Vanille ouvrit brusquement les yeux, surprise dans son sommeil par un craquement bien réel. Passée un élan de peur primaire, elle soupira, en sachant pertinemment l'origine. Apparut alors dans son esprit un visage doux et innocent aux traits fins, où logeaient deux yeux aux iris d'un bleu aussi profond et calme que l'océan et aussi merveilleux et majestueux que les cieux. Tout en ce visage respirait la sérénité et la générosité. La sérénité ? Non, certainement pas. La pulsienne patienta plusieurs minutes, espérant réentendre ce même craquement, mais seul le silence confirma ses inquiétudes. Elle s'extirpa finalement de ses couvertures avec une détermination habituelle, enfila ses petits chaussons jaunes à l'effigie d'un chocobo, que Sazh lui avait offert pour son anniversaire, et se mit en quête de la rodeuse nocturne. Elle était habituée à ce que sa maison soit investie d'un certain trouble une fois la nuit tombée, Fang était une couche-tard avérée et s'occupait comme elle pouvait lorsque la fatigue et le sommeil l'épargnaient. Mais cette fois ce ne fut pas une tignasse brune avachie sur la table et en train de s'empiffrer de cochonneries qu'elle aperçut, mais une jeune fille aux cheveux d'un rose prononcé, timidement accoudée à la surface en bois. Vanille prit un air compatissant. La demoiselle lui tournait le dos et ne semblait pas l'avoir entendu arriver. Elle s'approcha sans discrétion afin de ne pas la surprendre et glissa délicatement un bras autour de ses épaules avant de se retrouver face à elle et de garder une main pausée sur son épaule droite. La petite Farron lui coula un regard tourmenté puis se remit à fixer le sol.
« Rhaaaa comment puis-je te convaincre que tout ira bien ? » Râla-t-elle gaiement en exagérant la mimique et finissant sa réplique par un soupir.
Son interlocutrice répéta le même mouvement, s'attardant une seconde de plus sur le sourire franc et confiant de son amie.
« Serah… » Appela-t-elle doucement avec un nouveau soupir, plus faible, plus impuissant.
Même réaction de la part de cette dernière. Vanille laissa son épaule tranquille et leva les yeux au ciel. Elle se tourna et se retourna de droite à gauche, cherchant quelque chose d'utile dans sa cuisine, susceptible de l'aider à surmonter l'entêtement dramatique de la jeune femme. Evidemment elle ne trouva rien. Elle décida tout de même de servir un verre d'eau à sa camarade qu'elle posa devant son bras. Sa propriétaire n'eut pas un seul regard pour le pauvre récipient abandonné.
« Quoi, tu veux quelque chose de plus fort ? » Demanda la rousse en toute innocence alors qu'elle reprenait le verre.
Serah se tourna vers elle, l'air renfrogné. Vanille dut faire l'effort de ne pas rire devant son expression, elle choisit tout de même de pousser la plaisanterie.
« Ta sœur ne boit pas de liqueur à deux heures du matin ? »
Son amie ne se dérida pas, au contraire, cela accentua son dépit.
« Lightning ne se lève pas dans la nuit pour boire un verre d'alcool…en temps normal. » Dit-elle d'une voix lasse.
« Oh ! Ça sent le dossier ! »
« Vanille… » Soupira-t-elle sur le ton de la réprimande.
« Désolée. »
Elle n'avait tout simplement pas la tête à ça. Sa sœur évoluait au sein d'un environnement plus qu'hostile et dangereux, et elle était assise là à se tourner les pouces. Certes, elle avait Fang comme guide, mais était-ce vraiment une bonne chose ? L'enseignante se secoua, elle ne devait pas reporter ses craintes sur la pulsienne aux cheveux d'ébène dont les mèches couleur vermillon se rebellaient constamment au gré du vent. Vanille s'assit en face de la jeune sœur inquiète, résolue à chasser ses angoisses qui, elle en était sûre, n'avaient aucune raison d'être.
« Tu sais, Gran Pulse est drôlement plus sûr de nuit que de jour dorénavant. »
« … »
Elle n'était guère convaincue et ne manqua pas de lui faire remarquer en plongeant son regard bleu roi dans les yeux émeraude de la rouquine. Vanille put ainsi voir à quel point cette information la blasait. La plus âgée lâcha un nouveau soupir, à chemin entre la lassitude et l'exaspération. Mais au fond il n'en était rien, elle se faisait simplement du souci pour sa précieuse amie et ne la blâmait pas pour son attitude parfaitement compréhensible. Elle aurait juste aimé que cette dernière parvienne à surmonter ses craintes pour croire en ses propos.
« Serah, elles seront raisonnables. Aie confiance. »
L'interpellée lui renvoya un regard plein d'espoir. Elle aimerait tellement croire en ses paroles, une partie d'elle en était capable, l'autre se battait pour l'être. Si seulement elle connaissait les terres où se trouvait sa grande sœur. Vanille, quant à elle, savait pertinemment que Fang guiderait l'aînée des Farron avec une prudence aiguisée. Elle sourit tristement. Non, jamais Fang ne laisserait quoique ce soit arriver à Lightning.
« Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que vous faîtes ? » Demanda une voix encore endormie.
« Hope ? » S'étonna la pulsienne.
Il avançait d'un pas incertain, encore en train de se frotter les yeux, esquissant un bâillement. Vanille se dirigea rapidement vers lui, non sans un regard de reproche à l'encontre de Serah, qui la suivit des yeux, niant toute faute dans cette histoire.
« Tu devrais retourner te coucher. » Conseilla-t-elle en passant une main maternelle dans les cheveux presque blancs de l'adolescent.
« Je…je n'arrive pas vraiment à dormir. » Avoua-t-il, penaud.
Vanille l'observa avec un certain recul. Elle posa une main rassurante sur son épaule puis quelques secondes plus tard la retira brusquement. Le garçon plongea son regard vert pâle dans le sien, plus intense et plus affirmé.
« Ne me dis pas que toi aussi tu t'inquiètes pour elles ! » S'exclama-t-elle les poings sur les hanches.
« Et bien… »
Il n'osa répondre devant l'air réprobateur de son aînée. Il se gratta l'arrière du crâne et baissa les yeux, ne sachant quoi dire d'autre. Puis il leva à nouveau son regard vers son interlocutrice et sourit, à la fois amusé et désolé du fait qu'il ne pouvait s'empêcher de se faire du souci pour les deux guerrières.
« Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de vous deux ? Et dire que demain vous devriez tous les deux aller à l'école. » Soupira-t-elle avec bienveillance en se tournant légèrement pour faire l'aller-retour visuel entre ses deux invités.
En effet, elle avait proposé à ses deux amis de passer la nuit chez elle et de rester jusqu'à la fin de cette histoire. Proposition qu'ils avaient acceptée avec gratitude et soulagement. Hope était ici avec le consentement de son père qui avait jugé la compagnie des deux jeunes femmes plus bénéfique que l'éloignement. Il était parfaitement conscient que son fils se ferait un sang d'encre et aurait l'esprit loin des études où qu'il se trouve.
« Allez, viens t'asseoir. »
Elle lui attrapa une chaise à l'autre bout de la table et l'installa en face de la leur, puis elle reprit sa position. Hope vint se placer en regardant Vanille du coin de l'œil. Elle mit trois secondes avant de réaliser cette attention persistante :
« Quoi ? »
« Je ne suis plus un gamin tu sais. » Rit-il, un peu gêné par les actions de la rousse.
« Tu n'as pas grandi d'un poil je te signale ! Alors pour moi, tu es toujours un gamin. »
Elle croisa les bras, presque vexée par la remarque du garçon, minaudant un air hautain et peu convaincu.
« Laisse-lui au moins le temps de grandir, le pauvre. » Rétorqua Serah en relevant légèrement la tête.
« Non. Il n'avait qu'à pas me chercher. » Répliqua Vanille d'un air boudeur.
« Il ne t'a cherché, et en plus, il a raison. Ce n'est plus un gamin. » Dit-elle avec de plus en plus de sérieux.
« Les hommes ne font pas cette taille ! »
Autant dire qu'elle manquait d'arguments, et surtout qu'elle état loin d'être convaincue de ses propres dires. Elle profitait seulement de l'intérêt de Serah pour ce débat. Hope ouvrit la bouche, prêt à se défendre, mais l'opportunité s'évanouit aussi vite qu'elle était arrivée.
« Quand bien même, il faut arrêter de se focaliser sur sa taille, même si c'est pour rire, il risque d'être complexé après. Et puis Maqui n'est pas très grand pour un homme, je te signale. »
« Laisse Maqui hors de ça, il vient à peine d'avoir dix-huit ans ! Et puis sur Gran Pulse, tant que tu n'as pas accompli ta première chasse seul, tu n'es pas un homme ! »
« Je ne pense pas que tes coutumes ancestrales fassent loi en ce moment Vanille. »
« Hey ! Laisse mes coutumes en dehors de ça ! » S'exclama-t-elle alors qu'elle peinait de plus en plus à retenir son sourire.
« C'est toi qui les a amenées dans la conversation ! »
Hope leva une main dans l'espoir de les interrompre et d'en placer une, ce fut malheureusement vain.
« Quoiqu'il en soit, il faut qu'il grandisse. »
« Tu ne peux pas dire… »
« Hé ! Hé ! Hé ! Je suis juste à côté vous savez… »
Elles se retournèrent vers lui et le jaugèrent un instant. Il se tut dans un premier temps, impressionné par l'ampleur qu'avaient pris les choses, puis il reprit non sans amusement :
« Vous êtes bien conscientes que cette discussion est totalement ridicule… ? »
Il les observa tour à tour, dévoilant peu à peu un sourire incertain. Enfin il aperçut cette lueur malicieuse dans le regard de la rousse et à la dévisager plus en détails ils finirent tous deux par éclater de rire. Serah comprit qu'elle s'était plus ou moins faite avoir et tenta tant bien que mal de résister, mais, contaminée, elle ne tarda pas à joindre un rire doux et léger au leur, plus enthousiaste. Le silence retomba sur les trois compagnons après leur avoir soutiré un soupir expiateur, révélant par là même leur fatigue. Ils s'observèrent un à un, gagnant dans ce bref échange une complicité et un soutien sans équivoque. Vanille rompit cette parfaite trinité en se levant pour aller chercher deux autres verres. Elle offrit un sirop de couleur dorée où plusieurs bulles se battaient en duel pour gagner les hauteurs du liquide. Hope sourit devant les habitudes décidément très maternelles de la rousse, mais il ne s'en plaignit pas, loin de là, c'était sa boisson préférée. Cependant, les tourments n'avaient pas complètement disparu, et il baissa la tête, victime de l'un d'eux depuis un certain temps déjà. L'aînée posa la carafe d'eau sur la table et se rassit. Serah lui fit signe, indiquant discrètement l'état de leur benjamin. La pulsienne haussa un sourcil interrogateur mais aucune d'entre elles ne désirait le bousculer. Il était assez grand, s'il avait envie d'en parler, il le ferait.
« Dites…qu'est-ce qu'il se passe entre Lightning et Fang ? »
Il les regarda avec cette hésitation caractéristique, se demandant s'il avait le droit ou non de poser cette question, ou même d'avoir la réponse. Surprises, elles se contemplèrent en silence l'espace d'un instant, cherchant le moyen d'aborder le sujet, songeant que personne n'avait vraiment pris la peine de démêler la situation pour lui, ou surtout d'expliquer le comportement si hostile de ses deux amies lors de leur dernière entrevue.
« Et bien… » Commença Vanille sans avoir encore trouvé ses mots.
« Est-ce qu'elles…sortent ensemble ou…quelque chose du genre ? » Précisa-t-il.
Elles se regardèrent une nouvelle fois, peu certaines de la réponse à apporter. Oui ? Non ? Oui, mais ? Non, mais ? Un vrai guêpier.
« En théorie oui, du moins elles devraient… » Commença Vanille.
Après tout, qu'est-ce qui n'allait pas dans ce sens ? N'avaient-elles pas chacune de leur côté, affirmer à Vanille et à Serah que tout allait bien ? Ne faisaient-elles pas route ensemble vers Oerba ? Vanille savait très bien ce que cela signifiait pour Fang. Et c'était Lightning elle-même qui lui avait offert cette opportunité.
« Officiellement non, mais tu peux considérer que oui. » Termina Serah.
Lightning n'aurait pas mis sa vie en danger sans avoir une bonne raison de le faire, et aller à Oerba était plus que dangereux. Si elle ne se rendait pas compte de la place que Fang occupait dans son cœur, ça n'allait forcément pas tarder. Sinon, elle se chargerait de lui botter les fesses jusqu'à ce que ça rentre dans son crâne. Non, elle avait confiance en sa sœur, et cette dernière n'avait pas encore étripé Fang, c'était assez révélateur en soi. Oui, Lightning se sentait redevable envers la pulsienne qui n'avait pas hésité une seconde à venir à son secours, comme elle-même l'avait fait, mais il y avait plus que ça, elle le savait. C'était écrit en gros sur son visage durant toute la semaine dernière.
Après avoir suivi des yeux ses deux interlocutrices, Hope marqua un temps d'arrêt, comme si les éléments s'assemblaient dans son esprit suivant un ordre et une case précis.
