Chapitre I /
Comme tous les 1er Janvier depuis une trentaine d'années, l'orchestre philarmonique de Tokyo organisait un concert de prestige où l'on voyait se presser tout ce que le pays comptait de mélomanes financièrement aisés. Le concert, suivi d'un dîner dansant, était l'un des évènements les plus courus de la ville en cette période de fête.
La nouveauté cette année-là était que l'orchestre jouait dans un opéra tout neuf, une merveille d'architecture construite sur une île artificielle de la baie de Tokyo. Il était relié à la ville par un pont si fin et d'apparence si légère qu'il avait l'air de flotter au-dessus de l'eau. On disait déjà que cet opéra deviendrait aussi connu que celui de Sydney.
Le concert fut un triomphe. C'était couru d'avance et personne n'en doutait connaissant le compositeur. La salle resta debout pendant un quart d'heure à applaudir et à réclamer à grands cris la star de la soirée. On espérait d'autant plus le voir qu'il se faisait extrêmement discret, muet même, enfermé chez lui à composer des morceaux qu'il faisait jouer par d'autres, dans le monde entier.
Quelqu'un avait dû aller lui parler pour le convaincre car il finit par apparaître sur la scène, devant les musiciens de l'orchestre qui l'acclamaient comme les spectateurs. Et chacun de féliciter encore plus fort l'artiste aux cheveux blancs, au corps maigre et voûté qui tentait de rester stable sur ses deux jambes fragiles. Il salua profondément et chacun put remarquer le mal qu'il eut à se redresser. Il prit un micro et prononça quelques mots de remerciements avec un faible sourire gêné qu'une longue vie de triomphes n'avait pas rendu plus assuré. Pourtant, les regards d'admiration dans l'auditoire disaient assez le statut que cet homme occupait mieux qu'une légende, un mythe vivant dont les trois quart de la salle n'avaient pas connu l'époque où il se tenait lui-même sur scène, auréolé de puissance et de gloire derrière une batterie transparente. Il ne restait de cette époque lointaine que des souvenirs, des photos, des vidéos, un film et une poignée de témoins oculaires. Mais la postérité avait joué son rôle et, en ce 1er Janvier 2057, Yoshiki Hayashi venait encore une fois de confirmer que la vieillesse pouvait avoir raison du corps mais pas du talent.
Tout le monde aurait bien voulu avoir Yoshiki à sa table durant le déjeuner qui suivit mais ce dernier n'aimait plus les réceptions. Alors il esquiva habilement la presse et les admirateurs et s'engouffra dans sa voiture. Il indiqua son adresse à la commande vocale du tableau de bord et la voiture se mit en route, parfaitement silencieuse grâce à son moteur électrique dernier cri. Yoshiki pouvait se vanter d'être assez vieux pour avoir connu Tokyo à l'époque des moteurs à essence. Oh les embouteillages étaient toujours là ! Mais plus de moteurs ronflants, plus de gaz, plus de pétrole et ce n'était pas plus mal ainsi.
La voiture fila le long de la ligne de lumière continue qu'était le pont et Yoshiki s'enfonça dans son fauteuil en se remémorant une rétrospective qu'une émission de télé avait diffusé sur sa vie le matin même. Ce genre « d'honneur » lui donnait toujours le sentiment qu'on le faisait parce qu'il était proche de la mort et qu'il ne devait pas partir avant d'avoir vu ce que la postérité allait retenir de lui.
On ne lui avait pas épargné les images de sa période dorée si lointaine à présent qu'elle et ceux qui l'accompagnaient à l'époque lui semblaient appartenir à une vie antérieure. Sans doute, croyait-on qu'après tout ce temps, il ne ressentait plus grand-chose à voir ces images. On se trompait. Ces images- et surtout ces visages ! – provoquaient en lui, depuis quelques années, un regain de chagrin. Il aimait de plus en plus se perdre dans son imagination endeuillée pour retrouver des souvenirs moitié-vécus, moitié inventés de sa jeunesse au milieu de ceux qu'il regrettait tant.
