Note de l'auteur : Le temps passe parfois plus vite qu'on ne l'imagine (et pas nécessairement quand on s'amuse). Sur le groupe Facebook créé par Ninfea Di Luna « Pour que Roselyne finisse ( ENFIN ! ) ses fics », je me suis imposée le challenge de finir le chapitre 35 courant Février 2020. Désolée pour la longue attente. Ceci dit, rassurez-vous : je n'ai pas l'intention d'abandonner l'écriture de cette fic jusqu'à son aboutissement final. J'ai déjà écrit le fil rouge jusqu'à la fin (y a encore BEAUCOUP de chapitres, vous n'êtes même pas à la moitié… Ça fait peur, je sais…). Donc, ça prendra le temps que ça prendra… mais on y arrivera. :^)

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LA COMMUNAUTÉ DES BRAS CASSÉS

Chapitre 35 – Les cinq étapes

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L'obscurité était complète et oppressante. C'était nouveau pour Legolas. Autrefois, les ténèbres ne lui faisaient pas peur. Cela voulait juste dire qu'il faisait nuit, qu'il n'y avait pas de lune et qu'il y avait des nuages couvrants des étoiles, ou qu'il était dans une partie dense de la forêt. Il pouvait faire noir, il était libre de ses mouvements, et la vie grouillait autour de lui.

Ici, il était enfermé, loin sous la terre, isolé de la liberté par des pierres, chacune plus lourdes et résistantes que lui. La froide humidité des lieux semblait le saisir comme dans un étau. Peut-être était-ce pour cela qu'il avait du mal à respirer. Et s'il ne revoyait plus jamais la lumière du jour ? Et si on l'oubliait ici ? Et si personne ne venait lui ouvrir ?

Il ferma les yeux avec force, serrant ses poings, essayant de se calmer.

Ça ne devait être qu'un nouveau cauchemar. Il allait se réveiller en pleine lumière, respirant un air léger qui ne sentait pas la terre, la moisissure ou le sang, et il profiterait un peu du calme avant la nouvelle tempête Odùrin. Quoi que son frère lui réserve, ça serait surement préférable à…

Il ouvrit les yeux et réprima un nouveau gémissement. Les ténèbres lui semblaient encore plus lourdes que lorsque ses paupières étaient fermées. Il recommença plusieurs fois toujours avec le même résultat. Il étouffa un gémissement qui voulait s'échapper de sa gorge, de peur que ce soit bien réel, tout comme ces « choses insoupçonnables » dans l'obscurité dont son frère lui avait parlé avant de fermer la porte.

Sa seule chance de sortir se situait – selon son frère – dans les entrailles d'Alek. Mais il était hors de question pour Legolas de le toucher, et encore moins de fouiller ses entrailles. Il lui avait déjà fait suffisamment de mal comme ça !

'C'est un cauchemar… Je vais me réveiller… Aller, je réessaye !'

Il ferma à nouveau les yeux avec force.

~.~

« Tu es avec moi, Legolas, tout va bien ».

La voix d'Aragorn perça les pensées de l'elfe. Il n'avait plus parlé depuis plusieurs minutes, plongé dans ses souvenirs, les revivant dans les moindres détails. Pour lui, c'était comme si c'était hier et non plusieurs millénaires plus tôt. L'elfe leva les yeux vers le ranger, et par-delà lui, le petit feu autour duquel la communauté de l'anneau était rassemblée et discutait avec une certaine animation. Des regards basculaient parfois sur lui, mais il y avait quelque chose de différents des précédents regards noirs qu'il se prenait. Une partie de la tension semblait être retombée. Dans la discussion animée, on pouvait sentir de la créativité… Presque comme un jeu, avec parfois des éclats de voix plus fortes qui lui parvenaient.

« Pas ce truc-là, ça lui filerait la chiasse ! »

« Ah, c'est clair qu'on n'avait pas encore, ça… »

Seul Frodon restait silencieux et maussade dans un coin, mais la vue était plutôt habituelle ces derniers temps. Globalement, c'était plutôt une bonne soirée.

Que Aragorn gâcha d'une certaine manière : « veux-tu continuer à me raconter ? »

'Non', pensa Legolas. 'De base, non. J'ai pas envie de retourner là-bas. Si ceci est un rêve, je veux y rester'.

