Chapitre 1 :
Mise au point
Télécommande en main, je changeais nerveusement les chaînes du poste de télé sans même prendre la peine de regarder. J'étais énervée. Enervée et anxieuse, et je détestais ça. Seth avait rendez-vous avec une fille ! Et pas vraiment n'importe quelle fille : la petite sœur de Quil, Enola, qui avait muté depuis quelques semaines. Et ces deux-là n'avaient rien trouvé de mieux que de s'imprégner l'un de l'autre. C'était une première dans notre histoire.
Bien sûr, sa venue m'avait enfin déchargée du poids d'être la seule louve de la meute, le cheveu sur la soupe. Un bien pour un mal, car elle était tout l'inverse de moi. Malgré son jeune âge, elle était douce, gentille, jolie comme cœur,… Bref, une autre Emily. Comme si une ne suffisait pas… Tout cela faisait bien évidemment d'elle la coqueluche de la meute. Tout le monde l'adorait, et le couple Seth/Enola était « trop mignon ». L'overdose de niaiserie était proche.
Seth descendit enfin les escaliers, prêt pour retrouver sa louve, et il était particulièrement bien apprêté. Il me regarda avec un grand sourire, bras ouverts, tournant légèrement sur lui-même.
« Alors ? Comment je suis ?, me demanda-t-il, le sourire jusqu'aux oreilles.
-Tu pourrais y aller vêtu d'un sac poubelle qu'elle serait quand même aux anges !
Il laissa retomber ses bras le long de son corps, perdant légèrement son sourire d'amoureux transit pour venir s'assoir prés de moi.
« Pourquoi es-tu comme ça, Leah ? »
Un autre m'aurait posé cette question, je l'aurais immédiatement envoyé promener. Mais Seth était l'un des seuls à qui j'arrivais encore à parler de ce qui me torturait.
« Tu sais très bien ce qu'il y a, Seth. Vous avez décidé de tous vous imprégner en même temps ou quoi ? Comme si les pensées des autres ne suffisaient pas, maintenant il y aura vous deux ! Si ça continue, moi, je rends mon tablier et vous sauverez l'humanité des sangsues sans moi !
Il allait répondre mais fut coupé par de petits coups à la porte. Son sourire s'agrandit à outrance. Au moins oublia-t-il instantanément notre conversation.
« C'est elle ! C'est elle !, fit-il, en sautillant sur place.
-Eh bien, qu'est-ce que tu attends ? Va donc lui ouvrir ! »
Il s'empressa d'aller ouvrir à Enola. Ils restèrent un moment à se regarder, plongés dans le regard l'un de l'autre. Je levai les yeux au ciel et me levai à mon tour.
« Salut Enola ! Ca va ? »
Elle sembla aussitôt revenir à la réalité, m'offrant un joli sourire. Je savais bien qu'Enola était une fille bien. Elle et Seth, hormis l'imprégnation, allaient vraiment bien ensemble. Alors pourquoi n'arrivais-je donc pas à me réjouir, comme tous les autres ? Peut-être car au fond, une fois de plus, je me faisais prendre un être cher à cause de ce stupide phénomène, complètement grotesque. De la jalousie ? Oui. Car pourquoi n'avais-je donc pas droit au bonheur, moi aussi ?
« Oui, et toi ? »
Malgré son sourire, je sentais bien son appréhension. Pourquoi me craignait-elle ? Faisais-je donc peur à ce point ?
« Super…Bon, eh bien, je vous laisse. Bonne soirée ! »
Je me faufilai dans le petit espace qui restait dans l'encadrement de la porte, et courus vers les bois sans me retourner. De toute manière, ils m'avaient déjà oubliée. Je mutai une fois au cœur de la forêt et laissai la puissance de mes muscles me guider à travers les montagnes. J'étais vraiment lasse de tout cela : à présent, où que j'allasse, je tenais la chandelle.
Arrête de geindre, Leah !
Tu peux me rappeler pourquoi Jacob a réunifié la meute ? Je me serais volontiers passée de tes commentaires !
L'instant d'après, ce fut le silence. J'aurais peut-être pu être un peu plus gentille avec Embry, surtout qu'avec les jumeaux, il était le seul à ne pas s'être imprégné, mais pas aujourd'hui. Heureusement, Sam avait abandonné son rôle d'Alpha et de loup quand il avait appris la grossesse d'Emily. Il avait pensé bon de se laisser vieillir avec elle, pour former une parfaite famille. Il ne l'aurait pas fait, je serais partie. Pouvoir être une louve sans être contrainte d'entendre ses pensées si mielleuses pour Emily, me fit réaliser à quel point je pouvais finalement aimer ma condition. J'étais forte et rapide, la plus rapide de tous. Etre une fille n'avait pas que des inconvénients.