Son téléphone sonna et le visage de son médecin personnel apparut sur l'écran en trois dimensions pour lui rappeler qu'il passerait dans la journée pour les soins quotidiens. « Et par pitié, cette nuit, couchez-vous de bonne heure! Les nuits blanches à 92 ans, ce n'est pas raisonnable ! » Le visage ridé de Yoshiki s'éclaira d'un impertinent sourire. Si l'âge était censé apporter la sagesse, il avait dû rater quelque chose. Cependant, il ne faisait aucune nuit blanche car son corps ne pouvait plus tenir. Il s'endormait sur son bureau tout simplement pour se réveiller le lendemain, perclus de douleurs et prêt pour une énième remontrance de son médecin. A quoi cela pouvait-il lui servir de faire attention à lui à l'âge qu'il avait ? Il avait toujours pris beaucoup de risques avec sa santé, persuadé qu'il finirait par mourir jeune et l'idée ne lui avait pas été désagréable. Au lieu de ça voilà…à 92 ans, il était encore vivant.
Il habitait une belle maison, trop grande pour un seul homme mais il avait toujours considéré l'espace comme un luxe à s'offrir. La voiture s'arrêta toute seule, juste devant le perron et il sortit, le dos douloureux et la jambe traînante mais il pouvait remercier le ciel qu'on lui ait posé cette prothèse de la hanche sans laquelle il ne pourrait déjà plus marcher.
Dans la maison, tout était télécommandé. L'ouverture des portes, les lumières, les appareils ménagers et il disposait d'un androïde de ménage qui pouvait s'acquitter de toutes les tâches qu'il n'avait plus la force de faire. Le robot s'appelait Maki et avait l'apparence d'un majordome. La technologie en la matière avait tellement progressé qu'il était difficile de ne pas faire avec lui comme s'il était vraiment humain.
A peine arrivé, il fila tout de suite dans son bureau. Il n'avait pas faim et il avait du travail à faire encore et toujours. Il aurait très bien pu déléguer tout cela à quelqu'un d'autre mais il s'entêtait à faire beaucoup de choses tout seul. C'était un trait de caractère qui ne datait pas de sa vieillesse d'ailleurs, ne lui avait-on pas souvent reproché d'être seul maître à bord de son groupe ? A présent, il voulait continuer parce qu'il pensait que sinon, il ferait encore un pas de plus vers l'infirmité.
Il s'assit et ouvrit le classeur dans lesquels il rangeait tous les contrats à étudier. Il poussa un léger soupir et enfouit la main dans ses cheveux blancs qu'il n'avait pas beaucoup perdus. Bon alors cet artiste qu'il produisait…son premier album avait fait un carton et il fallait soigner comme il fallait le lancement du deuxième, toujours périlleux après un premier succès. Il jeta un coup d'œil à la pochette choisie par l'artiste et fronça les sourcils. Il avait du talent ce type mais il ne comprenait rien à l'art de mettre son disque en valeur…Non, non il allait parler au concepteur de la pochette et ils reverraient tout ça !
-C'est dingue même après être devenu un vieux schnock, tu continues encore avec ton fichu perfectionnisme !
Yoshiki leva la tête vers la silhouette qui se tenait de l'autre côté de son bureau. A travers elle, on voyait la fenêtre. Il était tel qu'il était lorsqu'il l'avait vu en vie pour la dernière fois. Il portait son bonnet carré multicolore et son pull orange et vert, vraiment passé de mode au regard de l'époque actuelle ! Ses lunettes aux verres jaunes étaient posées sur sa tête et il souriait avec ce sillon caractéristique dans les pommettes. Et sa voix…cette voix nasillarde et expressive qui ne survivait plus que sur des enregistrements antiques transperça son vieux cœur abîmé. Les larmes aux yeux mais sans bouger de sa chaise, sans pousser un cri de frayeur, sans surprise excessive, il couvrit du regard cette apparition et demanda :
-Pourquoi tu es là hide ?
-Parce que tu as eu envie que je sois là pardi ! répondit hide en haussant les épaules comme si tout était parfaitement normal.
-C'est vrai mais ça fait bien soixante ans que j'ai envie que tu sois là. Pourquoi tu n'es pas venu plus tôt ?
Les yeux de hide s'étirèrent en deux amandes malicieuses :
-Et si nous considérions que t'es devenu sénile et qu'en ce moment, tu es en train de parler tout seul à une vision qui n'existe que dans ta tête ?
