Klein blabla de l'auteur : Terminé et posté depuis Berlin ! You've got to feel Berlin ! Yeah ! J'espère que ce premier chapitre vous plaira. Alors, évidemment, j'ai encore des reproches à lui faire, mais on va dire que ça va. Dîtes-moi ce que vous en pensez !

CHAPITRE UN : Val de Grâce.

- Bon, où est-ce que je te dépose ?

- Près d'une station de métro.

- Très bien...

Integra mit son clignotant et se gara non sans encombres près d'une station. Une fois qu'elle eut coupé le moteur un silence s'installa entre eux deux. Cela faisait près de cinq heures qu'ils faisaient chemin ensemble, côte à côte dans cette voiture, plusieurs kilomètres qu'ils se parlaient de leur vie comme s'ils se connaissaient depuis des années. Comme s'ils n'allaient jamais se revoir. Trois arrêts station service, des dizaines de barres chocolatées, d'innombrables bouteilles de soda, vingt fois la question : «Êtes-vous ensemble ?», une centaine de fous rires, quelques disputes...

Une vie condensée en cinq heures.

- Tu vois, tu peux être décoincée quand tu veux, lui fit Pip. (Oui, il s'appelait Pip)

- L'air de Paris, sans doute... Hey, qu'est-ce que tu fais ?

- Je te donne mon numéro.

- Normalement, on l'écrit sur un papier de la boîte à gants, pas sur la boîte à gants...

- Comme ça, tu seras obligée de le retenir. Tu connaîtras mieux mon numéro que celui d'Alucard.

- Pfff...

- Appelle-moi.

- Hmhm...

- A plus, chevalier errant !

- A plus, princesse...

Il ouvrit la portière, prit son bardas, quelques bouteilles qu'il jeta dans une poubelle non loin de là et s'en alla sans un regard en arrière. Toujours sans un regard en arrière. Comme elle avait été incapable de le faire elle-même. Integra prit un instant pour observer sa démarche nonchalante alors qu'il traversait au feu rouge, son sac à dos sur une épaule, une cigarette à la bouche, sa longue tresse battant son dos.

Son téléphone sonna.

Mon dieu, venait-elle juste de le mater ? Sérieusement, elle commençait à se ramollir. Où était la véritable Integra ? Elle décrocha.

- Oui ?

- Miss, j'étais mort d'inquiétude, êtes-vous bien arrivée ? demanda Walter à l'autre bout du fil.

- Oui, oui, Walter, ne vous inquiétez pas, je viens de me garer juste en bas de l'appartement. Je vais monter tous mes bagages.

- Vous y arrivez, miss ?

- Je vous assure que oui. Merci d'avoir appelé, Walter.

- C'est un plaisir, miss, installez-vous bien.

Elle raccrocha et sortit de sa voiture. Le ciel était encore un peu gris. On était en plein milieu d'après-midi. Il semblait que, malgré l'été, la pluie couvre encore le ciel des grandes villes. La jeune femme passa une main dans ses cheveux avant d'aller ouvrir le coffre où se trouvaient ses dernières valises.

Munie des clés, elle entra dans le hall de l'immeuble et s'engouffra dans l'ascenseur. Même si elle s'était sentie désagréablement assistée quand elle avait su que Walter avait déjà fait deux allers-retours pour transporter toutes ses affaires dans l'appartement, elle était contente de ne pas avoir à porter près de vingt ans de sa vie jusqu'à Paris. L'immeuble semblait désert pour l'instant. Paris semblait à moitié désert, envahie par quelques touristes en vacances. Mais pour les parisiens, il semblait que l'air d'ailleurs était nécessaire pour passer de vraies vacances. Au moins, il n'y aurait personne pour venir lui faire la conversation. Il lui semblait qu'elle avait parlé pendant vingt autres années avec Pip, déjà. Il ne lui restait plus rien à dévoiler.

