A mon ange à la gratte qui toujours, veille sur moi sans se lasser…

Pour sa présence dans les plus beaux instants de ma vie comme aux pires.

A nos sourires et nos moments,

Nos éclats de rire qui brisent le silence du quotidien.

C'est pour t'entendre de nouveau que j'écrirai.

Juste pour quelques mois…

Prologue :Premier Jour, 10h30

- Bonjour ! Je suis Park Yoochun, et comme vous le savez, je suis chargé de remplacer Mme Kim pour cinq mois. Vous êtes en première, vous avez pour la plupart entre 16 ou 17 ans. Cette année est importante pour vous et vous avez de quoi travailler…

J'avisais une petite boulotte qui ricanait bêtement avec sa voisine de gauche. « Attend un peu que je connaisse ton nom, toi là-bas, et tu t'arrêteras de rigoler. » rageais-je en silence.

Je repris d'une voix forte :

- Donc mettez vous au boulot et arrêtez de parler ! Attaquez l'exercice 15, sur la représentation plane dans l'espace.

Je jetais un coup d'œil circulaire sur la classe alors que les feuilles froufroutaient et que les grattements de stylos devenaient – enfin ! – concrets. Tout jeune diplômé en tant que professeur de Maths, le rectorat m'avait bien sûr collé en remplaçant dans un petit lycée, pour soi-disant « forger mon expérience » avant de commencer vraiment. Ils avaient bon dos. Remplacer était bien plus difficile qu'un poste fixe, surtout lorsqu'on arrivait en milieu d'année. Une seule devise, ces gens-là : économie, économie toujours. Ils avaient trouvé le moyen pratique de cesser de payer des remplaçants… Et nous, comme débutants, on était payé au lance-pierre. Bien sûr. Quel monde de corruption…

Encore un groupe de chahuteurs qui faisaient tout sauf leur exercice, avec l'audace de la jeunesse : ils étaient juste sous mon nez, par-dessus le marché ! J'en chopais un au pif, légèrement contrarié :

-Toi ! Lui criais-je en le montrant du doigt, ce qui le fit littéralement bondir, en même temps que ses trois compères.

Lève-toi !

Il obtempéra en rougissant : Exactement le profil de l'élève à ne pas avoir. Petit, mignon, avec sa dose d'agitation et sans doute la grande gueule qui va avec… Et à en juger les regards que lui lançaient la gent féminine, un sacré Casanova. Je ne sais pas pourquoi, je m'énervais encore un peu plus.

- Bon c'est quoi ton nom ?

Une petite voix, surprenante par ailleurs, me répondit :

- Kim Junsu, M'sieur.

- Tu sais où tu es, mônsieur Kim Junsu ?

Ma voix était la plus noire possible s'il avait pu, je suis sûr qu'il aurait disparu.

- Oui M'sieur…

Bon, cette fois, il avait fallu tendre l'oreille pour choper la réponse. Pas si grande gueule que ça, finalement… Même moi, à son âge, j'aurais pu faire mieux. Mais impertinent ou pas, il m'avait contrarié et je me servirais de lui pour montrer mon autorité à la classe.

- Bon, et bien puisque tu sais où tu es, tu vas en profiter pour nous faire le corrigé de l'exercice 15.

De pâle il était passé à translucide, alors que je lui tendais la craie sans même lui laisser droit à demander un avocat. De nouveau, la petite voix, tandis que dans la classe le silence surpris semblait s'être définitivement installé :

- Je peux prendre ma feuille, Monsieur ?

- Bien sûr que non : elle est vierge. Ce qui montre que tu as parfaitement compris le théorème et que tu vas nous faire ça de tête.

- Mais justement si elle était vierge c'est que…

Je le coupais avec autorité, tant pis pour l'avocat :

- Mets-toi au travail et utilise un peu autre chose que ta langue. On te regarde.

