Si je traverse la vallée des ténèbres
Harry Potter est la propriété de sa créatrice et des gens à qui elle en a vendu les droits, mais je ne suis pas la première et je ne fais pas partie des seconds : en l'occurrence, je ne suis que la traductrice d'une fanfiction.
Cette histoire a pour auteur Aurette, qui l'a écrite en cadeau pour Dark River Tempest, du site The Petulant Poetess, avec Karelia comme beta-lecteur, et avec le soutien de Dressagrgrrrl et Hebe GB. Vous pouvez la trouver grâce à la liste de mes auteurs favoris, à la page d'Aurette, sous le titre Yea, Though I Walk (ces mots sont tirés de la traduction la plus classique en anglais du psaume 22-23, verset 4 ; j'ai prolongé la citation pour plus de clarté).
1) Trouver
Hermione était assise à la table de la cuisine du Terrier et tâchait de se rendre invisible par son seul souhait. La douleur autour d'elle était si dense qu'on aurait pu l'atteindre et la toucher : elle avait peur d'imploser si on en pressait davantage contre elle.
Elle ne servait à rien. Elle faisait des efforts, mais tout ce qu'elle faisait avait simplement l'air futile. Les Weasley avaient chacun sa façon de gérer la culpabilité et Hermione était complètement impuissante face à cela.
Les funérailles de Fred semblaient avoir eu pour seule conséquence d'empirer la situation. Molly et Arthur n'étaient plus que des coquilles vides et fragiles mais encore belles à leur manière. Ginny et Harry passaient tout leur temps silencieusement accrochés l'un à l'autre et George avait la mine de quelqu'un qui est déjà mort mais ne le sait pas encore. Charlie était reparti en Roumanie après l'enterrement, mais Percy et Bill passaient au moins une fois par jour pour s'efforcer d'être présents pour leur famille.
Hermione s'agitait au milieu de tout cela, tentant de faire ce qu'elle pouvait, mais rien de ce qu'elle faisait ne pouvait soulager leur peine ou la sienne.
Ron était comme une blessure à vif, la repoussant pendant la journée et l'attirant désespérément à lui sous les couvertures pendant la nuit. C'était un moment très mal choisi pour concrétiser leurs sentiments l'un pour l'autre. Elle regrettait qu'ils n'aient pas attendu que ce nuage ait fini de passer, mais dans l'euphorie de la victoire, il n'y avait ni logique ni décision consciente.
Cette première nuit après la bataille, il était venu dans sa chambre, s'était glissé dans son lit et ils avaient finalement consommé leur relation compliquée, murmurant des mots d'amour, de besoin et de chagrin. Il l'avait rejointe au lit chaque nuit depuis. Ils passaient quinze minutes à chercher à tâtons le chemin vers la distraction et des heures à se tenir l'un dans les bras de l'autre à la recherche d'un réconfort qu'ils ne trouvaient jamais. On dormait peu depuis la bataille.
Tandis que les jours s'allongeaient, que leur poids s'alourdissait et que chaque membre de la maisonnée s'enfonçait dans sa propre forme de dépression, Hermione commençait à se sentir de plus en plus désespérée.
« Salut, Hermione, Ron dort encore ? »
Harry entra d'une démarche lasse dans la cuisine et jeta le journal du matin sur la table.
« Salut, Harry. Oui, enfin. Je n'ai pas voulu le déranger. Tu as pu dormir un peu, toi ? »
Il secoua la tête.
« Il y a du thé, dit-elle en tendant la main vers le journal.
– Merci. »
Il se versa une tasse et vint s'asseoir près d'elle, faisant un geste vers le quotidien.
« Si tu ne tiens pas compte de tous les articles délirants sur nous, il n'y a que des enterrements, des cérémonies et ce que dit Kingsley pour couvrir le tout. J'ai quand même vu un truc page quatre auquel tu devrais jeter un coup d'œil.
– Ah ? fit-elle en commençant à feuilleter.
– Sainte-Mangouste a besoin de volontaires. Les équipes sont toujours débordées sous l'afflux des blessés et on manque de personnel. »
Elle leva les sourcils et parcourut la page pour trouver l'article.
« J'ai pensé que ça pouvait t'intéresser, ajouta-t-il. Je sais que tu n'aimes pas trop rester ici à ne rien faire et aucun de nous ne fait une bonne compagnie. »
Hermione leva les yeux vers Harry et vit qu'il la comprenait.
« Merci, Harry, mais non. C'est une bonne idée mais je dois rester ici. Même si je ne fais rien d'autre que préparer du thé et regarder les gens pleurer. »
Harry lui prit la main et la serra.
« Tu te débrouilles bien avec le thé, Hermione. C'est une petite chose mais ça nous aide vraiment. »
Tous deux redressèrent la tête en entendant quelqu'un descendre l'escalier.
