Le Majordome et le Détective

Disclaimer : L'univers et les personnages appartiennent à Yana Toboso. Sauf Holmes, Watson et les autres qui sont, eux, à Sir Arthur Conan Doyle. Même si je me suis plus inspirée de la version un peu exagérée de Guy Richie dans son film Sherlock Holmes. Pour le passé de Sherlock Holmes, Doyle n'en parlant quasiment pas dans l'œuvre originale, je me baserai principalement sur La Jeunesses de Sherlock Holmes de Shane Peacock. En bref, rien est à moi, à part cette fanfiction. Je ne reçois aucune rémunération. À part, vos commentaires. Même ceux qui me diront que c'est nul et que je devrais avoir honte. N'hésitez pas, je ne mors pas.

Rating : M par prudence, notamment pour le côté gore et un langage pas toujours très châtié. Donc, âme sensibles s'abstenir !

Genre : Crime, Humor, Horror, Suspense

Résumé : Ciel Phantomhive reçoit une nouvelle mission de la Reine : enquêter sur un détective privé. Si le jeune comte avait su à quel esprit il allait s'opposer, il aurait refusé. Mais, voilà, il a accepté et se doit de faire face à Sherlock Holmes.

Notes d'auteur : Dans cette fic, un chapitre correspondra à une enquête. Selon la taille de l'enquête, le chapitre sera donc plus ou moins long. Au vu de la longueur des chapitres, je les couperai en plusieurs parties d'une bonne dizaines de pages chacune. Je sais à quel point il peut être désagréable de lire sur un écran et je veux donc vous épargner 30-40 pages à lire d'un coup. Sans compter le temps d'écriture entre chaque chapitre qui serait beaucoup plus long. Pour le temps de publication, comptez normalement deux chapitres/parties par mois. Le premier chapitre sera principalement centré sur les nouveaux personnages afin de les mettre, mais ceux de Black Butler apparaîtront progressivement. Avant qu'ils reprennent la première place qui leur est due dans le chapitre 2. Le premier chapitre comporte quatre parties. C'est un nouvel univers et un nouveau style auquel je m'attaque et j'espère que ce ne sera pas un massacre. Sur ce, je vous souhaite enfin une bonne lecture !


Chapitre I : Le détective contre Jack l'Éventreur (Partie 1/4)

L'édition du Times échoua sur le bureau. Sa une était dévorée par l'image d'un corps ensanglanté que des policemen tentaient de dissimuler sans succès. Ces journalistes devenaient pires que des vautours quand il s'agissait de dénicher un « scoop » comme ils disaient. En plus, la photographie était d'une qualité plus que médiocre. Sherlock Holmes fit un claquement de langue méprisant. Négligemment, il s'affala sur sa chaise et posa les pieds sur le bureau. Croisant les bras, il observa autour de lui, un petit sourire aux lèvres.

Holmes était un homme de taille moyenne et mince d'une trentaine d'années. Une silhouette banale parmi tant d'autres. Mais ce n'était pas sa silhouette qu'on retenait lorsque l'on croisait l'homme. La majorité se souviendrait de son allure négligée. De son costume froissé et mal boutonné à sa tignasse brune qui semblait ne pas avoir vu un peigne depuis des lustres. Sans oublier sa barbe de trois jours. Les plus observateurs remarqueront ses yeux bruns plus perçants que la moyenne. Cette étincelle d'intelligence qui illuminaient son regard aux cernes marquées.

Autour de lui tout s'agitait. Holmes restait d'un calme olympien, regardant de haut ce petit monde. Toute cette cacophonie ne servait à rien. Mais c'était ainsi à Scotland Yard lorsqu'une affaire posait des ennuis. Cela engendrait du stress, de la frustration, de la colère, de l'excitation et très vite tout devenait pagaille. Et l'affaire que ces chers journalistes venaient de déterrer en était une de taille. Et particulièrement sordide. Une prostituée avait été assassiné la nuit dernière dans la quartier de Whitechapel. Rien d'extraordinaire. Les risques du métier. Un client trop... enthousiaste. Non. Un client enthousiaste n'éventrerait pas sa catin ni ne la laisserait se vider de son sang et de ses organes sur le trottoir aux yeux de tous sans l'avoir touchée. Touchée sexuellement cela s'entend. Aux yeux du grand public, c'était la première fois qu'une telle horreur se produisait dans la belle ville de Londres. Ce qu'ils ignoraient c'était que c'était la deuxième. La première Scotland Yard avait dissimulé l'affaire puis l'avait classée. Mais elle leur revenait aujourd'hui en pleine figure comme un boomerang et sous les feux des projecteurs.