Les trois compères (et la classe !) le regardaient avec inquiétude, les méandres de leurs cerveaux digérant très mal le nouveau théorème, appris la veille. Quand au sien, il m'avait l'air brumeux, de cerveau. Planté devant le tableau, il se mordillait la lèvre inférieure, deux creux d'inquiétude angoissée se nichant en haut de l'arrête de son nez… Vraiment mignon. Et carrément chou. Depuis quand je persécutais les élèves, moi ? Dès mon premier jour, en plus de ça. Qu'est-ce qu'il m'avait fait, le pauvre gosse ? Maudissant ma totale insensibilité face à tant d'innocence gamine, je me raclai la gorge. Il sursauta de nouveau, et m'accorda un regard paniqué. Je grimaçais :

- Va t'asseoir. C'est vrai qu'il est pas franchement évident, ce théorème. Mais tu te concentres et t'essaies d'y arriver, cette fois. Que je t'y reprenne plus.

Il me lança un regard qui s'approchait de la reconnaissance la plus infinie qui acheva de me toucher.

Très fort, décidément. Son succès auprès des filles commençait à être à peu près compréhensible.

Le cours se passa sans autres accrocs notables. Le petit machin ne la ramenait plus du tout, alors que je commençais à me sentir coupable. Cette tête d'ange avait réussi à me faire douter de mes méthodes de dissuasion. J'aurai dû prendre la grosse boule, elle ne m'aurait pas attendrit, elle.

A la sonnerie, tandis qu'il filait le feu aux fesses, je l'interpellais :

- Hé, Kim Junsu !

Il revint vers moi avec la tête du type qui va passer à la guillotine, dans quelques instants précisément. Quand même bien foutu… C'est vrai qu'il n'était pas très grand, mais il était super bien proportionné, et même finement musclé, en plus de ça. Quand à sa bouille deux joues surmontées d'yeux expressifs et pétillants, un nez droit avec un bel arrondi qui trônait au dessus d'une bouche pleine et sensuelle.

- Oui, M'sieur ?

Je repris rapidement mes esprits alors qu'il me dévisageait toujours, gêné.

- Excuse-moi pour tout à l'heure, je t'ai un peu pris en grappe. C'est pas facile d'arriver en milieu d'année et de prendre une classe en main. Mais j'avoue que j'y suis allé un peu fort. Mais à partir de maintenant, vous vous concentrez, tous les quatre ou je n'aurai aucun complexe pour recommencer. C'est clair ?

Il acquiesça vigoureusement de la tête, et m'envoya en pleine figure un sourire éblouissant qui m'obligea à regarder ailleurs.

- Merci beaucoup, M'sieur ! On le fera plus !

Trois secondes plus tard, il avait disparu, avalé par le couloir.

En marchant vers mon studio récemment loué, j'étais en pleine réflexion de ma longue journée. Je fronçais les sourcils en pénétrant dans l'espace qui était temporairement mien : l'appart sentait le chien mouillé à plein nez. Loué pour trois fois rien, il avait la qualité de son prix, hélas… Je balançais ma sacoche dans un coin, me versais un verre de bière tout en laissant la solitude m'envahir doucement. Presque inconsciemment. A peine l'avais-je réalisée que déjà elle prenait possession de moi : Que doit faire un jeune homme de 22 ans, qui ne demande qu'a vivre pleinement, dans une vie aussi cloîtrée et solitaire ? J'étouffai un sourire naissant : Un peu plus, et on m'aurait cru moine. Mais trop vieux pour les élèves et trop jeune pour les profs, ma position restait particulière d'autant plus que je me retrouvais subitement éloigné de tous mes proches. Et pour cinq mois…

Je me surpris à penser aux miens : Ma mère ? Bien trop loin de moi, je l'avais quitté et elle ne m'avait pas suivit. Elle n'avait même pas cherché à le faire. Elle faisait partie de mon passé. Mon père ? Avait-il seulement existé un jour…

Et mon frère ? J'eus un pincement au cœur : plus loin que jamais mais pourtant si près de mon cœur… Ne restaient que d'anciens amis et amours qui croupissaient dans un recoin de mes pensées.