-Je ne suis pas sûr d'avoir envie de savoir…j'aime tellement l'idée que je sois vraiment en train de te parler. Ca fait si longtemps que parfois je me demande si tout ce que nous avons vécu n'était pas juste un rêve.
- Oh non, c'était vrai crois-moi. Et il y a suffisamment de preuves pour t'en persuader.
- Je n'aurais jamais pensé que je vivrai aussi vieux. Je ne le voulais pas…
Pendant qu'il parlait, Yoshiki abaissa machinalement les yeux sur ses mains. Ce qu'il ne disait jamais, c'était qu'il souffrait à chaque fois qu'il écrivait et composait. Une vie de pratique intensive du piano lui avait donné de l'arthrose aux mains. Il avait dû arrêter le piano et ce jour-là, il aurait voulu mourir. Quant à la batterie, c'était de l'histoire ancienne depuis plus longtemps encore.
Pendant un moment, le silence se fit dans la pièce jusqu'à ce que Yoshiki sente sa tête s'alourdir de plus en plus et les lignes se flouter devant ses yeux. Il fut saisit d'une irrésistible sensation cotonneuse, plus douce qu'un évanouissement.
-Viens avec moi…, murmura la voix de hide, si proche qu'il semblait penché à son oreille.
Yoshiki crut d'abord qu'il était mort. C'était typiquement le genre de lieu qu'il aurait imaginé pour le passage de la vie à l'au-delà. Des sons et des musiques familières résonnaient partout et jusqu'au plus profond de lui. Une voix en particulier…une voix chérie, puissante autour de laquelle la moitié de sa vie avait tourné se faisait entendre comme durant l'époque bénie des Tokyo Dome. Mais tous ces sons se mélangeaient, les uns forts, les autres faibles et il ne voyait rien d'autre qu'un brouillard blanc comme si sa vie devait se raconter par le son et non par l'image.
Et puis tout d'un coup, hide se matérialisa devant lui, bien plus consistant que précédemment dans son bureau.
-Est-ce que je suis mort ?
-Oh non, répondit hide dont le sourire s'élargit.
-Alors où est-ce qu'on est ?
- Dans ton monde. Dans le monde unique et personnel que tu portes à l'intérieur de toi. Ici tout est à toi, tout part de toi et tu peux tout décider. Même ma présence ici vient de ton désir.
- Je ne comprends pas vraiment.
-On s'en fiche non ?
hide se rapprocha lentement, sans que Yoshiki ne bouge d'un orteil. Arrivé près de lui, le guitariste déposa un baiser léger comme un nuage sur ses lèvres :
-Ca c'est pour tout ce que nous avons manqué de faire ensemble autrefois…, murmura-t-il.
Yoshiki recula d'un pas et balbutia :
-hide…je suis vieux, laid, impotent…
Le visage de hide s'éclaira d'un sourire joyeux :
-Ah oui ? Non mais tu t'es regardé ?
Yoshiki abaissa les yeux sur ses mains et eut un sursaut de stupéfaction. Ses vieilles mains raidies par l'arthrose étaient redevenues lisses et souples. Tout son corps, à nouveau fort et jeune, lui semblait parcouru d'un sang neuf. Incrédule, il toucha son visage et ses cheveux : douceur et profusion. Il avait de nouveau 30 ans quand il était au sommet de ses capacités et de sa beauté. Quand il regarda de nouveau hide, ce dernier l'observait avec une infinie tendresse. Yoshiki avait envie de pleurer mais aucune larme ne coula.
-Qu'est-ce qui va se passer maintenant ?
-J'en sais rien, répondit hide en haussant insouciamment les épaules. A toi de choisir.
Tout à coup, plus loin sur la gauche, flottant dans le brouillard, Yoshiki distingua une scène insolite. Quatre silhouettes étaient en train de pousser une grosse voiture d'un très ancien modèle. Assis côté conducteur, un cinquième homme pestait tout ce qu'il savait contre le moteur qui ne voulait pas démarrer.
Bien qu'il ne les distinguât pas clairement, Yoshiki devina sans peine ce qu'il était en train de regarder :
-Mais c'est…
-Nous, compl éta hide.
