Voici en avant-première le prologue de ma prochain fanfiction: la morsure du passé.
NAISSANCE...
L'homme tournait en rond comme un lion en cage, tantôt les bras dans le dos, tantôt se frottant le visage pour tenter de dissiper le stress. Il s'arrêta et contempla la lourde porte de bois avec un air suppliant. Un nouveau cri déchira le silence et il frappa violemment le mur, qui se craquela sous l'impact. Cela faisait bientôt huit heures que le travail avait commencé et toujours aucun signe du bébé. Il savait que mettre au monde était une tâche ardue, même pour les vampires. Surtout pour les vampires en fait. Leur espèce étant peu fertile, l'homme craignait pour la vie de son enfant, autant que pour celle de son épouse.
Les cris de détresse et de souffrance de sa femme se mêlaient aux paroles rassurantes et encourageantes des sages-femmes. Malgré cela, il pouvait sentir l'odeur du sang à travers l'épais panneau de bois. Il frappa une nouvelle fois le mur, et s'adossa à celui-ci, tentant de refréner la panique qui montait encore plus en lui. Ses conseillers espéraient tous la naissance d'un second fils, afin d'assurer la pérennité de leur lignée en cas de décès du premier, mais à cet instant, le roi n'en avait que faire. Garçon ou fille, il souhaitait simplement que ce don de la vie survive. Il ne voulait perdre ni sa femme ni son enfant.
Soudain, des hurlements plus stridents et différents des précédents se firent entendre. L'homme se rua sur la poignée de la porte et regarda le nouveau-né baigné de sang que l'une des sages-femmes tenait au creux de ses bras.
« Maria ! appela-t-il en se précipitant au chevet de son épouse. Maria ! Est-ce que tu m'entends ? »
La jeune mère haletait, et son corps était trempé de sueur.
« Qu'est-ce qu'elle a ? interrogea le roi, au bord de la crise de nerfs.
- Calmez-vous, votre majesté. Elle est simplement épuisée. le rassura une vieille vampire aux cheveux grisonnants. Donnez-lui un peu de votre sang et tout se passera bien. »
L'homme acquiesça et libéra sa gorge pour faciliter la morsure. Il l'aida à se redresser un peu et guida son visage jusqu'à l'artère. Il sentit deux petites dagues s'enfoncer dans sa chair et caressa ses cheveux tout en lui transmettant des sentiments heureux et rassurants. Lorsqu'il estima lui en avoir donné suffisamment, il la repoussa doucement sur les oreillers.
« Mer...ci. croassa-t-elle
- De rien. murmura-t-il. »
Le roi lécha son menton plein de sang, suivit la fine ligne vermeille qui coulait le long de sa mâchoire puis remonta déposer un tendre baiser sur ses lèvres. Elle profita de cet échange et s'agrippa à sa chemise tâchée afin de le rapprocher de son corps épuisé. Ils restèrent ainsi plusieurs minutes, sans faire attention au monde autour d'eux, jusqu'à ce qu'un nouveau cri les ramène sur terre.
« Où... est-il ?
- Le voilà, altesse. déclara la vieille vampire en déposant précautionneusement le nourrisson dans les bras de sa mère.
- Il est magnifique. souffla le roi en effleurant du bout des doigts sa joue ronde et pâle. Il te ressemble.
- Malgré les siècles qui passent, tu es toujours aussi émotifs, Arian. Qu'est-ce que ce pauvre mur avait bien pu te faire ?! rit une autre voix. »
Le vampire se retourna vivement pour accueillir la plus ancienne de leur espèce. On racontait qu'elle avait plus de deux mille ans et qu'elle avait connu le monde avant le Grand Voile déposé par les Anciens. Elle en était d'ailleurs la dernière représentante et l'effort que ce sort lui avait demandé avait gravement déformé son visage : si son nez et sa bouche conservaient leur beauté malgré les rides, ses yeux avaient été engloutis par sa chevelure blanche, qui s'agitait doucement autour d'elle comme autant de petites mains.
« Hevlaska. s'inclina le roi.
