Première partie

Les Bennet, les Lucas de même que tous les habitants du coin se réjouissaient de ce qu'un jeune célibataire vint tout juste d'acquérir l'une des plus belles propriétés de la région. Sans que personne ne l'ait encore vu, on le déclarait déjà beau, riche et doté du meilleur caractère qui soit. Les chefs de famille se battaient tous pour obtenir le droit d'aller lui rendre visite et être les premiers à lui souhaiter la bienvenue. Seul monsieur Bennet restait de marbre lorsque son épouse le pressait d'aller saluer le jeune homme. Rien, pas même le fait de savoir qu'il avait cinq filles à marier ne put le convaincre d'aller visiter celui que sa femme considérait déjà comme son futur gendre. Selon elle, monsieur Charles Bingley, car tel était le nom du jeune homme, était tout désigné pour sa fille aînée Jane compte tenu du caractère aimable de celle-ci et de sa grande beauté. Monsieur Bennet, quand à lui, préférait de loin leur seconde fille, Élizabeth, puisqu'il reconnaissait chez elle, non seulement les marques d'une intelligence dont son épouse était totalement dépourvue, mais également une beauté qui sans être aussi éclatante que celle de sa sœur aînée, résidait dans l'heureux mariage qu'offraient les traits de son visage et l'éclat particulier de ses yeux. De ses trois dernières filles, monsieur Bennet n'avait pas grand chose à dire, si ce n'est qu'il les considérait comme les trois plus sottes de la région. Kitty et Lydia, les deux plus jeunes, n'avaient que les garçons en tête alors que Mary, dont les traits n'avaient rien d'agréables passait tout son temps à parfaire son éducation musicale et intellectuelle sans posséder le sens artistique nécessaire pour atteindre la perfection ni le jugement adéquat pour la guider dans ses choix de lectures.

Ayant caché à sa femme et à ses filles qu'il était déjà allé saluer leur nouveau voisin, monsieur Bennet s'amusa pendant presque trois jours à entendre les plaintes perpétuelles de son épouse à l'égard de son manque de convenance. Doté qu'il était d'un très grand sens de l'humour, il attendit le moment opportun pour lui annoncer la bonne nouvelle. La rapidité avec laquelle sa femme pouvait changer d'humeur le fascinait. Sous l'effet de la surprise, elle oublia subitement que ses nerfs la faisaient souffrir pour se mettre à danser et s'écrier qu'elle avait épousé non seulement l'homme le plus extraordinaire du monde, mais également le meilleur père. Puis, réalisant qu'elle ne disposait que de quelques jours pour préparer ses filles à leur première rencontre avec le jeune homme, elle recommença à se plaindre de tous les maux de la terre.

Deux jours plus tard pourtant, les cinq jeunes filles étaient toutes parées de leurs meilleurs atours. Jane et Élizabeth étaient particulièrement en beauté au dire des tous ceux et celles qui furent témoins de leur arrivée au bal organisé en l'honneur de monsieur Bingley. Les langues allaient bon train et les discussions tournaient toutes autour du nombre de convives qui devait également accompagner le jeune homme. Avisés que certains membres de sa famille séjournaient avec lui, les habitants apprirent ainsi qu'un autre célibataire possiblement très riche viendrait au bal avec eux.

Ceux dont tout le monde parlait virent à peine d'entrer et déjà tous les yeux se tournaient vers eux avec curiosité.

Monsieur William Lucas, fut le premier à se ressaisir et ce faisant, son tout premier geste, avant même de se rendre saluer monsieur Bingley et ses amis, fut de faire signe à l'orchestre de reprendre la musique.

Également occupée à dévisager les invités, Élizabeth Bennet s'approcha discrètement de sa sœur aînée et de sa complice de toujours Charlotte Lucas, pressée qu'elle était d'entendre leurs commentaires au sujet des nouveaux venus.

La première personne dont discutèrent les trois jeunes filles fut nécessairement monsieur Bingley. Elles furent subjuguées par son sourire lumineux et par ses yeux pétillants d'excitation. Écoutant avec attention les paroles de bienvenue que lui adressait cérémonieusement son hôte, Charles Bingley examina successivement chacune des personnes de l'assemblée sans vraiment arrêter son regard sur aucune d'elles. Il fut cependant incapable de résister à ce qui semble être le plus joli bouquet de cette soirée. Conscientes d'être observées, Élizabeth, Jane et Charlotte, reportèrent temporairement leur attention sur leurs carnets de bal et sur les noms que ceux-ci contenaient déjà.