Le plus agité dans cette histoire était sûrement Lord Randall, le directeur de la célèbre police londonienne. Il avait dû disposer une dizaine de ses hommes devant l'entrée pour empêcher les journalistes de venir le harceler à l'intérieur ainsi que tous les curieux. Il paraissait que le gouvernement faisait pression sur lui pour clore cette affaire gênante le plus vitre possible. Surtout depuis qu'ils avaient appris que ce n'était pas la première en date. Ce fut donc un Lord Randall particulièrement énervé qui se planta devant Holmes. Ce dernier sourit ouvertement d'un air moqueur en voyant des tics agiter la moustache de son vis-à-vis.

-Holmes, enlevez vos pieds de mon bureau et levez-vous de ma chaise. Immédiatement, ordonna d'une voix glacée la directeur.

L'interpellé ricana en s'exécutant lentement, sans quitter des yeux Arthur Randall. Une fois debout, il s'arrêta juste devant et précisa d'une voix mielleuse :

-Désolé, patron, mais pendant des années on m'a fait croire que ce serait mon bureau. Alors, j'avoue que j'avais pris la mauvaise habitude d'y prendre mes aises.

-Holmes, le respect à vos supérieur...

-Oui, oui, je sais. Cela fait la huitième fois que vous me le rappelez ce mois-ci.

Randall grimaça devant l'insolence de son inspecteur. Au début, il pensait qu'il s'y habituerait avec le temps comme son prédécesseur lui avait fait croire. Voir même que Holmes apprendrait les bonnes manières. Mais rien n'avait changé. Avec un soupir fataliste, il détourna ses yeux et aperçut le journal. Il semblait le narguer. Holmes suivit son regard et son sourire s'élargit.

-Je vois que vous avez trouvé un moyen de me tenir loin de vous pour quelques temps, fit-il.

-Nous allons dire cela comme ça. Trouvez-moi ce salopard et mettez-le au bout d'une corde. Quitte à le pendre au Big Ben.

-Je n'ai jamais raté une affaire. Celle-ci ne fera pas exception.

-Vous avez intérêt. Maintenant, dégagez de ma vue.

Holmes récupéra son journal et tourna les talons, direction la sortie. Ce fut extrêmement sportif de quitter les bureaux de Scotland Yard aujourd'hui avec les journalistes qui campaient devant. Mais ils étaient tellement obsédés par Randall qu'ils remarquèrent à peine l'inspecteur qui se faufilait entre eux. Sorti enfin de cette marée humaine, il héla un fiacre.

-Où voulez-vous aller, monsieur ? demanda le cocher tandis que Holmes montait.

-221b Backer Street.


Le docteur John Watson retira son stéthoscope en souriant.

-Tout va bien, M. Porter. Votre cœur se remet sans aucun soucis. Faîtes-moi confiance. Le traitement fait des miracles.

Le vieil homme grassouillet assis devant lui sourit à son tour, apparemment soulagé. Maladroitement, il reboutonna sa chemise tout en disant :

-C'est tant mieux ! Ma femme ne me lâchait plus depuis que j'avais eu... mon accident. Je devrais pouvoir respirer maintenant.

-Votre épouse s'inquiétait et c'était tout à fait légitime, M. Porter. Vous aviez eu un infarctus.

-Oui, oui, mais elle semblait craindre que je ne m'écroule si jamais je respirais trop fort ou me lever trop vite. C'était vraiment...

La porte s'ouvrit alors brusquement coupant M. Porter qui fit un sursaut de peur. Son souffle s'étrangla dans sa gorge et sa main se crispa sur sa poitrine. Heureusement, son coeur battait vite, mais normalement. Bien qu'ayant raté un battement durant un court instant. Sherlock Holmes apparut dans l'ouverture sous l'œil outré et furieux de Watson.

-Calmez-vous, M. Porter, lança le nouveau venu. Tout va bien. Ce n'est pas comme si vous risquiez une crise cardiaque.

-Holmes ! s'insurgea le docteur.

-Watson, il y a un fiacre qui attend que vous le payiez devant la porte.

Sans attendre de réponse, il disparut à l'étage. Il entra dans son appartement et jeta le Times sur une pile d'autres quotidiens qui semblait sur le point de s'écrouler. Il se laissa tomber dans un fauteuil et s'alluma une pipe en fermant les yeux de volupté. Cela faisait deux heures qu'il attendait de pouvoir fumer. Randall avait décrété qu'il était désormais interdit de fumer sur le lieu de travail.