« Donc elles ne sortent pas ensemble mais vu leurs réactions c'est tout comme ? Compris. Mais…qu'est-ce qu'il s'est passé la dernière fois chez toi Serah ? Pourquoi Lightning a frappé Fang ? »
« Ok, ça, c'est un peu plus compliqué. » Concéda Serah en fixant le sol à la recherche d'un soutien inexistant.
« Mais non c'est très simple, c'est parce que ce sont deux idiotes. » Rétorqua Vanille, verre en main.
Elle but une gorgée et manqua de s'étouffer lorsque son amie lui envoya une tape dans l'estomac. Ses sourcils froncés et son regard noir furent suffisant pour la blâmer. Mais la rouquine n'était pas prête de se laisser faire.
« Quoi ? C'est vrai ! » Se défendit-elle.
« Peut-être, mais ça ne l'aide pas vraiment. »
Vanille cessa de bouder pour se tourner vers la seule personne restante. L'air perdu de l'adolescent confirma ses dires. Elle soupira. Serah lui lança un dernier regard menaçant, puis se focalisa sur le benjamin.
« Mais ce sont quand même deux id… »
« Vanille ! »
Pour toute réponse cette dernière lui tira la langue, arrachant un soupir d'exaspération à la cadette Farron et un sourire à Hope.
« Elles sont entrés en conflit car elles n'ont pas su reconnaître ni se dire leurs sentiments clairement. »
« Ce sont d… »
« Vanille ! Bon sang tu ne peux pas être sérieuse deux secondes ? C'est lui qui est censé être le gamin du lot ! »
« Hé ! Mais tu as dit que… » S'exclama le désigné.
« C'est pour la bonne cause ! J'essaye de lui expliquer quelque chose au cas où tu… »
Mais elle s'interrompit, ses interlocuteurs étaient en train de rire.
« Tu n'es vraiment pas drôle quand tu es inquiète, c'est déplorable ! » Parvint à articuler la pulsienne entre deux éclats de rire.
L'adolescent tentait de se contenir par respect, mais c'était avec grand peine.
« Je n'y peux rien si je n'arrive pas à être aussi détendue que vous ! »
Elle croisa les bras et se tourna afin de ne plus les avoir dans son champ de vision.
« Tu dois reconnaître que tu t'emportes facilement… » Déclara Hope en gloussant.
« Pas de ma faute. » Grommela-t-elle.
Maintenant elle comprenait pourquoi Lightning pouvait passer dix minutes à rouspéter sur le caractère enfantin de la pulsienne aux cheveux d'ébène, elle avait la même en miniature et avec des couettes rouges. Mais elle songea aussi à sa manière de réagir. Elle sourit doucement. Oui, Claire se serait braquée exactement de la même manière.
« Très bien, ce sont deux idiotes. » Dit-elle finalement avec amusement.
« Ooh ! » S'écria la pulsienne avant de sauter sur son amie pour l'enlacer, manquant de la faire tomber et accroissant l'hilarité du jeune adolescent.
-X-
Lightning s'éveilla en douceur. D'abord, elle reprit conscience et réalisa que l'écran de noirceur que ses pupilles avaient quitté était désormais remplacé par un voile lumineux aux couleurs chaudes indécises. Dérangée par ce brusque changement, elle enfouit son visage contre son bras gauche, sur lequel sa tête reposait. Elle put vérifier dans la foulée qu'elle avait bel et bien reprit le contrôle de son corps car tous ses membres se rétractèrent pour lui permettre de se rouler en boule aussi bien qu'elle le put. Enfin, voyant que la lumière n'était pas décidée à partir, elle se détendit et, s'avouant vaincue, ouvrit lentement les yeux avec un grognement à peine audible. Elle se redressa sur un bras et cligna des yeux plusieurs fois. Elle aperçut Fang assise non loin qui s'affairer à elle ne savait quoi.
« Tu es réveillée Sunshine ? Bien dormi ? »
L'intéressée prit quelques secondes supplémentaires pour se forcer à émerger définitivement du monde des songes. Dire qu'elle était matinale de nature était un véritable mensonge, elle appréciait aussi les grasses matinées de temps en temps.
« Et bien, étrangement, oui. »
« Tant mieux. Le ptit-déj' est bientôt prêt. »
Elle suivit du regard le signe de tête de la brune et tomba sur une petite pile d'aliments. Quatre poissons y reposaient, préparés par les soins de la pulsienne qui était en train d'en faire un cinquième. Plusieurs graines qu'elle se souvenait avoir mangé lors de son premier passage étaient également amassées. Leur goût légèrement salé asséchait facilement, mais l'alliance avec le poisson cru remédiait complètement à ce problème. Il y avait également deux brins d'une plante qui lui était inconnue posés à côté. Lightning haussa un sourcil appréciateur face au choix de sa partenaire.
« Je suis allée les pêcher au lac, les graines viennent des plantes là bas, pareil pour les herbes aromatisées. »
« Tu aurais dû me réveiller. »
« T'avais l'air de faire de beaux rêves. » Ricana Fang.
« Quand bien même. »
« Si je te parle de basilic ? »
« … »
« Est-ce que tu sais pêcher ? »
« Ça va, j'ai compris. »
« Tu vois, tu ne m'aurais pas été d'une grande aide en fin de compte. »
Lightning fronça légèrement les sourcils, non pas parce que la pulsienne l'agaçait dès le matin mais bien parce qu'elle était véritablement incapable de l'aider, quelque soit son bon vouloir. Elle n'avait quasiment aucune connaissance du terrain et donc aucune emprise sur ces terres. Evidemment, comme le lui avaient fait remarquer de nombreuses fois les deux pulsiennes, rien ne poussait sur Cocoon, ou presque. Les Fal'Cie servaient la nourriture aux Humains sur un plateau d'argent, ainsi fonctionnait la ferme. Du moins, c'était avant que leur chef ne succombe à l'incroyable détermination de six L'Cies. Bref, comme en plus elle ne cuisinait pas souvent, elle était loin d'avoir retenu le nom et même l'image de toutes les nouvelles variétés alimentaires que ses compatriotes et elle avaient découvert. Sentant bien que le soldat était reparti dans une spirale infernale, et avant qu'elle se mette à réfléchir davantage, Fang annonça :
« Allez, c'est prêt ! »
Elle maugréa mais vint docilement s'asseoir à côté de la jeune femme à la peau hâlée. Elle serra ses bras et replia les genoux.
« Tu as froid ? »
« Nn…non. »
Fang haussa les épaules, attrapa un poisson, une poignée de graines et la moitié d'un brin qu'elle lui tendit avec un simple sourire, sincère et magnifique. Fang ferma les yeux l'espace d'une seconde, savourant les quelques rayons du soleil levant qui caressaient son visage d'une main tendre. Quand elle les rouvrit, Lightning s'empara de ce qu'elle lui donnait et détourna rapidement le regard, les joues rouges. Mais la brune ne dit rien, ses lèvres s'élargirent sans que leur expression diffère. Elles mangèrent en silence, ce même silence calme, respectueux, véritablement intime. Seule la militaire dût faire avec cette sensation de gêne qui persista, ce pourquoi elle décida à la fin du repas qu'il était temps de reprendre la situation en main. Elle se leva, arracha une touffe d'herbe pour s'essuyer les mains et remit ses gants. La pulsienne était toujours assise et finissait le dernier poisson. Elle revint s'accroupir à sa gauche, là où elle s'était précédemment assise. Fang l'observait du coin de l'œil, se demandant innocemment ce qu'elle fabriquait alors qu'elle mangeait tranquillement son petit poisson. Elle n'eut pas le temps de trouver la réponse qu'elle s'imposa d'elle-même. Lightning se pencha et, lentement, déposa un baiser chaud et délicat sur la joue de la pulsienne, qui se figea. Elle se releva, satisfaite. Aucune réplique ne vint commenter la situation. Lightning sourit. Elle lui avait cloué le bec.
Après un temps indéterminé où son cerveau s'était déconnecté, Fang reprit une bouchée de l'animal. Elle fonctionnait au ralenti. C'était calculé ? Elle ne dormait pas ? C'était du hasard ? Bon sang… En tout cas, ce geste, simple et doux, était complètement différent, mais drôlement agréable. Elle s'empressa de finir son morceau et se releva, s'essuyant les mains dans la foulée. Elle rejoignit la jeune femme dont les cheveux tendaient véritablement vers le blond en cette heure matinale.
« Hey ! »
« On se remet en route ? Mieux vaut ne pas perdre de temps. »
Fang observa son petit sourire avec méfiance. Il avait l'air sincère.
« Bien sûr, comme tu veux. »
Elle n'aurait visiblement pas la réponse, et elle était encore assez déstabilisée pour ne pas insister. Elles continuèrent donc leur chemin en direction de là où tout avait commencé, la terre de cristal, Oerba. Pas à pas, pétale par pétale elles se rapprochaient. Liées par un fil nouveau, elles avançaient, confiantes, à peine conscientes. Après deux heures de marche elles foulèrent enfin le sol aride des palissades de Taejin. La Tour se dressait devant elles, menaçante, toujours fière malgré sa fracture.
« La terre n'a pas toujours été aussi sèche ici. Avant la guerre, l'herbe y poussait en toute impunité. »
« As-tu déjà vu la Tour entière ? »
« Non. Aussi loin que remontait notre clan, personne ne l'avait jamais vue en un seul morceau. On raconte qu'elle s'est brisée suite à une altercation entre deux fal'Cies de Gran Pulse. »
« Dahaka ? »
« Touché. L'autre se nommait Yojimbo. »
« Dahaka a remporté le duel, Yojimbo s'est écrasé sur la Tour ? »
« Hé pas mal, tu t'habitues on dirait. »
« Tes légendes ne sont pas très compliquées. »
« Haha ! Je plaisante, c'est pas du tout ce qui s'est passé. »
« Tch. »
« Si tu permets… De rage d'avoir perdu, usant de ses dernières forces, Yojimbo pourfendit la Tour d'un seul coup de sabre, créant une myriade de pétales. »
« D'un seul coup de sabre ? Des pétales ? »
« Ça ne te rappelle rien ? »
« Copieur. »
« C'était des pétales de sakura. » Sourit-elle.
« De… ? »
« C'est un arbre de Gran Pulse. Ça fait un moment qu'ils ont disparu, le dernier est mort quand j'étais petite. Ce ne sont pas des roses en tout cas. »
« … »
« Boude pas. »
« Il a eu raison. Je n'aime pas cet endroit. »
« Quoiqu'il en soit, suite à cette victoire, Dahaka poursuivit sa tâche, probablement explorer les cieux à la recherche de la porte d'Etro. Mais il est assez possessif, il a dû revenir ici après que Cocoon ait gagné la guerre. »
Son récit historique terminé il ne lui restait plus qu'à observer les environs et laisser le loisir à sa voisine de lever les yeux vers le ciel où pointait l'immense structure de métal, ses légendes en tête. L'endroit s'annonçait vide de monstres, la bonne nouvelle de la journée. Réjouie mais pas tout à fait convaincue, elle jugea qu'elles étaient encore trop loin de la Tour et qu'elles ne seraient en sécurité qu'une fois à l'intérieur. La dernière fois, elle avait trouvé les lieux plutôt dangereux. Mais en cet instant présent, aucune vouivre, aucun loup, et aucune machine défectueuse. La mort du fal'Cie avait-elle eu une résonance sur l'écosystème de Taejin ? Elle stoppa sa progression, comprenant que Lightning ne marchait pas à sa suite. La poussière soulevée par ses pas s'évadait tel un nuage de brume et la jeune femme semblait avoir les yeux rivés dessus, mais son esprit était ailleurs.
« Qu'est-ce qu'il y a ? Ça va ? »
« Quelque chose cloche. »
« Ah ! Tu as remarqué, c'est un peu désert comme paysage, c'est vrai. »
« Non. »
Le soldat ne bougeait plus. Son corps s'était brutalement tendu, sa voix était ferme, les battements de son cœur s'étaient accélérés. Elle leva soudainement les yeux vers sa camarade.
« Fang. »
« Je sais. Je les ai sentis. »
Ses propres muscles s'étaient crispés dès que ses sens avaient perçu la menace. La tension du soldat en face avait un impact direct sur la sienne. Elles étaient en danger. Non ! On y était presque…
« Et merde ! » Grogna-t-elle.
Lightning lui renvoya un regard où elle ne parvint pas à masquer l'inquiétude qui s'emparait d'elle. Elle tourna légèrement la tête vers la droite.
« Non ! Ne les regarde pas. Ils vont prendre ça pour une provocation, ils vont sentir ta peur. »
En temps normal elle n'aurait certainement pas eu cette réaction, elle aurait bravé ses adversaires la tête haute. Mais elle devait d'abord penser à son soldat. La blonde voulut rétorquer qu'elle n'avait pas peur, mais elle n'en était pas sûre. Sa vie n'était plus la seule en jeu. Sans leurs pouvoirs, elle ne voyait pas comment s'en sortir. Ses pensées défilaient sans s'arrêter, elle agençait idée après idée mais ses stratégies s'avéraient toutes aussi branlantes qu'un château de cartes. Son rythme cardiaque enclencha la vitesse supérieure, forçant sa respiration à suivre la page, elle devint plus lourde, plus saccadée. Mais elle ne trouva toujours pas d'issue.