Une petite trombine vint s'incruster à pas de loup dans mes pensées sombres : « Oui, M'sieur… ». Une trombine avec un sourire grand comme ça qui chassa d'un coup sec et puissant la reine du moment : la solitude.

Je finis rapidement ma bière sans la laisser revenir. Avec un sourire définitivement installé, je sortis de ma caverne pour me diriger vers des lieux plus agités, comme le bar que j'avais repéré pas loin. J'avais tout à coup besoin de rencontres.

Premier chapitre : Février

Troisième jour : 10h30, salle des profs.

Rien de meilleur qu'un café au chaud dans la spacieuse et lumineuse salle des profs. Lycéen, elle représentait le lieu des privilèges à présent c'était le cocon qui l'éloignait un peu de ses turbulents élèves (Pas que je défends les profs, hein ! Faut bien essayer de les comprendre vu mon Yoochun-prof-de-maths ^^). Absolument seul, le brun regardait paresseusement les tâches multicolores que formait la masse d'élève en mouvement dans la cours.

- Non mais dites donc, Mônsieur ! Mais vous vous croyez où, là ?

Décidément, râla Yoochun silencieusement, il devait avoir une tête à accents circonflexes. Il se retourna, curieux, sur une prof dans la trentaine qui le dévisageait de l'air le plus sévère possible. Les cheveux tirés en arrière par un chignon, elle aurait pu paraître belle sans sa bouche et son front crispés de colère. Elle avait l'accent typé des gens du Sud, et le teint halé qui les caractérisaient. Le jeune prof opta pour un sourire surpris, auquel elle répondit étrangement par un regard enflammé :

- Et vous avez l'audace de sourire ? Sortez immédiatement d'ici !

- Mais enfin, madame…

- Et si vous discutez, c'est deux heures ! Vous n'avez absolument rien à faire ici !

Le ton montant en désagréable crescendo, Yoochun réfléchissait sérieusement à stopper le processus. Peine perdue :

- Re-tour-nez-dans-la-cours ! TOUT DE SUITE !

Allons bon. Tout s'éclairait soudainement. On l'avait – une fois de plus – pris pour un gamin, qui plus est en pleine violation de domicile. Et le cas semblait sérieusement aggravé par son vol de café tout à fait volontaire.

Le jeune homme lui tendit la main avec un sourire digne de l'hôtesse de l'air la plus délicieuse.

- Mr Park Yoochun, enchanté. Je suis professeur de Mathématiques, actuellement chargé du remplacement de Mme Kim Yeonhae.

Changement rapide de couleur. De rouge elle passa à écarlate, puis à blanc, pour terminer par le teint d'une crevette plus très fraiche. Mais, de bonne guerre, elle attrapa après une hésitation la main tendue et la serra vigoureusement.

- Toutes mes excuses, Mr Park ! Mais vous êtes terriblement…

- Jeune ou inexpérimenté. Choisissez, ajouta-t-il d'un ton las, je suis habitué à ce genre de remarque de toute façon…

- Mais non bien sûr ! Je me faisais simplement la réflexion que vous étiez jeune pour un remplacement. Je ne me serais jamais douté d'une telle chose : à votre âge, on m'avait placé en poste fixe après quelques stages. Devant la grimace démoralisée du jeune homme, elle eut un sourire désolé : bah ! J'imagine que c'est toujours le même mot d'ordre : suppression de postes…

Il commençait à lui trouver un air vraiment sympathique, finalement. Admettons qu'elle était si gourmande qu'elle avait eu peur qu'on lui boive son café.

Soit. Elle reprit :

- Chung Minsoi, au fait. Je suis professeur de Japonais. Bon courage, jeune homme, et n'hésitez pas une seconde si vous avez des questions. Et encore pardon pour l'enguelade. Elle eut un petit rire qui sonna comme un grelot : J'ai horreur qu'on me boive mon café.

Gagné.

- J'ai une question.