-Je serais très heureux de rencontrer tous vos amis monsieur Lucas ! Répondit le nouveau venu à son hôte.

-Bien, allons-y, monsieur Bingley, veuillez me suivre. L'invita monsieur Lucas en entraînant son invité vers un premier groupe.

Pendant que monsieur Lucas présentait le jeune homme, les jeunes filles reçurent enfin, à travers les premiers échos de la rumeur locale, de précieuses informations au sujet des autres invités de monsieur Bingley.

Outre le fait de savoir maintenant à combien estimer la fortune de leur nouveau voisin, les jeunes filles en apprirent davantage sur ceux qui l'accompagnaient; on leur confia que la plus grande des femmes est sa sœur cadette et qu'au grand drame des mères marieuses présentes, elle était également célibataire; elles apprirent ensuite que la plus petite des femmes est la sœur aînée de monsieur Bingley et qu'elle était accompagnée de son époux qui n'avait ni bonnes manières ni belle apparence. Il ne restait plus qu'à obtenir de l'information sur le couple étrange qui restait à l'écart derrière les autres invités. Élizabeth se demanda quel lien pouvait unir cette toute jeune fille et l'homme qui se tenait derrière elle. Occupés qu'ils étaient à discuter ensemble, il semblait y avoir entre eux une grande intimité et une grande complicité. Lorsqu'ils cessèrent de converser l'un avec l'autre, la jeune fille détacha son regard de son élégant compagnon et se mit à observer les gens du village. Élizabeth remarqua aussitôt le changement qui s'opéra dans son attitude et dans celle de son compagnon. Là où, chez la jeune fille, Élizabeth reconnut les effets de la candeur et de la timidité, elle fut toute étonnée de percevoir clairement dans le regard de son compagnon des sentiments que seul un jugement défavorable pouvait faire naître.

-Lizzie, comment se fait-il que nous n'ayons aucune information sur l'homme que se tient derrière monsieur Bingley et sur la jeune fille qui l'accompagne? Demanda Jane à sa sœur.

-Je ne sais pas.

Revenant auprès de ses deux amies après être allée discuter avec sa mère, Charlotte Lucas s'approcha d'Élizabeth et Jane, les yeux pétillants de malice.

-Voilà qui est intéressant. L'homme qui accompagne monsieur Bingley se nomme William Darcy et la jeune fille qui reste près de lui est sa sœur Georgianna. On le dit beaucoup plus riche que son ami et il est également célibataire. Les deux hommes sont inséparables paraît-il.

Les jeunes filles cessèrent de parler lorsqu'elles réalisèrent que monsieur Lucas venait tout juste de présenter le jeune homme au groupe qui était à côté d'elles. Plus que quelques secondes et ce sera leur tour.

-Monsieur Bingley voici quelques unes des plus belles jeunes filles de la région. Voici, d'abord Charlotte ma fille aînée - d'ailleurs, vous avez déjà rencontré la plus jeune - ensuite voici les deux filles aînées de monsieur et madame Bennet: mesdemoiselles Élizabeth et Jane Bennet.

Amusées, Jane et Élizabeth firent leur révérence en cœur. Devant l'air agréable de monsieur Bingley, Élizabeth s'exclama la première : Retenez bien nos noms car dans moins d'une heure vous passez un examen.

-Mieux vaut être prévenu! Et que gagnerais-je à obtenir une note parfaite?

-Le droit de danser plus d'une fois avec la jeune fille de votre choix au lieu de danser avec toutes les jeunes filles présentes au moins une fois.

-Il n'est pas dans mes habitudes d'être lié par les convenances. Rétorqua celui-ci en éclatant de rire. D'ailleurs, mademoiselle Jane, si vous n'avez pas d'autres engagements, j'aimerais bien que vous m'accompagniez pour ma première danse de la soirée. Après tout n'ai-je pas déjà fait l'effort de retenir votre prénom? Quant à vous mademoiselle Élizabeth, je vous réserve immédiatement la dernière danse et vous verrez bien alors si je ne me souviens pas de votre prénom.

-Jane trouvera bien un moyen de vous le faire oublier. À moins que le fait de me voir danser avec un autre d'ici là ne vous le fasse oublier volontairement. Répliqua Élizabeth d'un ton moqueur.

