EPILOGUE

Kurt tapota le micro de sa main valide pour vérifier qu'il fonctionnait. Il se sentait immensément seul face à l'intégralité du lycée qui le dévisageait, assise sur les sièges en plastiques inconfortables du gymnase. Au fond de la salle, les Cheerios attendaient pour leur numéro en sautillant sur place pour ne pas refroidir leurs muscles.

"Bon l'homo, tu vas nous faire quoi ? Une petite démonstration de claquettes ? demanda une voix au milieu de foule, bien cachée dans la masse des élèves."

Kurt l'ignora royalement. Même s'il était stressé comme il l'avait rarement été auparavant, il essayait de ne rien laisser transparaître d'autre que son flegme habituel. Figgins leva les mains pour demander le silence, sans grand succès.

"Je veux vous parler de Blaine, commença Kurt malgré le brouhaha ambiant.

- On s'en fiche de tes histoires de gays ! cria une voix.

- Sérieusement ? Tu nous as réunis pour ça ? s'écria une voix féminine.

- Il veut faire de nous tous des tarlouses ! cria un garçon.

- Ta gueule, bouffon ! répondit la voix de Santana, parfaitement identifiable parmi les cheerleaders."

Kurt profita du moment de stupéfaction qui suivit pour continuer.

"Beaucoup d'entre vous ne doivent pas le connaître, il a fait un passage éclair dans le lycée il y a quelques semaines. Le genre de mec insupportable, vulgaire, arrogant, imbuvable en cours et j'en passe et des meilleures. Mais aussi, ouvertement gay."

Il prit une grande inspiration avant d'entamer la suite. Les élèves commençaient à lui prêter un peu d'attention.

"Blaine est plongé dans le coma depuis trois semaines après avoir été poignardé par des mecs envoyés pour nous tabasser, parce que nous sommes gays."

Il fut obligé de marquer une pause. Un flot d'images insoutenables venait de lui envahir l'esprit. Son réveil à l'hôpital, la douleur qui lui transperçait tout le corps, l'air grave du médecin qui venait de lui donner des nouvelles de Blaine, la vision de Blaine entouré de tuyaux et d'appareils, les longues heures d'attente passées dans sa chambre, l'incertitude, toujours l'incertitude...

"Je ne veux pas de votre pitié pour lui, c'est clair ? Parce qu'il vous enverrait tous chier. Je veux seulement que vous sachiez que toutes vos petites insultes de merde, qui ici n'ont pas d'impact pour la simple raison que je m'en tamponne, peuvent avoir des conséquences énormes à l'extérieur. Chaque fois que vous sortez vos blagues stupides dans le seul but de faire rire la galerie, vous les imprimez dans la cervelle des gens autour de vous. Et il arrive un jour où elles ne sont plus des blagues et deviennent une question de vie ou de mort."

Il marqua une nouvelle pause. Le gymnase était parfaitement silencieux à présent. Même les cheerleaders avaient arrêté de s'échauffer.

"Je n'ai pas vu Blaine se faire poignarder. J'étais inconscient parce que nos agresseurs venaient de m'assommer avec une barre en fer, mais je sais qu'il a essayé de me défendre. Il a risqué sa putain de vie pour sauver la mienne, alors qu'il aurait pu partir en courant et sauver sa peau. C'est le mec le plus courageux qui ait jamais mis les pieds dans ce lycée, vous percutez ? Bien plus courageux que tous ceux d'entre vous qui nous traitez de tapettes et de pédés quand vous êtes sûrs qu'il ne vous arrivera rien en retour. Il a prouvé qu'il valait bien mieux que vous tous réunis."

Sa voix tremblait de colère. Il ne savait pas du tout si son message les atteignait ou rebondissait sur la couche de stupidité qui les entourait. Mais il avait besoin de vider son sac, de déverser toute la colère qu'il avait accumulée depuis trois semaines. Il ne surveillait même plus son langage, il s'en fichait.

"Mais le plus dégueulasse dans cette histoire, c'est que ces mecs, ceux qui nous ont attaqués alors que nous ne connaissions même pas leurs noms, c'est son père qui les envoyés. Le père de Blaine, qui ne supportait pas l'idée que son fils soit gay et qui n'a pas supporté que son fils refuse de changer pour lui. Maintenant, Blaine est entre la vie et la mort, branché à des machines de tous les côtés et incapable d'avoir une relation avec qui que ce soit."

Ses yeux le brûlaient à mesure qu'il prononçait ces mots.

