Posté le : 14 Juin 2013. La fermeture des portes.
Note : Un an et demi plus tard, j'écris la fin. Cette histoire était, à la base, inspirée de « Gatsby le Magnifique » écrit par F. S. Fitzgerald. J'étais loin de me douter que plus tard, en ayant fait un bond dans le temps, il y aurait un nouveau film dessus avec un graphisme spectaculaire et des chansons aussi enivrantes. J'ai écrit cette fin telle que je l'avais imaginé et j'espère qu'elle ne vous décevra pas ou ne vous laissera pas un goût amer. En tout cas, je ne la vois pas autrement. Je pense que de toute façon, dans l'écriture on écrit d'abord pour soi, pour accomplir un projet ou une envie, puis ensuite pour les autres et transmettre du plaisir et un morceau de rêve, si c'est possible. Ce chapitre est peut-être court par rapport à d'autres, mais il contient tous les éléments que je voulais et je n'en dirai pas plus sur ci ou ça. Tout est dans la suggestion et l'interprétation personnelle, comme pour le Gaslight.
Musique : Together - The xx.
Bonne lecture, D.
GASLIGHT
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Chapitre 24 : « Le commencement »
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Harry prenait tout juste conscience que son âme lui avait manqué.
Le fourmillement sur sa peau. Les soubresauts. Les rires. Les petites frayeurs. L'apaisement. Tout ça semblait s'organiser telle une machine bien huilée. S'être ainsi dénaturé lui avait prouvé que ce n'était pas l'absence d'émotions et de sentiments qui le rendait plus fort, mais plutôt le fait de savoir les gérer.
La nuit recouvrait progressivement la vallée verdoyante et derrière lui, Draco semblait lire avec des yeux étonnés la notice d'un mixeur. C'était drôle de le voir s'extasier sur des détails anodins et, la minute suivante, mépriser la technologie moldue par simple fierté personnelle. En fait, Harry était pratiquement certain que l'ancien aristocrate se plaisait dans sa nouvelle vie de parfait anonyme dépourvu de pouvoir magique.
L'un comme l'autre avait encore quelques réflexes liés à leur univers d'attache, mais ces derniers se dissipaient avec le temps. Harry avait d'ailleurs presque réussi à trouver un moyen de s'arranger les cheveux sans faire l'usage du moindre sortilège. Il appuya sur l'interrupteur du living-room et Draco leva les yeux, assis en tailleur sur un fauteuil étriqué vert olive.
– Comment tu te sens ?
– Mieux, répondit simplement Harry en s'étirant. J'ai l'esprit plus tranquille depuis ce matin, en tout cas.
Il attrapa sa tasse de thé posée sur la Une d'un journal moldu. Un cercle humide entourait le titre : « O'Fusfill renonce à sa chasse aux sorcières ». Plus bas, là où se trouvait son sachet de thé, était écrit : « L'autre monde sort enfin de l'ombre ».
Apparemment, Kingsley Shacklebolt avait rencontré des responsables moldus en conciliabule pour gérer leur apparition sur la scène internationale. Le Premier Ministure moldu anglais, lui, n'avait pas pu y assister malgré son immunité diplomatique. Harry et Draco suivaient l'affaire de très loin, mais y portaient toutefois un intérêt croissant.
De temps à autre, le Survivant était certain que Draco lisait les journaux – sorciers et moldus confondus – afin d'avoir des nouvelles de son entourage. Il avait d'ailleurs poussé un rugissement de joie quand un petit article avait fait l'éloge de l'efficacité du Département de la Justice depuis la récente nomination de Pansy.
– Au fait, tu ne vas pas y croire, mais d'après la Gazette ils ont trouvé un remplaçant pour notre poste.
– Quel poste ? demanda Harry, totalement dans le brouillard.
– Eh bien, de directeur du Département de la Reconstruction ! Ils ont pensé à ton ami Weasley.
Les yeux de Harry s'agrandirent de surprise.
– Tu en es sûr ?
– Oui. Ils ont dit qu'étant donné les liens qu'il avait avec toi, le fait qu'il travaillait pour moi et savait à peu près ce qu'on avait en tête... eh bien, c'était le mieux placé pour reprendre le flambeau. Je crois qu'il met un point d'honneur à réussir.