« Lightning, calme-toi. Ecoute-moi bien, tu vas devoir courir pour… »
« La ferme. »
« Light, s'il te plaît. Tu dois rejoindre la Tour. Si je les retiens, tu peux y arri… »
« Fang je te préviens, si tu dis une autre connerie de ce genre, je jure que je t'achève moi-même. »
La pulsienne entrouvrit les lèvres, mais aucun son n'en sortit. La détermination de sa camarade faisait nettement plus de bruit. Elles se jaugèrent en silence quand un rugissement retentit du haut de la montagne rocheuse, attirant inévitablement l'attention du soldat.
« Light ne les… »
« Qu'est-ce que ça change ? Si j'évite leur regard, je suis une proie faible. Je ne donnerai pas cette satisfaction à de vulgaires loups. »
« Ce ne sont pas de vulgaires loups. Ils sont nettement plus rapides et plus puissants, sans parler de leur endurance. »
« Je sais ce qu'ils sont ! Peu importe. Je ne vais pas courber la tête devant l'ennemi. »
La brune marqua un temps d'arrêt. Elle était juste éblouie par la force de cette femme. Acculée, elle ne baissait pas le regard, non, elle affronterait la mort en face. Elle était si belle. C'était une guerrière, une danseuse, et elle fendrait l'air de sa lame aussi longtemps qu'elle aurait la force de la soulever. C'était le premier côté qui l'avait séduite chez elle, et en cet instant plus que jamais. Mais Fang se secoua, l'heure n'était pas à la contemplation. Si elle voulait lui montrer à quel point elle l'admirait, elle allait devoir agir. Elle expira l'air qui comprimait ses poumons et à son tour darda ses iris émeraudes sur les monstres qui les surplombaient. Ils étaient quatre, l'Alpha trônait sur l'extrême droite. Leur pelage blanc et les excroissances pointues en forme de cornes et de piques qui ornaient leur corps ne laissaient aucun doute, c'était des Managarmr, la plus redoutable des races qui fonctionnaient en groupe. Ils observaient leur proie d'un œil vif, raclaient leurs griffes parfaitement acérées contre la paroi rocheuse et faisaient claquer leur mâchoire dégoulinante de bave.
« Qu'est-ce qu'ils attendent ? » Cracha Lightning.
« Ils savourent. »
Le soldat eut un rictus profondément méprisant. Elle exposa finalement la solution retenue sans pour autant détourner le regard.
« Nous devons entrer dans la Tour, c'est notre seul chance. Mais la rencontre est inévitable, il va falloir se défendre et les repousser. Attention à leurs décharges électriques. On ne doit pas cesser de courir. La priorité reste d'entrer, compris ? »
La chasseresse releva la tête, signe qu'elle avait parfaitement entendu, mais son esprit et son regard étaient ailleurs.
« Et la crevasse ? »
« Non, c'est trop dangereux. »
Elle resta silencieuse.
« Fang, ne fais pas l'idiote. »
« Très bien. » Concéda-t-elle avec un soupir.
Elles se contemplèrent durant un instant qui leur sembla être hors du temps. Plus rien ne les entourait si ce n'était un océan calme et une mer de jade. Il y avait tant de choses à dire, et finalement si peu.
« Cours. »
Les deux combattantes s'élancèrent sans un seul regard en arrière. Aussitôt, les monstres se laissèrent glisser le long du flanc rocheux. Leurs griffes freinaient leur chute et maintenaient leur équilibre. Lightning prit immédiatement cinq à six mètres d'avance et Fang maudit ses propres capacités en matière de rapidité. Elle prit sur elle et força l'allure, quitte à arracher quelques cris à ses muscles ainsi torturés. Elle savait pertinemment que le soldat ralentirait le rythme pour rester à sa hauteur alors même que ses ordres intimaient le contraire.
Les loups bondirent de la paroi, l'alpha en tête, et se réceptionnèrent trois mètres plus bas, soulevant un nuage de poussière, sans interrompre leur course. Lightning jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, guettant leur progression. La tour était encore loin, au moins à deux cent mètres d'après son évaluation. Fang était derrière elle, à une dizaine de mètres, et elle se faisait progressivement distancer. Le mâle dominant rugit, laissant entendre à ses compagnons qui répondirent en écho que la chasse était ouverte. La militaire eut un bref regard dans leur direction et les vit émerger du nuage de poussière en redoublant de zèle. Elle serra les dents, ils dévoraient les mètres qui les séparaient avec une avidité impressionnante. Ils seraient sur elles dans douze secondes.
Ses battements cardiaques s'accélérèrent considérablement. Le sang qui circulait dans son corps à la vitesse de l'éclair provoquait des tremblements sur son passage. Elle avait l'impression que son cœur avait remplacé son cerveau et cognait contre ses tempes. Elle mit à profit sa perte de vitesse pour calmer sa respiration et prendre une grande bouffée de calme et d'oxygène. Elle ferma les yeux et canalisa cette nouvelle énergie. Fang n'eut pas besoin de se tourner pour sentir les monstres se rapprocher. Elle entendait leurs râles rauques, conséquence de leur course effrénée, leurs pattes au contact de la terre sèche, leurs griffes grattant le sol à chaque poussée. Elle sentit également l'adrénaline envahir son corps en véritable décharge électrique, animant une force nouvelle partout où elle se déployait. La chasseresse plissa légèrement les yeux face à la poussière que soulevait sa camarade à chacun de ses pas, mais son esprit se focalisait sur ceux qui courraient derrière. Désolée Light. Elle dévia sa trajectoire et se rapprocha du précipice, puis elle abaissa ses paupières et laissa le monde ralentir autour d'elle. Elle n'avait pas le droit à l'erreur. Son sourire s'élargit et dévoila ses crocs. Elle empoigna le manche de son arme. Maintenant ! A peine l'alpha décolla du sol pour bondir sur sa proie que Fang stoppa sa course et pivota, convertissant sa vitesse en force pour frapper l'animal en plein saut de côté et le pousser dans la crevasse. Entraînée par le mouvement et soumise à la puissance du choc, elle continua de tourner en tombant au sol. Au bord du gouffre, elle n'eut pas le temps de se ressaisir qu'un autre monstre se jetait sur elle. Elle bloqua la gueule qui se refermait sur elle à l'aide de sa lance et la maintint à distance, bras tendus pour éviter les excroissances dentelées du monstre qui ne cessaient d'érafler le haut de sa poitrine. Il plaqua ses pattes avant sur les épaules de la pulsienne et planta ses griffes, lui soutirant un grognement de douleur, mais elle ne céda pas.
Lightning dégaina et se retourna, elle ne put qu'apercevoir un des assaillants être projeté dans le vide avant d'avoir à subir l'attaque d'un loup. Elle effectua un saut arrière et trancha devant elle, déviant ainsi la griffe qui venait arracher sa peau. Elle continua sa course à reculons tandis que le monstre reprit ses appuis et s'élança. Elle para de nouveau et entrevit le dernier loup qui fonçait sur sa gauche. Elle esquiva un autre coup de patte et s'apprêta à intercepter son deuxième attaquant quand ce dernier baissa la tête. Elle saisit l'intention trop tard et fit comme elle put pour accueillir la charge du monstre en évitant les pointes de son arête crânienne. La guerrière fut propulsée et roula au sol, avalant poussière et douleur. Il avait joint à son assaut un choc électrique qui l'avait complètement étourdie. Sa tête tournait et ses membres ne répondaient plus, elle reçut une deuxième charge qui l'envoya valser encore plus loin. Ebranlée, elle se remit pourtant rapidement sur pied et roula sur la droite pour esquiver la troisième. Elle recula encore et constata qu'elle arrivait au bord du gouffre. Partant du même fait, les loups la cernèrent lentement, laissant leur excitation se satisfaire de la vue d'une proie acculée.
Avec la mort de leur dominant, la priorité n'était plus de manger mais de se venger. Lightning réfléchit à toute vitesse, mais ses tactiques étaient trop étroites, trop militaires, elles ne convenaient pas à la situation. Elle jeta un coup d'œil sur sa droite et aperçut la brune qui luttait avec la dernière bête, la tête presque dans le vide. Un grondement la rappela à l'ordre et elle jaugea ses ennemis tour à tour. Que ferait Fang ? Cette dernière ne tiendrait pas éternellement, elle devait faire quelque chose. Ils n'étaient plus qu'à un mètre. Le monstre sur sa droite balança sa griffe en direction de sa taille. Elle bloqua. Il recommença, testant les appuis de son adversaire. L'autre sur sa gauche, qu'elle continuait d'observer du coin de l'œil, frappa également. Elle leva son bras en guise de défense alors qu'elle repoussait toujours les assauts sur droite. Elle ravala la vive douleur qui la brûla instantanément et recula pour éviter une autre blessure. Elle laissa son pied glisser du rebord et le plus gros sur sa droite, y voyant une occasion, se jeta sur elle. Elle bondit en avant et sauta sur la tête de son compagnon plus frêle qui tenta de l'arrêter à l'aide de sa patte. La pointe de sa griffe l'effleura de justesse. Alors qu'il se cabrait pour la dégager, elle se laissa choir sur son flanc gauche et y planta sa lame. Elle se redressa et tandis que le plus massif allait se jeter par-dessus son acolyte pour la faucher, elle poussa de toutes ses forces. Elle eut l'impression que la peau de son bras blessé s'arrachait et ne put d'ailleurs retenir un cri sous l'effort. Le loup costaud fut coupé dans son élan et l'autre le percuta de plein fouet, empêchant toute fuite. Ce dernier tenta de mordre son assaillante qui les précipitait dans la crevasse mais l'arme bloquée entre ses côtes ainsi que les extensions osseuses de ses pattes avant le gênaient pour se tourner et atteindre la jeune femme.
Lorsque le Managarmr abandonna enfin et se redressa pour lui assener un coup de patte qui la défigurerait à vie ou l'enverrait promener dans les abysses rocheuses, Fang replia ses genoux et enfonça ses pieds dans la poitrine du monstre, de chaque côté de l'arête ventrale. Elle poussa également avec ses mains pour l'éjecter à son tour dans le vide. Elle reprit son souffle et se releva, sans une pensée pour ses blessures superficielles. Le cri de la blonde ébranla tout son corps, elle se retourna et s'élança dans sa direction.
« Lightning ! » Hurla-t-elle en la voyant tomber en même temps que les deux monstres.
Elle puisa sa force dans sa détresse et accourut avec une rapidité dont elle ne se savait pas capable. Dans sa précipitation elle trébucha mais parvint tant bien que mal à rétablir son équilibre. Elle se laissa tomber au bord du précipice, quitte à s'écorcher les genoux, et se pencha pour découvrir le soldat vaillamment accrochée à une arête rocheuse juste en dessous. Elle s'empara de chaque avant-bras de sa compagne et tira. Sa précipitation et le sang couvrant le membre gauche de son amie rendirent la prise instable et elle lâcha, sa main droite glissa également, perturbée par l'équilibre rompu. Lightning se raccrocha immédiatement à la paroi, manquant de tomber. Fang saisit la veste de la jeune femme et parvint à la hisser sur le rebord. S'aidant de ses jambes, elle réussit à remonter et s'affala sur la pulsienne, épuisée. Elle bascula sur le côté afin que toutes deux puissent reprendre leur souffle.
Après une minute, la brune brisa leur repos d'un grognement, se redressa sur ses coudes et toisa le soldat.
« Mais t'es complètement folle ma parole ! Ne refais jamais ça ! »
« Folle ? Si tu ne t'étais pas toi-même à moitié jetée dans le vide, l'idée ne me serait pas venue ! » S'exclama-t-elle en se redressant à son tour.
« A moitié jetée dans le vide ? Mais enfin tu… Et puis t'as pas à faire tout ce que je fais ! Je suis pas vraiment un exemple de sécurité ! »
« Pour une fois que tu le reconnais. »
« Light je plaisante pas bordel ! Plus jamais, tu m'entends ? Plus jamais ! »
« Tu n'as qu'à suivre ce que je te dis ! Pourquoi tu ne fais jamais ce que je te demande de faire !? Il faut toujours que tu n'en fasses qu'à tête, regarde où ça nous mène à chaque fois ! Tu… »
Elle s'interrompit, constatant qu'une larme avait roulé sur la joue de la pulsienne.
« Fang, je… » Murmura-t-elle, abasourdie et au fond émue.
L'interpellée tourna la tête, attendant que sa fierté reprenne l'ascendant sur la peur qui l'avait secoué. La bouche entrouverte, Lightning ne se remettait pas. Mais lorsque Fang voulut se relever, elle posa une main sur son bras droit.
« Je ne le referai pas. » Déclara-t-elle doucement en baissant le regard, sans pouvoir évaluer avec certitude la véracité de son propos.