Mais il savait qu'Aragorn ne voulait que l'aider, et il reprit son récit.

~.~

Il se frotta les mains pour tenter de les réchauffer et sentit la cire de la bougie, solidifiée par endroit sur ses doigts. Sa peau en dessous était sensible à cause de la légère brulure. Il essaya de retirer doucement la cire mais ressentit de la douleur, et renonça pour un moment. Sans lumière, ni bruits extérieurs, il ne pouvait pas deviner combien de temps s'était écoulé depuis qu'il avait été jeté dans ce cachot. Une heure ? Une journée ?

Il essaya de se concentrer sur un souvenir agréable, mais, au vu des circonstances, ne put rien retirer de beau. Pour autant qu'il se souvienne, son père et ses frères l'avaient toujours détesté, le traitant régulièrement d'enfant maudit qui avait provoqué la mort de sa mère en venant au monde. Le jeune elfe avait l'impression que les autres personnes du palais semblaient un peu mal à l'aise en sa présence. Derrière les quelques marques d'affection, il devinait de la pitié et même de la peur.

Aussi loin qu'il se souvienne, il avait passé ses années dans une sorte d'isolement social, bien que libre de circuler au milieu de tous. Il avait parfois entendu les elfes parler de certaines bêtises mémorables de ses frères quand ils avaient son âge. A l'exception de quelques « bêtises mineures », il avait pour sa part essayé tout son possible pour ne pas désobéir à son père et provoquer son ire. Alors pour une fois où il intervenait pour ce qui lui semblait une juste cause, on lui donnait la pire des punitions imaginables et on se débarrassait de lui ? C'était injuste. Et puis, la peur reflua et fit place à une sensation plus chaleureuse, qui l'envahissait doucement.

Il pouvait imaginer le rire satisfait de son frère Odùrin quand il s'était éloigné du cachot, comme satisfait du dénouement d'une bonne blague, enfin débarrassé de lui. La sensation de chaleur monta. Il serra ses poings et se redressa, toujours s'appuyant contre le mur pour ne pas perdre ce repère. Devant ses yeux défilait cette journée cauchemardesque, et revenait sans cesse le visage méprisant de son frère au moment de fermer la lourde porte. Il se dirigea à tâtons vers elle, et – oubliant toute prudence face aux « choses insoupçonnables » qui pouvaient se cacher dans les ténèbres, tambourina à nouveau contre la porte. Cela faisait un moment qu'il n'avait pas entendu de pas circuler dans le couloir, mais cela ne voulait pas dire qu'il n'y avait personne montant la garde. Et puis, pourrait-il entendre quoi que ce soit avec l'épaisseur des murs ?

« Odùrin ! Laisse-moi sortir ! ».

Si les mots étaient les mêmes que plus tôt, cette fois-ci, ce n'était pas une supplique. Les suppliques ne fonctionnaient pas avec sa famille. Il s'exprimait sur un ton nouveau pour quiconque aurait été de l'autre côté de la porte.

« Laisse-moi sortir ! Tu ne peux pas me laisser là ! ». Il continua à crier et tambouriner jusqu'à ce que ses mains lui fassent mal. Et même au-delà.

~.~

Legolas avait les poings serrés et regardait en biais dans le vide. Son expression rappelait à Aragorn ces loups à deux doigts de vous sauter à la gorge si vous vous approchez encore. Cela contrastait tellement avec l'expression de désespoir qu'il avait abordé ces derniers jours que ça aurait pu être effrayant. Aragorn n'avait pas peur. Pas peur de Legolas, du moins. Peur pour lui. Bien sûr, c'était ridicule : ces éléments faisaient partie du passé. Bons ou mauvais, Legolas était vivant, et face à lui. Il avait bien dû finir par sortir de cet endroit.

Mais cette porte qu'il ouvrait sur son passé, cette porte qu'il n'ouvrait que pour le ranger… il semblait y avoir tellement de démons de l'autre côté, qu'Aragorn commençait à se dire que le Legolas qu'il avait toujours connu, qu'il avait toujours cru connaître, n'était en réalité qu'une illusion, un masque.