Ron entra dans la cuisine en traînant des pieds et Hermione bondit de sa chaise pour lui servir du thé.
« Je pensais que tu dormirais plus longtemps que ça, dit-elle en lui coupant une tranche de pain pour lui faire un toast.
– Moi aussi, répondit-il. T'embête pas avec ça, je n'ai pas vraiment faim.
– Tu dois manger. Ce ne sera pas long.
– Hermione, laisse tomber. Je ne veux rien.
– Mais, Ron...
– Assieds-toi, merde ! l'interrompit-il. Franchement, je ne suis pas en état de gérer ton agitation aussi tôt que ça le matin. »
Il aspira bruyamment une gorgée de thé.
« Quelqu'un d'autre est levé ? »
Hermione s'assit et croisa les mains sur ses genoux avec un gros soupir.
« Ta mère a monté un petit-déjeuner à George. Ton père est parti travailler.
– Il est retourné au travail ?
– Oui.
– Déjà ? » dit-il d'une petite voix, l'air perdu.
Hermione lui prit la main mais il la lâcha après l'avoir brièvement serrée. Il tapa du doigt sur le journal.
« Il y a quelque chose de lisible dans ce torchon ? demanda-t-il.
– Pas vraiment, dit Harry. Il y a un article qui dit que Sainte-Mangouste a encore besoin de volontaires pour aider avec les blessés de la bataille. J'ai pensé que ça pourrait intéresser Hermione. »
Ron se tourna vers elle et la regarda.
« C'est une bonne idée.
– C'est impossible, dit-elle. Tu as besoin de moi ici. »
Elle vit son visage se durcir et demanda doucement :
« N'est-ce pas ? »
Ron soupira et se pencha vers l'arrière.
« Franchement, je pense que ça nous ferait du bien à tous les deux de mettre un peu d'espace entre nous, tu sais. Tu pourrais aider quelqu'un pour de vrai, au lieu de simplement brasser de l'air. Tu devrais y aller », ajouta-t-il en poussant le journal vers elle.
Hermione cligna plusieurs fois des yeux, tâchant d'empêcher son visage de refléter ce qu'elle ressentait.
« Très bien. »
« C'est de la folie, ici, déclara la grande femme corpulente de l'autre côté du bureau, dont l'accent trahissait les origines caraïbes. Nous avons encore des patients sur des lits coincés contre les murs des couloirs. Les salles sont pleines à craquer de gens souffrant de toutes sortes de blessures et de dommages magiques. Il n'y a ni ordre ni logique. Nous avons mis ensemble des blessés aux yeux avec des malades qui ont besoin de luminothérapie. »
Hermione manifesta sa sympathie par un hochement de tête tandis que la guérisseuse Gayle secouait la sienne sous l'effet de la frustration, faisant danser tout autour ses nattes gris d'acier.
« Je suis très heureuse que vous soyez venue, Miss Granger, mais, j'en ai peur, si vous n'êtes là que pour vous faire de la publicité, ce n'est pas le bon boulot. Nous avons besoin de monde pour faire le travail ingrat. Notre personnel et même nos elfes de maison sont complètement débordés. Nous avons besoin de monde pour apporter les plateaux-repas et aider ceux qui n'y arrivent pas tout seuls à se nourrir. J'ai besoin que les bassines et les draps soient changés et nettoyés, que les patients soient lavés le plus souvent possible. Tout ça ne vous permettra pas d'être dans le journal.
– Je ne veux pas être dans le journal, dit Hermione en fronçant les sourcils. Je veux juste me rendre utile. »
La sorcière lui lança un regard si direct que ses yeux dorés semblaient clouer Hermione sur sa chaise. Elle fit enfin un hochement de tête bref et déterminé.
« Quand pouvez-vous commencer ? »
Hermione sourit. C'était la première fois qu'elle souriait depuis des jours.
« Maintenant ?
– Formidable ! Venez avec moi, je vais vous montrer qui vous devrez suivre. J'espère que vous apprenez vite.
– En fait, j'apprends si vite que c'en est agaçant, dit Hermione avec un petit sourire.
– J'étais comme ça moi aussi, répondit la guérisseuse Gayle en riant. Je pense que c'est bon signe. ».
Hermione sortit de la cheminée et se débarrassa des cendres.
« Bon sang, Hermione, t'étais où ? »
Elle leva les yeux, perplexe.
« À Sainte-Mangouste, tu sais bien.
– Tout ce temps ? T'as raté le dîner !
– Ron, dit-elle en jetant un regard circulaire sur le salon vide, c'était ton idée que j'aille apporter mon aide là-bas. Ils ont besoin de beaucoup d'aide.