L'appartement de Sherlock Holmes était un désordre sans nom. Tout semblait trainer au sol. Pourtant, les étagères contre les murs débordaient littéralement de livres et de papiers en tous genres. Mais étrangement c'était le cas que pour la moitié de l'appartement. L'autre était parfaitement rangée et nettoyée. On pourrait croire qu'une tornade avait débarqué et s'était arrêtée au niveau d'une ligne imaginaire. La raison ? Holmes partageait cet endroit avec Watson et ce dernier se révélait nettement plus soigneux que son colocataire. Au début de leur cohabitation, le pauvre docteur rangeait toujours derrière son ami. Mais lassé et voyant que rien ne changeait, il avait abandonné la partie et décrété que la moitié de la pièce principale lui était réservée et que les affaires de l'autre habitant n'y éliraient pas domicile. Et lorsque cela se produisait, elles étaient sans pitié renvoyées illico à l'expéditeur de l'autre côté de la fameuse ligne invisible.

D'ailleurs, ledit Watson venait de faire son entrée fracassante.

Le docteur John Watson était très différent de son ami. Grand et élancé, il possédait une allure des plus élégantes et on distinguait sans peine une musculature entretenue. Sa façon de se tenir parfaitement droit trahissait son passé de militaire. Il avait l'air d'un bourgeois bien dans son temps : vêtu sobrement à la dernière mode, la moustache soignée et taillée avec goût, le cheveux court et parfaitement coiffé. Il prenait soin de son apparence, mais cela s'appliquait à tout dans sa vie. Toujours poli et sociable, quiconque le rencontrerait se demanderait ce qu'il faisait avec ce rustre de Holmes. Lui-même se le demandait souvent. Comme en ce moment.

-Holmes !

-C'est moi.

-N'auriez-vous reçu aucune éducation ? Vous ne pourriez pas, rien qu'une seule fois, toquer à une porte avant d'entrer comme toute personne normale ? Vous rendez vous compte que vous avez failli tué mon patient ? Et en plus, vous me faites payer votre trajet par dessus le marché !

-Je ne vois pas où est le problème. Pour le paiement, vous l'avez toujours fait sans rechigner. Ce serait plutôt à moi de me poser des questions. D'où vous vient donc ce soudain élan de révolte ?

-Vous avez forcé la porte de mon cabinet pendant une consultation ! Quant à mon « soudain élan de révolte » peut-être n'est-il que le résultat de des années de cohabitation. Cela fait trop longtemps que je paye tout. Sept années pendant lesquelles j'ai payé le loyer...

-J'ai déjà plus d'une fois payé le loyer.

-Vraiment ? Combien de fois ? Trois, quatre ?

-Que se passe t-il, Watson ? Aujourd'hui, vous me semblez de bien mauvaise humeur. D'habitude, mes mauvaises manières ne vous font ni chaud ni froid.

-Peut-être était-ce la fois de trop, Holmes ! Vous pouvez être fier de vous, vous avez finalement réussi à user ma patience jusqu'au bout.

-Je ne pense pas. À chaque crise, c'est ce que vous me dites et pourtant le lendemain c'était comme si rien ne s'était passé.

-Ah, non, non et non ! Pas cette fois ! Je ne retournerez plus à vos jeux pervers, Holmes ! C'est terminé. D'ailleurs, je vais de ce pas commencer les recherches pour un nouvel appartement.

-Cela aussi vous le dîtes à chaque fois.

-Ce n'est pas du bluff. C'est fini, Holmes.

Le doigt accusateur que Watson pointait sur son ami tremblait. L'inspecteur haussa les sourcils d'un air circonspect. D'un geste furieux, le docteur défroissa sa veste, même si le besoin n'en faisait pas ressentir. Il prit une inspiration et tourna les talons, se donnant un air décidé. Il allait quitter la pièce pour retourner dans son cabinet quand Holmes reprit la parole. Son ton était calme, comme s'il récitait un discours, comme s'il ne venait pas d'avoir une dispute avec son colocataire.

-Vous avez entendu parler de la prostituée assassinée à Whitechapel ? Comme tout le monde, je présume. Randall est sur les nerfs. Je ne l'avais jamais vu dans cet état. Quoiqu'il en soit, il m'a confié l'enquête. Viendrez-vous avec moi sur les lieux du crime ? demanda t-il en se levant prestement. Votre analyse de médecin pourrait m'être utile.