La chasseresse la dévisagea un instant, puis, contre toute attente elle souffla sur son visage, dégageant ses mèches rosies, et se releva. La blonde rouvrit les yeux et n'accorda pas plus de réflexion à cette drôle d'impulsion. Elle se redressa en acceptant l'aide de sa camarade. La plaie qui ornait son bras lui revint à l'esprit et se remit à brûler. Aussitôt elle leva son regard vers Fang et inspecta visuellement son corps à la recherche de la moindre blessure.
« Tu es blessée ? » Demanda-t-elle.
La pulsienne fit signe que non. Plusieurs marques rouges striaient son thorax, ses épaules percées avaient fait perler un peu de sang et la peau de ses genoux était légèrement arrachée. Si elle était touchée à plusieurs d'endroits, elle ne ressentait que des picotements et le contact de l'air sur ses genoux était certes douloureux mais supportable. La blessure du soldat l'inquiétait davantage.
« Ce n'est rien. » Affirma celle-ci quand elle vit son regard émeraude s'attarder sur son bras.
La griffure était profonde mais pas assez pour empêcher un rétablissement rapide ou entraver ses mouvements. Du liquide chaud et rouge s'en écoulait encore. Fang déchira un pan de sa tunique et essuya délicatement le bras ensanglanté avant de bander la plaie. Lightning se tendit légèrement lorsqu'elle serra mais demeura silencieuse, le regard rivé sur le sol. Elle la remercia et elles restèrent ainsi plusieurs minutes. La jeune femme aux cheveux d'ébène esquissa finalement un sourire et annonça d'une voix douce :
« Moi je trouve qu'on s'en est plutôt bien sorti non ? »
Lightning acquiesça sombrement. Elles échangèrent un long regard où s'exprimait leur soulagement, puis se remirent en route. La tour n'était plus très loin. Elles franchirent les portes ouvertes en permanence et clignèrent des yeux le temps que leur vision s'adapte à ces lieux plus obscurs. Dès qu'elles passèrent l'entrée du bâtiment, l'atmosphère changea. Elle était certes plus pesante et plus étouffante que les palissades où l'air circulait librement, mais elle l'était aussi d'une autre manière, comme si un millier d'yeux accompagnait le moindre mouvement produit. Depuis leur dernier passage, cette sensation s'était nettement atténuée, probablement grâce à la disparition du tyran et l'apaisement des Menhirrim, les véritables maîtres des lieux. Mais la Tour de Taejin semblait encore renfermer des esprits d'anciens temps, des énergies mystiques qui composaient la douce mélodie si particulière et propre à cet endroit. L'architecture froide et solennelle rappelait à Lightning le Vestige de Pulse, le berceau de leur aventure. Néanmoins l'éclairage bleuté rompait catégoriquement avec les lumières vives et aveuglantes du temple d'Anima. Elles sortirent du couloir pour rejoindre la base de la tour, également déserte. Elles firent quelques pas prudents en inspectant chaque recoin, puis Fang s'avança avec confiance. Lightning hésita une seconde puis la suivit, sans abandonner sa méfiance.
« J'espère que cette fois il n'y a véritablement aucun monstre. »
« On a achevé Dahaka, le calme est revenu. Ne t'inquiète pas. »
« Je ne m'inquiète pas, je sais juste qu'on ne pourra pas survivre à tout ce qui souhaite ardemment nous dévorer. »
« Tu nous sous-estimes. » Sourit la brune.
« Non, je ne surestime pas notre chance. » Répliqua-t-elle avec sérieux.
« La Chance a choisi son côté, et ce n'est certainement pas le leur. » Rit-elle.
Lightning la regarda étrangement et se demanda si c'était la nervosité précédente qui la faisait agir avec autant de décontraction. Elles ne rencontrèrent tout de même aucun autre être vivant. Fang se sentait curieusement détendue. Elle savait qu'Oerba n'était pas loin, qu'au fond, le plus dur était à venir, mais cet endroit lui apparaissait comme une phase de repos, un repos hors du temps, à mi-chemin entre le ciel et la terre, épargné des inquiétudes des hommes comme des dieux, juste un havre paisible où les voix des statues gardiennes rodaient près de son esprit et l'effleurait de leurs caresses bienveillantes. Soudainement elle s'arrêta et se tourna vers sa camarade, un joyeux sourire peint sur ses lèvres.
« Tu ne les entends pas ? »
« Si. »
Mais comme la première fois, leurs paroles n'étaient que des propos incohérents qui se heurtaient aux barrières de son mental d'acier, ce qui l'irritait passablement. Elle discernait mais ne comprenait en rien la quiétude qui s'était emparée de son amie. Comment pouvait-elle être aussi sûre qu'ici elles étaient en sécurité ? Elle observa attentivement la pulsienne qui semblait en parfaite communion avec les échos de ces murmures, songeant avec cette admiration sincère que ces lieux, cette culture, ce passé lui appartenaient, ils étaient une partie d'elle, et elle en était maîtresse. Sa patience retrouvée, elle demanda calmement à la pulsienne de transmettre leurs pensées.
« Vaillantes guerrières, soyez les bienvenues. Parcourez ce domaine en toute tranquillité, désormais les intrus en sont éloignés. Que votre chemin soit éclairé par la résonance de vos bienfaits. Sympa comme accueil non ? »
« Oui. Continuons. »
« C'est vrai, tu n'aimes pas cet endroit. »
« Et ce ne sont pas d'aimables statues de pierre qui vont y changer quoique ce soit. »
« Tu vas les vexer. »
Elles échangèrent un regard et un sourire complices puis montèrent dans l'ascenseur. Fang actionna le levier à l'aide de son pied, avec cette nonchalance habituelle qui surprenait toujours Lightning même si elle ne l'oubliait jamais. La mélodie joua ses premières notes d'ascension, rebondissant sur un ton guilleret à l'extérieur de la roue de métal. Les deux jeunes femmes, appuyées à la paroi, se faisaient face. Le soldat, bras croisés, observait la brune qui contemplait le sol, les mains dans son dos, le genou plié et le pied gauche reposant contre la cloison. Elle sourit tendrement, devinant facilement ce qui la taraudait et qu'elle avait perçu à travers un blâme silencieux qui pesait sur ses épaules hâlées depuis leur entrée.
« Fang… » Appela-t-elle doucement.
L'interpellée lui accorda son attention et leva un sourcil interrogateur, alors que ses traits étaient toujours tirés par la réflexion.
« Ce n'est pas de ta faute. »
Elle entrouvrit la bouche, mais Lightning l'interrompit en désignant son bras blessé d'un signe de tête. La brune s'attarda sur ce qu'elle lui montrait et sourit, encore surprise d'être si facilement découverte. Cette femme avait la vue aussi perçante qu'une vouivre, et son esprit était encore plus vif. En tant que bonne chasseuse, elle se croyait toujours à l'affût, impossible à repérer car rudement bien cachée ou toujours en mouvement. Evidemment elle baissait inconsciemment sa garde devant le soldat, elle le savait, elle avait juste du mal à s'y faire. Pourtant, cela lui plaisait.
« Tu as raison, pour une fois que ce n'est pas moi qui t'ai entraînée dans un plan foireux. »
« Exactement, c'est mon choix. »
Elle sourit et laissa son attention dériver pour plonger librement dans ses pensées, un océan de sérénité se déversant sur le sol de leur monture métallique. Une bouffée de chaleur et de fierté envahit la pulsienne et gonfla ses yeux vert lagon d'un désir qui fit rougir Lightning dès qu'elle croisa son regard. Elle tourna la tête et resserra la prise autour de son bras valide, geste qui agrandit le sourire carnassier de la brune.
« Fang. » Trancha-t-elle, ne supportant plus qu'elle la dévore ainsi du regard.
« J'arrête. »
Pour affirmer ses dires elle détourna les yeux et tenta de penser à autre chose, prenant le plafond comme auxiliaire. Malgré elle, Lightning glissa un regard dans sa direction. Elle ne put se détacher de cette silhouette parfaite. Une étincelle éclata en son sein, propageant sa flamme dans tout le corps du soldat. Elle changea de position, nerveuse. C'était comme lors du repas, plus tôt dans la matinée. C'était la première fois où elle avait contemplé Fang d'un œil véritablement nouveau, sans aucun titre à lui accorder, pulsienne, ancienne l'Cie, chasseresse, amie, amante… excepté celui de femme à part entière. Et c'était une femme purement magnifique dont tous les attributs évoquaient la sensualité. Un simple grain de beauté, loin de la défaire, accentuait l'invitation silencieuse qui dormait au fond de son regard charmeur. Ses iris d'un vert de jade pâle, strié de nuances et autres liserés plus sombres et trompeurs selon le reflet, menaient à l'âme d'un félin insaisissable. Il était amusant de voir comment chaque trait de son caractère se cachait malicieusement derrière un détail physique. La pointe de son nez était redressée avec fierté, et ses lèvres étaient généreusement gonflées de passion. Ses fins cheveux dont même la couleur d'ébène évoquait la nature se livraient au vent avec confiance, le laissant égayer leur côté libre et sauvage et révéler d'incroyables pointes vermeille. Une tresse discrète ajoutait une note sereine et féminine et suffisait à évoquer des souvenirs joueurs et enfantins. Leur carrure était similaire, mais elle était légèrement plus grande et sa peau que l'ardeur du soleil avait parée de ses bienfaits rendait ses muscles, déjà plus saillants que les siens, davantage apparents. Leur tracé ressortait avec un mélange d'arrogance et d'assurance, impression gravée à même son être, donnant constamment une image d'elle au sommet de sa forme physique. Evidemment, sa tenue ne couvrait que très rarement de telles qualités. La fluidité et la provocation avec laquelle son sari caressait son corps se retrouvait dans ses mouvements, révélant de nouveau la présence de quelque fauve infiniment gracieux. Et lorsqu'elle relevait le menton, esquissait un sourire, haussait un sourcil… tous ces petits gestes qu'elle répétait souvent servaient joliment ses traits.
Mais elle était tellement plus.
« Chérie, il faut que ça marche dans les deux sens. Sinon, je te préviens, je ne réponds plus de mes actes. »
Lightning détourna le regard et ravala un grognement dont elle n'aurait pas su définir le sentiment latent. Fang ne manqua pas l'opportunité de briser les sommations du soldat. Joueuse, elle se défit du soutien que lui apportait la paroi pour s'approcher dangereusement de la jeune femme. La mélodie prit fin.
« On est arrivé. » Annonça Lightning en s'éclipsant hors de l'appareil.
La chasseresse la suivit d'un regard brillant de convoitise. La militaire accéléra l'allure. Comment avait-elle pu être si aveugle ? Elles étaient devenues proches si naturellement… et ce glissement l'apparaissait finalement tout autant. Y avait-il jamais eu une barrière en fin de compte ? Ou avaient-elles dès le départ écarté toute notion définie ? Avaient-elles seulement été amies ? Comment était-ce devenu si intense aussi vite ? Le mécanisme avait été enclenché depuis plus longtemps que ça, elles n'y avaient juste pas songé ? Lightning se posta près du cœur de la tour, où ils avaient vaincu l'usurpateur. Elle observa les environs en un clin d'œil et, n'ayant décelé aucun danger, se remit en marche. La pulsienne l'imita en lui accordant une distance de sécurité. Mais elle retrouva rapidement un sérieux trop implacable qui étouffa son sourire. Elle s'arrêta. Son regard se posa sur le sol puis se perdit devant elle. Elles y étaient presque.
« Tu veux qu'on fasse une pause ? »
« Non. » Répondit-elle instantanément.
Le ton était sans appel mais sans sévérité. Lightning acquiesça, un poing calé au dessus de sa hanche, et attendit que Fang la dépasse pour repartir. Cette dernière se dirigea directement vers l'engin menant à la ville de cristal, elle ne s'approcha pas du bord et son regard ne dériva point. Dès qu'elles prirent place le mécanisme s'activa et l'appareil les mena à destination. Elles n'échangèrent pas un mot. La brune, figée, semblait retenir sa respiration. Lorsqu'elle remarqua que le soldat ne la quittait pas des yeux, elle lui adressa un sourire tendre et rassurant. La guerrière releva légèrement la tête mais garda la chasseresse au centre de son champ de vision. Je suis là. Elle comprit le message et murmura un remerciement. Tu viendras avec moi jusqu'au bout hein ?
« Et dire que tu devrais travailler aujourd'hui. » Sourit Fang.
« Non. »
« Non ? »
La jeune femme se renfrogna et croisa les bras. Elle baissa le regard, anticipant les moqueries de sa camarade, et se résigna finalement.
« J'ai été congédiée. »
« Sérieusement ? »
« Pour une semaine. »
La pulsienne éclata de rire, comme prévu. Néanmoins elle se tut rapidement devant la moue faussement boudeuse qu'affichait son soldat.
« Comment ça se fait ? »
Lightning lâcha un bref ricanement puis offrit un regard complice à son interlocutrice.
« Paraît que j'ai été exécrable toute la semaine. »
Fang répondit par un immense sourire chaleureux, songeant que sa camarade était décidément irrécupérable.
« Donc si t'es venue me chercher, c'est bien parce que t'avais rien d'autre à faire en fait ! »
Elle fronça les sourcils, déclenchant de nouveau le rire léger de la brune. Cette détente rassura davantage la blonde, qui ne se préoccupa plus du silence suivant. Fang l'observa de nouveau, sans attention particulière, lorsqu'un détail alerta enfin son esprit.