– Ouais, mais je ne pensais pas que tu serais partie toute cette fichue journée ! »
Elle soupira et pendit sa cape à côté de la cheminée.
« Eh bien, si. Et demain aussi, et tous les jours à venir jusqu'à nouvel ordre.
– Sérieux ? Et moi, alors ?
– Comment ça, « et toi alors » ? s'exclama-t-elle en se retournant et en le fixant avec colère. C'est toi qui m'as reproché de brasser de l'air toute la journée et qui m'as quasiment flanquée dehors ce matin. Qu'est-ce que tu veux exactement ? Il faut que tu me le dises parce que je commence à avoir mal à la tête à force de te tourner autour pour essayer de comprendre ! »
Il la regarda avec des yeux pleins de ressentiment.
« C'est bon, oublie, murmura-t-il en sortant d'un pas lourd.
– Ça, c'est de plus en plus facile ! » cria-t-elle après lui.
Hermione s'installa sous les couvertures et souffla la chandelle. Ginny s'était déjà glissée hors de la chambre qu'elles partageaient pour aller rejoindre Harry, elle savait donc que Ron était en chemin. Peut-être que si elle faisait semblant d'être déjà endormie, il comprendrait qu'elle ne voulait pas être dérangée.
Pas de chance. La porte s'ouvrit, se ferma et Ron la heurta en se laissant tomber sur le lit.
« Je n'aime pas ça. J'ai besoin de toi ici.
– Ron, on a tourné en rond toute la soirée sur ce sujet. Tu as besoin de moi ici pour te sentir aimé. Je comprends, et je t'aime, vraiment. Mais Lavande Brown a besoin de moi pour l'aider à aller dans la salle de bain. Cho Chang a besoin de moi pour la nourrir parce que ses mains sont encore brûlées jusqu'à l'os. Mrs Springlander a besoin de moi pour que son tuyau d'alimentation reste propre. Il n'y a personne pour faire ce genre de choses ! C'est horrible ! Il y a tant de gens blessés ! »
Elle s'assit et l'entoura de ses bras, mais il restait raide et réticent.
« Viens avec moi. Juste pour quelques heures. Harry et Ginny peuvent rester veiller sur George et aider un peu ta mère. Ça te fera du bien de sentir que tu peux faire une différence.
– Est-ce que tu es en train de dire que je ne fais aucune différence ici ? demanda-t-il en sautant du lit.
– Non ! répondit-elle avec agacement en tirant ses cheveux en arrière. Ron, je ne dis rien de tel. C'est juste que moi, j'ai besoin de faire ça. Pourquoi en parles-tu comme si je faisais un truc affreux alors que c'était ton idée ? demanda-t-elle en secouant la tête. Arrêtons de nous battre. Aucun de nous ne veut vraiment ça. On se fait du mal, là, c'est tout.
– Tu as raison », dit-il en s'asseyant sur le lit.
Il souleva la couverture et se glissa auprès d'elle.
« C'est juste que c'est tellement dur de perdre quelqu'un comme ça. Tu ne comprends pas ce que ça me fait à l'intérieur. »
Hermione ravala ses larmes et roula loin de lui. Il se blottit contre elle par-derrière et referma ses bras autour d'elle.
« Je t'aime, Hermione.
– Je t'aime aussi, Ron », dit-elle dans un soupir en se décontractant contre lui.
Il ne répondit pas et se contenta de presser son sexe qui se durcissait contre les fesses d'Hermione.
Elle ferma les yeux dans un froncement de sourcil.
« Je trouve que ça rend super bien ! déclara Hermione en tenant le miroir aussi immobile qu'elle pouvait.
– J'ai presque envie de prendre une photo, dit Lavande en riant.
– À la vitesse où tu guéris, tu devrais la prendre maintenant, ça ne sera plus aussi spectaculaire demain. Tu devrais peut-être demander à ta mère d'apporter un appareil, non ? »
Lavande inspectait son visage dans le miroir. Pour moitié, il était gonflé et bosselé, avec la peau neuve toute rose et brillante là où elle avait été brûlée. L'autre moitié était parfaite. Elle passa un dernier coup de mascara sur les cils de son œil droit.
« Oui. Je veux montrer ça à mes petits-enfants. Tu crois qu'une ligne pointillée pourpre au milieu en bas, ça ferait trop ?
– Laisse tomber, la différence est déjà assez spectaculaire comme ça, dit Hermione dans un rire en reposant le miroir sur la table.
– Comment va Ron ? » demanda Lavande d'une voix un peu trop neutre.
Hermione soupira. Ron était le sujet tabou entre elles depuis qu'elle avait commencé une semaine auparavant.