-Ne l'écoutez pas monsieur Bingley, ma sœur est la meilleure danseuse de la région.

Entendant soudainement les premières mesures d'une nouvelle pièce musicale, monsieur Bingley offrit son bras à Jane et la conduisit vers la piste de danse. Charlotte s'éloigna à son tour au bras d'un autre partenaire tandis qu'Élizabeth s'installa à l'écart pour mieux observer tous et chacun.

Musique et danses se succédèrent. Monsieur Bingley dansa avec plusieurs jeunes filles au grand ravissement de leurs mères respectives. Une fois son devoir accompli, Bingley retourna vers Jane et l'escorta jusqu'à ses sœurs qui furent vraiment curieuses de faire sa connaissance. Jane fut interrogée par tous les membres de leur petit groupe et discuta un long moment avec Caroline Bingley. Georgianna Darcy et son frère lui furent également présentés au moment où celui-ci s'approcha pour réclamer une danse à mademoiselle Bingley.

Le nombre de femmes étant grandement supérieur au nombre d'hommes, plus d'une fois les jeunes filles se retrouvèrent sans partenaires.

Alors qu'elle était assise avec sa sœur Mary, Élizabeth observa attentivement l'ami de monsieur Bingley. Celui-ci n'avait invité aucune jeune fille de la région à danser et ne recherchait la compagnie de personne d'autre que les membres de son petit groupe. Elle en était là dans ses réflexions, lorsque Charles Bingley se dirigea vers son ami avec un air faussement irrité.

-Darcy, je ne comprends pas ton attitude. Allez, viens, trouve toi une partenaire, je veux te voir danser.

-Non merci Charles. Ta sœur est engagée en ce moment et je ne connais aucune autre jeune fille avec laquelle j'aimerais danser.

-Balivernes! La salle est pleine de belles jeunes filles.

-Une seule peut être qualifiée de jolie et elle est déjà monopolisée par toi.

-Tu as raison, elle est merveilleuse. C'est un ange! Mais, quelques unes sont également jolies. D'ailleurs, je me souviens en avoir rencontré une autre qui pourrait te plaire. Ah, voilà, je l'ai retrouvée. Retourne toi doucement vers ta droite, elle ne danse pas en ce moment.

-De qui donc parles-tu?

-À droite, derrière toi, elle est assise sur la troisième chaise, juste à côté du laideron qui porte des lunettes. Il s'agit de la sœur de mon ange et elle s'appelle Élizabeth! Et elle n'est pas seulement agréable à regarder, elle a beaucoup d'esprit! Allez Darcy, un mot de ta part et je m'arrange pour qu'elle te soit présentée?

-Elle est tolérable en effet, mais définitivement pas assez jolie pour me tenter! D'ailleurs, je ne suis pas d'humeur à m'occuper des jeunes filles délaissées par les autres hommes. Vole vers ton ange et laisse-moi seul. Tu n'arriveras à rien avec moi! Conclut-il avec irritation.

N'ayant perdu aucun mot de la discussion entre les deux hommes, Élizabeth resta d'abord sans voix. Elle était si surprise par l'attitude de l'ami de monsieur Bingley que la peine ressentie tout d'abord en entendant les commentaires du jeune homme s'estompa rapidement pour céder la place à la colère. Arrivèrent ensuite l'indifférence et l'amusement. Voyant maintenant la chose sous un angle plus philosophique, elle partit rejoindre Charlotte Lucas à l'autre bout de la salle et lui raconta l'événement avec toute la verve et l'esprit dont elle était capable. Après avoir convenablement respecté ses engagements avec ses partenaires de danse, Élizabeth vient retrouver sa sœur Jane alors qu'elle était pleine discussion avec mademoiselle Darcy.

-Élizabeth, laisse-moi te présenter mademoiselle Georgianna Darcy, elle me demande ce qu'il y a d'intéressant à faire dans la région et je pense que tu es mieux placée que moi pour lui répondre.

-Enchantée mademoiselle Darcy.

-Enchantée mademoiselle Bennet.

-Je vous en prie, appelez-moi Élizabeth. Autrement j'aurais l'impression d'être vouvoyée par l'une de mes jeunes sœurs.

Élizabeth et Georgianna se retrouvèrent seules lorsque Jane dut aller rejoindre son prochain partenaire.