Le regard de Harry s'assombrit : Ron devait sans doute croire qu'il était le dernier encore vivant du fameux trio d'or. Il se demandait comment il vivait avec ça sur la conscience, le fait d'avoir perdu ses deux meilleurs amis pour toujours.
C'était certainement très égoïste de la part de Harry de se cacher ainsi des yeux de tous, mais il avait l'impression que c'était aussi la meilleure solution pour lui, son avenir et son équilibre. N'y avait-il d'ailleurs pas un proverbe moldu disant quelque chose du genre : « Pour vivre heureux, vivons cachés » ? Il but une gorgée de thé qui commença à devenir froid tandis que la pluie tombait par rideaux fins à travers la vallée. Draco continuait de disséquer le mixeur comme si ce dernier – même sans être branché – allait lui mordre les doigts la seconde suivante.
– J'ai acheté un bouquin en librairie pour tester mes facultés en connaissances moldues, poursuivit Draco en changeant brusquement de sujet.
– Et pour quoi faire ?
– Figure-toi que je ne compte pas vivre éternellement sur mes rentes.
Harry éclata de rire.
– Toi ? Travailler ? Je veux dire, ailleurs qu'au Ministère de la Magie ?!
– Oui, et ça te pose un problème, Potter ? Je suis sûr qu'un métier moldu ce n'est pas si sorcier que ça en l'air.
Pris d'un véritable fou rire, Harry renversa un peu de thé sur son jean. En guise de vengeance, Draco lui envoya la Gazette du Sorcier à la figure et partit dignement vers la cuisine avec son mixeur.
– Je suis désolé, mais ça me semble totalement incongru. Je veux dire, un Malfoy... travailler dans une entreprise entourée de moldus. Tu es sûr que tu n'en es pas allergique ? Enfin, je dis ça comme ça.
– Contrairement à ce que tu imagines, je suis sûr de pouvoir me débrouiller à la perfection. Je commencerai en bas de l'échelle, tu vois, comme pilote d'avion. Avion... c'est comme ça qu'on dit ?
– Euh, je doute qu'ils prennent n'importe qui dans les aéroports.
– Les aéro-quoi ? Non, laisse tomber. Alors pourquoi pas... (Il feuilleta son guide des métiers) astronaute ? Je veux dire je m'y connais en résistance à l'aérodynamique. Je vole plutôt pas mal et j'ai l'esprit d'aventure. C'est tout pour moi.
– Il faudrait être un génie en mathématique et en physique.
– Les Moldus sont trop pointilleux et fermés d'esprit. Je ne vois pas pourquoi je serai un mauvais astronaute si on ne me laisse pas faire mes preuves. Tu sais quoi ? Je finirai par trouver. (Draco s'assit sur le comptoir de la cuisine) Et toi ?
– Quoi, moi ?
– Quand tu étais petit et que tu ne savais pas encore que tu étais un sorcier... Tu t'imaginais faire quoi comme métier ?
– Rien. Je ne voyais pas comment j'aurai pu avoir un avenir avec les Dursley.
– Ils étaient si horribles que ça tes Moldus ? questionna Draco en fronçant les sourcils. J'avais imaginé qu'ils t'auraient traité comme un véritable petit prince. Je veux dire, tu es Celui-Qui-A-Survécu, quoi. Si c'est pas la classe.
– Ils en avaient rien à battre de qui j'étais dans l'autre monde. Dans le leur j'étais juste un poids qui rongeait peu à peu leurs économies. Enfin bref, ça c'est fini. Tu veux pas... au lieu de travailler... de juste profiter de toutes les opportunités qui nous sont offertes en tant qu'anonymes ? Moi, je pensais plutôt à voyager, tu vois. Attends (Il attrapa son bras)... Je voulais... Je voulais te remercier.
Draco arqua un sourcil et déposa son mixeur sur le comptoir de la cuisine et lui accorda sa plus grande attention en croisant les bras.
– Mmh, ça serait sans doute plus convaincant si tu te mettais à genoux.
Harry leva les yeux au ciel sans pour autant s'exécuter.
– Merci de ne pas m'avoir trahi alors que tu en as eu l'occasion et de m'avoir suivi jusqu'ici. Je veux dire, ce n'était pas gagné d'avance.
Il prit ses mains dans les siennes. Comme il s'y était toujours attendu, les paumes de Draco étaient incroyablement douces et sans aucune imperfection. À croire que quelqu'un avait soigneusement peint un tableau de maître des années durant. C'était injuste d'être si parfait, extérieurement.