La pensée générale à Rivendell était qu'ils étaient un peu stricts à Mirkwood. Aragorn commençait à se rendre compte que l'enfance de Legolas n'avait principalement été baignée que dans quatre émotions : la crainte, la rage, l'humiliation et le désespoir. Tout le reste semblait avoir été détruit. Legolas ne s'était juste pas rebellé et n'avait pas essayé de fuir, car – outre les dangers de la forêt noire - il n'avait probablement pas conscience que l'éducation qu'il recevait au palais était anormale, vu qu'il n'avait aucun point de comparaison. Il avait souffert, mais il devait penser que où qu'il aille, l' « enfant maudit » qu'il était subirait le même sort.

Aragorn sentait qu'il était retiré de sa zone de confort et propulsé dans un monde empli de folie. Mais il n'était pas question de faire marche arrière. Il irait peut-être vomir plus tard. Et bien plus tard, il emmènerait probablement Odùrin et Thranduil en voyage au travers de contrées de douleurs encore inexplorées par des elfes. Mais à l'heure actuelle, l'être face à lui avait besoin de lui. Le vrai Legolas était en train d'émerger, mais il ne pouvait pas le faire tout seul.

Aragorn tendit la main et la posa sur le bras de l'elfe. Il fit un mouvement de tête signifiant « je suis là, tu peux continuer, je ne t'abandonne pas ». Il espéra juste que son visage ne trahisse pas ses pensées profondes.

Il n'avait pas peur de Legolas. Il avait peur pour l'elfe, oui. Mais il avait aussi peur pour lui-même.

~.~

Un bruit dans la nuit. Legolas se réveilla, la joue contre la pierre froide. Il ne savait pas si le bruit avait été réel, ou juste dans un rêve. Peut-être était-ce la trappe qui s'était refermée après qu'on lui ait apporté de la nourriture et à boire. Ses muscles étaient douloureux et engourdis par le froid, l'humidité et le matelas de pierres plus qu'inconfortable. Il se traina jusqu'au mur et se redressa en s'y collant, afin de vaincre le vertige qui l'habitait. Son estomac était au-delà du stade du grondement. Depuis combien de temps ne lui avait-on pas apporté à manger, ou ne fut-ce que à boire ? Pas moyen d'avoir la notion du temps dans le noir complet. Sa seule consolation était qu'il n'avait pas encore atteint le stade où ses yeux pourraient voir totalement dans le noir. Il n'était pas pressé de voir en quelle compagnie charmante il avait été laissé.

Une fois complètement debout, et après avoir repris sa respiration, il fit neuf pas sur la droite par rapport à Alek, et descendit lentement vers le sol, en tâtonnant du bout des doigts sur les pierres du mur, afin de localiser la trappe. Il ne la trouva pas directement et paniqua. Puis, il se dit qu'il n'avait peut-être pas fait autant de pas qu'il avait pensé, ce qui valait mieux qu'en faire trop : Lors de sa première tentative lorsque la trappe s'était ouverte et qu'on lui avait apporté, non pas une bougie, mais un verre d'eau et de la nourriture, il avait malencontreusement renversé du pied la coupe d'eau. Il avait tout de suite appelé le garde pour lui signaler l'incident, afin qu'on lui apporte un autre verre d'eau, tout en s'excusant platement. Le garde n'avait ni daigné répondre, ni rapporter de l'eau. Legolas, déjà habité par la faim et la soif à ce moment-là, s'était encore sentit plus mal dans les heures qui avaient suivi. Quand la soif était devenue torture, il avait essayé de lécher le sol où l'eau s'était renversée, mais les pierres avaient déjà absorbé la plupart de l'humidité. Il s'était maudit pour sa maladresse, et avait maudit le garde pour s'être montré sans cœur.