« Ta gunblade ! »
Le soldat eut un regard triste pour son étui vide. Elle haussa finalement les épaules avec légèreté et plongea ses iris azurés dans un jade inquiet.
« C'était elle, ou moi. » Déclara la jeune femme avec indifférence.
« … »
« Ce n'est pas grave. J'ai plusieurs modèles. »
« C'est ta sœur qui serait contente. »
Elle lui retourna son sourire amusé. La mélodie s'évanouit et les minutes suivantes furent aussi calmes et sereines que de coutume. L'engin s'immobilisa. Lightning esquissa un mouvement de sortie mais voyant que son homologue n'avait pas bougé, elle se ravisa. Patiente, elle attendit que la pulsienne sorte de son mutisme et la regarde.
« Allons-y. » Dit Fang d'une voix douce avant que le silence ne reprenne un droit définitif.
Lightning fit un pas prudent dans la neige, encore surprise par l'étrange crissement produit. Il n'y en avait jamais eu sur Cocoon, peut-être, aussi stupide que cela puisse paraître, parce qu'il n'y avait jamais eu aucun fal'Cie destiné à en fabriquer. Elles s'arrêtèrent un instant, jetant un regard sur la sphère sombre qui trônait toujours dans les cieux. Les yeux céruléens du soldat glissèrent sur la pulsienne. C'était grâce à elle, et à sa cadette, que Cocoon était encore là. Le dos droit, une main gauche posée sur sa hanche, Fang observait le petit monde circulaire. Oui, elle l'avait sauvé. Si un jour on lui avait dit, alors qu'elle foulait encore ces terres, qu'elle sauverait ce nid de vipères, elle aurait frappé le médisant en question, lui rétorquant que s'il fallait sauver ses ennemis pour gagner une guerre, on n'aurait pas besoin de l'Cie. Elle continua, Lightning la suivait, un peu plus loin. Elle gravit lentement cette pente où fusionnaient neige et cristaux, savourant l'impact de ses pas dans la poudreuse, la sensation de froid qui s'emparait de ses pieds découverts. Lightning, derrière elle, contemplait les traces de son passage, seule marque de vie imprégnant l'endroit pour une durée éphémère, jusqu'à ce qu'elles soient recouvertes par le temps et retournent à leur stase éternelle. Les rocs sur leurs côtés brillaient de mille éclats de cristal, révélant leur présence chimérique dans cet étrange univers. La blonde s'arrêta une seconde et tendit sa main. Elle observa les particules étincelantes qui venaient s'y éteindre avec une apparente insensibilité cachant une profonde réflexion. Elle entrouvrit les lèvres afin d'appeler sa camarade mais se ravisa. Celle-ci poursuivait sa route de sa démarche gracieuse et régulière, aussi imperturbable que la roche environnante, mais en ce moment aussi dure et froide que cette pierre à nue.
Plus elle montait, plus Fang plissait les yeux, éblouie par la lumière solaire qui n'avait à son soulagement pas déserté le village. Elle le conservait dans sa chaleur distante, le laissant resplendissant comme autrefois alors qu'il n'avait plus rien pour rayonner. Le vent sifflait à ses oreilles, chassant les bribes de nuages et la poussant vers le sommet. Le sol revint à un niveau stable, formant seulement des vagues de neige qui requéraient plus d'attention et d'effort. Elle aurait voulu prévenir la jeune femme aux cheveux d'un blond rosi, mais elle devenait incapable de rompre la bulle dans laquelle elle était en train de pénétrer. Pas après pas, ses pensées évacuaient son esprit, tel un flot continu de mots futiles s'écoulant hors de tout sens, lavant sa peau sombre de tâches invisibles. Quand enfin le village commença à se dessiner sous ses yeux trop pâles, il ne restait plus rien. Elle avançait, laissant l'air froid se poser sur son corps et l'envelopper dans un cocon creux et amer. Des pointes tranchant le ciel que seul le vent faisait encore tourner elle discerna les tiges de métal rouillé que seul le hasard maintenait encore debout. D'autres structures apparurent, simples fragments isolés ou véritables vestiges, seule l'imagination, faute de souvenirs, en décidait. Inconsciemment, à un peu plus d'une vingtaine de mètres du passage épargné par la poudreuse, elle s'arrêta. Elle resta ainsi, le regard fixé devant elle, parfaitement immobile. Elle n'entendit pas le soldat se placer à sa droite, elle ne percevait presque plus le vent, elle ne sentait plus le froid qui avait pourtant engourdi ses mollets. Il ne restait plus rien.
Une main chaude se glissa timidement au creux de la sienne, entrelaçant leurs doigts avec une douceur inouïe. Il suffit d'une seconde pour que cette chaleur se propage et s'insinue dans le corps de la pulsienne, demandant silencieusement l'accès à sa petite bulle. Fang tourna la tête vers sa compagne, sans masquer son étonnement. Celle-ci contemplait l'horizon avec une confiance impressionnante. Sans prévenir un torrent céruléen se déversa au plus profond de ses émeraudes. Passé la surprise, la pulsienne afficha un sourire tendre qui ne la quitta plus, tout comme la main gauche et le regard somptueux de la jeune femme. Elles avancèrent ensemble.
Elles marchèrent le long de ce qui semblait être une ancienne route, et qui n'était désormais plus qu'une roche fendue, libérée du poids de la neige. Les lieux étaient déserts, il n'y avait aucun Cie'th. Peut-être qu'ils les avaient bel et bien tous abattu la première fois, comme l'avait affirmé Snow. Peut-être étaient-ce bien les cris des anciens habitants d'Oerba que Fang avait entendu lorsqu'ils avaient mis un terme à leur malédiction ? Ces râles, ces murmures rauques et incompréhensibles qu'ils lâchaient dans un dernier soupir avant de disparaître, de s'effacer lentement, comme si leur souffrance n'avait jamais existé, ils étaient des voix. Des complaintes, des remerciements, des cris de joie, de douleur, des pleurs, chacun s'était cogné contre son esprit, secouant ses souvenirs et se répercutant dans tout son corps, en particulier son cœur. Parfois, ces voix lui étaient familières. Vanille ne les percevait pas aussi bien et les autres y étaient insensibles, comme pour les Menhirrim. Quoiqu'il en soit, ils étaient libres à présent, c'est tout ce qui comptait. Elle serra la main de la jeune femme avec plus de force, Lightning répondit à son appel. La pulsienne continuait à lever son regard sur ce qui l'entourait, puisant dans sa mélancolie une force sereine grâce aux deux perles céruléennes qui la couvaient. Il lui suffisait de jeter un coup d'œil à leur propriétaire pour se rappeler qu'elle était loin d'avoir tout perdu. Et puis, ici à Oerba, la vie n'avait pas complètement disparu. Alors qu'elles dépassaient ce qui avait été une école, leur école, Fang s'immobilisa. Elle admira les immenses arbres qui trônaient ça et là, étendant branches et racines selon leur bon vouloir. Même une tempête ne pourrait briser leur énorme tronc. Oui, il y avait toujours une source de vie. Peut-être même qu'un jour…Oerba renaîtrait.
Ses souvenirs s'emparèrent de son esprit et obstruèrent sa vision sans qu'elle ait le temps de réagir. Les enfants sortaient de l'école, un sourire illuminant leur visage ravi, et dévalaient la rue, impatients de déposer leurs affaires et d'aller jouer. L'un d'entre eux passa sous le ventre d'un chocobo de monte, qui le regarda en penchant la tête sur le côté. Sur cette murette était assise une femme qui aiguisait une lame et autour de laquelle étaient rassemblés de petits moutons à la laine duveteuse. Plusieurs gamins s'arrêtèrent en chemin pour les caresser. Fang baissa les yeux et secoua la tête en souriant. Le souvenir s'estompa. Tout revenait à sa place, même cette merveilleuse mélodie qu'elle abhorrait.
Lightning se laissait entièrement guider par la jeune femme aux cheveux d'ébène. Chacune de ses impulsions devenait l'initiative de ses propres mouvements. Elle maintenait son souffle régulier pour que Fang puisse se calquer sur le sien. Elle observait calmement, avec cet air paisible devenu le meilleur allié de la brune. Elle ne parlait pas, même si sa curiosité ou son inquiétude se manifestait. Elle était présente. Et cet endroit, elle le savait, avait beaucoup à lui apprendre. Ainsi, quand la brune se mit à fredonner une mélodie qui lui était inconnue, elle se tut et l'écouta avec une fervente attention, comme si elle lui offrait quelque chose de précieux. Elle ne l'avait jamais entendu chanter, excepté quelques âneries ou autres sons répétitifs dans le seul but de l'embêter, ou même une fois alors qu'elle avait ingéré une trop forte dose d'alcool de pampa. C'était différent. Cette mélodie était douce, pure, le rythme régulier, et le timbre profond semblait coller parfaitement à la voix légèrement grave et rauque de la chasseresse. Sans s'en rendre compte, Fang se mit à chanter les paroles à voix haute.
« Nothing left to fear l'Cie
Cradled in eternity
Shore of sands, your fate awaits
Oh surrender in the light. »
Elle avait l'impression d'entendre une prière, une forme d'encouragement destiné aux l'Cie et chargé en émotions. La mélodie lui évoquait un voyage surmonté d'épreuves, la fatalité d'un destin incontournable. L'incroyable tristesse de ces notes harmonieuses lui noua l'estomac. Pourtant, plus elle l'écoutait, plus elle ressentait autour d'elle cette puissance calme, cette même force sereine à travers cette douce résignation. C'était de l'espoir. Enfermé au cœur de ce chant, à l'abri de toute influence se trouvait un espoir ténu, fébrile, mais présent, et tenace.
« C'était un hymne. »
La brune tourna la tête vers la jeune femme et observa un instant toute la maîtrise dont elle faisait preuve.
« Nous le chantions à chaque fois qu'il y avait un nouveau l'Cie. Tout le village se rassemblait pour le jouer, c'était une vraie cérémonie. Quand j'étais gamine, j'accourais comme tous les autres. Ensuite, je l'ai détesté. Je ne l'ai plus jamais chanté. »
Lightning acquiesça gravement. Elles atteignirent la grande place où se rassemblaient à l'époque la plupart des habitations. Peu à peu, les bâtiments reprenaient forme, la poudreuse se dissipait pour laisser place à une herbe grasse et un massif de fleurs, les habitants revenaient tels des fantômes et retrouvaient une consistance. Les lieux se teintaient de couleurs et de vie sous les yeux brillants de la pulsienne, qui conservait toujours un sourire empli de tendresse. Et puis, tout s'effaça lentement. La pierre et le bois s'émiettèrent, la brise emporta la verdure et les morceaux restants et les gens devinrent des milliers d'éclats de cristaux qui s'évanouirent eux aussi. Fang ferma les yeux et expira longuement. Son souffle sinua dans l'air quelques secondes avant d'être également ravi par le vent. Elle continua, laissant cet air frais aérer ses pensées, rafraîchir ces souvenirs avec vigueur, renouveler l'énergie qui circulait dans son corps, et enfin faire le vide dans son esprit. Il était bon de laisser aller certaines choses. Satisfaite, elle poursuivit ce chemin et descendit sur sa gauche. Elle laissa la plage de côté et se dirigea vers les escaliers, qu'elles grimpèrent tranquillement, appréciant la prise de hauteur et la vue qu'elle occasionnait.
Même si elle n'en laissait rien paraître, Lightning l'observait faire avec une affection qu'elle destinait ordinairement à sa sœur. Souvent, la chasseresse effleurait la pierre du bout des doigts, se rappelant une sensation particulière, puis elle les retirait et la laissait partir. Son toucher gorgeait de vie les éléments qu'elle approchait, l'espace d'une seconde, le temps d'un adieu. Elle semblait tendre l'oreille pour écouter le bruit de ses pas, le craquement du bois, les froissements provoqués par le vent ou par leur passage. Elle étudiait tout, elle avait l'air de s'approprier le moindre recoin, un instant fugace, et ensuite de le rendre à leur propriétaire, Oerba. Elle laissait s'évader sa mémoire, elle lâchait ses souvenirs dans la nature. Apparemment leur écho altérait jusqu'à sa perception puisqu'il lui arrivait de se retourner brusquement, toujours le sourire aux lèvres. Mais le soldat avait beau se retourner elle ne voyait rien, si ce n'était une légère vibration dans l'air, peut-être l'empreinte du passé. A un moment, elle crut apercevoir une larme rouler sur la joue tannée de la pulsienne, mais lorsqu'elle cligna des yeux la larme s'était enfuie. Lightning ne comprenait pas toutes les émotions, toutes les sensations qui animaient sa partenaire, mais elle savait à quel point elles étaient importantes. Elle saisissait pleinement leur ampleur car parfois, elles frôlaient sa peau de lune à travers leur main liée. Certes, elle s'était un peu sentie à l'écart au départ, et cela l'avait presque vexée tant la communion qui s'était établie entre la brune et son lieu d'origine était intense. Mais son esprit vif avait rapidement compris ce qui était en jeu et elle se serait battue de toutes ses forces pour que cela reste ainsi. Enfin, inconsciemment, elle l'avait déjà fait en l'amenant ici. Et chaque fois qu'elle semblait douter de la nécessité de sa présence ici, la prise sur sa main se raffermissait, comme si son homologue lisait dans ses pensées.