« Franchement ? Il ne va pas bien. Aucun d'entre eux ne va bien. Je ne suis pas sûre que qui que ce soit dans le monde sorcier aille bien. »
Elle leva les mains et les laissa retomber sur ses genoux.
« Il devient froid. Il ne veut pas laisser sortir son chagrin, il est trop occupé à être tout pour tout le monde. Je ne sais pas comment l'aider. Rien de ce que je fais ou dis n'est d'aucune aide et je me retrouve juste coincée là, à le regarder souffrir
– C'est pour ça que tu passes tant de temps ici ?
– Sans doute, répondit Hermione en faisant une grimace. Mais les astuces de maquillage sont un plus ! ajouta-t-elle en se levant et en redressant d'un geste rapide les draps de Lavande. Harry et moi, nous les emmenons, Ginny et lui, pour voir un film moldu ce soir. J'espère que ça le distraira un peu. »
Lavande repoussa sa trousse de maquillage et Hermione la prit pour la poser sur la table voisine.
« Eh bien, dis à Ron que j'ai demandé de ses nouvelles. Juste en amie. J'espère qu'il s'en sortira sans tarder.
– Je lui dirai, promit Hermione en lui pressant la main. Je suis certaine que ça, ça le fera sourire. Est-ce que tu veux que je te rapporte quelque chose quand je reviendrai demain matin ? demanda-t-elle déjà debout.
– Rien ne me vient à l'esprit. Merci, Hermione. Pour tout, ajouta Lavande avec un regard clair et direct.
– C'est un plaisir pour moi. Sincèrement », dit-elle avant de passer de l'autre côté du rideau avec un dernier geste d'au-revoir.
Elle se dirigea vers l'entrée de la salle et sortit son sac garni de perles de sa poche pour chercher les tickets de cinéma. Elle avait juste le temps de passer à la maison pour se changer avant le début de la séance.
Au détour d'un couloir, elle fut presque renversée par une Midge O'Riordan complètement hors d'elle.
« Granger, je sais que tu voulais partir tôt mais est-ce que tu peux apporter ça à Mrs Dayre ? Elle est dans la 209, je crois. C'est juste un rab' de soupe. Elle voulait qu'on la resserve, mais la guérisseuse Gayle a besoin de moi tout de suite pour lister les réserves de potions du troisième étage. Elle dit que le catalogue est un vrai foutoir et qu'ils vont se retrouver à court de certains trucs.
– Pas de problème, dit Hermione en se saisissant du plateau.
– Merci ! »
Hermione fit demi-tour et revint sur ses pas. Mrs Dayre était dans la salle 3 la dernière fois qu'elle en avait entendu parler, mais au fur et à mesure que les patients sortaient, ceux qui restaient étaient répartis trop vite pour qu'elle pût rester au courant sans consulter les dossiers.
Elle trouva la 209 et vit l'inscription « Isolation ». C'était sûrement un reliquat du malade précédent, car ils n'auraient certainement pas envoyé un bénévole avec de la soupe sinon. Elle tourna la poignée et poussa la porte avec la hanche pour l'ouvrir.
« J'espère que vous n'avez pas attendu trop longtemps, Mrs Day... Oh ! Mon Dieu ! Mais qu'est-ce que tu fais ? Qu'est-ce que tu fais, bon sang ? Va-t'en de là ! »
Hermione lâcha le plateau sur la table qui jouxtait la porte et se précipita vers le lit. Le professeur Rogue y était allongé, nu, apparemment incapable de réagir alors que Michael Corner attrapait au hasard des mèches de cheveux et les coupait avec sa baguette.
Rogue avait l'air d'être presque totalement immobilisé, seule sa poitrine se soulevait. Des tubes dans sa bouche et son cou l'empêchaient de parler mais il n'en avait pas besoin : la fureur qui brillait dans ses yeux était parfaitement éloquente.
Aussitôt qu'il la vit, ses yeux passèrent de furieux à humiliés puis à assassins en un instant.
Michael la regardait comme si elle était devenue folle.
« Je lui coupe les cheveux, c'est tout. J'arrive pas à les garder propres. Les guérisseurs ont dit que je pouvais.
– Mais couvre-le, au moins ! Pour l'amour de Dieu, tu ne peux pas lui laisser un peu de dignité ? s'exclama Hermione en ouvrant le placard pour y prendre un drap.
– On peut pas ! Ses nerfs sont atteints ! Ça lui fait mal quand on lui touche la peau. De toute façon, ce n'est jamais que Rogue. »
Michael souleva une autre mèche de cheveux et Hermione vit une grimace de douleur sur le visage de l'ancien directeur.