Legolas descendit totalement au sol, et se mit à avancer à quatre pattes, en tâtonnant avec précaution afin de ne pas renverser la coupe qu'on lui aurait peut-être mis. Mais il ne trouva qu'une assiette et un gobelet vide, datant de son dernier repas. Il se demanda si ce n'était pas ça le problème. Devait-il remettre la coupe et l'assiette vide dans la trappe quand il avait fini ? Il l'avait fait machinalement par le passé, mais pas cette fois-ci. Était-ce pour cela qu'on ne lui apportait plus à boire ou à manger, ou s'était-il juste écoulé quelques heures depuis son dernier repas ? C'était peut-être du donnant donnant. Il remettait sa coupe et son assiette vide, et on les lui remettait remplies plus tard. Il s'empressa de soulever la trappe et de remettre le matériel dans l'espace sombre derrière. Il soupçonnait une double trappe, ce qui permettait à quelqu'un de déposer quelque chose pour lui depuis le couloir, non pas nécessairement dans le cachot-même comme Odùrin l'avait fait avec la bougie, mais – on ne sait jamais que l'enfant elfe aurait voulu mordre la main qui le nourrissait - juste dans l'espace dans le mur, et de refermer la petite porte côté couloir avant qu'il puisse ouvrir la petite trappe de son côté à lui. Comme ça, il ne recevait aucune lumière de l'extérieur. Il avait essayé de glisser un bras dans la trappe plus tôt, pour soulever l'autre porte. Il ne pourrait certainement pas se glisser totalement dans l'espace, mais s'il pouvait soulever un peu l'autre porte et voir un peu de lumière. Rien qu'un peu de lumière… Mais le mécanisme était trop lourd pour un enfant si jeune, et désormais si affaibli.

Une fois l'assiette et la coupe posée dans l'espace entre les deux trappes, il annonça d'une voix la plus claire et forte possible que tout était en place, et referma sa trappe. Il attendit, guettant les bruits de l'extérieur. Si le garde avait vérifié il y a quelques minutes, et avait constaté que l'assiette et la coupe n'étaient pas revenue en place, il avait peut-être décidé d'attendre un peu. Peut-être était-il juste dans le couloir, adossé à un mur, lisant un vieux livre pour s'occuper. S'il entendait Legolas, il pourrait revenir chercher le matériel, et un peu plus tard, le lui rapporter plein.

Legolas attendit un moment qu'il ne voulait pas qualifier de 'long', car cela voudrait dire qu'il n'y avait personne dans le couloir, et que son attente pour le prochain repas pourrait durer encore plus longtemps. Il souleva la trappe et glissa son bras dedans. Une assiette et une coupe ! Hélas, un examen plus approfondi lui apprit rapidement que c'étaient les versions vides qu'il venait de placer. Rien de nouveau pour calmer son estomac presque douloureux.

Une fois encore, il maudit le garde pour être sans cœur avec lui.

Il apprendrait beaucoup plus tard qu'Odùrin avait fait placer un garde sourd et muet en charge de lui apporter la victuaille, afin qu'il ne soit pas attendri par un enfant en détresse, et risquer qu'il lui apporte du confort, ou qu'il cède et lui ouvre la porte.

Mais sur le coup, ignorant la situation réelle, la colère de l'enfant elfe se dirigea vers le garde, ce qui fit de minuscules vacances à son frère aîné.

Découragé, Legolas se remit péniblement débout tout en s'appuyant contre le mur froid et humide, et repartit dans l'autre sens. Neuf pas. Ou peut-être dix ? Il sentit la panique le gagner, rapidement suivie par un nouveau vertige. Il tomba au sol, essayant de vaincre la nausée de faim qui le submergeait. Quand il ouvrit à nouveau les yeux – à quoi bon, se disait-il, il faisait tout aussi noir – une idée lumineuse lui vint : continuer jusqu'à la lourde porte – qu'il ne pourrait pas ouvrir tant qu'il ne se déciderait pas à faire quel qu'action spécifique sur son compagnon d'infortune. De là, il ferait demi-tour, pourrait refaire trois pas et serait à nouveau à hauteur d'Alek.

Un minuscule espoir au cœur, il continua son avancée vers la porte. C'était bien parfois d'avoir un but. Il devait d'ailleurs se trouver un but chaque jour, ou chaque nuit, ou quoi que put être l'unité de temps ici-bas. Sinon, il finirait par s'allonger sur le sol aux côtés d'Alek, jusqu'à devenir aussi froid que lui.

Il atteignit la lourde porte. Il avait espéré qu'elle avait été ouverte, que c'était ça le bruit qu'il avait entendu. Que c'était aussi pour ça que le garde ne lui avait rien apporté. A quoi bon, puisqu'un vrai repas l'attendait hors du donjon ?

Hélas, il eut beau fouiller à tâtons la porte et essayer de pousser dessus de toutes ses forces, elle était toujours aussi immobile qu'avant, inchangée, froide et cruelle. Il pencha la tête en avant, et laissa les larmes couler sur ses joues.