L'immeuble était assez grand et vaste pour qu'elle ne se sente pas enfermée. Entouré d'arbres, le bâtiment était à l'abri des regards indiscrets et curieux des touristes venus visiter le Val de Grâce. Walter l'avait bien choisi. Etant membre unique de la famille, il l'avait choyée et n'avait pas regardé les dépenses, pourvu qu'elle se sente bien. Elle adorait Walter sans doute autant qu'il l'adorait, elle. Elle savait qu'elle pouvait l'appeler dès qu'elle n'allait pas très bien, mais... Integra se voyait très mal lui expliquer ses petits soucis émotionnels.

La jeune femme fit rouler ses deux valises jusqu'à la chambre 46, au quatrième étage et arriva devant sa porte.

La voici. Elle était là, arrivée, dans sa nouvelle vie, sa nouvelle chambre. Finis les manoirs isolés, elle était désormais en pleine ville. Dès qu'elle aurait mis les choses aux point avec Alucard, elle retournerait vivre au manoir. C'était là-bas qu'elle voulait finir ses jours. Elle n'était pas aventurière comme Pip, elle aimait bien l'endroit où elle avait vécu toutes ces années. Trop attachée à ses souvenirs...

Integra ouvrit la porte de sa chambre et poussa d'un coup d'épaule la porte de son appart avant de déboucher dans un petit couloir sombre. Malgré les passages de Walter, le bois sentait encore le renfermé et les ténèbres avaient envahi les moindres recoins de la pièce. Pour cela, Integra lui en était plutôt reconnaissante. Elle n'aimait pas avoir la lumière du soleil sur son visage quand elle travaillait.

Plusieurs cartons l'attendaient là, encore fermés, en attente de son propre rangement. C'était à elle d'organiser sa vie, désormais. Tout cet espace lui appartenait. Elle pouvait y faire régner l'ordre ou le désordre, comme bon lui semblait.

Elle soupira.

C'est quand elle alla poser ses valises dans le luxueux salon, qu'elle s'en rendit compte...

Elle n'était pas seule. Le parquet grinçait dans la salle d'à côté. Elle se tendit. S'était-elle trompée de chambre ? Non, c'était bien la 46, c'étaient bien ses cartons... Elle n'avait jamais entendu parler d'une quelconque idée de collocation, l'idée même lui donnait des frissons... Elle avait quelques secrets qu'elle n'avait pas envie de partager.

Que fallait-il faire ? Les bruits de pas se rapprochaient. Etait-ce un cambrioleur ? Etait-il armé ? Qui était-ce ? Que fallait-il...

Ses pensées furent coupées court.

Son odeur. Sa présence. Son regard. Lui.

Elle se retourna lentement, comme si elle avait peur qu'il la prenne à la gorge. Et il aurait pu. Mais pas dans le sens qu'elle voulait. Dès fois, elle préférait la violence à Sa douceur.

Il était là. Dans toute sa splendeur. Entièrement nu, trempé d'une douce froide récente.

Integra sentit le sang pulser dans ses veines et s'affluer jusque dans ses joues. Elle baissa directement les yeux. Avant de s'apercevoir que c'était pire. Elle se détourna alors entièrement. Son coeur battait la chamade. Elle se sentait comme une adolescente devant sa star préférée en live. Elle l'entendit rire derrière elle. Un petit rire discret, hautain, bas, sombre et surtout incroyablement sensuel.

- Tu ne m'as pas rappelé. Je me suis inquiété, fit-il d'un ton pas du tout naturel. Mais elle pouvait sentir le reproche derrière sa voix profonde et plaisante.

Evidemment qu'il savait ce qu'elle aimait. Ils avaient passé leur enfance ensemble après tout. Si elle trouvait du thé fumant dans la cuisine, elle ne serait même pas étonnée. Mais, le voir nu dans sa chambre... Non...

- Tu ne réponds pas non plus à mes appels, rétorqua-t-elle.