– J'ai failli à nombre de mes principes et tu étais là pour me rattraper.
– Non, je ne t'ai pas « rattrapé ». Détrompe-toi. C'était l'âme. Enfin, ton âme qui me faisait réagir de la sorte. Je crois qu'elle voulait que tout se finisse bien pour toi et me faisait prendre des chemins que je n'aurai jamais emprunté en temps normal. Elle a changé ma nature et s'est insinué en moi, comme quelque chose... de pure, d'indivisible. Et je me sens tout drôle sans elle, même si je suis conscient que j'aurai pu en crever.
– Tu disais avoir accès à mes souvenirs grâce à elle. Est-ce que tu as aussi vu quand...
– Shht.
Draco l'attira contre lui en entortillant son médaillon autour de son doigt. Sa bouche contre la sienne était gourmande et il pouvait deviner son sourire tout contre elle. Harry frissonna de plaisir, la sensation fugace remontant le long de son échine.
Il serra Draco dans ses bras et quelque chose de chaud et de plaisant envahit son thorax. Il mit fin au baiser, le souffle plus précipité que tout à l'heure et vit son médaillon et celui de Draco s'illuminer. C'était le même aura bleu qu'il y a quelques mois, mais quelque chose était foncièrement différent... Les médaillons pulsaient, comme si c'était vivant, comme s'il y avait quelque chose à l'intérieur qui ne demandait qu'à se manifester.
– Tu entends ? demanda tout à coup Draco, l'oreille tendue.
Harry fronça les sourcils et fit d'abord non de la tête. Mais en étant attentif, il crut discerner des notes... de la musique... des rires, des tintements de verre.
– Je connais cette chanson, poursuivit-il. Je la connais même très bien ! L'orchestre l'a joué un soir, au Gaslight.
Soudain, des notes de jazz s'élevèrent dans la vaste salle tandis que les invités tintaient leur coupe de champagne. Les sorciers arboraient des costumes teinte domino et les robes des sorcières constituaient une palette de taches pervenche ou indigo. Des rires se répandaient en échos, se mêlant au tohu-bohu des conversations. L'orchestre, calquant le rythme des mélodies sur l'ambiance générale, était obligé de jouer un peu plus fort qu'à l'ordinaire tant la fête battait son plein. Harry et Draco s'étaient retrouvés propulsés dans l'immense salle de réception du Manoir Malfoy auprès d'une foule de gens.
– Tu crois que c'est un Retourneur de Temps ? interrogea Harry tandis que personne ne semblait avoir remarqué leur présence insolite. Ou peut-être qu'on est tout simplement morts, ajouta-t-il tandis qu'un sorcier les traversait en hurlant de rire comme s'ils n'étaient que des spectres.
– Non, ce sont eux les fantômes, éluda Draco. Regarde. Il y a des gens du Ministère qui sont morts, juste là.
Harry tendit le cou et les vit.
– Je crois que nos médaillons sont aussi dotés d'un Enchantement de Mirage. Ils servent à faire voir ce qu'on désire retrouver le plus au monde, expliqua-t-il. Peut-être que tous les deux, on voulait retrouver le tout début, ou qu'on y pensait très fort au même moment.
Le crooner avait la voix cassée à force d'essayer de se faire entendre. Des serveurs en smoking déambulaient entre les petits groupes, soulevant des plateaux en argent qui scintillaient comme d'immenses mornilles. Les lumières démystifiaient les visages fardés, parcheminés, usés par la fatigue et l'alcool.
Le shaker ne cessait de secouer des cocktails. Une foule de gens enivrés par la passion des années folles, l'esprit ailleurs et les yeux brumeux, se pressaient au bar. Sur le marbre sombre du comptoir un verre de Whisky Pur Feu glissa et des doigts fins et pâles le saisit pour le porter jusqu'aux lèvres du propriétaire du Gaslight. Draco regarda curieusement son l'ancien lui boire tranquillement sa boisson en jetant un regard dédaigneux à ses convives. C'était assez drôle comme sensation, de se voir en miroir. Harry s'approcha et, en effet, l'ancien Draco – comme dans un film – ne semblait ni les voir ni les entendre.
– C'est juste un souvenir, dit Draco d'une voix cassée. Une illusion. Rien de plus.