- Déjà ? Ah la curiosité des jeunes hommes…

C'était lui ou elle le cherchait ? Etonnante, décidément. Il choisit le profil je-suis-totalement-imperturbable.

- Vous avez des premières ?

- Bien sûr. Pas le choix.

- Vous avez la 1ère C ?

- Aussi ! Elle vous pose des problèmes ?

- Non, simple affaire de curiosité de jeune homme… Le grelot lui répondit.

… Kim Junsu…

Elle eut un sourire qui l'intrigua, et glissa d'une voix amusée :

- Qu'est-ce qu'il a ?

- Euh… Quel genre d'élève est-il ?

Elle eut cette fois un regard plein de douceur pour le jeune professeur. Elle prit son temps pour répondre :

- Vous savez, un des plus beaux aspects de mon métier – notre métier ! –, c'est le contact avec les élèves. Et plus encore, l'étonnante diversité, ce mélange des caractères qui vous font face, et le plaisir de les découvrir, les explorer. Kim Junsu fait partie de ces êtres à la personnalité si complexe qu'elle n'apparait pas au premier regard. C'est ce qui le rend si intéressant à mes yeux, et intriguant. Je peux vous le dire, je le suis depuis la seconde.

En tant que prof de maths, son esprit n'était pas rassasié son interlocutrice enrobait l'équation sans la résoudre :

- Conclusion ?

- Et bien, elle est toute simple : à vous de voir. Je ne pourrais pas vous aider.

Elle lui adressa un sourire chaleureux, et après un signe de tête, partit s'occuper de la cafetière.

La cloche sonna, le coupant dans sa frustration scientifique. Il se secoua et rassembla ses affaires :

- J'y vais. Merci encore, Mme Chung.

- Héla ! Appelle-moi Minsoi, va… Ca t'écorchera pas plus la langue ! T'as quoi là ?

- Justement. J'ai la 1ère C. Contrôle d'une heure et demie sur la représentation plane dans l'espace.

- Eh bien ! Bonne sieste !

Yoochun partit le sourire aux lèvres en direction de sa salle. Une rencontre comme celle-ci était rare, d'autant plus qu'il adorait les gens que ne mâchaient pas leurs mots. Les gens crus, dynamiques, francs…

D'après lui, ils étaient les consciences des pays développés en pleine course, près à se réveiller et à unir le peuple face à une quelconque menace politique. Mais il savait pertinemment qu'il était utopiste : il fallait tout d'abord que les gens comme lui aient la force de se soulever (ils auraient déjà dû le faire depuis belle lurette !). Et quand bien même ils le feraient, personne ne les suivrait on les laisserait seuls face à leurs rêves de révolutions…

- Monsieur, c'est pas aujourd'hui le contrôle, si ?

Si cette fille pensait que ses yeux d'ange allaient le bouleverser… Il lui adressa un sourire charmeur :

- Heureusement que tu m'y fais penser ! Allez, rentrez et sortez rapidement vos affaires. C'est Mme Kim qui a fait le sujet et j'ai l'impression qu'elle l'a conçu large…

Il évita de regarder Junsu, qui semblait être en pleine conversation avec le jeune Jaejoong. Une paire étonnante de gamins matures. Yoochun avait toujours été doué pour observer les gens il sentait entre eux deux quelque chose de fort qui n'était pas près de s'éteindre. Une sorte de complicité exclusive, un pouvoir de regards qui ne prenaient leurs sens que pour eux…

Le moment le plus jouissif du contrôle, c'est lorsque l'élève le reçoit et que l'on perçoit dans son jeune regard toute la détresse humaine à la vue de ce qui l'attend. C'est presque ce qui avait permit au brun de tenir pendant ses études : l'attente de ce moment mystique.

Sadique ? Peut-être, mais peut importait.

Il s'approchait de plus en plus de Junsu, à la recherche du regard post-contrôle. Rayonnant, il lui tendit la feuille.

- On a combien de temps ?