-Vous avez d'autres sœurs que Jane mademoiselle Bennet? Oh, pardon! Élizabeth?

-Oui, nous sommes cinq et ne cherchez pas plus loin, au dire de mon père, nous sommes les plus sottes de la région.

-Au moins avez-vous l'intelligence de le reconnaître.

-En effet! Et vous mademoiselle Darcy, faites-vous partie d'une grande famille?

-Non, je n'ai pas cette chance. Je n'ai plus que mon frère. Mais vous l'avez déjà rencontré je pense?

-Non, pas encore.

-Alors, venez, je vais réparer cette erreur.

-Je ne voudrais pas vous offenser, mais je ne crois pas que ce soit une très bonne idée.

-Pourquoi donc.

-Parce que je ne crois pas être capable de le distraire de son ennui. Votre frère n'a vraiment pas l'air de s'amuser.

-J'ose croire que c'est parce qu'il ne vous a pas encore rencontrée.

-Pardonnez-moi d'insister, mais je crois qu'il vaut mieux laisser votre frère décider s'il veut oui ou non participer à cette soirée. Parlons plutôt de vous. Combien de temps pensez-vous rester dans la région?

-Quelques semaines tout au plus.

-Très bien! Alors dites-moi ce que vous aimez et je vais essayer de vous trouver des distractions dignes de vous.

-J'aime la musique, la lecture, le chant, le dessin et l'équitation.

-C'est bien peu de choses en vérité. Rétorqua Élizabeth en s'esclaffant. Je sens que nous allons bien nous entendre. J'aime également la musique, la lecture, le chant, mais je n'ai aucun talent pour le dessin et aucun goût pour l'équitation. À vrai dire, d'ailleurs, je n'ai pas beaucoup l'occasion de développer mes talents dans les trois premiers domaines. Peut être allez vous pouvoir m'aider.

-Je suis certaine que vous êtes trop modeste et que pourrions nous instruire mutuellement.

-Que diriez-vous de venir me rendre visite durant votre séjour ici? Nous pourrions commencer par faire de la musique ensemble et je pourrais également vous faire visiter la région.

-Oui, cela me plairait vraiment beaucoup. Veuillez m'attendre ici, je vais aller en parler à mon frère. Je vous en prie, restez ici, j'aimerais tant en profiter pour venir vous le présenter.

-Sans vouloir vous offenser aucunement mademoiselle Darcy, je vous répète que ce n'est pas une bonne idée.

-Alors, laissez-moi tout de même allez lui en parler.

Aussitôt Georgianna partie à la recherche de son frère, Élizabeth décida d'aller voir où en était sa sœur avec monsieur Bingley et se retrouva plutôt coincée entre deux jeunes hommes qui la réclamèrent comme partenaire à tour de rôle.

Occupée à tourbillonner, Élizabeth, était particulièrement bien placée pour observer chacun des nouveaux venus. Son attention fut tout à coup attirée par la scène qui se passa entre Georgianna et son frère loin dans le fond de la salle. Darcy fixait les danseurs avec hauteur tandis que Georgianna argumentait et discutait inutilement.

«Mais pour qui se prend-il celui-là pour oser traiter les gens comme il le fait? Il faut absolument que j'arrive à reparler à Georgianna, il faut à tout prix éviter qu'elle se fasse gronder à cause de moi».

Retenue sur la piste de danse par le dernier nom inscrit sur son carnet de bal, Élizabeth attendit la fin de la danse pour regagner sa place. Une fois libérée, elle se retrouva entourée de Jane, de monsieur Bingley et de ses sœurs. Après avoir participé distraitement à la discussion, Élizabeth partit à la recherche de Georgianna. Elle l'aperçut enfin derrière une colonne et elle vint pour lui adresser la parole lorsqu'elle réalisa que celle-ci était encore en pleine conversation avec son frère.

-Pardonne-moi Georgianna, mais ma tâche, en tant que frère aîné, est de te protéger, j'estime qu'il est de mon devoir de te mettre en garde contre des gens que nous ne connaissons que depuis peu de temps...

Il s'arrêta tout net lorsqu'il vit Élizabeth apparaître devant lui. Sans perdre sa contenance, il la dévisagea avec froideur et mépris.

-Pardonnez-moi, Georgianna, je vous croyais seule...