- Quoi ? Je suis devenu si laid que tu n'arrives même plus à me regarder en face ? se moqua-t-il.

Elle détestait quand il savait tout d'elle. Pourquoi était-elle devenue son amie d'enfance, déjà ? Ah oui... L'incident du thé...

Puis, elle sentit sa peau rentrer en contact avec la sienne. La peau froide et mouillée la fit sursauter, mais elle ne recula pas. En fait, elle ne voulait pas reculer. A la fois pour son honneur et pour... autre chose. Il saisit doucement son menton et la força à se tourner pour qu'elle le regarde. Elle ne résista pas. Pourquoi ? Parce que son ventre était en train de la brûler ? Parce qu'elle se sentait si attirée, si hypnotisée par lui. Parce qu'elle ne voyait pas, au fond, pourquoi lui refuser ça. C'était si... parfait.

Ah oui... L'incident de la fête.

Il se rapprocha d'elle, d'un petit pas mesuré mais ferme. Comment savait-il avec autant d'exactitude ce qu'elle voulait ? Etait-il télépathe, quelque chose comme ça ? Il était bien plus grand qu'elle et elle avait son visage presque planté dans ses pectoraux. Elle savait qu'il avait un sourire. Ce sourire. Le sourire qui la faisait fondre.

Tous ses sens étaient sollicités : la vue, l'odorat, le toucher, l'ouïe et... le goût. Il venait de poser doucement ses lèvres sur les siennes, rapidement, à peine pour une fraction de seconde et il la lâcha, reculant et se postant devant la fenêtre, observant la cour intérieure. Integra sentit tout de suite la sensation de perte, de vide et de froid l'assaillir. La présence d'Alucard contre elle lui manquait déjà. Elle secoua la tête et se rendit dans la cuisine où une théière fumait encore. Elle se servit. Du thé à la bergamote. Son préféré.

- Londres - Paris, c'est un sacré chemin, tu as conduis tout le trajet ?

- Je suis une grande fille, maintenant, répliqua-t-elle en regagnant le salon avec sa tasse de thé.

- Je sais... murmura-t-il avec un sourire, lui faisant toujours dos.

Integra se posta sur le pas de la porte qui menait au salon. Elle le regardait. Pour une fois, c'était elle qui l'espionnait et pas l'inverse. Elle observait son dos musculeux, sa peau trempée, ses longs cheveux noirs, collés contre son dos, contrastant avec sa peau blanche.

Comme elle aurait voulu qu'il reste. Comme elle aurait voulu qu'il lui appartienne. Qu'il vive là, avec elle. Qu'il soit là quand elle rentre, qu'il lui fasse à manger pendant qu'elle corrigeait ses copies, qu'il ne regarde aucune autre femme... Ah oui, voilà le problème.

Etonnée par le calme d'Alucard, la jeune femme s'approcha de lui et s'apprêtait à lui demander ce qu'il faisait quand elle vit qu'il regardait avec un grand sourire l'homme de la fenêtre en face. C'était un jeune homme à peine plus âgé qu'elle, peut-être même plus jeune qu'Alucard, une paire de jumelles à la main qui regardait le corps finement sculpté d'Alucard, estomaqué. Integra ferma d'un mouvement vif les rideaux bleus et regarda son ami d'enfance, courroucée :

- Je peux savoir ce que tu fais ?

- Il te matait avec ses jumelles, je l'en ai dissuadé.

- Toi, le gardien de ma chasteté ? s'offusqua-t-elle.

- Oui, répondit-il sérieusement en se tournant vers elle.

Son regard aussi noir que les pires ténèbres de sa solitude la plantèrent là, sa tasse de thé encore chaude à la main. Il était sérieux, comme il était rarement. Et il était terriblement sexy quand il était sérieux. En fait, il était terriblement sexy quoiqu'il fasse. Il passa doucement un bras autour de sa taille et l'attira à lui, plus doucement qu'avant, mais ce contact était presque menaçant. Son autre main vint se poser sur sa joue pour qu'elle ne détourne pas les yeux :

- Tu es à moi, Integra. Ne l'oublie pas. Personne d'autre n'a le droit de te toucher, ni même de te regarder ou de te côtoyer...

