« C'est l'Heure de Plomb

Y survit-on, on s'en souvient

Comme des gens en proie au Gel, se rappellent la Neige –

D'abord – un Frisson – puis la Torpeur – puis l'abandon. » - Emily Dickenson, Une âme en incandescence


Chapitre 50 Epilogue

Je vous avais dit que ce n'était pas l'endroit pour y trouver une fin heureuse.

Peut être que j'ai menti. Après tout, n'est-ce pas une fin heureuse ? L'héroïne et le garçon qu'elle aime ont survécu, et les méchants de l'histoire sont morts.

Mais ce n'est pas vraiment une fin. Toutes les ombres qui devaient être réglé, ne le sont pas tout à fait. Il reste des ombres lorsque Hermione regarde son miroir. Ce sont des yeux qui ont vu trop de choses. Ce sont des cicatrices qui encerclent ses poignets. Et il y a d'autres cicatrices qui n'ont jamais guéris : le manque de Lucius, ce poids pesant sur son dos, sur ses jambes, sur la chair intérieure de son bras.

Les ombres se retrouvent encore dans ses cauchemars remplis de couleur rouge sang et de noir, qui la font encore se réveiller en hurlant et en griffant les draps de son lit. Ce sont ces états dépressifs teintés de rouge et de noir qui la gardent souvent au lit durant des journées entières. Il y a des jours où elle se tourne frénétiquement, croyant apercevoir une tête aux cheveux blonds platine dans la foule. Et d'autres où elle est dans l'incapacité complète d'entendre le mot 'Sang-de-Bourbe' à nouveau.

Et nous arrivons alors à l'ombre persistante la plus imposante.

'Le serpent était le plus rusé de tous les animaux sauvages que l'Eternel Dieu avait faits…'

Lorsqu'elle est rentrée, ou qu'elle a trébuché plutôt, pour la première fois dans le Quartier général de l'Ordre avec Ron, elle pensait véritablement la vie impossible. Elle est tombée au sol puis s'est évanouie.

L'obscurité s'est emparée de son monde. Elle a dormi. Pendant des semaines, des mois, couchée dans un lit aux rideaux tirés. Sans bouger. Sans parler. Ne mangeant que lorsque c'était nécessaire.

Mais Ron est resté près d'elle, faisant preuve d'une patience à faire pâlir les Saints. Toujours là, attendant patiemment le jour où la fille qu'il aimait recommencerait à parler. Le jour où elle quitterait le monde sombre dont Lucius l'avait entouré.

Et puis, après un moment, elle recommença à parler. Et Ron l'a écouté. Ron, la seule personne qui pourra toujours comprendre.

Ils ne se sont jamais mariés. Ils se sont déclarés comme un couple après s'être échappés, et il lui tenait la main lorsqu'elle a donné naissance au fils de Lucius.

'Il dit à la femme: «Dieu a-t-il vraiment dit: 'Vous ne mangerez aucun des fruits des arbres du jardin'?»'

Ce fut seulement après la naissance de son fils qu'elle s'est sentie prête à permettre à Ron d'être un peu plus qu'un simple ami. Mais finalement, le temps a suivi son cours. Comment aurait-ce été autrement ? Elle aimait Ron. Elle l'aime. Plus qu'elle n'a jamais réussi à lui dire.

Et ce n'est pas difficile pour elle de l'aimer. Ca représente pour elle une chose merveilleuse.

Il a élevé son fils comme s'il était le sien. Il a joué au Quidditch avec lui, lu des livres avec lui, l'a bordé dans son lit la nuit. Il l'a aimé du mieux qu'il le pouvait, comparé à la haine qu'il ressentait pour le père de ce garçon.

Mais ça serait beaucoup plus facile pour Ron, si le garçon ressemblait à Hermione.

'La femme répondit au serpent: «Nous mangeons du fruit des arbres du jardin. »'

Heureusement pour Hermione, son fils ainé n'a pas les yeux de Lucius. C'est déjà assez dur pour elle qu'il ressemble autant à son père, mais si elle avait dû faire face aux yeux de Lucius chaque jour, elle aurait probablement perdu la raison.

Bien sur, les gens ont murmuré. C'était inévitable. Pendant sa captivité, Harry avait fait savoir que Lucius Malefoy était responsable de son emprisonnement pour le compte de Voldemort, afin que quiconque puisse savoir que s'il apercevait Lucius, cela signifiait que Hermione n'était pas loin.

Lorsque Hermione a emménagé avec Ron peu de temps après leur fuite, et qu'elle a donné naissance à son fils quelques mois plus tard, les gens ont ricané en disant que Ron n'avait pas trainé.

Mais les ricanements se sont estompés lorsque le garçon a grandi, et les gens ont pu s'apercevoir qu'il n'y avait aucune ressemblance entre les cheveux roux et les taches de rousseurs de Ron, et le garçon blond et pale qu'il appelle son fils.