« Ses cheveux sont attachés à sa peau, espèce de crétin ! Tu lui fais mal ! Arrête ! Mais arrête, merde ! »
Elle sortit sa baguette et visa. Michael trébucha et tomba par terre en essayant de se mettre hors de sa ligne de tir. Hermione leva simplement les yeux au ciel et utilisa sa baguette pour faire monter toutes les barrières qui entouraient le lit. D'un geste brusque, elle fit sortir un drap et le disposa sur les barrières, afin de couvrir la nudité de Rogue sans lui faire mal.
« Note ce que tu dois sur le dossier et dégage de là », lança-t-elle d'un ton vindicatif tandis qu'elle fixait le drap pour éviter qu'il ne glissât.
Michael lui jeta un regard mauvais en se relevant. Il s'empara du dossier du patient et commença à gribouiller dessus avec la plume à encrage automatique qui y était attachée.
« Ne crois pas que je ne vais pas aller parler de ça à la guérisseuse Gayle, Granger.
– Fais bien attention de ne pas oublier le moment où tu dis « ce n'est jamais que Rogue », répliqua-t-elle avec hargne. Prends ce plateau, cherche dans quelle chambre se trouve à présent Mrs Dayre et apporte-le-lui. »
Quand Michael fut parti avec le plateau, Hermione se mit à trembler de manière incontrôlable. Les émotions qui dansaient sous la surface depuis des semaines menaçaient de jaillir d'elle d'un coup, dans une crise majeure d'hystérie. Severus Rogue était en vie. Après tout ce qu'ils avaient traversé et tout ce qu'elle avait essayé de gérer, la vue de cet homme particulier réduit à si peu de choses la brisa.
Elle alla à l'endroit où Rogue était appuyé contre des oreillers et commença à ôter avec des gestes doux, sans le toucher, les cheveux qui avaient atterri sur ses épaules.
« Je suis désolée, professeur. Est-ce que vous allez bien ? »
Il ne répondit pas. Il était juste allongé sur le lit, l'air faible, pâle et horriblement maigre. Sa bouche était coincée avec du sparadrap autour du tuyau qui le nourrissait et il y avait un drain partant de son cou blessé vers un petit flacon fixé à un piquet à côté du lit. Sa poitrine continuait à se soulever péniblement et son visage était écarlate mais ses paupières étaient fermées avec obstination. Elle regarda le réseau de lignes qui se développait autour de ses yeux. Il paraissait tellement plus âgé que lorsqu'il était son professeur, un peu plus d'un an plus tôt.
Lorsqu'elle vit le scintillement d'une larme prisonnière de ses cils charbonneux, elle perdit ce qui lui restait de contenance et s'effondra sur une chaise derrière elle. Elle mit ses bras autour de son ventre et commença à pleurer.
« Je ne savais pas que vous étiez en vie... Je ne savais pas. Oh, mon Dieu, je vous ai laissé là-bas alors que vous étiez en vie ! »
Elle inspirait de l'air par grandes gorgées entre ses propos presque incohérents.
« Je suis tellement désolée, monsieur, tellement désolée ! »
La tête entre les genoux, elle sanglota pendant cinq bonnes minutes, complètement incapable de réagir ou de s'arrêter. Quand le pic de sa peine fut passé, elle releva le front de sa robe rayée bleu et blanc de bénévole et essuya son visage.
« Bon, dit-elle dans un hoquet. Tout ceci est inutile, humiliant et, si je vous connais un peu, extrêmement agaçant. » Elle frissonna, tâcha de reprendre ses esprits et de rester professionnelle. « Vous ne pouvez guère m'ordonner de sortir de la chambre, ou partir vous-même dans un mouvement tourbillonnant de vos robes en claquant la porte. » Elle avala sa salive et renifla. « Mes excuses, monsieur. J'ai été complètement bouleversée en vous voyant. Je suis si contente que vous soyez en vie. » Elle se leva avec un peu de peine, essuya ses yeux avec sa manche et prit le dossier. « OK, voyons voir. Vous venez d'avoir un bain et du linge propre. Vous êtes nourri grâce au tuyau. Vous n'avez pas besoin de médicaments pour l'instant. » Elle tourna la page. « Voyons ce à quoi vous faites face. » Elle lut en diagonale la page du guérisseur, sautant les passages techniques et se concentrant sur les mots qu'elle comprenait.
Le professeur Rogue était paralysé sous l'effet du venin de Nagini. Ses seuls mouvements volontaires semblaient être ceux de ses yeux et de son pouce droit. Sa peau était hyper-sensible, ce qui impliquait l'utilisation de sortilèges spéciaux sur le lit en-dessous de lui afin de le maintenir en lévitation légère. Son ouïe était excellente, de même que sa vue. Elle parcourut la partie des pronostics et vit qu'on s'attendait à une guérison lente mais définitive, tout en craignant des dommages irréversibles sur ses cordes vocales. Elle soupira et remit en place le dossier sur son support. Elle tourna la tête et vit qu'il l'observait avec un regard impénétrable.