"Je comprends... je comprends qu'on puisse être profondément déçu par son gamin, poursuivit-il en essayant de se calmer. Blaine a fait pas mal de conneries et son père avait de multiples raisons de lui faire des reproches. Mais ça, il ne pouvait pas le changer, quoi que son père fasse. Même mort Blaine sera toujours gay. Je ne peux pas croire qu'un être humain puisse préférer voir son fils mourir plutôt que de l'accepter différent de ses espérances.
Croyez ou non que l'on naisse avec notre propre sexualité, je ne veux pas ouvrir ce débat. Mais ce qui est certain, c'est qu'on ne naît pas homophobe. Ces convictions qui ont conduit le père de Blaine à ordonner à ces hommes de nous battre, on les lui a plantées dans la tête, il n'est pas né avec. Aucun être humain ne naît cruel. Alors, pensez tous à la portée des conneries que vous dites maintenant, pendant que vous êtes au lycée et que vous ne pensez pas à l'avenir. Pensez que si votre fils ou votre fille est gay, même si cela n'est pas ce que vous espériez, il ou elle sera peut-être dotée de qualités que beaucoup d'hétéros n'ont pas. Et pensez que peut-être qu'un enfoiré l'attend au coin de la rue avec un couteau, parce qu'il trouve ça contre-nature, que ça ne devrait pas exister. Pensez que cette personne pourrait être celle à côté de qui vous êtes assis aujourd'hui et dont vous trouvez les remarques homophobes immensément drôles, et qui peut-être n'aura pas la chance d'ouvrir les yeux à temps avant de commettre un acte irréparable par pure ignorance."

Il marqua une pause, le souffle court. Il avait envie de crier, et essaya de se calmer tant bien que mal.

"Je ne sais pas si Blaine va s'en sortir, son état est stable mais préoccupant. Je veux juste que vous vous rappeliez de lui comme l'exemple de ce que l'ignorance et la cruauté humaine peuvent détruire. Même si vous ne l'avez pas connu ou que vous le détestiez, il reste une vie humaine, et il était prêt à se sacrifier pour en sauver une autre."

Il éteignit le micro, tremblant d'émotion. Un silence de plomb pesait sur le gymnase. Plusieurs élèves se levèrent et quittèrent les gradins d'un pas rapide. Kurt resta planté au milieu du terrain de basket, insensible au temps qui s'écoulait. Soudain, une main le saisit par le bras et l'entraîna avec elle.

Lea le conduisit dehors et le laissa reprendre ses esprits. Elle avait assisté à toute l'intervention de Kurt avec l'autorisation de Figgins. Elle essuya les larmes qui brillaient sur ses propres joues et tenta un sourire.

"C'était bien, lui dit-elle simplement. Un peu trop d'emphase par moment, mais le message était clair, je crois.

- Je suis sûr qu'ils n'ont rien enregistré, grogna Kurt."

Il poussa un soupir et prit Lea dans ses bras. Elle pleura silencieusement contre lui, submergée par les souvenirs que lui avait remémorés ce discours. C'était elle qui les avait trouvés inconscients sur le parking. Elle savait que la vision de son frère et de Kurt étendus par terre et couverts de sang était la pire horreur sur laquelle ses yeux se poseraient jamais.

"On devrait... retourner à l'hôpital, dit-elle. Maman vient de rentrer du tribunal et nous attend pour aller dîner, et il ne faut pas qu'on soit en retard pour retrouver Carole."

Kurt acquiesça. Il entoura ses épaules d'un bras protecteur et ils regagnèrent ensemble sa voiture.

Blaine lui manquait terriblement. Il avait perdu le seul être dont il acceptait les caresses et contre qui il voulait se lover la nuit. Il lui arrivait souvent de se réveiller tard en se demandant pourquoi il était seul dans son lit. Il avait décidé de s'accrocher à l'espoir que Blaine se réveille un jour et qu'ils puissent partager tout ce qu'ils n'avaient pas eu le temps de faire ensemble. Il n'osait pas imaginer ce qu'il adviendrait de lui si les médecins lui annonçaient soudain que Blaine ne se réveillerait pas.

Il voulait aussi revoir le sourire de Lea, dont la joie de vivre s'était envolée. Elle avait perdu son innocence en les retrouvant agonisants sur le parking, elle avait perdu son père quand celui-ci avait été arrêté par les forces de l'ordre, elle avait perdu son frère et se sentait immensément coupable pour ce qui était arrivé. Kurt avait essayé de la réconforter de son mieux, mais parler de Blaine lui lacérait à chaque fois un peu plus le cœur.

Il avait demandé à Figgins de le laisser parler devant tout le lycée pour évacuer sa colère. Il avait menti, ce qui était arrivé à Blaine l'avait rendu sensible aux insultes. Il ne pouvait s'empêcher de sans cesse repenser à la manière dont lui avait parlé le père de Blaine, de la haine dans son regard quand ils l'avaient quitté. Et des conséquences qui s'en étaient ensuivies.

