Désolé pour l'attente! Il s'est passé beaucoup de choses, et puis, bon... on s'en fout de mes excuses, non? Alors voici la suite!
Bonne lecture!
POV: Furuichi
Tatsumi et moi sommes sur le toit de l'école, en train de déjeuner. Je finis la moitié de mon bento comme à l'habitude. Je songe avec lassitude que je n'ai pas encore regagné tout mon appétit. Vais-je le ravoir un jour, ou suis-je condamné à ne plus aimer manger pour le restant de ma vie?
Je mets cette interrogation de côté et me concentre sur la chose qui me tracasse depuis ce matin. C'est dans un coin de ma tête depuis un moment déjà, mais avant aujourd'hui, je n'avais pas le courage d'y penser sérieusement. Maintenant, je pense que j'aurai la force de mettre mon idée à exécution. Mais pour ce faire, je dois d'abord demander l'avis de mon petit ami :
- Tatsumi, j'ai pensé à quelque chose...
Il me jette un regard interrogatif et je m'explique :
- Je... je me sens plus à ma place dans ce lycée... En fait, je m'y suis jamais senti à ma place... et, euh, je sais pas comment te le dire, mais je pense que c'est le temps que je change d'école... Comme ça, j'arriverai enfin à tourner la page... Tout dans ce lycée me rappelle... l'incident, et je voudrais enfin l'oublier... J'essaie peut-être juste de fuir, et ça règlera surement rien, mais j'ai envie d'essayer... Pour la première fois depuis l'incident, j'ai vraiment envie de m'en sortir.
- Non, je veux pas que tu partes, Takayuki, j'ai besoin de toi!
Je reste un moment abasourdi par la véhémence de sa réplique et je me retourne vers lui. Ses yeux se plongent dans les miens et, pour la première fois depuis hier, j'ai peur de lui. Une terrible angoisse me prend au cœur alors que je constate toute sa possessivité, toute sa violence. J'ai tendance à l'oublier, mais c'est un délinquant, il utilise ses poings plus souvent que sa tête. Je sais bien qu'il ne les utilisera jamais contre moi, mais tout de même, depuis l'incident, les choses ont changé. Ses yeux me rappellent ceux de mon agresseur, cette nuit-là, qui me regardait avec un désir animal, brutal. J'ai beau me dire que c'est mon meilleur ami, mon amoureux, qu'il ne me fera aucun mal, je suis quand même effrayé.
Tatsumi fait un geste vers moi et, sans le vouloir, j'ai un mouvement de recul. Je pensais que j'avais au moins réglé mon problème de peur avec lui! Je vois bien sur son expression qu'il est blessé par ce geste, et je sens la culpabilité empoigner mon cœur. Il ne me laisse toutefois pas le temps de réfléchir plus : il s'approche à nouveau de moi et, cette fois-ci, je ne réagis pas. Il me fait tomber sur le dos et monte à califourchon sur moi. J'ai peur, affreusement peur, mais je ne dis rien. Après tout ce que je lui ai fait subir, je n'ai pas le droit de reculer maintenant!
Mes yeux se ferment avec vigueur et je m'offre tout à lui. Mon cœur bat la chamade sous la tension et j'attends avec impatience qu'il fasse quelque chose. Tatsumi, je t'en prie, embrasse-moi, caresse-moi ou relâche-moi, mais fais quelque chose! Il approche sa bouche de mon oreille et me murmure :
- Takayuki, tu m'appartiens, okay? T'as pas le droit de t'en aller, t'as pas le droit de me laisser tout seul! Qu'est-ce que je ferais sans toi? Je... Je t'aime, Takayuki!
Sur ce, je le sens se déplacer et déposer sa bouche sur la mienne. J'essaie de répondre à son baiser, mais c'est le vide dans ma tête. Je sens des larmes qui coulent le long de mes joues. Tout ce que je vois, sous mes paupières fermées, c'est le sourire sadique de mon agresseur. Je ne suis pas guéri. J'ai été stupide de croire l'inverse. Je ne suis pas guéri et je fais souffrir Tatsumi. C'est ma faute si on en est rendu là. Si je ne l'avais pas embrassé la première fois, notre relation serait restée celle que nous avions auparavant et Tatsumi ne souffrirait pas autant.
Il relâche ma bouche et je l'entends se relever. Bientôt je ne sens plus du tout sa présence sur moi. Je garde les yeux fermés un moment, puis je me relève un peu et essuie mes larmes. Alors que je me remets de peine et de misère de mes émotions, un bruit de collision me parvient jusqu'aux oreilles. Je lève la tête et aperçois Tatsumi, près du mur, qui frappe celui-ci avec ses poings. Un coup, puis deux, puis trois, puis quatre. Je rassemble finalement le courage pour me relever et m'approcher.
Je reste à une distance respectable et regarde mon petit ami s'acharner sur le béton. Ses mains sont déjà en sang, mais il continue de frapper. Il frappe et frappe, comme s'il tuait à répétition mon agresseur, et je vois dans ses yeux que c'est exactement ce à quoi il pense. Je voudrais intervenir, mais je ne sais pas comment. Je ne le reconnais pas. Il me fait infiniment peur, il est la colère et la violence incarnée. Son jugement est tellement voilé par la haine que je ne doute pas une seconde qu'il pourrait me faire du mal sans le vouloir.