Mais ce n'était que sa voix qui résonnait à présent tout autour de lui tandis que tous les autres sons avaient cessé. Il s'était volatilisé et Yoshiki commençait à craindre un peu ce monde qui ne semblait obéir à aucune logique.
-C'est chouette non ? reprit la voix de son ami. Un monde où les lois habituelles ne s'appliquent pas. N'aies pas peur, tu es chez toi ici et plus libre que tu ne l'as jamais été.
- Je peux aller les voir ?
- Bien sûr.
Yoshiki s'avança. Sous ses pieds, il ne sentait aucun sol et pourtant il ne tombait pas. La voiture semblait aussi rouler sur du rien. Il reconnaissait parfaitement cette scène. Il avait la vingtaine, c'était l'époque où il traînait X de live en live dans le but de se faire connaître. Tous les moyens étaient bons pour gagner de l'argent qui était aussitôt réinvesti dans un enregistrement ou une opération de promotion. Ils s'entassaient tous les cinq dans un vieux tacot qui tombait en panne une fois par mois et qu'il fallait pousser jusqu'au garage le plus proche. C'était typiquement le genre de choses qui faisait remonter son sale caractère. Il en avait piqué des crises en s'acharnant sur ce fichu moteur ! Plus il s'approchait et plus son rythme cardiaque s'accélérait à mesure que les visages sortaient du brouillard. Comme ça faisait mal de les voir, eux qu'il avait vu mourir les uns après les autres et qu'il tentait désespérément de faire revivre à travers un bouquin…
Malheureusement, il n'eut pas le temps de les rejoindre.
La sonnerie de la porte d'entrée le réveilla en sursaut et il se rendit compte qu'il faisait déjà jour. Il voulut se lever d'un bond pour aller ouvrir mais une violente douleur dans son dos le fit retomber sur son fauteuil. Pendant un instant, il avait oublié qu'il avait 92 ans et non pas 30.
Grimaçant de douleur, il posa les yeux sur son classeur qui était resté ouvert.
Comme il ne pouvait pas bouger et que, dans la maison, tout avait été installé pour qu'il puisse contrôler les choses à distance, il vérifia sur un petit écran posé sur son bureau l'identité de la personne qui venait de sonner et reconnut son médecin. Il lui ouvrit la porte grâce à sa télécommande.
-hide ? appela-t-il. Tu es toujours là ?
Personne ne répondit et il eut beau appeler encore avec un espoir sans cesse diminuant, le guitariste ne se montra pas et Yoshiki se sentit soudain envahit par un immense chagrin. Il aurait presque préféré ne pas connaître ce merveilleux moment où il s'était retrouvé dans son passé et il n'était pas loin de maudire sa trop longue vie.
Monsieur Junnichirô Yagami avait Yoshiki pour patient depuis trois ans et trouvait que Yoshiki était le malade le plus fascinant et le plus difficile à gérer qu'il ait jamais connu. Hélas, il était peut-être le seul à savoir que la santé de la légende était préoccupante : tension trop haute, cœur fragile, fatigue chronique aggravée par le fait que Yoshiki semblait prendre un malin plaisir à tester les désormais courtes limites de son corps. La vieillesse en somme et le médecin, qui avait pris Yoshiki en affection, était pessimiste quant au temps qu'il lui restait à vivre.
En montant l'escalier qui menait au bureau, il entendit Yoshiki parler et appeler hide. Évidemment, il connaissait sa vie et il comprit de qui il s'agissait. Il secoua lentement la tête avec un peu de tristesse. Ce n'était pas la première fois qu'il surprenait son patient en train de parler tout seul à l'un de ses amis défunts. Délire de vieillard, il en avait vu d'autres… Il avait pris le parti de ne faire aucune remarque. Passé un certain point, mieux valait laisser couler mais tout de même, c'était si triste pour un esprit aussi brillant. Il entra, l'air de n'avoir rien entendu et trouva Yoshiki debout, l'air bouleversé. Quand il l'entendit entrer, il tourna vers le médecin un visage où le sourire le disputait aux larmes :
-Monsieur Yagami, je viens de faire un rêve merveilleux.
-Vraiment ? Cela signifie que vous avez dormi et donc que vous êtes fatigués, répliqua le médecin avec une implacable logique. Ca se voit sur votre visage d'ailleurs. Asseyez-vous. Quand j'aurais terminé mon check-up, vous irez vous coucher un peu.