Watson poussa un profond soupir avant de se retourner lentement. Sa voix était lasse et plate.

-Contrairement à ce que vous semblez croire, j'ai aussi un travail. J'ai des patients qui m'attendent.

-Comme vous voudrez, lâcha Holmes en haussant des épaules.

Sur ces mots, il attrapa son chapeau, remit son manteau et sortit d'un pas sautillant de la pièce. Non sans avoir laissé nonchalamment sa pipe au milieu des journaux. Sa pipe allumée.

-Ô Seigneur, pardonne-lui, il ne sait décidément pas ce qu'il fait, se plaignit tout bas Watson.

Il ramassa ladite pipe, la plongea dans un broc d'eau et l'abandonna dans le cendrier. Ce n'était que la cinquième fois cette semaine que Holmes lui faisait ce coup. Alors qu'il s'apprêtait à retourner travailler, il aperçut quelque chose de brillant sous la table basse. Il se pencha et vit qu'il s'agissait de l'arme de service de son ami ainsi que de sa plaque de Scotland Yard. Dans un cri de rage, il les ramassa en s'exclamant :

-Que le Diable vous emporte, Holmes !

Puis il quitta l'appartement à son tour en coup de vent.


Les rues étaient complétement barrées. Les policemen ne laissaient entrer personne. Mais cela ne décourageait pas les badauds de venir rôder autour, espérant arracher aux pauvres gardiens de la paix quelque renseignement. Sans se soucier du moins du monde des reproches qu'on lui lançait, Holmes traversa la foule en bousculant tout sur son passage. Arrivé à la ligne de démarcation, il s'annonça au policier en faction :

-Sherlock Holmes de Scotland Yard, c'est Randall qui m'envoie.

-Vous avez votre plaque, monsieur ?

Confiant, Holmes plongea la main dans les poches intérieures de sa veste. Rien. Il fronça les sourcils et attaqua ses poches extérieures puis celles de son pantalon. Mais il dût se rendre à l'évidence. Il ne l'avait pas, ni son arme d'ailleurs.

-Alors ? le relança le policier.

-Je l'ai oubliée, avoua Holmes, penaud. Chez moi ou au bureau, ça ne le saurait le dire.

-Je suis désolé, mais je ne peux pas vous laisser passer sans preuve. Vous comprenez ?

-Certes, marmonna l'inspecteur.

À ce moment-là, un autre policier s'approcha. Holmes le reconnut. Ils avaient plusieurs fois fait équipe. Andrew Carter s'il se souvenait bien. Celui-ci aussi reconnut son collègue et lui sourit.

-Bonjour M. Holmes. Ainsi c'est donc vous que Lord Randall a envoyé pour enquêter sur Jack l'Éventreur ?

-Jack l'Éventreur ?

-Oui, c'est le surnom que les journalistes viennent de lui trouver.

-Il a déjà son petit nom médiatique. Ça va lui monter à la tête. Carter, faites-moi entrer. Je n'ai pas ma plaque.

-Certainement, M. Holmes.

Avec bienveillance et bonne humeur, il ouvrit la barrière et invita d'un geste ample à Holmes de pénétrer la zone. Sherlock ne comprenait pas cet homme. Il était toujours poli, respectueux et bienveillant envers lui. Ils avaient travaillé plusieurs fois ensembles et jamais il ne lui avait rendu la pareille bien au contraire. Mais apparemment son intelligence et sa façon d'enquêter avait impressionné son collègue qui semblait presque le vénérer depuis. Il ne connaissait qu'un autre de son espèce. Aussi à Scotland Yard. Il ne retenait pas son nom. C'était un petit jeune qui venait de monter en grades récemment et qu'il n'avait jamais vu auparavant. Depuis sa promotion, il suivait Randall partout comme un petit chien, toujours un sourire d'imbécile heureux sur les lèvres. Rien qu'à le voir dans les couloirs, Holmes en devenait déprimé. Il avait beau l'humilier et l'insulter, le jeune revenait tous les matins pour lui offrir un thé avec ce sourire tatoué sur la face qui l'écœurait profondément.

Holmes entra donc et suivit Carter qui le guida jusqu'à une ruelle. Là, une mare de sang séché teintait les pavés. Le corps avait été enlevé depuis plusieurs heures.

-Laissez-moi deviner : la scène du crime.

-Oui, M. Holmes !

Il se pencha au dessus, évitant de mettre les pieds dedans. Il y avait des traces de pas de l'autre côté. Des petits pas. Certainement ceux d'un enfant.

