BLIND BIRD- L'oiseau aveugle

Chapitre 1

SANDOR

Marchant à travers le Bois Sacré des anciens Dieux du Nord, Sandor cherchait un coin de tranquillité pour boire sa gourde de vin et fuir l'agitation régnant autour de Winterfell. Le long voyage à travers le royaume l'avait épuisé et le froid… Ce froid du Nord ! Cette sensation glacée qui vous prend jusque dans les os. Sandor s'emmitoufla un peu plus dans sa cape laine lourde et posa son dos contre l'un de ses étranges arbres aux feuilles vermeilles. Il ferma les yeux et prit une longue gorgée de vin. Il s'était vite éclipsé après l'arrivée de la cour au château, toutes ses retrouvailles et ces embrassades hypocrites l'énervaient et le mettaient mal à l'aise.

Un craquement de brindilles le fit sortir de sa torpeur alcoolisée. Sandor se releva doucement tout en dégainant son épée du fourreau sans un bruit. Le silence est une bonne amie. Les bruits de pas venaient droit sur lui. Soudain sortant d'un petit de chemin de terre sur la droite, une jeune fille aux cheveux flamboyants tenait en laisse un chien noir. Elle marchait les yeux hagards et semblait perdu dans ses pensées.

Elle est jolie, pensa-t-il immédiatement.

Il rengaina son épée et la suivit du regard. Elle ne paraissait pas l'avoir vu ou tout du moins semblait l'ignorer royalement. Elle continuait son chemin vers lui tenant fermement la laisse de cuir qui la reliait à son chien.

Si elle ne m'a pas vu, maintenant elle va me voir la pucelle ! Je vais tellement lui foutre la peur qu'elle en fera des cauchemars, pensa farouchement le Limier, l'esprit déjà remplit de colère et de rires amers.

Alors qu'elle n'était qu'à quelques pas de lui, le Limier se mit devant elle, la poitrine gonflée, les bras croisés contre celle-ci et un méchant sourire sur le visage. Malgré son aspect terrible elle continua d'avancer tranquillement. Les volants de sa robe grise se balançaient au rythme de sa démarche lente.

'' Est-ce ainsi qu'une dame du Nord salue un homme du Roi sur son chemin ? Il fait si froid que votre langue s'est gelée pour ne pas me faire l'honneur de vos manières ? '' grinça-t-il entre ses dents se moquant ouvertement d'elle.

Il ne savait pas qui elle était mais elle l'énervait et il ne connaissait pas la raison de cette irritation brusque. Toute ravissante qu'elle était avec ses yeux bleus pâles et son joli minois, il ne pourrait jamais l'atteindre avec son horrible face de chairs brûlées, il ne pourrait jamais obtenir d'elle aucune sorte attention et même si elle le faisait, cela n'aurait été que purs mensonges de sa part.

Elle s'arrêta brusquement tirant sur la laisse de son chien, ses yeux affolés dans toutes les directions cherchant quelque chose que le Limier ne pouvait dire.

''Serais-tu muette, ma fille ?'' s'esclaffa-t-il finalement, persuader d'avoir réussi sa vile entreprise.

Finalement, ses yeux rencontrèrent les siens et elle le fixait de ses étranges yeux glacés. Ce contact le surpris, le transperça de part en part comme le froid qui régnait autour d'eux. Elle avait une légère voix calme et timide :

''Veuillez me pardonner, monseigneur, je…je ne vous avais pas…vu.''

Les mots trébuchaient dans sa gorge et elle rougissait de sa maladresse mais gardait toujours le contact visuel avec lui.

''Je ne suis pas un seigneur, maugréa-t-il dans sa barbe, par contre, ce que j'aimerais savoir, c'est pourquoi une enfant se promène seule dans ces bois. Ce n'est pas sur. Allons parle, je n'ai pas toute la journée ! ''

Sandor se rendait compte qu'il perdait ses moyens et que la nervosité commençait à prendre le dessus sur la colère qui l'animait précédemment. Il sentait la partie ruinée de son visage se convulser de sursauts terribles et il n'aimait pas cela.

''Je suis venue prier les Anciens Dieux pour la venue du Roi et de sa famille.'' déclara-t-elle en lui souriant gentiment.

Elle sourit…c'est quoi ce bordel ?

'' N'es tu pas effrayée, fillette ?'' demanda Sandor qui ne comprenait vraiment pas les réactions de cette fille.

''Effrayée par quoi, ser ? ''

C'en fut de trop pour lui, Il posa brusquement ses mains sur ses épaules et la secoua de rage. Et cette fois-ci, Sandor lui faisait vraiment peur.