Je levai les yeux au ciel et sentis l'air ambiant. Il était pur, pas d'horribles odeurs des buveurs de sang. Je me remis alors à courir à travers les bois, vers leur maison. Pourquoi fallait-il que l'on soit devenu amis ? Enfin, si l'on pouvait dire… Jacob serait sûrement là-bas, avec Nessie. Je m'élançai à travers les troncs aussi vite que possible. J'aimais l'adrénaline que me procurait la vitesse de ma course. Plus j'approchais, plus la puanteur se faisait saisissante. Mais avec le temps, j'avais réussi à l'ignorer. J'arrivai devant le porche. Comme d'habitude, les lumières étaient allumées, mais il semblait y avoir plus d'animation. Se pourrait-il que Blondie fut de retour ?
Je vis Esmée sortir avec des vêtements : Edward ou la voyante avaient dû la prévenir de mon arrivée. Même avec de la bonne volonté, c'était dur de ne pas apprécier Emsée. Elle les déposa devant la maison et, à peine fut-elle rentrée que je m'empressai d'aller les récupérer.
Après m'être habillée, je les rejoignais.
Même de là où je me trouvais, je pouvais entendre l'horrible rire de Jacob. Me vinrent également aux oreilles la voix fluette de Nessie et la grosse voix d'Emmett en train de chanter un grand classique. Malgré moi, je laissai échapper un petit rire.
Je pénétrai dans le grand salon. Effectivement, Blondie et son ours étaient revenus avec de leur voyage en amoureux. Même ici, je ne pouvais plus échapper à cette atmosphère concupiscente, même si les vampires restaient beaucoup moins démonstratifs que les loups. Peut-être était-ce aussi pour cela que j'avais fini par les apprécier. Par dépit, quitte à être avec des couples, autant que ce fut avec les moins démonstratifs.
« Leah !, me héla Nessie dès qu'elle me vit. Viens chanter toi aussi ! C'est Rosie qui m'a ramené un karaoké !
-Non, très peu pour moi. Et puis, je ne voudrais priver personne de vos performances vocales. »
Elle se mit à rire aux éclats et reprit sa chanson. Nessie avait eu trois ans quelques jours auparavant, mais paraissait en avoir douze ou treize. Elle avait déjà la conscience d'un adulte quand il était question de choses sérieuses, mais à l'inverse de ses parents, elle était expansive, plutôt loquace et très infantile la plupart du temps.
Je rejoignis Jacob sur le canapé blanc à l'autre bout de leur salon démesurément grand.
« Salut Leah !
-Salut.
-Seth n'est pas avec toi ?, me demanda il tout en regardant derrière moi.
-Non. »
Il ne me demanda rien de plus car il comprit qu'il était tout simplement comme lui, avec son imprégnée. Après m'avoir accordé quelques secondes d'attention, il la reporta entièrement sur Nessie, la regardant comme si elle était la huitième merveille du monde. Trouverais-je un jour quelqu'un qui me regarderait de la même façon ?
Je le laissais à sa contemplation et vis Esmée postée dehors avec Bella, en plein travail sur une toile. Un relent de bonnes manières me prit et je les rejoignis. A peine fus-je dehors que les deux vampires m'offraient un grand sourire.
« Merci pour les vêtements…
-De rien, Leah. »
J'allais partir mais je fus interpellée par la peinture d'Esmée, tout bonnement magnifique. J'avais toujours aimé ça, bien que je fusse moi-même dénuée de cette main artistique. Mes gestes étaient trop brusques, trop grossiers pour que le résultat fut joli. Je savais qu'Esmée peignait mais je n'avais jamais pris le temps de regarder et même si je ne le lui avouerais certainement jamais, cette peinture-ci était tout simplement splendide. Elle avait peint un bord de mer, avec des falaises escarpées, des arbres venant mourir sur les bords de ces dernières, et un ciel nuancé de rouge et de rose. Ces nuances que donnait le crépuscule, lorsque le soleil venait juste de quitter l'horizon et laissait le ciel en feu.
« Tu aimes ? », me demanda Esmée, me coupant dans la contemplation de son œuvre.
- Oui, c'est joli.
- Merci Leah. »
Elle m'offrit un sourire franc, et je dus bien reconnaître que rares étaient les fois où je faisais ainsi des compliments, si infimes fussent-ils. Après tout, ils n'avaient besoin d'aucun effort pour que ce qu'ils faisaient fût parfait. Pourquoi complimenter quelque chose qui fut ainsi relatif à leur condition ?