Elles redescendirent et la brune les entraîna cette fois vers la bâtisse sur pilotis. Son pas était plus léger. Elle semblait s'être détendue, à moins que la chaleur de leur contact permanent ait réchauffé son être au point de décontracter ses muscles agressés par un froid qui n'avait plus lieu d'être. Peu à peu, Fang commençait à s'ouvrir à elle. De temps en temps, la brune s'arrêtait devant un objet, une chaise cassée, un tableau renversé, un bureau en miettes, et tournait son regard et son sourire vers elle, comme si elle eût été capable de voir les mêmes choses. Premièrement surprise, elle prit ensuite ce signe comme un encouragement. Alors elle se mit à imaginer l'enfant qui avait tenté de grimper sur cette chaise malgré son faible âge, le parent qui avait accroché ce tableau, cadeau d'un de ses proches, tous les objets utiles et décoratifs amassés sur ce bureau. Quelques couleurs venaient s'ajouter ça et là, oh rien d'extravagant, juste des taches de peinture sur cette fresque à peine esquissée. Une vague de tristesse l'envahit. Elle aurait dû se sentir heureuse que la pulsienne tente de partager avec elle ces quelques bribes d'antan. Alors elle ravala cette fichue vague, bien qu'avec difficulté.
Elles montèrent à l'étage et se retrouvèrent sur la terrasse en plein air, où la végétation résistait et semblait même se développer. Fang prit son odorat pour guide et déambula parmi les bacs et pots de fleurs et plantes diverses. D'un nouveau regard, elle incita sa camarade à se servir également de son nez. Elle s'agenouilla auprès de plusieurs bouquets d'où émergeaient une dizaine de roses d'un jaune soufre. Elles n'avaient pas d'odeur particulière. A sa surprise, la pulsienne arracha un pétale et le frotta contre sa joue pendant quelques secondes avant de lui tendre. La militaire approcha timidement son nez et inhala le nouveau parfum qu'il dégageait. Quelque chose de gaiement sauvage s'infiltra dans les narines du soldat, répandant dans son organisme une note chaude légèrement sucrée, une autre plus bondissante et davantage fruitée, mais très douce, loin de l'amertume, et une troisième, qu'elle associerait davantage aux arbres, et qui lui évoquait la rosée matinale lorsqu'elle s'attachait au bois de forêt et exaltait son essence. Ce mélange fut suivit d'une autre saveur qui complétait cette fragrance ravissante. Elle était plus…épicée, et caressait sa peau avec suavité et désir, s'insinuait dans sa respiration d'un air joueur, presque malicieux, et il y avait toujours cette ardeur, tempérée par les divers degrés de ces arômes. Pour finir, il restait une émanation qui planait constamment sur cet ensemble, dénotant la présence de la nature dans toute son intégrité. Que ce soient la plaine, la montagne ou la mer, elle sentait la fraîcheur de l'air libre. C'était l'odeur de Fang.
Elle rouvrit les yeux pour découvrir le visage de la pulsienne à une vingtaine de centimètres, qui la contemplait avec ce côté espiègle qu'elle avait retrouvé, probablement caché derrière ces tiges. Lightning leva un sourcil interrogateur, auquel elle répondit dans un murmure, comme si elle n'avait pas encore complètement réintégré la réalité.
« Ils absorbent les autres odeurs. »
N'ayant toujours pas lâché sa main, elle se posa sur le rebord de la fontaine, entraînant le soldat à ses côtés. Là aussi, elle demeura dans cette position pendant de longues minutes, parfois les yeux ouverts au passé qu'elle ravivait, parfois les paupières closes à cette aventure, la transformant en un havre intérieur. Lightning resta calme, elle était assise avec plus de retenue, son maintien militaire reprenant le dessus, sa main libre légèrement refermée était posée sur ses genoux. Elle attendit. Elle savait qu'un jour, Fang lui raconterait tout. De grands oiseaux bruns volaient au dessus de cette dernière et plongeaient près de sa tête, causant un appel d'air auquel ses cheveux d'ébène étaient pourtant insensibles. D'autres, infiniment plus petits, semblaient flotter de fleur en fleur et s'amusaient avec les pétales, les cueillant et les échangeant entre eux, ou se poursuivant pour obtenir celui du voisin. Ce joyeux ballet manquait toutefois de petits cris. Elle les avait oubliés, mais le tableau n'en restait pas moins amusant et chaleureux. Elle se releva finalement et s'assura d'un regard du bien-être de la blonde. Elle se dirigeait vers l'escalier quand un animal au pelage orange roux se faufila entre ses jambes. Elle éprouva même la sensation de ses petits poils doux caressant sa peau de bronze découverte. Pourtant il disparut lui aussi lorsqu'elle se pencha pour effleurer sa queue touffue. Un renard… Vanille les adorait. J'ai failli oublier qu'il y en avait toujours un qui traînait ici.
Des planches en bois craquantes de la bâtisse leurs pieds passèrent au sable blanc de la plage qui glissait à chaque rencontre. Fang se baissa et en ramassa une poignée qu'elle laissa s'écouler lentement entre ses doigts légèrement ouverts, dérobée par le vent et l'apesanteur. Il était étonnamment doux et tiède. Ses yeux se plissèrent, comme s'ils tentaient de poursuivre chaque grain qui s'évanouissait et poursuivait son chemin aléatoirement. Elle libéra finalement ses captifs d'un souffle, paume ouverte. Mais un vent traître lui renvoya son projectile dans la figure. Surprise, elle lâcha la main de Lightning. Celle-ci, qui avait observé la scène depuis le début, leva les yeux au ciel et fit un immense effort pour ne pas la traiter d'idiote.
« J'en ai partout ! » Gémit la pulsienne comme une enfant.
Elle toussotait et se frottait le visage éperdument, puis se mit à grogner face à l'inefficacité de ses gestes effrénés. Passé le désespoir, les yeux du soldat se teintèrent d'un voile moqueur. Elle se mit face à la brune, saisit ses poignets et les éloigna de son visage. Elle les lâcha ensuite pour s'emparer de sa mâchoire et examiner son visage à la recherche du moindre grain pernicieux. Fang fermait ses yeux avec force, de peur d'agiter les petits parasites qui irritaient déjà ses prunelles.
« T'es vraiment une idiote parfois. » Lâcha-t-elle finalement avec amusement.
« Hé. » Grogna à nouveau la chasseresse pour qui la nature n'était visiblement pas toujours une alliée.
« Arrête de bouger. »
La jeune femme aux cheveux d'ébène obéit avec peine et non sans marmonner d'un air récalcitrant. Lightning enleva soigneusement chaque intrus trouvé, parfois du bout des doigts comme si elle époussetait, parfois en soufflant doucement, comme si elle jouait avec une flamme. Même si elle n'aimait pas être ainsi examinée telle une bête de concours, le toucher délicat du soldat la détendit et Fang se laissa faire, une chaleur particulière prenant peu à peu possession de son corps.
« Ouvre. »
Elle se plaignit encore, s'attirant les remontrances de son auxiliaire qui la gronda comme si elle eut été une gamine, mais finit par s'exécuter. Elle ne cessait de cligner des yeux, rendant toute intervention impossible.
« Arrête de bouger ou tu vas te débrouiller toute seule. » Lâcha Lightning avec un léger râle.
Elle fit de son mieux pour ne pas plisser des yeux, puis se retira une dizaine de secondes plus tard, jugeant que plus vite elle s'éloignerait de ces mains si douces, plus vite le feu qui la dévorait s'étoufferait. Elle secoua la tête en se frottant de nouveau le visage, agitant sa crinière rouge et brune en tout sens. Lightning croisa les bras et haussa un sourcil curieux. Serah et elle avaient eu un chat une fois, qui avait accidentellement glissé dans leur baignoire remplie d'eau. Même chose.
« C'est bon, ça va mieux. »
Elle avait les yeux tout rouges, mais le soldat décida de ne pas la contrarier. Elle sourit discrètement. Elles marchèrent côte à côte une minute, le temps de s'éloigner de toute construction, puis s'assirent. Elles restèrent silencieuses un certain temps, pendant lequel la militaire observa sa camarade perdue dans ses pensées. Elle devait encore être enfouie dans les méandres de son esprit, à sinuer entre ses souvenirs. Si elle suivait une ligne conductrice rectiligne, eux, dansant des deux côtés, ondulaient comme un rideau valsant au gré du vent, et dès qu'elle les effleurait, ils faisaient jaillir un arc-en-ciel d'émotions, projetant d'un flash ces visions fantômes du passé. Lightning était perdue, peut-être malgré elle, dans sa contemplation. Lorsqu'elle eut fini de laisser couler son regard d'océan sur son visage, elle reporta son attention sur l'eau qui s'étendait devant elle. La mer d'Oerba n'avait rien à voir avec la ville maritime qu'était Bodhum. L'eau de là-bas était magnifique, et rien qu'à poser son regard dessus, l'envie intimait d'y plonger même habillé. Elle était souvent chaude, parfaitement calme et propre, l'idéal même d'un petit bonheur vacancier doux et sucré. Mais ici, elle était imperturbable à tel point qu'on pourrait la croire morte s'il n'y avait pas le bruit de ses légères vagues. Un rythme régulier, lent, extrêmement relaxant et profondément apaisant, un simple va-et-vient caressant le sable blanc d'un murmure rauque, la véritable respiration de l'océan. Et cet horizon sans fin, cet abysse regorgeant de mystères, cet avenir rempli de promesses enchanteresses renfermait un délice terriblement intimidant. Il forçait le respect d'un vœu silencieux et offrait sa majesté à qui voulait l'admirer. L'odeur était, comme toujours, celle de la fraîcheur et de la liberté.
Sa liberté fut cependant embrumée par la présence d'une jeune femme à la peau hâlée qui se posta devant elle.
« Tu viens ? »
Lightning émergea brutalement à la surface consciente de son esprit. Son temps de réaction, pendant lequel elle remarqua que la pulsienne avait retiré ses chaussures, fut assez long. Sa raison eut beau prendre cette information en compte, sa question stupide se manifesta tout de même au sein de ses iris. Le sourire de Fang s'élargit devant l'état quasi léthargique de son vis-à-vis.
« Faire trempette. » Reprit-elle, compatissante.
Elle se releva et tendit une main à la jeune femme, puis se ravisa aussitôt. Si Lightning n'avait pas encore repris le contrôle total de ses muscles, son esprit avait retrouvé assez de vivacité pour noter le changement dans le sourire angélique de la brune. Cette dernière reprit sa position, plongea ses perles de jade dans le regard conscient de son hôte et attira ses jambes à elle. Elle entreprit de défaire sa botte droite. Elle retira les boucles une à une, avec une lenteur mesurée, jetant de temps à autre un regard de défi au soldat, dont les lèvres interdites restaient entrouvertes. Délicatement, toujours parée de son charmant sourire coquin, elle enleva l'objet de cuir, caressant au passage sa peau d'albâtre et y diffusant une chaleur frissonnante. La blonde frémit et son rythme cardiaque s'intensifia à mesure que cette main maligne remontait son mollet et se faufilait le long de sa cuisse. Elle se retira brusquement, lui coupant le souffle. Satisfaite de son petit effet, Fang s'attaqua à la seconde botte. Cette fois elle ne se contenta pas de parcourir son corps du bout des doigts mais s'avança, plaçant une main d'appui sur son côté gauche et l'autre à droite de sa tête, forçant la jeune femme à s'allonger dans le même mouvement. Sa poitrine se soulevait par vifs élans, soit elle ne cherchait pas à s'en cacher, soit il lui était complètement impossible d'essayer. La chasseresse rapprocha son visage du sien, prenant tout son temps, sans lâcher l'accroche qu'elle venait de fixer dans ses yeux. Ces secondes furent la pire torture que Lightning eut à subir jusqu'à présent. Elle n'avait qu'une envie, combler ce maudit espace qui les séparait. Mais elle ne fit rien. Alors, la pulsienne délaissa ses yeux cachottiers pour se concentrer sur ses lèvres dessinées avec une finesse et une délicatesse rares. Elle indiquait clairement ses propres intentions, pourtant elle n'obtint aucune réaction. Elle retint un grognement et poussa la tentation plus loin en effleurant les lèvres du soldat du bout des siennes. La jeune femme aux cheveux d'un blond rosi prit une grande inspiration, mais la rencontre ne vint pas, aussi elle relâcha son souffle fébrile sur les lèvres fugaces qui la tourmentaient.
« Tsss. » Fit la brune en se redressant, vaincue par la patience.