Soudain, un bruit se fit entendre quelque chose de net, et non d'éthéré comme dans un rêve. Son cœur bondit dans sa poitrine. Avait-il vu juste ? Était-on sur le point de le libérer ? La fureur de son père avait-elle finit par retomber ? Ce fut lorsque le deuxième bruit se fit entendre qu'il réalisa systématiquement deux choses : Oui, le bruit était bien réel. Non, il ne venait pas de la porte.

Il sentit l'angoisse monter le long de son dos et le prendre à la gorge, comme des ronces qui seraient devenues vivantes. Cela venait de derrière lui. Un bruit de raclement, comme des griffes sur le sol. Il se retourna et se plaqua contre la porte, les yeux écarquillés.

Cela n'était pas juste ! Son frère avait dit qu'il verrait d'abord dans l'obscurité avant de voir les créatures laissées avec lui. Ça laissait à l'obscurité totale un côté un peu rassurant : tant qu'il ne voyait pas dans le noir complet, les créatures resteraient sagement dans leur coin. Ce n'était pas juste, elles ne jouaient pas le jeu.

Il entendit les raclements de griffes se rapprocher, avec le bruit de quelque chose qui se traine au sol, mais qui avance résolument dans une direction, avec un seul but en tête. Quelque chose qui devait probablement avoir aussi faim que lui.

Legolas se cala encore plus fort contre la porte, comme s'il pouvait rentrer dedans et échapper à ce qui avançait vers lui. En vain. Quelle que soit la créature, ou les créatures qui avançaient, il était la cible.

Et elles devaient mourir de faim. Il leur fallait une proie.

« Non non non ! », hurla-t-il d'une voix aigue et brisée. « Pas moi ! Ça n'est pas juste ! ». Il marqua une brève pause. « Prenez Alek ! Prenez Alek ! PRENEZ ALEK ! »

~.~

Aragorn fixait Legolas les yeux grands ouverts. Ça avait beau être des récits d'un passé vieux de plusieurs millénaires, il n'en ressentait pas moins de l'angoisse. Pour l'elfe. Comme si par quelque magie, l'elfe était encore coincé dans ce donjon.

L'elfe était un conteur fantastique, capable de faire ressentir des émotions intenses à son audience. Et le pire, c'est qu'il n'en avait même pas conscience. Le ranger ne s'était d'ailleurs pas rendu compte qu'il serrait trop fort le bras de Legolas avec sa main crispée.

« Qu'est-ce que c'était, ces créatures ? », parvint-il à lui demander, son regard intense plongé dans celui de l'elfe. L'archer croisa son regard un instant avant de le détourner avec une expression étrange de honte.

« A ce moment-là, ce n'était rien », commença-t-il avec un triste rire. « Ce n'était qu'un rêve de plus je m'étais évanouis de faim ». Il détourna la tête et fixa l'horizon, l'air amer.

« Moi et mes beaux principes… », souffla-t-il après de longues secondes. « Alors que ça m'aurait garanti la sortie du cachot, je refusais de fouiller les entrailles d'un cadavre par respect pour l'humain qu'il avait été. Mais j'étais prêt à le laisser se faire bouffer à ma place pour gagner juste encore un peu de temps dans ce cachot même si la torture était de toute façon au bout. »

Il serra les poings sur ses genoux et rabaissa la tête.

« Je suis pathétique ».

~.~

Legolas était prostré dans un coin, non loin d'Alek, qu'il touchait parfois du bout des doigts ou du pied, juste pour s'assurer qu'il était encore là. La faim et la soif étaient présentes de manière tellement constantes, parfois atténuées juste ce qu'il fallait par une maigre pitance de pain sec et – lors d'un jour de fête ? - de vieux fromage, et une coupe d'eau un peu saumâtre, que ces sensations devenaient comme un bruit de fond, redéfinissant la normalité de ce qu'était devenu sa vie.

Il sentait la torpeur le gagner à nouveau, mais lutta contre ce sentiment de faux bien-être. S'il s'endormait, il y avait de grandes chances pour que Alek viennent à lui, en état de décomposition avancée, l'accuse de l'avoir tué, et lui demande de jouer avec lui pour se faire pardonner. Legolas se réveillait en général en hurlant.