''Te fous pas de moi ! Tu sais très bien de quoi je parle ! Es-tu aveugle, putain ! '' hurla-t-il de fureur. Le vin n'arrangeait pas sa colère.

''Eh bien… Je…je le suis, ser. ''

Sa voix était encore plus faible et inaudible qu'avant mais il l'avait entendue et un silence singulier régnait à présent.

Elle est aveugle… fichtre je suis un putain d'idiot ! Voilà pourquoi elle a un chien avec elle. Elle ne promène pas le chien, c'est le chien qui la promène.

Sandor rassembla ses esprits et lâcha doucement les frêles épaules de la jeune fille. Il se frotta le visage avec l'une de ses mains essayant de chasser les relents alcooliques de ses pensées.

''Excuse moi, fillette… Je… Tu ne peux pas me voir, réellement ?'' demanda-t-il maladroitement en étendant sa main juste en face de son petit visage, sans la toucher. Il aurait voulu une réaction, mais elle ne bougeait pas, ses yeux regardaient à présent le poitrail de son armure cloutée.

Maintenant, il comprenait son allure pensive et son cœur se sentait apaisé de cette révélation.

'' Oui, je vous demande pardon si je vous ai offensé de quelque manière que ce soit, messire. '' dit-elle en s'inclinant délicatement.

'' Je ne suis pas un chevalier.'' expliqua-t-il doucement d'une voix rauque de fer.

Sandor se sentait maintenant l'envie d'être galant avec elle mais il ne savait pas trop comment si prendre, lui qui n'avait été que le Limier toute sa vie, juste une brute qui savait tuer et obéir à ses maîtres. La galanterie lui était étrangère et les chansons de preux chevaliers l'emplissaient de dégoût. Il ne trouvait pas les mots et cela l'agaçait intérieurement. Ce fut elle qui reprit finalement le fil de la conversation.

'' Si je ne puis vous appeler monseigneur ou messire, puis-je vous demander votre nom ? '' demanda-t-elle gentiment en souriant de nouveau après avoir entendu ses excuses. Il n'y avait aucune malice dans sa voix.

'' Mon nom… ?'' répéta-t-il. Cela faisait bien longtemps que personne ne lui avait demandé cela.

'' Oui ''

'' Sandor Clegane ''

Le son de sa propre voix prononçant son nom l'affecta d'une curieuse émotion.

'' Je suis heureuse de faire votre connaissance, Sandor Clegane. Je me nomme Sansa Stark. Voudriez-vous m'accompagner jusqu'à l'arbre cœur que j'affectionne pour mes prières ? '' proposa-t-elle en tendant son bras dans l'intention qu'il le prenne pour l'accompagner en signe de paix entre eux. Sansa avait bon cœur et ne voulait pas se fâcher avec un homme de la cour du Roi Robert.

Comment refuser cette proposition de la part de la fille du seigneur de Winterfell ? Par les sept Enfers ! Me voilà galant chevalier, maintenant ! se gaussa-t-il secrètement heureux de cette tournure des choses. Il s'interrogeait sur la façon dont elle l'imaginait peut être que dans son esprit il était un bel homme. Et puis l'entendre prononcer son nom réveilla en lui l'ardeur du chevalier qu'il allait jouer.

'' Je vous protégerai contre les malfrats s'ils se présentent, même si je ne suis qu'un simple guerrier '' promit Sandor avec un effet de voix très chevaleresque.

Je suis pitoyable…

Sandor prit son bras aussi délicatement qu'il le put pour un homme de sa stature. Ils se laissèrent guider par son chien à travers le Bois Sacré qui connaissait le chemin parfaitement. Leur allure était lente et lancinante et Sandor pouvait apprécier le contact rapproché avec la jeune fille. Elle était si menue et fragile comparée à lui, si délicate tel un petit oiseau. Elle ne savait pas combien son visage était laid et épouvantable et être traité comme un homme sain lui insufflait une petite félicitée inconnue. Elle n'avait aucun a priori sur lui. Le chien s'arrêta près d'un arbre-cœur et lécha la main de sa maîtresse pour lui signifier qu'ils étaient arrivés à leur destination.

'' Pourriez-vous tenir la laisse de Ser, s'il vous plaît ? '' lui demanda-t-elle timidement.

Ser ? Fichtre je suis bien tombé en rencontrant cette fille ! pensa-t-il ironiquement tout en prenant la laisse du chien des mains de la jouvencelle.