Il tenta d'attraper le verre de Whisky et celui-ci se consuma en une volute de fumée colorée puis se recomposa quelques secondes plus tard. Les rires retentirent et Harry désigna l'entrée du menton alors que l'image de l'ancien Draco s'évanouissait dans le néant pour laisser place à un autre, qui marchait d'un pas bondissant depuis les doubles-portes. Le véritable Draco éclata de rire.
– Je me souviens de cette nuit-là ! Je t'avais transformé en mon cousin Otto.
En effet, Harry métamorphosé se tenait à côté de son ancien rival et collègue d'une manière gauche. Avec une certaine fierté, Draco réalisa que son sortilège avait très bien fonctionné. On ne reconnaissait même pas le Survivant grâce à ses talents en matière de transformation. Leurs doubles allèrent se mettre au comptoir.
– Un Whisky pour noyer ta peine ? proposa l'autre Draco en haussant la voix pour se faire entendre.
– Pourquoi pas.
– Deux Whisky ! ordonna le propriétaire du Gaslight à l'adresse du barman. Alors, tu en penses quoi de tout ça ? Toujours aussi snob ?
– Snob, mais très beau… À nous, dit-il en recevant son verre.
C'était comme s'il parlait à l'autre bout d'un tunnel et Harry comprit que la personne ayant déposé le sortilège Mirage sur les médaillons n'était pas un sorcier très expérimenté, mais ayant une très grande imagination.
Harry ferma les yeux un moment et pensa « Merci, Fred ». Les médaillons avaient été un prototype de farces et attrape très poussés. Il en avait donné un à Harry et le second, il se l'était fait confisqué par le Ministère en essayant de le revendre. Harry ignorait comment Draco avait pu se retrouver sur son chemin, mais l'idée qu'une autre personne aurait pu la voir lui déplaisait au plus haut point.
– Alors, lança cette fois le véritable Harry, tu danses ?
– Moi ? Danser ? Sache qu'un aristocrate ne connaît que six types de danses officielles et elles sont bien trop compliquées et distinguées pour un être limité comme toi. Oh et je sais que tu danses comme un manche de Brossdur. Les pieds de Parvati Patil étaient carrément en magma après avoir dansé avec elle pour l'ouverture du bal. Je n'avais jamais autant ri en une seule soirée.
Draco l'imita, faisant des gestes très approximatifs avec ses bras et les pieds en canard et Harry dû s'avouer que c'était plutôt comique. Il se permit de rire et attrapa le bras de Draco et l'entraîna au centre de la piste de danse. Au lieu d'entrer en collision avec les autres invités – dont la plupart étaient morts depuis des mois –, ils flottèrent parmi eux et se mirent à rigoler en tournant.
– Aïe !
– Quoi ?
– Je crois que c'était la table de la cuisine, grommela Draco en se massant le genou. Le sorcier qui a ensorcellé ce médaillon n'était pas une pointure. Il aurait pu y intégrer un sortilège de Coussinage.
– Tu n'es jamais content.
– C'est faux ! s'étrangla-t-il, offusqué. Là, tu vois, je suis très content.
– Prouve-le-moi.
– Je t'ai déjà prouvé que je tenais à toi. Tu as vraiment besoin d'autre chose ?
Harry ne répondit rien, souriant largement.
– Très bien, rétorqua Draco en haussant les épaules. Tu l'auras voulu. Si tu te mets à avoir des émotions dans le jean parce que j'embrasse comme un dieu, ça sera uniquement de ta faute.
Et alors, il l'embrassa tandis que le sortilège Mirage perdait en intensité et finissait par s'évanouir pour se confondre avec la réalité. Les contours de leur cuisine moldue se dessinèrent et la lampe à la lumière crue éclaira leurs silhouettes étroitement enlacées.
Sans doute qu'ils ne mettraient plus jamais les pieds au Gaslight, mais ils avaient trouvé mieux. Ils étaient dans un endroit tranquille où ils pouvaient enfin être eux-mêmes, loin des faux-semblants de la société.
Cet endroit parfait n'était qu'un mirage dans lequel beaucoup d'individus s'étaient embourbés, pensant que le bonheur se limitait à la réussite personnelle, au nombre de gallions en poche, la jeunesse et la beauté. Avec du recul, Harry et Draco pouvaient affirmer que c'était faux. Le bonheur était quelque de bien plus profond et intouchable que ça.
Après tout, le Gaslight n'était que l'antichambre d'un rêve.
fin