Elle se dégagea d'un geste assez brusque pour le dissuader de recommencer et assez doux pour ne pas renverser son thé. Integra sentait son corps brûler et sa chemise trempée lui coller au corps. Elle était mal à l'aise. Pour se donner contenance, elle but une gorgée de thé et s'installa nonchalamment dans le canapé.

- Tu n'as aucun droit sur moi, se contenta-t-elle de dire sèchement.

Puis, elle regarda ailleurs. Histoire d'être crédible. Il la regardait, toujours planté devant la fenêtre aux rideaux tirés. Un silence s'installa entre eux. Integra regardait son thé chaud jouer contre la porcelaine froide de la tasse. Alucard la regardait.

- Et d'ailleurs, pourquoi je serais à toi ? Tu es toujours avec quelqu'un d'autre. Tu attires toutes les filles comme des mouches et dès qu'une fille te fait les yeux doux, tu es incapable de résister !

Integra avait du mal à croire qu'elle disait les choses d'une façon aussi crue. Elle avait encore énormément de choses à dire aussi franchement à Alucard, toute une vie de mensonges à dévoiler. Et il n'y avait que lui qui puisse l'entendre. Pip ou les autres pouvaient l'écouter, l'entendre, peut-être la comprendre. Mais elle avait besoin de dire ça à Alucard.

Et c'était justement la personne qui ne pouvait pas le savoir. Alors, elle se tut.

- Va t'habiller, se contenta-t-elle de rajouter en replongeant dans sa tasse de thé.

Il n'obéit évidemment pas. Il la regardait, le visage indéchiffrable. Alucard était vraiment un homme dur à déchiffrer. Depuis le temps qu'ils se connaissaient, Integra ne pouvait même pas dire ce à quoi il pensait. Elle but une gorgée de thé. Le liquide brûlant lui fit du bien. Mine de rien, sa chemise trempée collait encore à sa peau et la faisait frissonner. Elle s'en voulait. Elle avait été faible. Elle aurait mieux fait de ne rien dire et de faire comme si elle s'en fichait.

Mais voilà. Elle ne s'en fichait pas. Et son indifférence habituelle lui manquait grandement.

Le coussin vert olive du canapé s'enfonça sous le poids d'un homme imposant. D'Alucard qui s'asseyait à ses côtés. Il la dévorait du regard, l'enflammant. Elle ne devrait pas être aussi sensible à ses regards, mais quand elle savait qu'il posait les yeux sur elle, qu'il ne regardait qu'elle… Integra releva doucement la tête. Ils étaient diablement proches. Pourquoi jouait-il avec elle après l'avoir laissée sans nouvelles pendant plusieurs mois. Il ne l'avait même pas félicitée quand elle avait eu son diplôme, ni son poste dans la même université. A quoi jouait-il ?

Mais elle savait très bien, en réalité : au loup.

Elle se tourna à nouveau vers lui. Il la regardait, assis nu à ses côtés et sa main aux longs doigts blancs vint chasser les mèches blondes qui tombaient sur son visage, l'empêchant de le voir. Elle l'aimait. C'était irrémédiable, comme une maladie incurable. Elle l'aimait.

C'était à la fois la chose la plus banale du monde et la plus atroce. Là, tout de suite, elle voulait le lui dire. Au moins ça. Elle voulait lui dire en toute franchise : « Je t'aime » C'était pathétiquement banal et pourtant, la jeune femme, qui n'était pas du genre à trembler devant le danger, se surprenait à hésiter comme une jeune fille.