Le machin n'avait même pas pris le temps de regarder sa feuille, qui pourtant éclaboussait presque le visage de son voisin par des schémas agressifs. Ce dernier avait pâli, alors que ses épaules s'affaissaient de désespoir. Amusé, Yoochun lui adressa un sourire ironique :

- Question stupide. Regarde ton contrôle et dit moi si tu peux faire ça en moins d'une heure et demie…

- D'accord merci.

Mais il ne sembla pas se déstabiliser. Très fort, s'amusa mentalement le jeune professeur, puis il ajouta pour la classe, avec une légère pensée pour les quelques 29 copies qu'il aura à se taper ensuite :

- Bonne chance à tous !

Une petite demi-heure à peine plus tard, alors qu'il était en train de somnoler avec l'air du prof qui surveille attentivement (ça ne trompait jamais personne, et encore moins les élèves, mais il fallait bien faire semblant de travailler !), la petite main de Junsu se leva précipitamment. Ombrageux, toute malice avait disparu de son regard, ce qui réveilla tout à fait Yoochun :

- Mm ?

- Monsieur. C'est pas possible, là.

- Comment ça c'est pas possible ?

- La question 5 de l'exercice 2.

Le brun ne put retenir un éclat de rire face à cette remarque si enfantine. Il se leva prestement et se pencha au dessus de l'écriture du jeune homme. Les chiffres ronds s'alignaient méthodiquement sur tout le haut de la copie, alors que devant le « 2) 5-… » Une grosse tâche de Blanco trônait fièrement.

« C'est ce qui le rend si intéressant. » Le visage de la professeure de Japonais lui revint en tête, ravivant de nouveau sa curiosité, et Yoochun se pencha sur la question :

- Elle n'est pas plus difficile que les autres, Junsu.

Devant la grimace boudeuse de son jeune élève, il eut un sourire impuissant :

- Passe à la suite ou tu n'auras pas le temps. On verra ça à la correction.

Et une heure plus tard, alors que les élèves rendaient un par un leur copie d'un air démoralisé, Junsu lui adressa un petit sourire :

- Merci quand même. Mme Kim se serait moquée de moi.

Yoochun ne put empêcher sa main d'aller vigoureusement ébouriffer la masse de cheveux noire. Il planta ses yeux dans ceux, en amande, qui lui faisaient face :

- Va te détendre, je me ficherais de toi à la correction.

Le rire joyeux qui lui répondit résonna religieusement dans toute la salle. Et alors que le jeune professeur restait de nouveau seul dans la salle délaissée, il se fit la réflexion qu'il venait d'assister au rire le plus mignon qu'il n'eut jamais entendu.

Sixième jour : 12h00

La neige tombait depuis l'aube sur le lycée en liesse. Les classes avaient été intenables, et Yoochun avait eu la désagréable impression que les flocons de neige avaient été bien plus intéressants que lui. Il avait finalement laissé sa dernière classe en date – des secondes – à sortir cinq minutes avant la sonnerie, ce qui lui avait apporté un certain nombre de point de popularité. Après avoir slalomé entre les boules de neiges, il s'était réfugié dans un coin plus tranquille, sous un toit, pour profiter lui aussi de la première grosse neige de l'année. Il pensa de nouveau à son frère. Là bas, aux Etats-Unis, la neige était rare au Sud et il l'avait souvent accueillie les larmes aux yeux. Malgré la minuscule épaisseur qui fondait vite, ils partaient jouer des heures dans le lotissement pauvre qui résumait la plupart de leurs souvenirs. Le rire de son frère encore petit emplissait les vides de son cœur, causés par la sensation de ne jamais être à sa place. Entre ses dures journées au collège et les mauvaises relations avec sa mère, il avait été un adolescent révolté, incandescent, que seul son jeune frère pouvait apaiser.

- J'en peux plus !

Il sursauta, sorti de ses pensées par une voix familière toute proche.

Jaejoong.