« Très bien, je vais juste vous poser quelques questions et ensuite, je vous laisserai en paix. Est-ce que vous pouvez cligner des yeux ? »
Il s'exécuta.
« Très bien, nous dirons donc un clignement pour « oui », deux pour « non » et une série de clins d'œil furieux pour « Granger, allez vous faire foutre ailleurs qu'ici », c'est d'accord ? »
Il cligna une fois des yeux.
« Avez-vous mal quelque part ? »
Un clin d'œil.
« C'est votre peau ? »
Oui.
« L'enchantement sur le lit marche-t-il ? »
Deux clins d'œil et un soupir de soulagement.
« Très bien, professeur. Je m'en occupe tout de suite. » Elle sortit sa baguette et murmura « Nuntius ». Un jet de lumière bleue traversa la pièce et passa sous la porte. Elle se tourna à nouveau vers lui et vit de la gratitude dans ses yeux. « Je ne pense pas que j'ai envie de savoir depuis quand les sorts avaient lâché », dit-elle doucement.
Il cligna de l'œil une seule fois, lentement.
« Avez-vous mal autre part ? »
Oui.
« C'est interne ? »
Non.
« Votre cou ? »
Non.
Elle se mit à énumérer lentement les parties du corps. « Les mains ? Les bras ? Les jambes ? Les pieds ? La tête ? »
Quand elle arriva à la tête, il cligna de l'œil une fois.
« Ce sont vos cheveux ? »
Oui.
« Est-ce que cela vous fait très mal ? »
Oui.
Elle rougit. « Michael vous faisait-il une faveur en les coupant ? Ce serait tout moi, ça, de m'être précipitée sur la mauvaise conclusion. »
Il leva les yeux au ciel, visiblement d'accord avec elle, mais indiqua « non ». Dieu merci.
« Très bien, je ferai aussi savoir cela au guérisseur. »
Elle se retourna en entendant la porte s'ouvrir et le guérisseur Pye entra avec une grande agitation.
« Que se passe-t-il ? demanda-t-il en s'approchant à grands pas et en s'emparant du bloc-notes.
– Les sorts sur le lit ont lâché, dit-elle. Il est allongé sur sa peau et souffre beaucoup. De plus, il a subi la moitié d'une coupe de cheveux, comme vous pouvez voir, et maintenant, son cuir chevelu aussi lui fait mal. »
Elle s'écarta tandis que le guérisseur Pye jetait toute une série de sortilèges qu'elle ne pouvait suivre. Il écrivit quelque chose sur le dossier à chaque fois.
Enfin, il renouvela l'enchantement sur le lit et Hermione vit le professeur s'élever de quelques centimètres. Il poussa un gros soupir et lui lança un regard de profonde gratitude qui la fit presque pleurer à nouveau.
« C'est le venin, voyez-vous, dit Pye distraitement. Ça a attaqué ses nerfs. Les potions que nous avons développées sont en train de réparer les dégâts, mais la douleur s'approche de celle du Doloris. Jusqu'à ce que nous ayons évacué le venin de son système, il est pour ainsi dire insensible à tout traitement antalgique. De fait, j'ai dû nécroser certains nerfs de son cou juste pour pouvoir traiter la blessure. Un bel exemple d'ouvrage magique délicat, si j'ose le dire moi-même. Une affaire compliquée, mais le boulot est fait. » Il remit le dossier en place et se tourna vers elle. « En dehors de son cuir chevelu, y a-t-il eu d'autres plaintes ? »
Les sourcils d'Hermione se levèrent : elle était surprise qu'il lui demande à elle et non au patient. Elle tourna la tête vers Rogue et il cligna deux fois des yeux, réussissant en un regard à lui transmettre des paragraphes entiers sur l'opinion qu'il avait du guérisseur Pye. Elle eut un sourire amusé et dit :
« Non. C'étaient ses principaux sujets de préoccupation.
– Bon. Pour son cuir chevelu, je veux que vous lui administriez un Sortilège d'Épilation. Ses follicules sont abîmés et continueront à le faire souffrir à moins que nous n'allégions la pression. Ses cheveux lui font sans doute mal depuis plusieurs jours et personne n'y a pensé jusqu'à présent. Bon travail. En y réfléchissant, continuez et enlevez-lui tous les poils du corps. »
Hermione ouvrit grand les yeux et fit brutalement tourner sa tête vers Rogue. Il lui rendit son regard avec horreur. Elle ne l'avait jamais vu avec des yeux si larges.
