et puis, ses costumes si révélateurs, ses yeux d'un bleu si profond qu'on s'y perdait à force de les regarder, son humour caustique et si britannique, ses longs doigts fins agiles...
Et enfin, ses senteurs changeantes au gré de ses humeurs: épicé lorsqu'il était excité et préoccupé, mielleuse dans l'intimité et la confiance, un brin de patchouli lorsque ses sens étaient en émoi, et enfin, cette odeur si subtile d'opium qui rendait Greg fou de l'homme.
L'homme qu'il avait possédé plusieurs fois, l'homme qu'il ne pouvait refuser dans son esprit ni dans son corps. Cet homme le rendait fou! Il y pensait sans cesse, oubliant John, Sherlock, son ex-femme et même lui-même.
Comment allait-il? Que faisait-il?
Gregory l'imaginait dans une contrée lointaine, dans un costume deux-pièces sur mesure cintré. Il portait son parapluie fétiche et des boutons de manchettes bleu profond. Il venait de sauver un pays de la ruine et se voyait féliciter par les puissants. Mais il n'oubliait pas de jeter un coup d'oeil à sa montre favorite tout en caressant sa joue. Il devait penser à Sherlock, John, Kalyn, et surtout Merry qu'il tentait de retrouver. Et puis, il devait penser parfois à Gregory, l'Alpha qui avait accepté de le suivre dans leur quête en Chine.
L'ancien inspecteur referma les yeux. Les pensées parasites ne le quittaient plus depuis leur séparation.
Pour la première fois, Gregory regretta de ne pas lui avoir déposé un dernier baiser. Je ne l'ai jamais réellement embrassé.
Mycroft Holmes lui manquait horriblement.
Et là, il se rendit enfin compte. Il se releva sous le choc de la révélation et réprima un sanglot.
Il est trop tard pour regretter, Greg!
Se couvrant le visage, il s'avoua enfin ce qu'il savait depuis longtemps mais refusait de se l'admettre. Eva l'avait vu, Kalyn aussi. Et lui, aveuglé par sa fierté et refusant se s'avouer vaincu pour John, avait laissé passer la chose la plus évidente de son existence.
Il aimait Mycroft Holmes.
Il aimait ses costumes, il aimait ses manies, son rire, son regard froid, perçant, calme, passionné, il aimait Alexander l'agent sexy, il aimait le politicien au parapluie et voiture noire, il aimait ce regard bleu... si bleu... Il aimait ses doigts fins, son génie, son amour pour Merry et Sherlock. Il aimait la cicatrice sur sa cuisse droite, cette mèche qui tombait sans cesse sur le front. Il aimait cette odeur subtile d'opium et de patchouli, il aimait le corps doux et sensuel, il aimait sentir sa présence sur son dos à moto.
Soudain, Gregory n'eut plus qu'une seule envie: prendre l'A Oméga dans ses bras le matin, lui caresser son début de barbe, le taquiner face à son penchant pour les gâteaux.
Malheureusement, Mycroft était introuvable.
Gregory se promit alors de tout faire pour le retrouver.
— Fin —
Merci à toutes et à tous pour m'avoir suivie, lue, commentée tout au long de cette looooonnnngue partie!
Désormais, toutes les bases sont révélées. Il est temps de passer aux choses sérieuses... si vous voulez toujours suivre cette saga! :D
La troisième partie est disponible à présent: Une Affaire de Destin! :)
Avec tout mon amour pour vous,
Aastel