Sans un regard pour le frère, Élizabeth exécuta une rapide révérence, sourit à Georgianna et se prépara à faire demi tour. Reprenant soudainement ses esprits, Georgianna entreprit de présenter sa nouvelle amie à son frère.

-Non, Élizabeth attendez. Elle ajouta en se tournant vers son frère : William, je te présente Élizabeth, oh, pardon, voici mademoiselle Bennet.

-Élizabeth! Voilà le nom que je cherchais. Sauvé par Georgianna. S'écria Charles Bingley en arrivant près de leur petit groupe. Vous voyez bien que je me souviens de votre nom... Alors, nous y allons? Je ne souhaite plus attendre à la dernière danse pour vous avoir comme cavalière?

-Avec plaisir monsieur Bingley.

Pendant toute la durée de la danse, Élizabeth fut incapable de se concentrer sur autre chose que sur la colère qu'elle ressentait envers celui qu'elle considérait déjà comme l'être le plus égoïste et égocentrique de sa connaissance.

«De quel droit peut-il disposer ainsi de sa jeune sœur et décider de ses fréquentations? Celle-ci peut bien n'avoir aucune confiance en elle.»

-Vous semblez préoccupée mademoiselle Bennet?

-Pardonnez-moi. Je songeais à la sœur de votre ami. J'aime beaucoup cette jeune fille.

-Elle est charmante en effet et mon ami est bien fier d'elle. À propos, quelle note donneriez-vous à mon ami, mademoiselle Bennet?

-Je ne souhaite pas répondre à cette question. Je ne livre jamais mes premières impressions, surtout si elles sont défavorables.

-Vous savez, Fitzwilliam est un autre homme lorsqu'il est dans son élément.

-Ah oui? Difficile à croire. Quel est son élément au juste?

-Il préfère les soirées plus intimes.

-Entouré de gens qui correspondent à ses critères et qui pensent comme lui?

-Écoutez, je ne puis le défendre correctement - si vous ne me dites pas ce que vous lui reprochez...

-De ne pas avoir le goût de s'amuser sans doute et de tout faire pour que sa sœur fasse de même.

-Georgianna fait bien de se fier à son frère, il se trompe rarement et c'est l'être le plus honnête que je connaisse.

-Et vous l'écouteriez s'il vous disait que ma sœur et moi sommes de vilaines et mauvaises filles?

-Certainement. S'il avait des preuves. Répondit-il en s'esclaffant.

-Monsieur Bingley, je suis particulièrement heureuse d'avoir fait votre connaissance et je souhaite que nous ayons la chance de nous revoir d'ici peu de temps. Le remercia Élizabeth au moment où l'orchestre plaquait l'accord final de leur danse.

-Moi de même mademoiselle Bennet. Donc j'ai réussi l'examen. Quel est mon pointage?

-Votre note est si élevée que je préfère la garder pour moi. Vous seriez gonflé d'orgueil et il faudrait voler pour vous rattraper.

-Je ne sais pas quelle note vous avez donnée à mon ami, mais en tant que nouveau diplômé, je vous demande simplement de lui accorder une seconde chance.

-Encore faut-il qu'il veuille faire l'effort d'étudier la matière...

À nouveau seule, Élizabeth rechercha Georgianna des yeux. Elle venait de la repérer lorsque Jane arriva au devant d'elle.

- Lizzie, comment trouves-tu monsieur Bingley?

-Plutôt intéressant - pour l'instant. Rétorqua Élizabeth malicieusement.

-Comment ça «plutôt» intéressant et pourquoi «pour l'instant», puis-je savoir ce que tu veux insinuer?

-Absolument rien. Il est parfait. Voilà, tu es contente maintenant.

-Et comment trouves-tu ses sœurs?

-Oh, là, je suis moins sûre de te faire plaisir car je n'ai pas ta nature généreuse. Je ne crois pas qu'elles soient à leur place ici. Pas plus que monsieur Darcy d'ailleurs.

-Lizzie, dis moi que ce que Charlotte m'a raconté n'est pas vrai? Je n'arrive pas à croire que monsieur Darcy ait pu parler de toi comme ça. Tu as mal compris, c'est certain! Trouvant sa réponse dans le mouvement de tête de sa sœur, Jane ajouta : Alors, c'est qu'il ignorait que tu pouvais l'entendre, sinon il n'aurait pas parlé ainsi.

