Je m'appelle Prudence Delange. Je suis née dans la forêt d'Orléans en France. Je ne mens pas. Ma mère était l'épouse du Garde Principal de la forêt, c'était une hippie américaine. Elle s'appelait Mary Donovan. Elle a voulu que je naisse dans notre petite maison dans la forêt. Quelques semaines après ma naissance, elle est partie. Elle a laissé une longue lettre à mon père où elle lui disait qu'elle m'adorait, qu'elle adorait mon père. Mais qu'elle restait une écorchée vive qui devait encore guérir avant de s'occuper des siens. Il y a quelques années, nous avons apprit qu'elle avait été tuée sur une route de Bretagne alors qu'elle se promenait à pied.

Mon père, René, est un vrai sauvage, un impossible ermite. Il n'a jamais voulu que j'aille à l'école. J'ai donc étudié par correspondance. Du coup, j'ai passé mon enfance et ma jeunesse dans la forêt. J'aime ma forêt, je ne m'y perds jamais.

Et puis, il y a quelques mois, alors que je venais de fêter mes vingts ans, un paquet est arrivé d'un office notarial où ma mère avait laissé un testament pour l'envoi de ce même paquet.

Quand je l'ai ouvert, j'ai trouvé un collier fait par les amérindiens. Il ressemblait plus à un gri-gri qu'à un bijou. Il y avait aussi une lettre. Une lettre d'amour mais aussi une lettre impérative qui me demandait d'aller dans sa ville natale. Il s'agissait du Comté de Wolf Lake, dans le Nord-Est de l'Etat de Washington, au nord de Spokane tout près de la frontière canadienne. Elle me disait qu'il était temps que je connaisse ce côté-ci de ma famille. Bizarrement, je savais qu'il fallait que j'y aille et mon père avait la même sensation.

Après de maintes embrassades avec mon père, je pris mon vol pour Los Angeles avec escale à New York. Je me doutais qu'il n'allait pas rester longtemps sur Paris après cela et qu'il allait retourner dans notre chère forêt.

J'ai dû prendre un vol intérieur pour Seattle. Puis je pris un autre vol pour le Ione-Airport-Municipal. Il faisait gris, et il crachinait. C'était tout aussi humide que chez moi. Je réservais une voiture de location avec un GPS intégré. Néanmoins, j'avais fait attention d'acheter des cartes routières et d'état-major car je me méfiais tout de même de ces machines. Il me fallut pratiquement quatre heures pour arriver dans la "ville" de Wolf Lake qui ressemblait plus à village qu'à une ville.

C'était la petite ville typique américaine. On y voyait l'épicerie, le restaurant toujours plein, la mairie dans le plus beau bâtiment de la ville. Je n'hésitais pas longtemps et entrais dans le restaurant pour m'y sustenter.

Et ce que l'on peut voir dans les films où un étranger voit TOUS les regards pesamment posé sur lui est réel. Ils avaient tous arrêtés de travailler ou de manger et me dévisageaient. J'étais très choquée. Je cherchais tout de même une place et m'y installais. Là-dessus, le personnel reprit ses activités et les clients parlèrent abondamment, de moi, je m'en doutais.

- Bonjour, Mademoiselle ! Vous désirez ? Me demanda une vieille serveuse d'une cinquantaine d'années.

- Bonjour ! Ce sera oeufs brouillés au bacon, milk-shake vanille et café. Merci.

Elle repartit aux cuisines pour donner ma commande.

J'observais alors l'ensemble le restaurant si typique de ce pays. Je regardais aussi l'extérieur on voyait la route principale de la ville. La serveuse revint vers moi et déposa ma commande.

- Et voilà, vos oeufs, pour le milk-shake, je vous l'apporterais quand vous aurez fini votre plat.

- Merci !

- Ce sera tout ?

- Oui mais je voudrais vous demander si vous aviez un hôtel ou une pension ici ?

- Pourquoi ? Vous n'êtes pas une touriste ! Ce n'est pas la saison !

- Je suis ici juste quelques jours, pour apprendre à connaître la région et la famille de ma mère !

- Et elle s'appelait comment votre mère ?

- Mary Donovan !

Là, je ne savais pas ce que ma mère avait pu faire dans cette ville mais les regards étaient partagés entre la colère, la haine, la pitié, la peur... etc, soit la totalité de la palette des sentiments humains. Tous avaient écoutés ma conversation, tous étaient à nouveaux figés. Je me disais que mon séjour n'allait pas être une partie de plaisir.