C'étaient ça désormais, ses journées et ses nuits. Se lever pour aller chercher de la nourriture ou de l'eau éventuelle, aller vérifier la porte, revenir auprès d'Alek pour dormir et se réveiller en criant.

Il attendit qu'un nouveau spasme de faim passe, et rampa vers le mur pour se relever et recommencer son expédition vers la trappe. Neuf pas, descendre au niveau du sol, tâtonner pour essayer de trouver une assiette et une coupe.

Il sentit la joie s'emparer de lui en sentant au bout de ses doigts ce qu'il cherchait. Enfin ! L'attente avait été longue, mais il allait être récompensé de sa persévérance.

Ce fut seulement quand il plongea ses mains dans l'assiette qu'il réalisa qu'elle était vide. Pareil pour la coupe. Il n'y croyait pas. Quelle blague cruelle lui avait-on fait ? Puis il rapprocha l'assiette vide de son visage et huma les relents qui s'en dégageaient, espérant peut-être identifier l'odeur du coupable. Mais ce qu'il sentit fut les relents de son dernier repas.

Il avait oublié de remettre l'assiette et la coupe dans l'espace derrière la trappe !

Il faillit hurler et lancer de rage l'assiette et la coupe au travers de la pièce. Mais ça n'aurait pas été intelligent, car il aurait fallu qu'il s'aventure en terrain inconnu, pierre par pierre, dans l'espoir de retrouver le matériel, tout en espérant qu'elles n'aient pas rebondi sur les autres occupants du cachot, occupés à dormir paisiblement.

Il remit l'assiette et la coupe en place dans l'espace dans le mur, mais est-ce que ça changerait quelque chose ? Il avait attendu tellement longtemps. Et si les gardes avaient aussi attendu, puis ne voyant toujours aucune assiette, ni aucune coupe, en avaient déduit qu'il était mort, et avaient abandonné leur poste, désormais inutile, pour remonter à la surface et à la lumière ? L'enfant elfe finirait par devenir un petit tas inerte et froid à côté d'un autre petit tas inerte, froid et humain.

Les elfes de la surface s'empresseraient probablement de l'oublier, et alors qu'il prendrait ses dernières respirations, pauvre âme torturée, ça aurait été comme s'il n'avait jamais existé.

Legolas se roula en boule près de la trappe. Plus que jamais, il se sentait seul et abandonné. Il étouffa un sanglot épuisé. Il ne voulait pas pleurer. Il avait soif. Il devait garder son eau au maximum. Il ferma les yeux un instant. Ce fut une erreur.

Il ouvrit les yeux, presque aveuglé par la lumière qui régnait autour de lui. Quand sa vue fut ajustée, il vit qu'il était dans la salle du roi, roulé en boule contre un mur. Devant lui, à perte de vue, des cadavres humains. Beaucoup de cadavres. Et du sang. Partout. Également sur ses mains et ses vêtements. Il voulut crier, mais changea rapidement d'avis en voyant au milieu du carnage son frère Odùrin et son père Thrandui, debout et le fixant froidement.

"Tu es couvert de sang humain, petit frère », commence Odùrin, de son ton moqueur habituel. « Cette fois, tu leur ressembles réellement."

"Je t'avais expliqué que c'étaient des monstres", son père prend la parole. "Mais tu n'as pas voulu m'écouter".

Par une étrange magie, les humains morts s'animèrent alors. Leurs visages se tournèrent vers l'enfant elfe, le couvrant de leur regard vide et accusateur et leurs bouches s'ouvrirent en psalmodiant.

"Tu nous as abandonné Legolas. Tu es un enfant maudit. Tu nous as abandonné, Legolas. Tu es un enfant maudit. Tu nous as aban-"

L'enfant elfe ferma les yeux avec force pour échapper à ce spectacle et se boucha les oreilles. Il hurla de toute ses forces pour couvrir les voix qui lui parvenaient quand même. Quand il n'eut plus de souffle pour crier, il rouvrit les yeux.

C'était le noir complet. Et le silence. Il se souvint et laissa s'échapper l'air contenu dans ses poumons. Il se redressa pour faire le chemin en sens inverse.

Neuf pas le long du mur, tourner à gauche, avancer jusqu'à la forme inerte et molle. Quand il toucha Alek du bout de son pied, il s'allongea à côté de lui et le serra dans ses bras.