Curieux, il tendit l'oreille et s'approcha doucement, tout en essayant de rester totalement naturel. Il aperçut Changmin, mort de rire, qui préparait d'un air sadique une grosse boule de neige, alors que Yunho tenait fermement leur jeune proie qui protestait toujours. Junsu arriva peu après, couvert de blanc, et continua d'asperger la victime en rigolant, jusqu'à ce qu'il se prenne la boule minutieusement préparée par le cadet. Yoochun étouffa un petit rire à la vue de Junsu, les joues rougies par le froid, qui grimaça sous la haute traitrise. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, les quatre compères ne semblaient plus qu'une bande sans foi ni loi et les boules volaient dans tous les sens, ne choisissant leur cible qu'au dernier moment.

Les éclats de rire de Junsu serrèrent le ventre du jeune professeur, en proie à l'envie presque irrésistible de se jeter dans la bataille à son tour. Il baissa la tête. Impossible, bien sûr, comme tellement de choses que nous intime la vie sans que l'on ne sache vraiment pourquoi.

Il ramena son regard sur la bande qui, essoufflée, s'était rapatriée sur le banc. Jaejoong, qui finissait de s'épousseter en râlant, grommela :

- On a quoi après ?

- On a Maths, renchérit le cadet du groupe.

Tiens ? Yoochun eut un temps d'arrêt et sourit de sa propre inconscience : il avait totalement zappé.

- Comment vous trouvez le remplaçant ? Yunho eut un sourire : c'est quand même mieux que Kim, non ?

- Bah c'est sûr ! Je le trouve assez clair, même si on n'a pas encore fait grand-chose.

Terrain glissant, s'avertit Yoochun. Ce genre de conversation ne menait qu'à deux possibilités : Ou l'intrus prenait la grosse tête, ou il allait se suicider dans sa classe sans autre forme de procès. Mais la curiosité fit le reste, sans compter que le verdict de Junsu n'était pas encore tombé. Jaejoong repris :

- Il est vachement plus humain. T'en pense quoi Junsu ?

Roulement de tambour…

- Mouais. Je pensais que ça allait pas marcher vu comment ça à commencé. Il avait vraiment l'air de me détester, avec l'histoire du théorème. Il eut un petit sourire malicieux : heureusement, il a vu à qui il avait affaire !

- Nan allez sans blague, Junsu.

- On verra Minnie, on verra.

- Ca ne te ressemble pas d'être aussi philosophe : Tu ne t'embête pourtant pas pour classer les profs en deux coups de cuillères à pots, d'habitude. Normalement, au bout d'une heure, c'est « j'aime » ou « j'aime pas » !

- Il a l'air… compliqué.

Déjà Yoochun prenait le chemin en sens inverse, le sourire aux lèvres. Finalement, il existait une troisième possibilité, et de taille : en sortir ému. Et la neige qui tombait joyeusement sur ses cheveux noirs finit de le persuader qu'il avait bien fait de choisir ce métier.

Treizième jour : 8h30, Salle des profs

- Qu'est-ce-que tu fais de si bonne heure, Yoochun ?

- Tu vois bien, je corrige.

- Hin ! Hin ! Les contrôles sont la bête noire des profs. Mais bon, sans ça, on pourrait croire que tu passe ta vie à dormir, jeune homme.

- … ! Et toi à boire du café.

- Tu me cherche ?

- Et toi ?

Elle éclata de rire, tout en sortant une tasse du placard. Depuis son arrivée, Minsoi avait été la seule personne avec qui il avait vraiment sympathisé. Les autres professeurs, figés par les habitudes du lycée, restaient en bande. Souvent par matière ou par groupe de matière, ils avaient de longues discussions ou d'ennuyants débats que le jeune professeur ne pouvait supporter plus de trois minutes. Même Minsoi faisait partie de ce système, si bien qu'il ne pouvait passer un repas en sa compagnie sans être entouré de profs de langues. D'abord enthousiaste, il avait voulu parler avec un professeur d'Anglais. Mais celui-ci, apprenant que son cadet de vingt ans parlait dix fois mieux l'Anglais que lui – et avec un accent américain ! – lui avait subitement tourné le dos dans un « Peuh ! » retentissant. A présent, Yoochun ne pouvait le croiser sans recevoir un regard enflammé.