-Chère Jane, au cas où tu ne l'aurais pas encore compris, les gens mesquins existent tu sais. Élizabeth enchaine immédiatement pour éviter que sa sœur ne réplique : Non, tais-toi. Laisse-moi me débrouiller avec cette histoire. Aide-moi plutôt à trouver mademoiselle Darcy. Je la cherchais justement lorsque tu es arrivée. Oh, mais nous avons de la visite. Monsieur Bingley.

-Monsieur Bingley, vous devriez avoir honte. Rétorqua Jane en se tournant vers le nouveau venu. Ma sœur me dit que vous lui avez marché sur les pieds deux fois pendant votre danse. Vous allez perdre des points, beaucoup de points.

-Justement je voudrais me reprendre. Me ferez-vous l'honneur de m'accorder la prochaine danse? Oh, et puis tant pis, les trois prochaines si ce n'est pas trop vous demander?

-Deux, il ne vous en reste que deux. Les autres sont déjà réservées. L'une par votre beau-frère, l'autre par votre ami.

-Je peux pardonner à monsieur Hurst car il est marié, mais pas à Darcy. Je vais le provoquer en duel.

-Négocier serait moins dangereux vous ne trouvez pas?

Tout en écoutant la discussion des deux jeunes gens, Élizabeth se remit à balayer la salle du regard à la recherche de Georgianna. Celle-ci était seule et se tenait debout près de la porte qui donnait accès à la terrasse. Dès que sa sœur et son partenaire se furent éloignés, Élizabeth s'approcha de la jeune fille.

-Mademoiselle Darcy, de deux choses l'une, ou bien vous souffrez du manque de partenaire ou vous n'aimez pas la danse?

-Il s'agit bien d'un mélange des deux raisons Élizabeth.

-Alors Georgianna, avez-vous obtenu la permission de venir me rendre visite chez moi bientôt?

-Eh, en fait, je suis justement occupée à méditer sur la réponse de mon frère.

-Il a refusé?

-À la vérité, il n'a exprimé ni refus, ni acceptation. Élizabeth haussa les sourcils, attendant sagement la suite. Il a simplement dit qu'il souhaitait mieux vous connaître avant de me donner son avis.

-Prudente réponse. Se moqua Élizabeth en roulant des yeux.

-Vous n'approuvez pas? S'inquiéta la jeune fille.

-Ce que je pense n'est pas important. C'est ce que vous en pensez-vous qui importe.

-Je ne sais qu'en penser justement. C'est là tout le problème.

-Alors votre frère a eu raison de vous dire d'attendre.

-Pourquoi cela?

-Puisque vous n'avez pas d'opinion vraiment arrêtée sur le sujet, il est normal de vous fier sur celle de quelqu'un d'autre. En l'occurrence, sur celle de votre frère aîné.

-Vous estimez donc que je n'aurais pas dû le consulter?

-Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Soupira Élizabeth avant de reprendre son explication : Je constate simplement que nous sommes très différentes l'une de l'autre. Pour ma part, je suis de nature indépendante et plutôt rebelle; j'accepte difficilement l'opinion des autres. Et encore plus lorsqu'elle est différente de la mienne. À vrai dire, je suis habituée à me fier à mon propre jugement; Tenez, regardez Jane et moi, nous sommes pratiquement du même âge et malgré qu'elle soit mon aînée, il m'est arrivé à plusieurs reprises de lui servir de conscience; à cause de mon esprit critique je suppose.

-Comme j'aimerais vous ressembler davantage. Ajouta la jeune fille en soupirant profondément.

-Commencez par apprendre à faire confiance à votre instinct. Pour ce qui est de mon invitation, ne vous en faites pas, il sera toujours temps de nous voir, puisque vous resterez quelques temps dans les environs. Ne vous inquiétez pas, j'arrangerai quelque chose. Je vous le promets.

-Merci Élizabeth, notre conversation m'a fait beaucoup de bien. J'avais tellement peur de vous décevoir en vous rapportant la décision de mon frère.

-Mais, c'est que je n'ai pas l'intention de lui pardonner. Répondit Élizabeth en s'esclaffant.

-Georgianna, je vous cherchais partout. L'interpela Charles en s'approchant des deux jeunes femmes. C'est le moment de notre danse. Pardonnez-nous mademoiselle Élizabeth.

-Allez-y, je suis habituée de vous voir tous me quitter sans raison valable. Rétorqua Élizabeth théâtrale.

-Vous êtes incorrigible.