Elle agrippa la taille de la militaire d'un même geste et les releva toutes deux. Elles se retrouvèrent une nouvelle fois nez-à-nez, mais l'instant ne dura qu'une ou deux secondes, car dès qu'elle logea sa main droite dans celle de son lieutenant, elle l'entraîna au bord de l'eau. Elle voulait que ce soit Lightning qui fasse le premier pas, elle voulait la voir confirmer, assumer qu'elle était prête. Alors tant pis, elle attendrait, ça en valait la peine, elle le savait. Et puis, elle ne voulait pas la faire fuir. Elle retrouva donc un sourire tendre, mais elle était loin de cacher la convoitise qui luisait dans ses yeux. Le soldat ne se déroba pas quand les doigts de la pulsienne se mêlèrent aux siens. De nouveau liées, elles avancèrent à la rencontre de l'onde bleue qui serpentait sur le sable blanc en y laissant une morsure sombre et inoffensive. La jeune femme à la peau de lune hésita à franchir le pas et braver cette immensité aqueuse avec laquelle elle n'était guère à l'aise. Fang en profita pour attraper le pan de son sari qui flirtait avec le sol et le coincer sous sa ceinture. Elle observa brièvement sa compagne, focalisée sur le liquide qui narguait ses pieds fins, et se lança, donnant ainsi l'impulsion nécessaire à la demoiselle. L'eau était délicieusement fraîche. Leur corps frémit, et les pores de la peau pâle de Lightning s'accrurent sous ce frissonnement. Mais leur organisme s'habitua rapidement et elles s'enfoncèrent jusqu'à ce que l'eau côtoie leur mollet. Elles marchèrent parallèlement au rivage.
Lightning tourna son regard vers le pont effondré qui se tenait en haut sur sa gauche, et qui avait pour eux marqué la fin de leur voyage. Une finitude également évoquée par tout le trajet effectué jusque-là. Oerba était apparu comme leur dernier rempart devant la Tâche à effectuer, comme le bout du monde. Pour elle, tout semblait s'achever ici, leurs illusions, et même leur passé.
« Pourquoi ? » Demanda soudainement la brune, rompant le silence qui les avait enveloppées.
« Personne ne devrait laisser des choses inachevées derrière soi. Tout le monde a besoin de faire son deuil. »
Son regard s'assombrit, déclenchant des réminiscences de son propre passé. Fang observa consciencieusement cette réaction songeant qu'il lui restait sans doute de nombreuses choses à découvrir au sujet de son lieutenant, ce qui serait loin d'être facile.
« Oui. Enfin, je devais aussi semer de nouvelles graines ! »
Lightning la regarda sans comprendre.
« Mais…rien ne pousse ici. »
« Faux. »
Son sourire se teinta de mystère et ne daigna pas dévoiler plus d'indices, au grand déplaisir du soldat. Cette dernière patienta quelques secondes, mais son air intrigué et sa lassitude face à cet inconnu dans lequel elle baignait depuis qu'elle avait mis les pieds ici eurent raison de son silence.
« Explique-toi. »
« Non. Un jour ou l'autre, tu comprendras ce que je veux dire. »
L'image d'une petite rouquine aux yeux émeraude brillants refit surface dans son esprit. Vanille savait exactement ce qu'elle voulait dire, et Light le devinerait une fois qu'elle aurait parfaitement ouvert les yeux et pris du recul sur leur situation.
Le soldat fit la moue et reporta son attention sur les vaguelettes à ses pieds qui reflétaient la dualité de ses sentiments. Oui, elle était consciente que tout ceci avait un sens complètement différent pour Fang, c'était normal puisqu'elle y avait vécu, et elle n'était pas en droit de comparer sa propre vision à la sienne. D'un côté, elle respectait cela, mais de l'autre, c'était tellement important pour la pulsienne. C'était ses sentiments, ses origines, c'était en majeure partie ce qui faisait d'elle la femme qu'elle était aujourd'hui. Etait-ce trop demander que d'essayer de comprendre son monde ? D'être…une partie de celui-ci ? Ne lui faisait-elle pas confiance ? N'était-elle pas assez digne ? Pourquoi ? Parce qu'elle n'était pas une pulsienne ? Lightning étouffa un grognement. Tout ceci était complètement stupide. Ça n'avait rien à voir, et elle le savait pertinemment. Pourtant, même si sa raison lui indiquait clairement le contraire, cette négation lui fit mal au cœur. Elle se renfrogna mais peinait à nuancer l'évidence, surtout à cause de l'attachement particulier qu'elle venait d'y porter. Elles retournèrent s'asseoir sur le sable, s'installant cette fois plus près de l'eau.
« Je t'ai déjà raconté comment j'étais devenue une l'Cie ? Je veux dire, il y a plus de 500 ans. » Demanda la brune d'une voix calme et douce.
Elle faillit sursauter. Face à cette tournure, elle se sentit complètement idiote. Elle effaça néanmoins les malédictions qui trottaient dans son esprit et se concentra pleinement sur la discussion. Sans relever son regard, elle secoua la tête négativement. Fang lâcha un soupir amusé en examinant son interlocutrice, qu'elle devinait troublée sans en savoir précisément la cause. Lightning lui renvoya son regard et fronça les sourcils, demandant une explication à cette analyse poussée.
« T'en penses quoi ? »
La jeune femme aux cheveux d'un blond rosi laissa dériver ses yeux et son esprit. Elle inspira et expira l'air de ses poumons avec force, dénotant ainsi son état de concentration. Elle réfléchit à ce qu'elle savait de cet endroit, de la vie et de la guerre qui s'y animaient, et surtout de Fang.
« Tu t'es portée volontaire. » Conclut-elle après plusieurs secondes silencieuses.
« Exact. »
Ce fut au tour de la brune de plonger dans le silence et de baisser la tête, s'attardant distraitement sur le bord de l'eau. Elle contempla ensuite l'horizon, et Lightning ne la quitta plus des yeux.
« Notre ville venait juste d'être attaquée. Enfin, elle avait quasiment été rasée. Vanille et moi étions les seules survivantes. Nous n'étions que des gamines. »
Techniquement, leur âge était être le même à l'époque, mais elles étaient alors trop jeunes, beaucoup trop jeunes, elles n'avaient rien vu, elles étaient habituées au calme des champs pulsiens et à la familiarité des habitants. L'horreur du conflit avait taché de sang leurs yeux remplis d'innocence.
« J'ai décidé de devenir une l'Cie. Je voulais mettre un terme à cette stupide guerre, j'étais prête à faire couler le sang de l'ennemi, et j'étais prête à en payer le prix. »
Elle était incroyablement calme, mais Lightning remarqua qu'elle serrait les dents. Ce n'était pas la première fois qu'elle s'en apercevait. Il y avait toujours eu un feu dévorant, nocif, tapi dans son cœur et prompt à embraser la moindre partie de son être. Attisé dans son enfance, il était si ardent que même après une stase cristalline de plus de cinq cent ans, il la rongeait encore. La haine. Quand elle avait rencontré Fang, il n'importait à cette dernière qu'une seule Tâche : sauver Vanille. Elle se fichait éperdument de Cocoon comme de Pulse, elle lui avait dit. Heureusement, les évènements avaient révélé la nature profonde de son cœur. Mais quelque part, enfouies dans les abysses de son esprit et marquée dans sa chair, résidaient encore des piques malsaines de haine. Peut-être qu'elle n'en était pas consciente, peut-être qu'elle les combattait. Le temps finirait par les effacer, Lightning en était persuadée. En attendant, son cœur cogna avec plus de force contre sa cage thoracique. Elle ressentait l'envie d'aider la pulsienne à surmonter ses propres blessures. Etonnée par ses propres élans, elle fut submergée par une intense vague de chaleur. Fang, à des lieues de son présent, poursuivit son récit et accapara de nouveau l'attention du soldat. Comme toujours, elle essayait de dissimuler l'importance de ses propos sous une légèreté désinvolte.
« Alors nous sommes entrées dans le temple d'Anima, et les trois prêtres nous ont guidé vers la chambre du fal'Cie, au travers de prières et d'évaluations idiotes sans lesquelles on ne pouvait passer les portes. J'étais déterminée à le voir, à voir celui que tous craignaient et admiraient. Je voulais qu'il réponde à ce que j'allais lui dire, qu'il s'explique. En haut des marches, ils y avaient dix prêtres armés d'une lance. Ils ont empêché Vanille de continuer. Elle était morte d'inquiétude. »
Elle rit doucement en suivant mentalement le déroulement de ce souvenir précis.
« Je l'ai rassurée, je lui ai dit qu'elle devait pas s'inquiéter, que c'était moi qui allait devenir une l'Cie, pas elle. … Quand la porte de la chambre s'est ouverte, je me suis allée au devant d'Anima et je lui ai crié dessus. Ils ont essayé de me retenir, mais ils étaient faibles. Je l'ai traité d'idiot, je lui ai demandé pourquoi il n'allait pas se battre comme tout le monde. Je lui ai dit "Encore combien de l'Cie doivent devenir des Cie'th, alors que tu restes ici à ne rien faire ? Combien de maisons doivent encore être détruites pendant que tes amis ne font rien d'autre que de creuser des trous !". »
Fang sourit, Lightning l'imita et lâcha un petit soupir, faussement amusé mais léger, comme s'il pouvait défaire la tension que tissait le récit de la pulsienne. Néanmoins elle la reconnaissait bien là. Voyant que la brune restait silencieuse, elle raffermit leur contact, lui indiquant silencieusement qu'elle n'était pas obligée de continuer. Pourtant elle reprit d'une voix plus grave.
« J'ai pris une de leur lance et je les ai gardé à distance le temps de poursuivre mes reproches. Mais comme Anima ne réagissait pas, les prêtres se sont moqués de nous, nous ont insultées. Il y en avait un, avec une robe rouge, il a dit qu'on gardait les orphelines comme nous dans le seul but d'en faire des l'Cie. Ça…ça m'a tellement énervé. De quel droit nous prenait-il de haut ? Tout ça parce qu'il était persuadé de servir un dieu et qu'il passait sa journée à prier alors que ça ne changeait rien ! »
« Fang, tu n'es… »
« Je lui ai enfoncé ma lance dans l'estomac. Je…je voulais juste qu'il se taise. J'étais complètement emportée par la rage. Je les détestais, eux et leurs stupides entités. Je me suis lancée sur Anima en lui disant que tout était de sa faute. Mais il m'a envoyé valsé comme si je n'étais rien. Les autres prêtres se sont jetées sur moi, puis, ils ont levé leur lance, lentement. Et Vanille s'est interposée. Pour racheter mes péchés, elle leur a demandé de faire aussi d'elle une l'Cie. Ils ont accepté. »
Elle garda quelques détails pour elle, notamment les mots échangés avec la petite rousse. Pour la première fois depuis qu'elle avait commencé son histoire, elle tourna la tête vers son vis-à-vis.
« Ils étaient sans doute loin d'imaginer que ce serait moi qui deviendrais Ragnarok et percerais l'enveloppe de Cocoon… » Fit-elle avec un sourire moqueur peu convaincant.
Alors que son regard de jade glissait sur l'onde bleue, elle sentit se dérober la main qu'elle tenait. La seconde suivante Lightning appuyait brusquement sur son épaule gauche pour qu'elle lui fasse face. Fang fut frappée par la détermination imprimée dans ces iris clairs qu'elle chérissait chaque fois plus. Son souffle s'était raccourci, les traits de son visage étaient légèrement tendus, elle semblait avoir pris cette révélation très à cœur, à son étonnement. Leur échange visuel se prolongea durant plusieurs secondes avant qu'elle ne prenne la parole.
« Nous avons tous nos faiblesses. Mais tu as fait ce qu'il fallait. Tu n'as pas le droit de te blâmer pour les faiblesses des autres. »
Fang esquissa un sourire devant le ton de la blonde, tellement sérieux, à la fois ferme et incontournable comme si elle haranguait ses soldats, mais profondément doux, comme elle le ferait avec sa sœur ou quelqu'un d'aussi proche.
« Ouais, je sais. » Confia-t-elle.
Elle tourna de nouveau la tête mais des doigts fins attrapèrent délicatement sa mâchoire pour la faire pivoter. Elle n'eut pas le temps d'être surprise que des lèvres chaudes se posèrent sur les siennes. La main pâle qui tenait son épaule glissa rapidement jusqu'à son cou. L'air chaud qu'elle expira dans un élan de satisfaction caressa leur visage. Elle se pencha en arrière et prit appui sur sa main gauche, entraînant la blonde à suivre le mouvement et avancer tout son corps. Fang entoura la taille du soldat de son bras disponible et l'attira à elle. Lightning se positionna à cheval sur la pulsienne, puis recula son visage.
« J'aurais dû te le dire plus tôt. »
« Tch. » Fit-elle en étreignant la nuque de la brune de ses deux mains.
