Je ne sais pas si beaucoup de francophones regardent SMASH, mais au cas où… Malheureusement, je ne possède pas de droits sur la série.

PROLOGUE

Quelquefois, Derek avait l'impression d'être un gros chat devant un énorme bol de crème toujours plein. Il était né avec une cuillère en argent dans la bouche. Dans le monde du théâtre et du spectacle en général, cela se traduisait dans la réalité par une enfance sans amour, loin d'une famille qui, sans le rejeter, l'ignorait. Sa mère l'avait bien compris, elle avait déserté le foyer conjugal trop tôt pour qu'il n'en ait conservé un quelconque souvenir avant de mourir sans qu'il ait eu la chance de la revoir.

A bientôt quarante ans, l'ombre paternelle planait toujours au-dessus de sa tête. Les révélations de son "ami de 20 ans" Tom Levitt avait eu le mérite de lui mettre les points sur les i.

John Arthur Wills n'avait jamais manifesté d'attachement particulier pour son fils, qu'il semblait considérer comme un mal nécessaire. Rien de ce que Derek avait réussi sur les scènes de Londres ou Broadway n'avait trouvé grâce à ses yeux. Ils n'échangeaient pas de cartes de vœux pour la nouvelle année, pas plus qu'ils ne s'appelaient, et de manière générale réussissaient à demeurer aussi éloignés l'un de l'autre qu'il était possible.

Derek avait passé sa jeunesse en pension, et somme toute, son sort n'était pas si différent de celui de ses compagnons d'infortune. La tradition dictait les règles du jeu pour les enfants de nantis tout en ouvrant grandes les portes à des années d'analyse. Ces années à Cambridge lui avaient permis de réaliser son potentiel et de laisser derrière lui ses rêves de devenir le prochain Rudolf Noureïev. Il avait la trempe d'un acteur de talent, mais ses rêves l'avaient poussé dans une autre direction, vers la mise en scène, puisqu'un accident malheureux sur un terrain de rugby dans une rencontre entre Cambridge et Oxford lui interdisait désormais de briller sur scène comme il en rêvait depuis ses trois ans. En dépit de son succès, son ascension vers la gloire avait été un chemin de croix qu'il n'avait pas envie de se rappeler. Dieu merci, il était enfin en paix avec lui-même.

Si sa vie professionnelle s'était épanouie sans à-coup, il n'en était pas de même pour sa vie privée. A vrai dire, il faisait plus souvent la couverture de Page Six qu'il ne l'aurait réellement souhaité, même s'il ne pouvait nier qu'il en tirait certaines gratifications. Il suivait les traces de son père, son lit perpétuellement occupé par un tourbillon incessant de vedettes de l'écran et de la scène, de serveuses trop jolies pour être ignorées, de petites mains qui n'attendaient que son bon vouloir, tout pour passer la nuit avec une parfaite inconnue qui lui ferait oublier qu'il n'était qu'un gosse de riches doté d'un monstrueux ego alimenté par les insécurités de son enfance solitaire.

Il savait depuis longtemps que son célèbre père cachait son homosexualité derrière une façade de conquêtes féminines. Il pensait qu'il était le seul à le savoir. Cette dernière illusion dissipée, restait le doute d'avoir réussi non pas grâce à son talent mais pour son pedigree.

"Karen, recommence !" hurla-t-il, les sourcils froncés. Elle n'arrivait à rien aujourd'hui sa fragile protégée. Il porta la main à sa bouche mais s'arrêta à temps avant d'entamer l'ongle du pouce. C'était une habitude dont il essayait de se débarrasser mais en dépit des manucures et du soin qu'il apportait à son apparence, elle avait la vie dure.

La jeune femme tourbillonna devant lui et pour la énième fois de la journée, rata la figure. "Encore !" Il savait qu'il mettait la barre très haut, sans doute trop haut, mais elle le méritait. Quand il en aurait fini avec elle, elle serait sensationnelle. Elle était déjà sensationnelle. Sa démonstration impromptue avec One Republic l'avait prouvé la veille. Quinze heures de travail par jour, une hygiène de vie irréprochable et son expertise en feraient une star. Il n'avait aucun doute.

"Karen, qu'est-ce que tu fais ? Arrête. C'est terrifiant." Il se leva d'un bond et prit place derrière elle. "Musique !" Il la guida habilement mais elle échoua une nouvelle fois. Il fallait qu'elle y arrive. "On recommence, cette fois, essaie de penser à ce que tu fais." Il sentit que tout son corps se tendait dès que le pianiste attaquait la coda et il l'aida dans le dernier pas, la portant presque à bout de bras. Elle trébucha et retomba lourdement avec un hoquet. Il la réceptionna avec grâce et la reposa sur le sol. "Bon, on arrête, Cartwright ne vaut rien aujourd'hui," lança-t-il à la cantonade avant de retourner à sa place, dos aux miroirs.

Il consulta ses notes. "Ivy, quand tu veux..." dit-il sans lever les yeux. Comme personne ne répondait, il finit par lever les yeux. Les artistes étaient assis par affinité aux quatre coins du studio et faisaient de leur mieux pour éviter de rencontrer son regard; Karen regagnait sa chaise en traînant la jambe droite d'une manière qui ne lui disait rien de bon. Il se tourna vers Linda qui haussa les épaules et annonça d'un ton neutre. "Pause déjeuner. Tout le monde revient à 15 heures."

"Oh, parfait !" Il jaillit de son siège, attrapa sa veste au passage et sortit en coup de vent. Entre les heures syndicales, les danseuses inexpérimentées, une lead qui jouait à la diva et une productrice qui lui faisait des enfants dans le dos, c'était peut-être le moment d'aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Ce n'était pas les propositions qui manquaient.

*Ecrivez-moi pour me dire si je continue ^^*