Minsoi, tout en préparant son café, se pencha au dessus de la copie qu'il était en train de corriger :

- Haha ! C'est celle d'Eun Chae ! Ça donne quoi ?

- Elle est pleine de bonne volonté ! Il recompta rapidement les points. Ca lui fera 15…

- Tu les rends aujourd'hui ?

- Obligé : non seulement ils les font mal, mais ils veulent qu'on les corrige à la vitesse de l'éclair !

- Peuh ! Elle eut un sourire taquin : dis plutôt que tu es une vraie tortue !

- Dieu te punira de ton ironie inutile…

- Il ne manquerait plus que ça ! Les jeunes ont de ces idées…

- Tu as toujours le dernier mot, pas vrai ?

- Toujours, mon petit.

- Tu veux pas me le laisser pour une fois ?

- Vas y. Fais toi plaisir.

- Tu avais raison pour Junsu.

Elle se gonfla de fierté et failli ajouter quelque chose, mais Yoochun la coupa sans ménagement :

- J'y vais. Bon café et merci pour le dernier mot !

- Avec plaisir, Yoyo !

Il serra la mâchoire en entendant ce stupide surnom, et pénétra dans la foule d'élèves.

10h30 :

Moment légèrement moins jouissif : après chaque copie rendue, subsiste le gout amer des longues heures passées dessus à loucher sur des opérations illisibles autant qu'illogiques. Disons que c'était le meilleur moment de toute la correction, mais pas de quoi décrocher une palme. Et s'il aimait le désespoir du combattant, il détestait la cruauté des basses notes qui détruisaient autant la confiance que l'insouciance.

Ainsi serrait-il les fesses en s'approchant de Junsu, dernière copie du paquet juste après celle du jeune Changmin. Il ne l'avait même pas fait exprès.

- Changmin ! Tout à fait impressionnant.

Yunho loucha sur la copie alors qu'elle passa d'une main à l'autre, et eut un petit soupir désabusé à la lecture du 19 qui frimait en haut de la feuille. Jaejoong, de son côté, paraissait soulagé de son 12 obtenu difficilement. Il s'était bien battu. L'ainé s'en tirait fort bien aussi : 16,5.

Ne restait que les grands yeux interrogateurs et incertains de Junsu, qui se demandait avec une appréhension croissante pourquoi son professeur avait pali. De son côté, Yoochun s'interrogeait aussi : de quel droit les professeurs pouvaient à ce point distribuer de la souffrance sans frémir ?

- Junsu ! Euh… Le mieux serait que tu viennes me voir après le cours, d'accord ?

Mauvaise annonce. Yoochun n'avait pas fais un geste que Junsu s'affaissait, deux creux d'inquiétude à la base du front, et les yeux humides. Jaejoong n'avait pas attendu pour se rapprocher de lui, et lui poser une main rassurante sur l'épaule. Le jeune professeur, gêné, se pencha doucement et lui posa la feuille devant les yeux. D'un ton apaisant, il lui glissa à voix basse :

- Ce n'est pas catastrophique, ne t'en fais pas…

Pourtant, le 7,5 le narguait de toute son agressivité, porteur à sa façon d'un sens qui n'était agréable pour personne. Yoochun préféra se tourner vers le tableau pour se tourner vers la correction, qui n'avait jamais consolé personne et ne le ferait d'ailleurs jamais.

12h30, fin du cours :

Junsu s'approcha d'un pas trainant vers son professeur. Quoi qu'il fasse, sa journée était bel et bien gâchée. La colère de sa mère se rapprochait, menaçante, par chaque minute qui passait. Il soupira et regarda son professeur, occupé à effacer le tableau avec énergie. Il était fin, le genre de corps musclé qui l'aurait parfois bien arrangé dans d'autres situations. Il ignorait pourquoi, il y avait dans ce jeune professeur quelque chose qui l'écrasait. Plein de force et de charisme, il avait l'air de ceux qui ne doutent jamais, et avancent dans la vie, avec pour seul guide leur implacable et puissante conception de leur monde. Une sorte de contraste face à l'esprit enchevêtré et désorganisé du tout jeune homme encore à la recherche de lui-même. Sa voix, malgré lui accusatrice, sortit de lui comme un serpent :

- Vous vouliez me parler ?