'' Merci ''

Elle s'agenouilla maladroitement cherchant avec ses mains la fin du sol sur l'herbe fraîche devant l'arbre sculpté d'un visage. Elle resta un long moment silencieuse, les yeux fermés priant les anciens Dieux. Sandor n'avait jamais été un fervent croyant des dieux, qu'ils soient nouveaux ou anciens, nombreux ou uniques. Le monde était trop hideux et rempli d'injustices. Il en savait long sur le sujet, mais en voyant cette jeune fille qui ne pouvait voir priant de tout son innocent cœur, une certaine tendresse se faufila en lui. Il se surprit à sourire mais cela ne le dérangeait pas car elle ne pouvait l'apercevoir.

Un chant éclot dans sa gorge blanche aussi doux que la brise qui les entourait. Sa prière était sa chanson. Il n'avait jamais entendu pareil mélodie, trop habitué aux chansons grivoises des tavernes et aux chants mornes des troubadours de la cour. C'était beau, tout simplement. Quand elle s'arrêta, Sandor lui toucha la main pour l'aider à se relever. Elle ne recula pas devant son geste et l'accepta avec un sourire radieux. Ses yeux regardaient par-dessus son épaule elle ne savait pas où sa tête se trouvait exactement.

'' C'est très gentil de votre part. Merci de m'avoir attendu et tenu Ser '' remercia chaleureusement Sansa qui serrait toujours son énorme main de sa main d'enfant.

'' Ce n'est rien, c'était le moins que je puisse faire après avoir été rude avec vous. Vous…vous chantez bien…''

Les compliments n'étaient vraiment pas son fort mais au moins il essayait et espérait qu'elle ne le riait pas de sa maladresse dans ses pensées.

A quoi je joue ? Sérieusement… Je suis un putain d'idiot…

'' C'est aimable à vous de me dire cela. Le chant et la musique sont mes seules exercices. Je ne puis coudre ou lire avec mes yeux. Vous savez, ce n'est pas évident, dirons nous '' dit-elle en baissant la tête.

Elle semblait s'excuser de sa propre infirmité.

Sa mère avait sans doute plus d'attentes la concernant lorsqu'elle est venu au monde, songea tristement Sandor. D'une certaine façon, il commençait à s'attacher à cette enfant qui lui parlait sans aversion ou mépris.

'' Vous n'avez pas à vous excuser de ce que vous êtes, Lady. Votre chant est sans doute le plus beau que j'ai entendu de toute ma misérable existence. Vous avez plus de talent dans ce domaine que bien de grandes dames de la cour du roi! '' s'exclama-t-il d'une lourde et puissante voix tout en serrant un peu plus sa frêle main. Il était étonné par sa réaction passionnée, jurant intérieurement contre son farouche discours.

Elle releva la tête, essayant de la diriger vers son visage. Elle s'empourprait d'une jolie manière.

'' Je… je vous remercie, balbutia-t-elle, nous devrions rentrer, je ne voudrais pas que ma famille s'inquiète de mon absence. Je ne voudrais pas leur faire honte en étant en retard au repas de ce soir. Serez-vous présent ? '' questionna-t-elle, rougissant de plus belle.

'' Je pense que oui, en tant que bouclier juré du prince Joffrey, la reine aura peut être besoin de moi pour assurer sa sécurité et celle de son fils ''

'' Je serais heureuse de votre présence alors. Si vous êtes là, pour me signifier votre présence, tapez trois fois contre la table où je me trouverais. Je saurais que vous êtes là. '' proposa Sansa dans un élan d'allégresse.

'' Entendu, petit oiseau chanteur '' dit-il tout en caressant délicatement une mèche de sa chevelure rousse entre ses doigts. Il ne pouvait le sentir à cause de ses gants, mais il était persuadé que ses cheveux étaient aussi fins que la soie.

Ils se mirent en marche vers le château. Elle lui tenait toujours le bras et se laissait guider par lui au lieu de son chien.

Si elle savait qui je suis réellement, elle ne se laisserait pas conduire comme cela. C'est bien qu'elle ne puisse pas voir mon visage, c'est une gentille fille. Elle n'a pas besoin de mauvais rêves, pensa-t-il alors qu'ils approchaient de l'entrée de la cour intérieure de Winterfell.

Il retira son bras juste devant l'entrée et lui rendit la laisse de son chien.

'' Tenez, ma dame. Je vous laisse ici, il semblerait étrange si je accompagnais plus loin. La cour a des yeux, et je ne vous veux pas de problème '' déclara-t-il solennellement en reculant de quelques pas.

'' Votre bienveillance me touche. J'espère vous trouver au banquet de ce soir '' finit-elle avant de rejoindre la cour intérieure du château laissant Sandor l'esprit plein de confusion.

Me voilà condamné pour les Sept Enfers…