Fang scella à nouveau leurs lèvres d'une approche plus prononcée, moins délicate que la précédente, puis se retira une seconde avant de le refaire. Elle recommença plusieurs fois, arrachant un grognement de frustration à sa compagne qui s'empara de sa joue gauche pour l'empêcher de s'esquiver. Les lèvres de son soldat étaient tellement douces, comme si elles renfermaient une certaine timidité, rapidement effacée par leur évidente avidité. Et elles avaient vraiment la saveur d'une Charmeuse. Lightning lui mordit légèrement la lèvre inférieure, lui faisant comprendre qu'elle n'avait pas intérêt à se dérober, ce qui n'était certainement pas dans les intentions de la pulsienne. Elle réalisa soudainement que la militaire avait dû elle aussi faire preuve de retenue. Certes, elle savait déjà que son lieutenant en avait eu envie, mais à ce point, elle ne l'avait pas pensé. Elle entrouvrit les lèvres et vint chercher la langue de sa camarade qui céda dans un petit gémissement. La chaleur se propageait dans leurs membres avec une douce fébrilité, telle une caresse tendre, et embrasait tout leur corps d'une excitation croissante. Elle se diffusait avec plus d'intensité à chaque vague, doublant cette incroyable sensation de plaisir. Fang mit un terme à cet échange, contre son gré, car une chose impérative lui était revenue à l'esprit. Lightning se pencha pour combler le manque qu'elle venait de créer mais elle s'esquiva en s'appuyant contre son front, sachant pertinemment que si elle ne le faisait pas maintenant elle le regretterait. Leur souffle court rendu rauque par le désir soulevait leur poitrine d'un même mouvement. Il semblait être le seul autre occupant de la petite bulle qu'elles avaient créée.
« Je suis désolée. » S'exclama la pulsienne avant que sa compagne ne lui réclame une explication.
Elle effleura le nez de la blonde du bout du sien et déposa un baiser tendre sur ses lèvres délicieuses. La jeune femme l'embrassa à son tour et chercha satisfaction au sein de sa bouche. Fang se recula de nouveau avant que le baiser s'enhardisse. Elle voulait être sûre que tout soit clair pour Lightning, qu'elle prenne la peine de comprendre où elle voulait en venir. C'était important.
« Je suis désolée pour l'autre soir, chez Serah. »
Cette fois le lieutenant ne repartit pas à l'assaut. Elle s'arrêta et observa la pulsienne en silence, avec son habituelle insensibilité apparente. Fang qui s'excusait, c'était une première. La seule fois où elle avait dit qu'elle était désolée était le jour où elle avait mis sa moto volante en pièces. Et encore, Lightning était persuadée qu'elle ne le pensait pas aussi sincèrement. La scène lui revint en mémoire. Elle resta silencieuse, attisant une seconde la crainte de sa compagne, puis rétorqua malicieusement.
« Tu n'as pas porté plainte pour coups et blessures, donc je suppose que je peux te pardonner. »
Devant cette réponse joueuse, une façon détournée de s'excuser, la brune dévoila un large sourire carnassier avant de s'emparer de ces lèvres qu'elle désirait si ardemment posséder. Le soldat fut encore surprise par le plaisir procuré par ce simple contact qui refit immédiatement jaillir une flamme ravageuse des braises qui brûlaient en son bas ventre. Avec un étrange sentiment vacillant entre l'agrément et la crainte, elle se rendit compte que plus cela continuerait, plus elle serait dépendante de Fang, plus elle serait soumise à leurs échanges, en particulier charnels.
« Tu supposes ? Je peux encore le faire. »
« Il n'y a aucune preuve. Personne ne témoignera. C'est ta parole contre la mienne. » Rétorqua-t-elle entre deux baisers.
« Parfois je me réveille la nuit parce que ma joue me fait encore mal. » Affirma la chasseresse d'une voix enchanteresse, sans rompre la cadence.
« N'importe quoi. Tu n'oserais pas. »
« Ça reste à voir… »
Pour appuyer ses paroles malicieuses, elle changea de tactique. Elle bascula en avant, allongeant délicatement sa partenaire sur le dos et se positionnant au dessus d'elle d'un même mouvement. Aussitôt elle sentit les cuisses de la blonde entourer ses hanches et l'attirer pour unir leur corps. Fang ricana, la faisant rougir de sa propre audace, sans pour autant cesser de dévorer ces lèvres au goût exquis. Cette dernière la tenait toujours par la taille, tandis que son autre avant-bras prenait appui sur le sable à gauche de sa tête. A la fois intimidée et envieuse de cette position dominante, elle n'osa finalement pas inverser la tendance, du moins pas pour l'instant. La pulsienne, ravie de sa petite manœuvre, entreprit de défaire les boucles de son manteau. Lightning se crispa sensiblement. La brune sépara leurs lèvres, créant un besoin qui devenait chaque fois plus impératif. Elle s'attaqua à la fermeture éclair de son haut tout en énonçant ses conditions d'une voix terriblement suave qui fit frémir sa partenaire.
« Si tu fais tout ce que je te demande… »
Sur la peau de lune du soldat, elle traça de ses lèvres aventureuses un sillon de flammes ardentes allant de son cou à la naissance de sa poitrine. La jeune femme se cambra et se mordit sensuellement la lèvre inférieure sans parvenir à retenir un gémissement. Fière, la brune ne cacha pas son sourire.
« …je ne porterais pas plainte. » Lui susurra-t-elle sur le même ton.
Elle explora son cou d'albâtre avec plus d'attention, tâtant la moindre parcelle de cette peau plus douce que celle d'un nourrisson. Elle était tellement parfaite. Mais elle se permit tout de même de l'imprimer d'une vive marque possessive qui fit grogner sa partenaire. Elle libéra sa taille pour venir découvrir la peau nouvellement dégagée, la parcourant avec langueur. La main droite de la jeune femme tomba pour se raccrocher fermement à son sari alors que l'autre saisissait ses cheveux en bataille.
Il était trop tard, Lightning était incapable de se récrier, ni même de songer à arrêter. De toute façon, elle n'en avait plus envie. Au cours de son premier périple, sa quête de vérité et de délivrance, qui avait fait du retour de sa sœur l'ultime récompense, lui avait appris que tout pouvait basculer en un clin d'œil. Et puis, elle avait, comme tous les autres, plus ou moins enterré cette histoire. Mais tout le chemin parcouru de Mah'habara à Oerba lui avait rappelé cette effrayante réalité. Elle avait failli mourir. A vrai dire si elle avait encore la vie sauve, c'était grâce à Fang, même si cette dernière ne le voyait certainement pas de cet œil. Alors elle ne voulait plus perdre de temps. Il fallait qu'elle arrête de se poser des questions, qu'elle cesse d'attendre ou elle allait passer à côté. Attendre quoi d'ailleurs ? D'être sûre ? Sûre de quoi ? Elle était sûre qu'elle ne perdrait la pulsienne pour rien au monde. Elle était sûre de vouloir faire partie intégrante de sa vie. Elle était sûre qu'elle la voulait, et pour elle seule. C'était amplement suffisant.
La tension qui habitait encore ses muscles se relâcha, et elle s'abandonna totalement au plaisir que lui procurait la brune. Néanmoins, cela ne voulait pas dire qu'elle allait accepter tous ses petits caprices sans broncher. Prenant appui sur ses mains, elle fit basculer leur corps sur la droite. Sa blessure au bras la tirailla mais elle n'en eut cure. Surprise, sa compagne ne put riposter et perdit donc sa position dominante. Lightning emprisonna ses poignets à la hauteur de sa tête, de chaque côté. Fang lâcha un grognement de profonde frustration. Non seulement elle avait perdu l'avantage, mais en plus les lèvres de sa compagne étaient hors de portée. Elle était incapable de calmer sa respiration ou simplement de se concentrer. La jeune femme aux cheveux d'un blond rosi sourit.
« Je ne marche pas au chantage. »
« C'est ce qu'on verra. »
La pulsienne força sur l'étau qui l'immobilisait, en vain. Son vis-à-vis haussa un sourcil narquois qui affirmait ses dires et sa victoire. Mais elle refusait de s'avouer vaincue, même si Lightning la tenait fermement. Elle allait devoir attendre une occasion. Le soldat effleura les lèvres de la brune dont le souffle impatient caressait son visage pâle et s'infiltrait à même sa gorge, source particulière de délice. Prenant tout son temps, elle dériva suivant la ligne de sa mâchoire, déposant quelques précieux baisers juste en dessous. Elle sentit la brune s'agiter sous elle, aussi elle poussa le vice en mordillant le lobe de son oreille, lui arrachant un gémissement de plaisir. Elle passa sa langue sur ces lèvres gonflées de désir, comme pour s'imprégner encore une fois de leur parfum légèrement sucré.
« Aaarrh Light bordel ! »
L'intéressée rit doucement, provoquant encore une source de jouissance pour les sens de sa compagne, puis répondit à sa supplique. Elle réunit leurs lèvres et engagea un baiser fiévreux, passionné, où leur souffle fébrile parvenait difficilement à se frayer une place, intervenant par saccades exaltantes. Sans s'en apercevoir, elle relâcha sa prise, mais Fang n'en profita pas, elle se délectait bien trop de cet échange pour oser en gaspiller une seconde. Elle dégagea tout de même ses mains, laissant ses geôlières reposer sur le sable, et retira le manteau du soldat avec précipitation. Elle prit possession des hanches de sa partenaire, si soigneusement soulignées, et les joignit aux siennes. Sa jambe la frôlait sensuellement. De sa main gauche elle s'empara du visage de la blonde. Elle remonta l'autre sous son haut le long de sa colonne vertébrale, savourant la suavité de cette peau de lait et la sensualité de cette courbe décrite. Elle s'arrêta à la rencontre de son sous-vêtement, redescendit légèrement et resta à cette place plus que confortable. Le soldat se redressa légèrement pour déboucler la ceinture de la pulsienne. Elle libéra le haut de sa tunique, qu'elle avait inconsciemment étudié de nombreuses fois, laissant place à une brassière noire qui découvrait ses abdominaux finement dessinés. Elles brisèrent cette union pour reprendre leur respiration. La jeune femme aux cheveux d'un blond rosi en profita pour détailler le corps sous elle une nouvelle fois. Elle s'attarda avec amertume sur les marques révélant la chair tailladée de ses épaules. Fang vint chercher son regard pour la détourner de cette vision et l'embrassa, redonnant une décharge électrique à son cœur qui battait à un rythme déjà effréné. Elle sentit son estomac se contracter comme s'il cherchait vainement à retenir le ravissement qui l'habitait.
Le baiser se fit plus tendre, leur laissant pleinement le temps de partager et de ressentir cette nouvelle chose qui les unissait. Lightning posa son front aussi bouillant que son corps sur celui de sa compagne, et expira lourdement, comme si elle demandait une pause. Mais quand Fang plongea son regard dans le sien, elle comprit le message. Fini le jeu désormais, tout était purement sincère. Après avoir laissé filer leurs sentiments dans tout Oerba, elles venaient de relâcher le désir qu'elles éprouvaient l'une pour l'autre. Mais son soldat ne voulait pas brûler les étapes. Elles auraient tout le temps de se découvrir désormais. En réponse à cette proposition muette, Fang se tourna sur son côté gauche pour ne pas abîmer le bras de la jeune femme qu'elle entraîna dans le mouvement. Elle la serra contre elle, gardant leur front et l'extrémité de leur nez en contact direct. Leurs jambes nues se mêlèrent, d'abord d'un frôlement timide, puis d'une véritable accroche qui traduisait leur envie de possession. La main gauche de la blonde reposait sur son ventre, l'autre sur sa poitrine. Elle délaissa sa taille pour repousser une mèche rose qui la dissimulait partiellement. Lentement, elle caressa son visage somptueux du bout des doigts, soulignant le moindre de ses traits, s'attardant sur ses pommettes et sur ses lèvres. Puis elle plongea ses yeux d'un vert lagon dans la calme rivière d'eau douce qui s'étendait devant elle. Après plusieurs minutes de contemplation elles fermèrent les yeux, profitant simplement de cette chaleur et émotion qu'elles savaient leurs et uniques.
-Le temps poursuit sa course. Sur la route de l'avenir, on retombe parfois dans le passé.
Le soleil avait largement décliné lorsque Lightning se redressa sur un coude. Elle plissa les yeux afin de filtrer moins de lumière puis embrasser la plage d'un regard plus vif, faisant appel à ses souvenirs. Elle entendait le souffle régulier de sa compagne aussi bien qu'elle le sentait éclairer son visage avec allégresse. La poitrine de la brune se soulevait lentement. Son bras droit reposait finalement sur la hanche pâle de la blonde tandis que l'autre était repliée contre son propre torse. Fang s'était endormie. Elle l'observa en silence durant plusieurs minutes, passant parfois ses doigts fins dans ses cheveux d'ébène, détachant presque chacune de ses mèches en savourant ce contact fugace, ou caressant son visage paisible. Elle déposa un baiser sur le bout de son nez puis dégagea soigneusement sa jambe gauche de leur étreinte. En prenant garde à ne pas réveiller son amante, elle tira de sa sacoche un pétale de rose jaune soufre. Elle le porta à son visage et inspira, laissant l'odeur de la pulsienne envahir tout son être. Elle admira ensuite le petit végétal logé au creux de sa paume, qu'elle leva afin que les derniers rayons de soleil le parent de leur reflet crépusculaire. Elle sourit. La beauté de cette fleur et ses propriétés exceptionnelles ne valaient rien comparé à ce qu'elle avait trouvé. Elle souffla dessus, laissant l'air de ses poumons l'emporter où bon lui semblait. Elle n'en avait plus besoin. Et comme pour confirmer ses dires, la jeune femme contre elle remua avec un faible gémissement, ce qui ravit le sourire de Lightning.
« Fang... »
« Je sais, il est temps de rentrer à la maison. »