C'est en ce moment que je réalise enfin que Tatsumi aussi est traumatisé par l'incident. Il m'a vu alors que je venais de me faire violer, il n'a pas pu me sauver à temps, tout cela a laissé des marques indélébiles dans son esprit. C'est sans compter que, depuis tout ce temps-là, il est là pour moi. Pas une seule fois il ne s'est plaint, pas une seule fois il ne s'est laissé aller. Contrairement à moi qui me laissais sombrer dans ma tristesse, lui n'a pas eu la chance d'exprimer ses émotions. C'est peut-être bien la seule façon pour lui de se défouler.
Je décide donc de ne pas intervenir. Au bout d'un moment, je suis tout de même inquiet : ses mains doivent être dans un sale état depuis le temps qu'il frappe. Alors que je tergiverse sur la réaction la plus utile à prendre en ce moment, ses poings retombent enfin le long de son corps. Il reste immobile, sans un son ni un mouvement. Je ne suis pas capable de lire son expression : la haine et la colère l'ont complètement quitté, il ne reste plus aucune émotion dans ses traits.
Je me positionne entre le mur et lui et lève le regard sur son visage. On dirait qu'il ne me voit pas du tout. Ses yeux sont complètement dans le vague, comme s'il regardait une chose qui m'est invisible. Doucement, tout doucement, je pose mes doigts sur sa joue. Il réagit enfin : son visage se crispe légèrement sous ma caresse et son regard se pose enfin sur moi. J'en profite alors pour prendre ses deux mains dans les miennes. Je les approche de ma bouche et commence à en lécher le sang qui coule. Il me regarde faire sans rien ajouter. Le gout n'est pas très appétissant en soi, mais je m'attarde quand même pour bien étendre la salive – il s'agit d'une bonne méthode pour désinfecter, apparemment, et je n'ai rien de mieux pour l'instant.
Lorsque j'ai fini, je laisse retomber ses mains et le regarde à nouveau dans les yeux. Il ne fait rien, ne dit rien. Il commence sérieusement à me faire peur : je ne suis pas habitué à le voir exprimer si peu d'émotion. Je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle il est si peu expressif tout d'un coup, mais je suis certain que ce n'est pas une bonne nouvelle. J'empoigne son visage de mes deux mains, encore une fois très doucement, mais il n'a toujours aucune réaction. J'appelle son prénom à voix basse, jusqu'au moment où il me voit enfin. Soudainement, ses yeux s'inondent d'émotions, mais je n'arrive pas à bien saisir lesquelles exactement. La peur, le soulagement, l'amour, la honte? Je n'en ai aucune idée, mais une chose m'est évidente : il me semble au bord des larmes.
Je ne l'ai jamais vu pleurer, maintenant que j'y pense. J'ai toujours été celui de nous deux qui pleurait. Lui, même petit, retenait toujours ses larmes. Un vrai homme ne pleure pas, c'est ce qu'il répétait. Pourtant il veillait sur moi qui pleurais sans jamais me le reprocher. Je pleurais pour deux, toujours, je pleurais sa part de peine. Encore maintenant, mon visage s'inonde de ses larmes, de celles qu'il n'a jamais pu verser. Je le regarde et je pleure sans vraiment comprendre.
Puis il me fait un sourire, un doux sourire. Je n'en pleure que plus fort. Pourquoi est-il toujours celui qui me console? Pourquoi, même quand il est celui qui souffre, essuie-t-il mes larmes avec un sourire? Comment peut-il être aussi fort, alors que je craque toujours?
Je me laisse glisser sur le sol et il suit mon mouvement. Ma tête trouve son chemin jusque dans son cou, où je pleure de nouveau à chaudes larmes. Il me prend doucement dans ses bras, caresse mes cheveux. Au bout d'un moment, j'essaie d'articuler ce qui me reste sur le cœur :
- Pourquoi? Pourquoi tu me consoles toujours? Pourquoi c'est encore moi qui pleurs, alors que... alors que c'est toi qui souffres!
Il ne me répond pas, mais ramène mon visage proche du sien pour me regarder dans les yeux. J'arrête de pleurer et je contemple un moment ses pupilles. Je comprends, maintenant, je comprends enfin. C'est pour lui que je pleure. Comme il n'en est pas capable, je le fais à sa place. Il me demande, sur un ton qui se veut doux :
- Takayuki, changer d'école te permettrait vraiment de guérir?
Je baisse le regard sans répondre. Je ne sais pas, il y a de bonnes chances pour que ça ne règle rien du tout. Qu'en sais-je exactement? Peut-être même que ça va être pire qu'avant!
- On s'appellera tous les jours, qu'il ajoute à voix basse. On pourra se voir pendant les weekends. Tu pourras venir me voir et j'irai te voir des fois aussi. Tu viendras passer du temps chez moi pendant les vacances du jour de l'An, la Golden Week et les vacances d'été.
- On... on pourrait partir ensemble, non? Que je propose d'une voix tremblante.
Il ricane doucement et me répond :
- Takayuki, j'ai pas le niveau pour aller nulle part ailleurs, tu sais bien!
- On pourrait essayer de trouver une école qui t'accepterait...
- Takayuki, regarde-moi!
Je lève le regard enfin et rencontre de nouveau le brun de ses yeux. Dire que c'est moi qui ai d'abord proposé de partir et je suis maintenant celui qui ne veut plus! Reprends-toi, Takayuki! Tu veux guérir, oui ou non? Je secoue la tête légèrement, puis je lui réponds enfin :
- Tatsumi, t'es mieux de pas me tromper, okay?
Il empoigne mon visage doucement, le rapproche du sien, puis me murmure, juste avant de m'embrasser :
- Idiot, je veux personne d'autre que toi.