Kurt avait toujours été plutôt égoïste, mais imaginer que d'autres personnes puissent subir ce que Blaine et lui avaient subi, cette douleur, cette humiliation, tout cela lui donnait envie de crier au monde entier combien ils étaient tous stupides et ignorants. Il avait fait ce qu'il pouvait à son échelle, en essayant de faire passer un message à McKinley. Il n'avait aucune idée de la portée qu'avait eue son discours, mais au moins il avait essayé.

Il se laissa tomber sur le siège passager. Son bras gauche était encore dans une attelle, et parfois des troubles de la conscience séquelles de son traumatisme crânien le prenaient soudainement, aussi il avait interdiction de conduire. Mais il avait accepté de prêter sa voiture à Lea, et elle lui servait en quelque sorte de chauffeur entre chez lui, chez elle et l'hôpital.

Tandis qu'il bataillait un peu pour accrocher sa ceinture d'une main, Lea sortit son portable pour y jeter un coup d'œil, par pur réflexe. Elle resta un moment silencieuse, mais c'est quand il fut finalement attaché et qu'il se retourna qu'il s'aperçut qu'elle était pâle comme la mort.

"Quoi ? demanda-t-il d'une voix étranglée."

Le son qui venait de sortir de sa bouche était à peine audible. Les lèvres de Lea tremblaient.

"Je... j'ai trois appels de l'hôpital. Cinq de ma mère. Deux de Carole. Tu... toi aussi ?"

Kurt ne répondit pas. Il avait éteint son iPhone pendant le temps qu'il avait parlé, et il n'avait pas pensé à le rallumer.
Il savait très bien ce que ces appels voulaient dire. Ils n'étaient pas en retard, ils avaient tous les deux prévenu leurs familles qu'ils étaient à McKinley. L'hôpital les avait appelés. C'était forcément des nouvelles de Blaine. Bonnes ou mauvaises.

"Ils ont laissé un message ? murmura-t-il dans un souffle."

Les yeux de Lea brillèrent de larmes. Ses lèvres se pincèrent. Elle était absolument terrorisée.

"Je... je ne veux pas savoir... par message..."

Sa voix se brisa. Elle essuya ses larmes d'un geste brutal, comme si chaque muscle de son bras était contracté et l'empêchait de faire un mouvement fluide. Kurt lui prit doucement le téléphone des mains, et elle sursauta beaucoup trop violemment.

Lui aussi avait envie de craquer, de pleurer, de crier son stress. Il était au bord des larmes, mais il savait qu'il devait être fort. Il se surprit à prier, même s'il ne savait pas trop à qui il s'adressait.

"Je vais les rappeler, ok ?"

Lea hocha la tête frénétiquement. Elle prit de grandes inspirations pour se calmer, pour reprendre le contrôle d'elle-même. Sa main tremblait sur sa cuisse, et Kurt la saisit malgré son attelle et la serra de toutes ses forces dans la sienne.

Ses doigts tremblaient tellement qu'il eut du mal à sélectionner un numéro à rappeler sur l'écran tactile. Il choisit Carole. Elle travaillait à l'hôpital, elle pourrait lui donner les informations les plus claires possibles. Et il ne voulait pas tomber sur quelqu'un qu'il ne connaissait pas.

Lea le dévisagea d'un air anxieux alors qu'il collait le téléphone contre son oreille. Le bip d'attente fut un supplice.

"Allo ? répondit une voix au bout du fil. Lea ?"

Des larmes d'angoisse dévalèrent ses joues avant même qu'il entende la suite. Carole prononça une phrase, et il ferma les yeux, le souffle coupé.

~oOo~


Voilà ! C'est ici que finit cette fanfiction.
J'ai absolument adoré l'écrire, je me suis éclatée sur chacun des chapitres et ça a vraiment été un plaisir pour moi de la partager. Je suis sincèrement surprise de l'engouement qu'il y a eu autour et j'en suis vraiment touchée et ravie.

Je voudrais remercier avant tout ma fabuleuse beta emicrazy, sans qui cette fic n'existerait même pas puisque c'est elle qui m'a convaincue de la poster alors que j'hésitais vraiment. Merci pour les multiples corrections et re-corrections, les réponses aux doutes de dernières minutes, les avis éclairés et les critiques sincères.

Merci à tous les gens qui ont laissé des reviews, et plus particulièrement à ceux qui en ont laissé une pour chaque chapitre. Merci à ceux qui sont là depuis le début et ceux qui ont rejoint le navire en route.
Même si je pense qu'un auteur de fanfic écrit avant tout pour lui-même, ce sont les reviews qui donnent la motivation nécessaire pour continuer.
Enfin à tous ceux qui ont lu cette histoire jusqu'au bout, j'espère que vous avez apprécié de suivre les garçons à travers tous ces moments de joie, de peine, de stress...