- Alucard, écoute, se lança-t-elle, faisant de gros efforts pour que sa voix ne tremble pas. Je…

Il se leva et lui fit dos, sans un mot, avant de rentrer dans la salle de bain.

Integra baissa les yeux. Il lui semblait que le monde se dérobait sous elle. Bien sûr. Ça aurait été trop beau. Elle aurait pu mettre fin à tout cela, à ce sempiternel jeu, là. Mais non. Alucard avait encore envie de jouer.

La honte ne tarda pas à arriver. Elle s'en voulait. Elle n'aurait pas du sentir ce qu'elle avait senti. Lui dire…ça… en premier, c'était honteux. C'était perdre. Et les deux étaient mauvais perdants. Ils avaient toujours été mauvais perdants. Heureusement, il ne l'avait pas laissée finir.

La jeune femme se leva, posa sa tasse presque vide sur la table basse, se débarrassa de sa chemise trempée, la jetant négligemment sur le canapé et ouvrit sa valise bleue, encore posée dans le hall d'entrée. De là, elle en sortit un chevalet.

Ce n'était pas un grand chevalet, il devait être de taille normale, juste assez pour poser une toile idéale pour un portrait. Elle le déplia et le monta de manière experte, comme si elle l'avait fait toute sa vie. Puis, elle le posa devant la fenêtre, entrouvrant les rideaux pour laisser un peu de la lumière sombre de fin d'après-midi entrer dans la pièce. Enfin, elle prit une pochette cartonnée, verte, marquée d'un grand IV en chiffres romains, au feutre noir. Elle l'ouvrit et en sortit une liasse de feuilles à gros carreaux, dont les interlignes commençaient à s'effacer sous l'âge et les coups de gommes, supportant à peine l'écriture pattes de mouches, raturée faite au crayon de papier de la jeune femme. Elle cala la dernière page à moitié blanche dans le cadre destiné à une toile, redimensionna le cadre pour qu'il puisse tenir les feuilles et, amenant un tabouret à elle, se mit au travail.

Ce qui était nécessaire, c'était avant tout l'état d'esprit. Integra prenait souvent deux minutes avant d'écrire. Pour être dans le bain, si vous me pardonnez l'expression. Elle ferma les yeux, son crayon à la main, assise devant son chevalet. Comme un raz-de-marée, son imagination l'emporta dans d'autres lieux, dans d'autres temps. Une époque familière.

« Octave est au Temple de Jupiter. Il est à genoux, tête recouverte par un des plis de son manteau et il prie. L'odeur de l'encens l'enivre. Il a peur. Il ose se l'avouer, mais pas le montrer.

Demain, il va combattre. Il va monter sur un des navires de sa flotte et affronter celle de Cléopâtre. La meilleure flotte du monde. Il avait peu d'espoir. Elle avait des alliés. Marc Antoine était à ses côtés, comme un fidèle toutou, prêt à mettre à la disposition de cette femme de l'Enfer tout son savoir de général aguerri.

Demain, il va montrer sur un des navires de sa propre flotte, avec ces hommes affamés et sans courage, des généraux battus d'avance. Et sa propre faiblesse. »

Alucard sortit de la salle de bain, vêtu d'une chemise blanche entr'ouverte sur son torse tout aussi pâle, sa veste noire, négligemment jetée sur son épaule, son pantalon noir enfilé avec un faux négligé. Alucard était de ces dandys parisiens qui s'efforcent de ne pas avoir l'air apprêté quand ils sont frisés comme des Saint-Jean de procession. Mais personne n'osait protester ou se moquer de lui : il était tellement beau.

Mais sa beauté se fit royalement ignorer par Integra qui était en train d'écrire à son chevalet. Alucard avait trouvé ça drôle, cette idée d'écrire sur un chevalet, habituellement destiné à la peinture. Il aurait bien vu des auteurs écrire au feutre ou sur l'ordinateur, mais sur des feuilles à un chevalet… D'ailleurs, il ne savait même pas ce qu'elle écrivait. Elle ne lui avait jamais fait lire ce qui avait occupé une grande partie de sa vie.