-Qui a marché dedans ? demanda t-il.

-Un gamin du quartier. Il était sorti pour aller travailler. Il est ramoneur. Il a glissé dans le sang de la victime. Il ne l'avait pas vue dans le noir. C'est ainsi qu'il a trouvé le corps.

-Il faudra que je l'interroge. Que savez-vous de la victime ?

-Que c'était une prostituée.

-Mais encore ? Avez-vous son nom au moins ?

-Mary Ann Nichols, 43 ans. C'est un de ses voisins qui nous l'a dit. Elle a cinq enfants et est divorcée.

-Cinq orphelins de plus dans les rues. Que du bonheur, soupira Holmes.

-Nous cherchons à contacter le père, bredouilla Carter.

Mais lui, comme Holmes, savait parfaitement que le père ne voudrait pas de ses enfants s'il le retrouvait. Les petits finiront dans les rues comme voleurs ou enchaîneront les petits boulots mal payés. Si parmi eux, il y avait des filles, elles connaitraient le même destin que leur mère.

-Où est le corps ? demanda sèchement Sherlock Holmes, sortant Carter de ses pensées.

-À la morgue.

-Rien d'autre ?

-Pour le moment, non.

Holmes fit le tour, traversa plusieurs fois la rue, passa et repassa devant la tache pourpre. Un grognement de frustration fit trembler sa gorge. Rien. Pas un indice. Les assassins laissaient toujours forcément quelque chose, mais là visiblement il avait bien préparer son coup. Même de quoi effacer toute trace de lui. L'inspecteur espérait que le cadavre serait plus bavard.

Ce fut à ce moment-là que Watson apparut, essoufflé. À sa vue, Holmes sourit de contentement.

-Holmes, vous avez oublié..., commença le docteur.

-Vous tombez à pic, Watson.

Il lui attrapa le bras et le traina vers l'extérieur du périmètre de sécurité.

-On va à la morgue, rendre visite à cette pauvre Mme Nichols.


Le médecin légiste tira le drap blanc qui recouvrait le corps meurtri de la morte. Il l'avait déjà nettoyée et les déchirures dans sa chair grisâtre n'en ressortaient que plus fort. Et donc tout indice espéré était parti avec l'eau de la toilette mortuaire. Holmes entendit Watson retenir un gémissement d'horreur. Quant à lui, il retenait des insultes contre le légiste. Calmement, sans les regarder, le médecin commença son exposé.

-Elle a d'abord été égorgé. C'est ce coup-là qui semble l'avoir tuée.

-C'est logique, commenta Holmes. L'assassin, seul, ne pouvait la maitriser ni la faire taire tout en l'éventrant et autres joyeusetés.

-Certes, donc je disais, reprit le médecin, apparemment mécontent d'avoir été interrompu, elle a été égorgé. Puis l'assassin l'a éventré et s'en est visiblement pris aux organes. Il lui a aussi tailladé la langue, mais plus tard car la blessure est sans aucun doute post-mortem. J'ai fini, conclut-il après un instant de silence.

-Qu'est-ce que vous voulez dire par « s'en est visiblement pris aux organes » ? demanda Holmes.

-Certains ont été tailladé, d'autres déplacé. Ce sont surtout les organes génitaux qui ont été attaqué. J'ai même l'impression qu'il en manque.

-Lesquels ?

-Un seul : l'utérus.

-L'utérus ? s'étrangla Watson.

-Puis-je examiner le corps ?

-Oui. De toute façon, j'ai fini.

Le médecin-légiste s'en alla, laissant les deux hommes seuls avec le corps. Watson s'en éloigna précipitamment, une main sur la bouche. Il semblait presque aussi pâle que la morte.

-Oh, mon Dieu ! souffla t-il avec difficulté. Quelle horreur !

-Certes, mais aussi tout bonnement fascinant.

-Fascinant ? Holmes, comment pouvez-vous trouver une telle monstruosité fascinante ?

-L'acte en lui-même est déjà intéressant. Car, comme vous l'avez dit, qui peut commettre une telle monstruosité ? La tuer, d'accord. J'ai déjà vu pire. Mais pourquoi de telles blessures post-mortem ? Pourquoi lui avoir enlevé l'utérus ?

-C'est donc cela qui vous fascine ?

-C'est la marque de ce tueur. Sa façon de penser. Que pouvait-il penser – comment peut-il penser – pour faire les choses de cette manière ?