Je regagnai le salon, peu désireuse de rester dans cette ambiance trop amicale à mon goût. Je retournai auprès de Jacob, pour lui dire que je repartais mais je croisai le regard condescendant de Blondie. Fascinée elle aussi par les prouesses vocales de sa nièce, en plein dans un refrain aux notes aiguës. Sa voix était à la mesure de leur condition parfaite. C'en était presque lassant. N'avaient-ils donc aucuns défauts, mis à part leur attrait pour le sang que, bien sûr, en parfaits vampires, ils combattaient ? Me rendant compte de mes pensées plus qu'inamicales à leur regard, je cherchai le fouineur télépathe mais il était aux abonnés absents. Bizarre.
« Au fait, Leah, ils ont deux invités. J'en parlerais plus avec la meute ce soir, mais ce sont des végétariens, comme eux.
-Je m'en réjouis d'avance. Et où sont-ils ?
-Ils sont partis chasser avec Edward. Ils ne devraient pas tarder à revenir. »
Comme si huit et demi ne suffisaient pas, ils étaient maintenant dix et demi. J'ignorais pourquoi, mais j'imaginai un nouveau couple parfait, figé dans une jeunesse et une beauté éternelles. J'en avais déjà la nausée !
« D'ailleurs, peux-tu rassembler la meute ? J'arrive d'ici quelques minutes ! », me dit Jacob sans me regarder, toujours le sourire aux lèvres, et les yeux toujours rivés sur Nessie. Tous les loups imprégnés me donnaient vraiment l'impression d'avoir des araignées au plafond quand ils étaient avec leur moitié.
« Ok ! »
Même une fois la meute réunifiée j'étais restée le bras droit de Jacob. Même si cela n'avait pas plu à tout le monde, Jacob n'avait pas cédé. Il savait que même si je n'étais pas toujours d'accord avec ses décisions, j'avais promis de le suivre, et que je n'avais pas dérogé à cette promesse et ne comptais pas le faire, même si Sam n'était plus là.
Je m'élançai dehors et m'avançai un peu dans les bois, retirant le tee-shirt, et le pantalon en toile blanc d'Esmée. Il y avait encore quelques temps, j'aurais déchiré ces affaires sans m'en soucier. A croire que je me ramollissais… Je mutai en m'élançant à travers les broussailles, et montai sur un des points les plus hauts de la montagne, avant de pousser un long hurlement, que chaque loup entendrait où qu'il fut.
Quoi ? Pas moyen d'être tranquille !
Jacob veut nous parler, alors commence pas à faire ta princesse, Paul !
Au fur et à mesure, les pensées des autres vinrent envahir mes ondes cérébrales. Nous nous rejoignîmes tous dans un des terrains vagues au cœur de la forêt où peu de randonneurs passaient.
Seth et Enola furent les derniers à nous rejoindre et nous eûmes droit à un rapport détaillé de leur soirée, qui s'était résumée à des regards à la dérobé, à des fards grotesques et pas vraiment de conversation.
T'es obligée d'être si dédaigneuse, Leah ?, me demanda Paul.
Qu'est ce que ça peut te faire ? Tu te crois mieux, avec Rachel ?
La seconde d'après, il se jetait sur moi et plantait ses crocs dans ma fourrure. Je ne faisais pas vraiment le poids contre lui. Paul était plus fort que moi.
Ca suffit !
La voix d'Alpha de Jacob nous stoppa instantanément, et tous les regards se tournèrent vers lui.
Jacob nous expliqua par la suite que deux nouveaux vampires avaient temporairement élu domicile chez les Cullen et que, bien sûr, il était interdit de s'en prendre à eux. Jacob nous lança deux vêtements leur appartenant, qui sentaient affreusement mauvais. Je mémorisai leur horrible odeur, et repartis aussi sec chez moi. J'étais fatiguée et le principal était dit. Je n'aimais pas trop m'attarder quand tous les membres de la meute étaient présents. Alors que j'empruntais un petit sentier, je vis au loin une silhouette. J'allais me cacher quand je reconnus Rachel. Que faisait-elle là ?
Je m'approchai d'elle pour savoir ce qui lui prenait de se balader dans les bois, seule, alors que la nuit était quasiment là. Elle dut m'entendre car elle se tourna vers moi, luisante de sueur, les traits tirés. Elle était de toute évidence malade. Je m'apprêtais à héler Paul pour qu'il vînt s'occuper d'elle, quand elle s'effondra. Je courus la rejoindre. Elle était brûlante, et me lança un dernier regard totalement paniqué avant de disparaître dans un fouillis de vêtements déchirés.