- Vénérée Ancienne. la salua respectueusement Maria.
- Vous n'avez pas besoin d'être aussi formelle avec une vieille bougre comme moi ! plaisanta Hevlaska. Je te félicite pour cette deuxième naissance Maria. Il est rare que notre espèce donne naissance à plus d'un enfant.
- Je vous remercie.
- Puis-je ? »
La jeune mère jeta un regard suppliant vers son mari et resserra sa pris autour de son bébé.
« Je ne lui ferai aucun mal. Je veux juste le connaître. »
Arian lui fit un signe de tête et Maria le tendit à l'Ancienne. La coutume voulait qu'elle assiste à chaque naissance afin de vérifier la vitalité du nouveau-né.
Et parfois, le voile de l'avenir se déchirait pour elle...
« Cet enfant engendrera le Malheur. Il faut le tuer maintenant. »
Cette terrible prophétie s'abattit sur la pièce, pareille à l'ombre de la mort. Maria arracha le bébé des bras d'Hevlaska et le serra contre elle dans un geste protecteur. Le nourrisson se mit à hurler en même temps que la foudre tombait près du château, parfait écho à la fureur du roi. Il se dressa entre sa femme et l'Ancienne, les poings serrés.
« Il en est hors de question. gronda-t-il.
- Cela ne sert à rien de t'entêter. déclara Hevlaska en posant une main compatissante sur son épaule. Je suis désolée pour toi et ton épouse, mais si tu ne le fais pas maintenant, ton geste aura des conséquences sur tout le royaume. Tu dois penser à ton peuple avant ton bonheur personnel.
- Cela fait bientôt mille ans que je fais passer son bonheur avant le mien. dit-il en chassant sa main d'un geste irrité. Tu sais ce que j'ai perdu dans la dernière guerre. Toi plus que toute autre, devrait comprendre ce que j'ai dû sacrifié pour la sauvegarde de notre espèce. Tu ne peux pas me demander ça. Tu n'en as plus le droit aujourd'hui. ajouta Arian en dévoilant ses crocs. »
Ils s'affrontèrent pendant de longues minutes, le silence seulement rompu par les sanglots du bébé. Puis, la Vénérée Ancienne se détourna et s'en alla. Elle s'arrêta toutefois sur le seuil de la chambre.
« Très bien. Néanmoins, il ne devra pas prendre épouse, aussi bien vampire qu'humaine. Tu sais ce qui arriverait à l'enfant si ton fils désobéissait. »
Sur cette dernière mise en garde, Hevlaska sortit. Les sages-femmes la suivirent après avoir juré de ne rien dévoiler de la prophétie, sous peine de mort.
« Pourquoi est-ce que cela nous arrive ? pleura Maria en enfouissant son visage dans le cou du petit être tremblant.
- Ne t'inquiète pas. dit son époux en la prenant dans ses bras. Elle ne lui fera rien s'il respecte l'interdit.
- C'est trop injuste.
- Je sais mon amour, je sais.
- Peut-être devrions-nous l'éloigner du Palais ? Pourquoi ne pas l'envoyer chez ton ami, le Comte de Vernère ? proposa Maria avec espoir.
- Sa femme vient de décéder en couche. Je ne sais pas s'il acceptera...
- Je t'en prie. »
Le soir même, Arian emmena son fils jusqu'à la maison de son ami. Malgré l'heure tardive, le Comte lui ouvrit la porte et fut surprit d'y découvrir son roi.
« Votre Majesté ?
- J'ai besoin que tu m'accordes une faveur. »
Il lui expliqua tout, sans rien cacher même de ses peurs et du déchirement que provoquait en lui la séparation.
« Je m'occuperai bien de lui. lui promit son ami. »
Arian caressa une dernière fois la joue de son fils, puis s'en alla avant que ses larmes ne coulent. Un roi ne pleurait jamais devant ses sujets, fussent-ils les meilleurs amis du monde. Il grimpa sur son cheval, et s'enfuit sans se retourner, abandonnant au vent de sa course les perles salées qui ruisselaient sur ses joues.