-Vu l'ampleur des dégâts et sa sauvagerie, je préférais ne pas le savoir.

-Cette marque est le seul indice que l'on possède pour le moment. Jusqu'au prochain meurtre. Et il vaudrait mieux ne pas attendre le prochain. Alors, réfléchissons, Watson : quel genre de personne peut infliger de telles blessures ? Et pourquoi ?

-Un malade mental, bredouilla l'interpelé. Il ne faut pas être équilibré pour faire une telle chose.

-Le motif du meurtre. Quel peut-être le motif ?

-Un coup de folie ?

-Non, non, Watson, il n'y a nulle folie dans ce crime. C'est trop précis. Un fou aurait frappé pour se défouler. Il aurait frappé au hasard. Et il se serait fait prendre, il aurait laissé des indices. Elle aurait eu le temps de se défendre, de crier. Elle ne l'a pas fait. C'était préparé. L'acte minutieux. Voir même chronométré. C'était prémédité. Il l'attendait peut-être même au coin de la rue. L'observait peut-être depuis des jours.

-Quel genre d'homme peut faire une telle ignominie ? Prémédité qui plus est !

-C'est justement ce qu'il faut trouver ! Notre homme est décidé, intelligent, minutieux. Voilà pour le moment ce que nous pouvons en conclure. Maintenant, pourquoi l'a t-il fait ? Pourquoi elle ?

-C'est... c'était une prostituée. Peut-être un de ses clients. Mais pourquoi ?

-Ce n'est pas ainsi que je vois les choses, Watson. Mais il faut effectivement partir de la victime. Elle est arrivée sur le trottoir car elle n'avait plus rien. Car elle n'avait pas le choix. Donc, pas de famille ou d'amis pour la soutenir. Elle n'avait que ses enfants qu'elle devait nourrir. Alors, elle a dû arrondir les fins de mois avec le peu qu'elle avait. Elle n'avait presque plus de liens avec la société. Vivait dans un quartier pauvre et reclus de la ville. Sa mort n'aurait pas dû attirer l'attention. Il n'a même pas pris la peine de cacher le corps. Si les journalistes ne s'étaient pas emparés de l'affaire, personne ne se souviendrait de l'existence de Mary Nichols.

-Il espérait donc sûrement de la discrétion. Mais cela n'explique pas pour quelles raisons, il l'a tuée. Il aurait pu s'en prendre à n'importe quelle prostituée ou autres vagabonds. Pourquoi elle ? Surtout si c'était aussi prémédité que vous le pensez. Pour de l'argent ? Aurait-elle des dettes ?

-C'est probable, mais il ne se serait pas autant acharné. De plus, un mort ne rembourse pas. Pas une question de sexe non plus. Il ne l'a pas touchée. Pas de trace de viol ni de coup. Pas même de relations sexuelles consentantes. Elle n'a pas eu de client ou d'amant ce soir-là.

-Une vengeance ? Le côté personnel de la vengeance pourrait expliquer sa violence.

-Oui, il devait connaître sa victime. D'où la violence. Mais que veut dire en ce cas la façon dont il l'a tuée ? Il n'a pas agi ainsi par hasard. Ça veut dire quelque chose. Comme une sorte de message qu'il voulait passer à cette femme. Il l'a tuée. Certes. Mais pourquoi l'avoir éventrée, trancher la langue ? Et pourquoi bordel de Dieu avoir gardé son utérus ?

-Holmes, ne blasphémez pas, je vous prie.

Mais son ami ne semblait pas l'avoir entendu et poursuivait :

-Pourquoi ? Pourquoi ? Comme trophée ? Possible. Et quelle vengeance peut pousser à une telle barbarie ? Qu'est-ce que tu lui as fait, petite Mary ?

-Holmes, les morts ne parlent pas.

-Je la ferai parler. À ma manière, mais je la ferais parler. Elle a encore sûrement beaucoup de choses à nous apprendre. Observez les plaies, Watson. Qu'est-ce qu'on peut encore déduire ?

À contre-coeur, un mouchoir sur le bas de son visage, le docteur s'exécuta. Chacun d'un côté du corps, les deux hommes examinèrent les blessures. Holmes les frôlait presque du doigt en suivant leur tracé. Il soupira et marmonna quelque chose.

-Que dites-vous ?

-C'est trop précis. Avec quelle arme peut-on faire cela ?

-Effectivement, s'exclama Watson. C'est extrêmement précis. Bien droit et propre. Il n'y a aucune hésitation. C'est tellement chirur... Oh, mon Dieu !