Pauvre fille, chuchotent les gens.

'Cependant, en ce qui concerne le fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: 'Vous n'en mangerez pas…''

L'aspect le plus désagréable de la nature humaine est que nous prenons un certain plaisir dans la misère des autres. C'est comme ça que la spéculation sur ce qui a dû arriver pendant l'emprisonnement d'Hermione, se poursuit depuis des années, et bien après que la guerre ait pris fin.

Les gens n'auraient pas cru ça de Lucius Malefoy. Lucius Malefoy était connu pour appartenir à une famille suprémiste depuis des décennies. Il voyait les Sangs-de-Bourbe comme des sous-races.

'…et vous n'y toucherez pas…'

Au fur et à mesure que le fils d'Hermione grandit, les gens chuchotent que les idéaux soi-disant si importants pour Lucius Malefoy n'ont finalement pas dû être un obstacle pour lui. Pas après ce qu'il a jugé bon de faire à une adolescente Née Moldue.

'…sinon vous mourrez.''

Hermione n'a jamais rien dit. Elle laisse les gens murmurer, et rejette fermement mais gentiment toute tentative faite pour parler de ce sujet. Après tout ce qu'il a fait pour elle, elle ne va pas blesser Ron en expliquant aux gens qu'elle aimait Lucius Malefoy, et qu'il s'est battu contre ses propres sentiments et désirs pour elle, parce qu'il ne voulait pas croire que les idéaux auxquels il avait fondé son existence entière, pouvaient signifier si peu pour lui.

Si courageuse, ils chuchotent lorsqu'elle passe près d'eux dans la rue. Ca doit être horrible d'avoir l'enfant d'un violeur. De le regarder grandir. Alors qu'il ressemble tellement à son père.

Hermione mord ses lèvres, mais vie sa vie du mieux qu'elle peut, un jour à la fois.

'Le serpent dit alors à la femme: «Vous ne mourrez absolument pas…'

Elle a eu deux autres enfants, avec Ron. Un garçon et une fille. Heureusement, ils ressemblent à leur père.

Le fils de Lucius ne connaît rien de sa véritable filiation. Il entend bien sur quelques rumeurs au fur et à mesure qu'il grandit. Mais il les ignore, pour l'amour de sa mère, ainsi que le sien. Il ne s'agit rien d'autre que de ragots pour lui.

Vous ne pouvez pas le blâmer de ne pas vouloir croire que son père était un violeur Mangemort.

'…mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront…'

Pouvez-vous imaginer Lucius et Hermione vivre ensemble dans le monde extérieur ? Acheter une maison ensemble, avoir des enfants, un chien ? Lucius qui amène à Hermione le petit déjeuné au lit ? Assis dans le jardin autour d'une tasse de thé, à parler de tout et n'importe quoi ?

Ca n'aurait jamais marché.

'…et vous serez comme Dieu: vous connaîtrez le bien et le mal.»'

Mais nous sommes tous fous d'amour. Et elle ne peut donc pas le laisser. Il est toujours là, derrière toute chose. Comme il l'a toujours été. Lorsqu'elle se réveille le matin, lorsqu'elle prépare le petit déjeuner pour ses enfants, lorsqu'elle part au travail, il est toujours là, comme une ombre.

Et c'est particulièrement présent lorsqu'elle regarde son fils. Les cheveux blonds de son fils ainé, et qui a tout de la stature d'un aristocrate qu'il ne sera pourtant jamais.

Elle veut mourir, et c'est la triste réalité de toute cette histoire. Elle y pense chaque jour, jouant avec cette idée. Mais elle sait qu'elle doit survivre. La survie est devenue son devoir. Elle a regardé la mort dans les yeux alors qu'elle n'était encore qu'une enfant, et elle sait maintenant qu'elle a une responsabilité de vivre.

Elle garde donc Lucius secret. Son noir secret. Pour le reste de sa vie, elle le garde emprisonné à l'intérieur de son âme. Elle ne parle de lui avec personne, pas même avec Ron. Elle le garde pour elle même. Caché au plus profond, où personne ne peut le voir.

Elle se réveille le matin. Elle envoie ses enfants à l'école. Elle prend son petit déjeuner et lit des livres, et évite ses voisins, se rend à son travail et rentre à la maison pour partager le diner que Ron a préparé pour elle et les enfants. Elle va au lit. Parfois elle dort. Souvent elle ne peut pas.

Elle attend.

Il n'existe aucune autre alternative pour elle.


« Le monde entier était devant eux, pour y choisir le lieu de leur repos, et la Providence était leur guide. Main en main, à pas incertains et lents, il prirent à travers Eden leur chemin solitaire. » - John Milton, Le Paradis Perdu