« Je repasserai plus tard pour vérifier son état. Bon travail... euh... fit-il en regardant l'étiquette qu'elle portait, Miss Granger. Oh, dites-donc, vous n'êtes pas de la famille d'Hermione Granger, n'est-ce pas ?
– Non, dit-elle en clignant furieusement des yeux. Je ne suis pas de sa famille.
– Ah bon. D'après Rita Skeeter, elle court après la lumière des projecteurs, à présent. Elle n'aurait jamais le temps de venir nous aider ici. C'aurait été un joli coup de relations publiques, pourtant. »
Le guérisseur marcha vers la porte pendant que Rogue et Hermione échangeaient un regard de complète incrédulité.
« Excusez-moi, guérisseur Pye ?
– Oui ?
– Combien de temps ses nerfs vont-ils encore rester comme ça ? La sensation du Doloris...
– Difficile à dire. Il y a quelque chose dans sa signature magique qui ralentit le processus. J'aurais dit que ça aurait déjà dû diminuer, mais maintenant ? Je pense qu'il a reçu le Doloris tant de fois qu'il a développé une tendance à ça. Ça ne devrait plus durer trop longtemps », conclut-il en haussant les épaules avant de quitter la chambre.
Hermione se retourna vers Rogue et vit le même regard de profonde gratitude dans ses yeux. Ils étaient vraiment incroyablement expressifs. Elle s'approcha du lit.
« Personne ne vous avait dit combien de temps cela allait durer, n'est-ce pas ? »
Non.
« Pensiez-vous que c'était permanent ? »
Oui.
Les larmes lui montèrent aux yeux. « Ça ne l'est pas. Votre dossier dit qu'à l'exception de vos cordes vocales, vous devriez vous remettre complètement. Vous ne serez pas paralysé pour toujours, professeur. Vous finirez par partir d'ici, je vous le promets. »
Il ferma les yeux et encore une fois, elle vit de l'humidité sur ses cils. Elle secoua la tête.
« Est-ce que personne ne vous a rien dit du tout ? »
Il rouvrit les yeux et la regarda, impuissant. Puis, en clignant lentement des yeux, il fit « non ». Elle se remit à pleurer.
« On a gagné, monsieur. Voldemort est mort. Vous avez réussi à nous passer votre dernier message juste à temps pour tout changer. Vous êtes un héros. »
En entendant cette dernière affirmation, il se mit à cligner furieusement des yeux. Elle décida qu'il tentait de ne pas céder à trop d'émotions et que ce n'était pas pour lui dire d' « aller se faire foutre ». Elle frotta ses propres yeux et leva sa baguette.
« Allez, débarrassons-nous de cette douleur. » Elle se concentra sur sa chevelure, dont une moitié était longue et plate et dont l'autre avait l'air d'être passée dans une scieuse à bois. Elle grimaça. « Vous ressemblez à un poulet à moitié plumé. Je suis désolée que ça vous fasse mal. J'aime assez vos cheveux. Ils ont toujours ajouté à votre personnage. Je n'ai aucune envie de les voir disparaître. »
Refusant de croiser son regard, elle murmura : « Depilo ».
Quand elle vit le résultat, elle fut horrifiée et éclata en sanglots hystériques. « Oh, mon Dieu ! Putain ! Vous avez l'air atroce ! Seigneur ! Vous ressemblez à un oisillon ! Tout en bec et tout déplumé. » Elle baissa les yeux vers lui avec horreur, se rendant compte de ce qu'elle venait de dire.
Il lui rendait son regard en fronçant les sourcils.
« Oh, merde ! Vous n'avez même plus de sourcils ! Vous ne pouvez plus les froncer ! J'ai tué votre froncement de sourcils ! » s'écria-t-elle avec une horreur renouvelée.
Il la regarda avec un mélange de colère et de surprise. Elle supposa qu'elle devait avoir l'air quelque peu dérangée.
« Est-ce que vous vous sentez mieux ? Dites-moi que ça en valait la peine ! »
Il cligna une fois des yeux.
« Dieu merci, parce que vous avez l'air... »
Ses yeux se plissèrent dangereusement et les mots moururent dans sa gorge.
« Bien. Je pense que vous avez compris l'idée. Il va juste falloir attendre que ça repousse, hein ? »
Elle prit une grande respiration et replia soigneusement le drap suspendu au-dessus de son corps jusqu'à ses hanches. Elle répéta le sortilège, ignorant la façon dont son torse étroit se tâchait de rouge. Rogue pouvait rougir comme personne. Cela avait sans doute un rapport avec son teint de cachet d'aspirine.
Les poils noirs épars sur sa poitrine disparurent, de même que ceux qu'il avait aux aisselles et, après deux autres passages, ceux de ses bras. Elle fit une pause pour poser les yeux sur l'ombre de sa Marque des Ténèbres, sur l'intérieur de son avant-bras gauche. Elle était sombre et semblait en colère et Hermione eut l'impression qu'elle s'apprêtait à bouger. Elle frissonna et détourna le regard.