-Notre homme est médecin ! lâchèrent-ils au même moment.

-Watson, je me permets de dire que vos confrères ne sont guère des hommes fréquentables en vérité.

-Comment un médecin qui a fait le serment d'Hippocrate a t-il pu commettre un meurtre ? Un meurtre d'une telle ampleur !

-Donc, il faudra enquêter sur les médecins. Sans oublier ceux qui ont suivi des études de médecine. En ce cas, il n'aura fait aucun serment, mais aurait les connaissances. Il va vous falloir dénoncer vos collègues, Watson.

-Vous rendez-vous compte du nombre de médecins, de professeurs, d'étudiants ou autres qui vivent à Londres ? Nous ne pourrons jamais tous les interroger. C'est impossible !

-Surtout que nous sommes en pleine saison mondaine. Ce qui doublerait presque leurs effectifs. Ma foi, je pense que nous avons trouvé de quoi nous occuper pour les dix prochaines années.

-Nous n'y arriverons jamais. Plus nous avançons, plus la tache devient ardue.

-Nous avons besoin de plus d'indices. Par exemple, l'arme du crime.

-Un scalpel, répondit immédiatement Watson, sûr de lui.

Holmes se pencha d'avantage au-dessus du corps, les sourcils froncés.

-Effectivement, une des armes est un scalpel. Notamment pour la gorge. Mais concernant le ventre. C'est trop épais pour un scalpel.

-Oui, vous avez raison. Mais trop précis pour un couteau ou autre.

-Cela me semble même trop épais pour un simple couteau. Peut-être un poignard épais. Non, trop précis. De plus, un seul coup a suffi. Un homme peut-il se montrer assez fort avec un poignard pour éventrer aussi profondément une femme d'un seul coup ? Non, je ne crois pas.

-Mais par le Diable, qu'a t-il pu bien utiliser ?

-Je l'ignore. Et je déteste ne pas savoir.

Watson s'éloigna et s'assit un peu plus loin. Il s'épongea le front, trempé de sueur. Il avait le coeur au bord des lèvres. Pourtant, il en avait vu des tas de morts. Même autopsier plusieurs. Mais il devait avouer que les blessures étaient les plus horribles et perverses qu'il ait jamais vues. Il se sentait mal. Il ne mangerait sûrement pas grand chose aujourd'hui. D'ailleurs, il regrettait d'avoir déjeuné ce matin. Il se contenta donc de regarder encore pendant un long moment Holmes tourner autour du corps et marmonner dans sa barbe.

Au bout d'un moment, un temps qui lui paraissait éternel, il leva les yeux vers la pendule. Il était presque deux heures de l'après-midi. Cela faisait plus de trois heures qu'ils étaient ici. Avec une grimace de douleur, il se releva et lança :

-Holmes, je crains que Mme Nichols n'ait plus rien à vous dire.

L'air déçu et renfrogné, ce dernier acquiesça.

-Bien, rentrons et commençons une liste exhaustive de suspects.


Des dizaines de papiers s'entassaient allégrement sur le petit bureau de Holmes. Minimum. Celui-ci était assis derrière, face à Watson. Les deux amis étaient échevelés, les yeux fatigués, la tête dans les mains. Le docteur avait même la chemise froissée et la cravate défaite preuve de son épuisement. Au prix d'un effort qui lui parut surhumain, Sherlock se redressa et tourna ses yeux rouges vers son ami.

-Bon, faisons le point sur nos suspects. Nous avons cinq milles deux cent vingt-deux médecins résidents à Londres, commença t-il en énumérant ces points avec ses doigts. Huit cent cinquante quatre étudiants pour quarante-six professeurs. Nous avons également trois cent dix diplômés non pratiquants ou ayant des connaissances anatomiques. Et nous pouvons compter environs cent quatre-vint, voir deux cent, médecins traitants accompagnateurs.

Watson semblait sur le point de fondre en larmes devant un tel résumé de la situation.

-Holmes, nous avons donc – il fit un rapide calcul avant de poursuivre – six mille six cent douze personnes à interroger. Minimum ! Y en a sûrement qu'on a oublié ou qui ne sont pas déclarées.

-Vous connaissez mieux ce monde que moi, Watson. Par exemple, y aurait-il des anciens médecins ou infirmiers de guerre oubliés ?

-Je n'en sais rien ! Vous tenez tant que ça à en rajouter ?

-Quel genre d'autres personnes peut posséder de telles connaissances en anatomie, chirurgie ?