« Pardon de t'avoir tué… Mais je te promets que je ne t'abandonnerai pas…»

Il pleura jusqu'à ce que l'épuisement et la faim lui fassent perde conscience. Ce qui fut assez rapide.

~.~

A l'écart, Frodon avait observé le changement d'attitude de l'elfe, et l'expression de meurtre qui était passé pendant un moment sur son visage. N'avait-il pas mentionné il y a quelques temps quelqu'un à qui il avait fait du mal ? La plupart des gens le voyaient comme soit sage, soit calme, soit déprimé. Mais lui, voyait au-delà. Oui, il ne se laissait pas berner, comme Aragorn et d'autres prêts à se ruer à son chevet à la moindre plainte.

Le hobbit se dit avec amertume que si les elfes ressemblaient plutôt à des sangsues, tout le monde verrait à quel point ils pouvaient être des salopards mauvais et égoïstes. Mais non. Tout devait être dans le style et dans la coiffure !

~.~

« Je vais revenir, Alek », dit-il tout bas. « Je ne vais pas loin, rassure-toi ». Est-ce que les esprits des humains restaient après leur mort ? Legolas s'était dit que peut-être son fantôme était coincé avec lui dans le cachot. Peut-être qu'Alek aussi avait peur dans le noir. La moindre des choses pour Legolas était de lui parler pour soulager sa solitude. Il se redressa et tourna le dos à l'enfant humain.

Le corps de l'enfant. Deux pas. Arrêt car ses mains viennent de toucher un mur. Ses doigts explorant chaque pierre, chaque recoin, chaque aspérité, à la recherche de quelque chose de nouveau. Trois pas sur la gauche. La porte. Ses doigts effleurent à nouveau. De longues minutes – ou du moins ce qui lui paraît être de longues minutes. Rien de nouveau là non plus. Il repart. Trois pas sur la droite. Il garde contact avec le mur du bout de ses doigts, aussi longtemps que possible alors qu'il tâte du pied devant lui. Deux pas en avant, son pied heurte quelque chose de mou. Le corps de l'enfant. Il est bien revenu à son point de départ.

Il se retourne contre le mur. Neuf pas vers sa droite. Il s'accroupit et tâtonne jusqu'à ce qu'il trouve la trappe. Avec précaution, il tâte le sol devant la trappe et dans l'espace derrière la trappe, pour voir si de l'eau ou de la nourriture ont été déposée pendant l'un de ses sommeils. Ses mouvements sont lents et prudents. Il ne veut pas refaire comme la dernière fois, et accidentellement renverser le bol contenant un peu d'eau. Ses mains ne rencontrent rien. Il vérifie à deux reprises, espérant avoir loupé quelque chose. En vain. Il mord la lèvre inférieure et se relève. Demi-tour. Garder la main droite contre le mur. Neuf pas. Tâtonner du pied vers la gauche. Le corps de l'enfant. Il s'assied auprès de lui.

« Tu sais Alek… je crois qu'ils nous ont encore oubliés… ». Il marqua une pause, d'une voix calme et détachée. « Ça n'est pas grave. Je réessayerai plus tard. En attendant, on va jouer un peu ». Il s'allongea aux côtés de l'enfant humain, le prit dans ses bras et ferma les yeux. Alors que le sommeil le prenait, l'enfant elfe sourit légèrement.

Et le cycle recommença.

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A SUIVRE

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Voilà, c'est tout pour ce chapitre-ci. Alors, vous l'aimez toujours autant, votre Odùrin ?

Ce chapitre n'était pas évident à écrire car les actions (limitées) assez répétitives pouvaient vous perdre, jusqu'à ce que j'aie décidé de le structurer sur base des 5 étapes de deuil (déni, colère, marchandage, dépression et acceptance).

Techniquement, le prochain chapitre est le dernier qui se passe dans le cachot. Et y aura de l'action !

En attendant, comme dis dans l'intro, vous pouvez toujours rejoindre la page Facebook « Pour que Roselyne finisse ( ENFIN !) ses fics », que Ninfea Di Luna a créé (ce n'est pas moi qui l'administre). J'y passe de temps à autre pour laisser des annonces ou répondre aux questions.

Belle journée à vous tous, et encore merci pour votre patience.

- Roselyne