Restée seule, Élizabeth se perdit dans ses pensées. Elle songeait à la situation de Georgianna. Elle ne fut donc pas en mesure de remarquer que William Darcy venait de fixer son attention sur elle et qu'il s'en approchait doucement.

-Pardonnez-moi, mademoiselle Bennet, me ferez-vous l'honneur de m'accorder cette danse, nous sommes les seuls de nos deux groupes à ne pas danser paraît-il? Lui demanda-t-il enfin en lui tendant le bras comme s'il était certain d'obtenir son accord.

-Vous vous trompez monsieur Darcy, Jane n'est pas encore sur la piste de danse. D'ailleurs, si vous voulez bien m'excuser, je dois aller lui demander si je dois oui ou non accepter votre invitation. Devant l'air étonné de Darcy, elle s'empressa de conclure : Seulement, si j'étais vous, je ne compterais pas trop sur son approbation, elle a beau avoir accepté de danser avec vous plus tard, cela ne veut pas dire qu'elle acceptera que sa jeune sœur fasse de même, surtout si peu de temps après avoir fait votre connaissance. Pardonnez-moi, monsieur Darcy. Ajouta-t-elle après l'avoir correctement salué.

En quittant un monsieur Darcy ahuri et perplexe, Élizabeth se retira sur la terrasse en proie à une émotion très vive. Elle se pencha sur le bord du balcon et essaya de se calmer.

«Cela ne va sûrement pas m'aider à établir une relation d'amitié avec Georgianna. Et le pire, c'est que je pourrai pas lui en vouloir.»

Que lui importait d'être soudainement devenue "digne de l'intérêt" du jeune homme, ce n'était pas cette victoire illusoire qu'elle savourait, mais plutôt la chance inouïe de lui rendre la monnaie de sa pièce et de lui faire comprendre qu'elle n'était pas dupe de son emprise sur sa jeune sœur. Une fois calmée, elle se promit tout de même d'être plus prudente à l'avenir et de réagir avec moins d'impulsivité.

«Après tout, cet homme est le meilleur ami de mon "futur beau-frère". Il me faut penser à Jane comme à Georgianna.»

Forte de cette résolution, Élizabeth regagna la salle de bal et répondit au sourire chaleureux que Jane lui fait en prenant congé de son dernier partenaire de danse. Sans même vérifier dans son carnet de bal, Jane devina l'identité de son prochain cavalier à la lueur sombre qu'elle vit soudainement apparaître dans les yeux d'Élizabeth qui la regardait toujours. Mal à l'aise, Jane se retourna pour faire face au jeune homme, répondit avec bienveillance à son sourire et se laissa gracieusement conduire sur la piste de danse.

-Vous ne dansez pas beaucoup monsieur Darcy?

-Je préfère la discussion à toute chose mademoiselle Bennet.

-Il me semble entendre ma sœur Élizabeth.

-J'ai effectivement pu constater qu'elle n'a pas la langue dans sa poche.

-Elle est aussi très impulsive.

-Je dirais plus agressive.

-Elle est rarement agressive sans raison valable.

-Il faut donc qu'elle me reproche quelque chose.

-Si vous me permettez, j'ai cru comprendre que vous avez interdit à votre sœur d'accepter son invitation?

-Ce n'est pas vraiment cela. J'ai seulement émis le souhait de rencontrer votre sœur personnellement avant de lui donner une réponse.

-Vous n'avez donc pas confiance en Georgianna?

-Certains événements m'ont donné raison de me méfier, non pas du jugement de ma sœur, mais de l'intention des gens qui recherchent son attention.

-Vous n'avez rien à craindre de ma sœur, monsieur Darcy.

-Je suis tout disposé à vous croire. Seulement, j'ai bien peur que les manières brusques de celle-ci, son impulsivité, comme vous dites si bien, ne fassent pas partie des qualités que je souhaite encourager chez ma sœur.

-Vous ne sauriez être plus clair, monsieur Darcy. Seulement, ne comptez pas sur moi pour informer Élizabeth de votre décision. D'autant plus que je suis convaincue que votre opinion lui donne raison de vous avoir traité comme elle l'a fait.

-Je constate qu'il est bien difficile d'avoir le dernier mot avec l'une comme avec l'autre.

-Ou le dernier pas de danse.

Le couple se sépara lorsque Jane s'inclina gracieusement devant lui.

...À suivre...

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Miriamme