-Peut-être certains chercheurs ? En biologie notamment. Mais ils travaillent presque tous pour les écoles et universités.

-En ce cas, il sera aisé de les retrouver. Nous verrons cela avec les professeurs de médecine. Et ceux qui ne sont rattachés à aucune école ?

-Pour eux, souvent avec un mécène. Mais cela ne fait presque plus.

-Bon, je rajoute quelques suspects et on va commencer à faire le tri, annonça l'inspecteur.

Il écrivit rapidement quelques noms sur la feuille en petit pour gagner la place qu'il n'avait plus. Quand il eut fini, Watson déchiffra avec difficulté les noms ajoutés.

-Karl Offman! Comment j'ai pu l'oublier celui-là ? Nous avons combattu ensembles en Afghanistan. Alexander Galhenger ? Il est pas mort ?

-Quoi ? C'est possible. Si c'est le cas, il a un bon alibi.

-Lord Ludovic Juxon ? Ah, oui, c'est le directeur de l'Hôpital Royal !

-Il a peut-être connu les victimes. Elles n'avaient pas vraiment d'autres endroits où aller si elles tombaient malades. Faudra que nous trouvons leur dossier médical.

-Et le secret médical, Holmes ?

-Elles sont mortes. Je doute que ça les gêne.

-Et enfin... John Watson ! Holmes, qu'est-ce que je fais sur la liste des suspects ?

-Et alors, vous êtes médecin, non ? Et je ne sais pas ce que vous faisiez hier soir ou encore le huit août dernier pendant le premier meurtre.

-Hier soir, j'étais ici, Holmes. Vous le savez. Vous m'avez même empêché de dormir en jouant du violon jusqu'à quatre heure du matin. Je suis venu vous houspiller plus d'une vingtaine de fois.

-Bon alibi et avec un témoin. Très bien, vous êtes rayé de la liste des suspects.

-Merci. Je dois dire que m'interroger moi-même aurait été assez désagréable.

Holmes frappa dans les mains, faisant sursauter Watson.

-Bien, maintenant, cherchons ce qui peut motiver notre assassin à tuer ces pauvres femmes. On pourra ainsi commencer à faire le tri parmi tous ces suspects. Bon, le motif est personnel. On en a déjà parlé. Maintenant, LA question existentielle : pourquoi avoir retiré l'utérus de Mary Nichols ? D'ailleurs, l'a t-il déjà fait avec la première ? Watson, si vous étiez un médecin à l'esprit douteux et vengeur, pourquoi prendrez-vous l'utérus de votre victime ?

-Je n'en sais rien, Holmes, soupira le docteur en se frottant les yeux. Il est tard, je vais me coucher.

Il se leva avec difficultés de sa chaise et quitta la pièce à pas lents. Holmes garda les yeux dans ses feuilles et poursuivait :

-C'est peut-être symbolique. À moins qu'il n'en ait besoin. Mais quelle utilité peut avoir un utérus ? Peut-être du trafic d'organes.

Il prit négligemment des notes et jeta un bref coup d'oeil diagonal à ses suspects. Il en entoura quelques uns. Puis après réflexion, il écrivit de manière quasi illisible magie noire dans une marge avant de souligner de nouveaux noms.

-Il me faut vraiment leurs dossiers médicaux, marmonna t-il en inscrivant le nom de Mary Nichols et celui de Martha Tabram, la première victime, sur une feuille miraculeusement vierge.

Il resta à son bureau toute la nuit à marmonner et à gribouiller.


Le lendemain matin, John Watson se leva avec un goût amer dans la bouche. Il ne pouvait s'empêcher de penser à cette affreuse affaire dans laquelle son colocataire l'avait une fois de plus entraîné. Cette journée du 1er septembre 1888 s'annonçait longue et ardue. Mais cette idée n'empêcha pas le docteur de prendre son thé matinal comme chaque jour. Un thé anglais avec une pointe de camomille. Holmes avait pris l'habitude de se moquer de cette habitude qu'il qualifiait de celle « d'un pépé Alzheimer ». D'ailleurs, où était Holmes ? Sa tasse fumante à la main, il se dirigea vers le salon où il trouva son ami avachi et profondément endormi sur son bureau. Doucement, il lui secoua l'épaule. Seul un grondement vaguement humain lui répondit.

-Holmes, réveillez-vous. Je crois savoir que vous avez une journée chargée.

Nouveau grognement.

-Holmes, vous avez un assassin à attraper.

-Je sais, fut la première réponse compréhensible.