Yoshiki obtempéra mais le médecin constata plusieurs fois qu'il avait l'air de chercher quelque chose dans la pièce. Il fronça les sourcils mais ne dit rien. L'examen révéla comme souvent que Yoshiki était dans un état de fatigue et de nervosité peu recommandable à son âge. Mais quand il lui dit d'aller se coucher, Yoshiki protesta :
-Je n'ai pas sommeil ! Je n'ai envie de rester allongé sur mon lit à m'ennuyer ! Ca vous va si je reste dans mon fauteuil roulant ?
Ledit fauteuil était bien sûr équipé de tous les gadgets nécessaires pour rendre la vie facile à celui qui était obligé de l'utiliser. Yoshiki était pourtant encore capable de marcher- avec difficulté mais il marchait- mais le médecin estima que c'était mieux que rien et l'aida à s'asseoir dans le fauteuil.
Dehors il faisait froid mais le ciel était parfaitement bleu et Yoshiki voulut aller prendre l'air dans son jardin. Monsieur Yagami l'enveloppa dans une couverture puis il l'accompagna dehors. Les promenades dans le jardin faisaient partie de leurs habitudes. Yoshiki estimait qu'à son âge, il n'avait rien à cacher et il profitait de ce confident pour raconter toutes sortes de choses et les revivre en même temps qu'il les racontait. De son côté, le médecin veillait sur lui et recueillait dans sa mémoire les précieux souvenirs d'un homme hors du commun qui allait bientôt s'en aller.
Il avait neigé mais pas assez pour gêner la progression du fauteuil que le maître des lieux manœuvrait à l'aide d'une manette.
Ils discutèrent de choses et d'autres comme d'habitude en passant le long d'une interminable haie qui délimitait la longueur du jardin et le séparait de la route. Peu à peu, Yoshiki entendit monter à ses oreilles un bruit de moteur. Un bruit qu'il avait connu…mais qu'on n'entendait plus depuis des décennies puisque tous les véhicules étaient désormais parfaitement silencieux. Une moto, il en était sûr !
Intrigué, il rejeta sa couverture et se leva sur ses jambes mal assurées. Le médecin le prit tout de suite par le bras :
-Hé ! Où allez-vous comme ça ? Attention le sol est glissant !
-Vous n'entendez pas cette moto ? demanda Yoshiki qui regardait la route par-dessus la haie.
Non…le médecin n'entendait rien du tout et pestait intérieurement contre ce vieux fou qui ne voulait pas rester tranquille.
Et pourtant, Yoshiki entendait cette moto qui se rapprochait de plus en plus. Et il la vit arriver et s'arrêter devant la haie, juste sous son nez. Un modèle qu'on ne trouvait plus que dans les musées : une Harley. Et dessus, un homme d'environ quarante-cinq ans aux cheveux teints en blond, au visage marqué, ridé mais éclairé d'un immense sourire.
-Hey Papy tu serais encore capable de faire un tour ? lança-t-il avec une pointe de zézaiement
Les jambes de Yoshiki se dérobèrent sous lui. Son médecin le rattrapa et le fit rasseoir dans son fauteuil. Le vieil homme n'était pas très lourd. Il le sentit trembler et murmurer ce qui avait l'air d'être un prénom.
-Vous vous sentez mal ? questionna-t-il avec un calme tout professionnel. Vous avez eu un malaise ?
Mais Yoshiki ne répondit pas. Il pleurait en silence. Alors le médecin le ramena au trot à l'intérieur de la maison et le mit au lit sans entendre la moindre protestation cette fois. Il commençait à se douter de quelque chose : des hallucinations…Yoshiki avait fixé la route avec la tête de quelqu'un qui voit un fantôme. Décidemment, ça ne s'arrangeait pas…Il s'assura que Yoshiki était bien au chaud et lui donna des calmants pour le faire dormir.
-Docteur…vous ne l'avez pas vu n'est-ce pas ? Taiji…
- Je ne sais pas de quoi vous parlez Yoshiki…
Le vieil homme ne répondit pas et ferma les yeux. Mais un étrange sourire se fit sur son visage juste avant qu'il ne s'endorme.