Elle fit remonter le tissu au-dessus de ses épaules et alla au bout du lit, repliant le drap pour découvrir ses jambes. Elle fut frappée par l'élégance remarquable des pieds de Rogue. Ils étaient longs, fins et gracieux. Elle n'avait jamais fait attention à des pieds auparavant. Ceux de Ron étaient larges et carrés. C'étaient tout simplement des pieds. Les pieds de Rogue, eux, étaient vraiment... beaux.
Elle inspira un grand coup et replia le drap par sections, les traitant au fur et à mesure.
Elle termina les jambes et tourna la tête vers lui. Son visage était encore écarlate et ses yeux dansaient à la limite de la colère. Sans le regarder, elle replia le drap plus haut et lança le sortilège. Elle remit sa baguette dans sa manche et commença à faire redescendre le tissu, le fixant droit dans les yeux tout le temps. L'indignation colérique se transforma en gratitude, mêlée d'humiliation.
« J'ai lavé des corps de toutes formes et de toutes tailles depuis que j'ai commencé à travailler ici il y a une semaine, dit-elle sur le ton de la conversation. Je sais que ça doit être terriblement embarrassant pour vous. Je crois que j'ai atteint le summum de l'embarras à la fin du deuxième jour et depuis, c'est juste devenu une partie du boulot. C'est bizarre, quand on y pense. J'ai passé les deux dernières années à détester Lavande Brown parce que Ron est sorti avec elle en sixième année. J'ai dû lui donner le bain trois fois, maintenant, parce qu'elle a été chopée par un maléfice d'explosion pendant la bataille finale. Ça remet les choses en perspective. »
Elle finit d'ajuster le drap et se redressa.
« Quelqu'un va devoir vous donner le bain, professeur, et tous les bénévoles sont vos anciens élèves. Il y aura peu de dignité là-dedans, mais si ça peut vous aider, tout le monde n'est pas aussi dépourvu de bon sens et de sentiment que Michael Corner. Pour la plupart, nous sommes là parce que nous voulons aider. La douleur et la souffrance qui vous entourent sont terribles. Vous n'êtes pas le seul. Au moins, vous ne faites pas partie de ceux qui sont coincés sur des chariots dans le couloir. Nous avons encore une vingtaine de patients qui attendent d'être transférés dans une salle. »
Elle le regarda dans les yeux. Il avait l'air ridicule sans cheveux ni sourcils. Elle n'avait pas imaginé qu'il était possible de rendre cet homme encore moins attirant.
« Je vais demander à la guérisseuse Gayle s'il est possible d'affecter un elfe de maison pour s'occuper de vos besoins les plus intimes. Je pense que vous méritez autant de dignité que nous pouvons vous en laisser. »
Il la regarda avec une expression qu'elle ne comprit pas.
« Est-ce que vous vous sentez plus à l'aise ? »
Oui.
« Bon, dit-elle en prenant le bloc-notes pour y noter ce qu'elle avait fait. Alors, ça vaut bien notre embarras collectif, je trouve. Voudriez-vous que je vous rapporte de quoi lire demain ? Je peux improviser un truc pour suspendre quelque chose au-dessus du lit. C'est pour tourner les pages que ça risque d'être un peu problématique, mais je vais penser à une solution. »
Ses yeux s'adoucirent et il fit un clignement.
« Fiction ? »
Non.
« Poésie ? »
Non.
« Témoignage ? »
Non.
« Manuel ? »
Il lui jeta un regard aigre.
« Sûrement pas La Gazette du Sorcier ? »
Oui.
Elle le regarda avec tristesse.
« Oh, monsieur, vous êtes sûr ? C'est complètement déprimant. »
Il captura son regard et cligna lentement des yeux.
« Très bien. Voulez-vous tous les numéros depuis la bataille ? »
Oui.
« D'accord, acquiesça-t-elle dans un soupir. Mais promettez-moi que vous ne tiendrez pas compte de toutes les bêtises qu'ils racontent sur moi. Je suis soit une héroïne, soit une putain, ça dépend des jours. Il n'y a pas moyen de leur faire plaisir. Je vous reverrai demain, professeur. Je suis très heureuse que vous soyez en vie. Je ne peux pas vous dire à quel point j'étais perturbée à l'idée que vous étiez mort en pensant que nous vous détestions tous. »
Il la regarda un long moment, puis ferma les yeux et ne les rouvrit pas.
Elle remit en place le bloc-notes et s'en alla.
La suite, la semaine prochaine et en attendant, n'hésitez pas à laisser un commentaire !