Il savait qu'Integra, si elle l'avait voulu, aurait pu obtenir un diplôme bien plus prestigieux avec une place honorable et elle aurait pu aussi enseigner dans les plus prestigieuses universités malgré son jeune âge, mais… Elle était sobrement professeur de Lettres Classiques à la Sorbonne. Quadrilingue : anglais, latin, français et grec, dans l'ordre. Mais il y avait quelque chose d'autre dans sa vie.

Certains auraient pu dire : un beau jeune homme, mais Alucard n'aurait jamais été un frein à sa carrière, au contraire. D'autres auraient dit : la vie de famille, en ricanant sans doute. Mais Alucard savait bien.

Integra était une passionnée. Une artiste comme on en faisait plus.

Voyez-vous, elle ne se contentait pas d'écrire trois vers à la va vite dans un café avant de les publier partout à tort et à travers pour la gloire illusoire de deux commentaires positifs.

Integra était le Virgile du XXIième siècle. Mais ce siècle l'ignorait encore. Elle mourrait sans doute jeune encore, terrassée d'une maladie incurable pour l'époque, priant ses compagnons, le priant, de brûler son œuvre jugée inachevée avant de rendre son dernier souffle, rejoignant l'Elysée bien méritée.

Alors, il pourrait porter ses mains et ses yeux impurs, avides et concupiscents sur les pages cornées du futur chef d'œuvre. Il pourrait lire l'oeuvre de la vie d'Integra, cette petite clé qui lui manquait pour comprendre l'énigme qui bouillonnait sous ce grand joli front. Il pourrait juger de la postérité entière de la jeune femme, décidant oui ou non d'offrir son chef d'œuvre aux misérables humains qui l'ont méprisé toute sa vie.

Mais pour l'instant, l'œuvre en question était encore en cours d'écriture. Elle était là, si proche et si inaccessible, à l'image de sa créatrice.

Il l'admirait, vraiment. Elle se tenait là, l'ignorant, plongée complètement dans son ouvrage, le dos droit, les yeux rivés sur le chevalet devant elle, la main, dès fois hésitante, dès fois rapide alors qu'elle couvrait ses pages de son écriture mal assurée. Ses longs cheveux blonds flottant le long de ses épaules nues pour aller cascader en toute liberté sur sa peau d'albâtre. Il sourit. Sa nudité pouvait être vue comme sensuelle, mais… Mais pas sur Integra. Integra, elle, semblait… aussi inaccessible qu'une princesse de conte de fée dans sa grande tour. Ou non… Non, pas une princesse… Une Impératrice, la Reine des Neiges dans sa tour d'éléphantine et de glace. Integra était inaccessible. Et c'était justement ce pourquoi il la voulait.

Il regarda ses sourcils froncés sous l'effort de la concentration et ses lèvres murmurer les mots qui lui semblaient appropriés. Il se demandait ce qu'elle écrivait. Mais rien que la regarder écrire suffisait pour satisfaire sa curiosité malsaine d'elle. Il aimait son regard, d'un bleu clair et profond plongé dans ses mots, dans cet autre monde qu'elle s'ouvrait et dont elle lui claquait la porte au nez. Cet autre monde qu'il ne pourrait jamais envahir. Ce devait être pour cela, au fond, qu'il n'arrivait pas à faire fondre la forteresse. Il resterait toujours le donjon.

Il voulu ouvrir la bouche pour dire quelque chose. Au revoir, chérie. A bientôt. Si tu pouvais être concentrée sur moi aussi. Je ne te plais vraiment pas ? Et si tu me laissais essayer ?

Je t'aime… Oh, si tu savais comme je t'aime…

Il baissa les yeux et sortit, fermant doucement la porte derrière lui, sans un mot.

Quand Integra releva la tête, Alucard avait disparu.