Yoochun, surpris, se retourna à l'entente du ton agressif et tranchant. Junsu le regardait de toute sa détresse mêlée à l'incompréhension. Surtout, éviter les bourdes.

- Calme-toi… Ca ne sert à rien de s'énerver, tu ne crois pas ? Il faudrait plutôt…

- Si vous pouviez éviter de me dire : « il fallait travailler »…

- Ce n'est pas ça du tout. Tu m'as énormément surpris, c'est pour ça que je tenais à te voir. Tu ne t'es pas demandé pourquoi tu as réussi toutes les questions difficiles et raté les faciles ?

Junsu le regardait, complètement perplexe. Il eut une petite moue :

- Je vois pas du tout ce que vous voulez dire.

- Je m'explique alors. Mais assieds-toi.

Yoochun observa le jeune homme, que la curiosité avait piqué, et qui le regardait à présent avec attention. Il s'assit sur la table, en face de lui :

- Tu as une capacité de réflexion à faire peur et tu as réussi la plupart des questions que les autres n'ont pas compris, tu a même fait celle que Changmin a ratée ! Le problème, c'est que tu n'es pas parvenu à résoudre les questions les plus simples. Je pense qu'il te manque des automatismes que tu pourrais acquérir en un rien de temps si tu travaillais dessus. Que te disais Madame Kim ?

- Pas grand-chose. Juste que je ne faisais pas assez d'effort…

- Bon ben oublie tout ça. C'est une sorte de problème de… méthodes.

- Mais qu'est-ce-que je peux faire ?

- Tu as envie d'y remédier ?

Yoochun le jaugeait. Il avait une idée folle et inconsciente qui allait lui prendre beaucoup de temps, un but qu'il venait de se fixer. Il lui faudrait être combattif. Il lui faudrait s'organiser. Et surtout, il faudrait que Junsu le suive. Ce que lui, a sa place et au même âge, n'aurait jamais fait.

Mais le jeune homme avait un regard indécis. Tellement d'idées tournaient dans sa tête… On lui avait toujours dit que les Maths n'étaient pas fait pour lui, et pourtant il s'y était toujours sentit à l'aise. La révélation de son professeur le plongeait dans une sorte d'incertitude qui tournait sans cesse dans son jeune esprit. Il chercha dans le visage de Yoochun une réponse, et il la trouva dans ses fins yeux noirs : la proposition qui émanait de lui était forte, puissante il se sentit en cet instant prêt à le suivre. Où qu'ils aillent.

- Oui Monsieur. Son ton était décidé, et Yoochun sentit poindre à cet instant une joie débordante : il allait ouvrir les Maths à son jeune élève.

- Tous les jours, à partir d'une heure, tu me retrouve dans une des salles annexes de celle des profs. Tu vois ou c'est ? Les petites salles de travail. Si tu t'y mets, en un mois c'est terminé. Et si possible, on se trouve des heures en commun pour bosser. Ca ne te fait pas trop ?

- Et vous ?

- Je m'organiserai. J'ai envie d'essayer.

- Moi aussi.

Yoochun eut un sourie éclatant face à ce petit machin toujours plus surprenant.

- Merci Junsu. Ca fait super plaisir de voir des élèves comme ça. Je tâcherais de te le rendre au centuple.

- J'ai hâte de voir ça ! Rigola le jeune homme, qui avait retrouvé sa bonne humeur. Merci à vous !

Avant d'être trop égaré, Yoochun voulut mettre fin à l'échange :

- Va manger maintenant. A demain.

- A demain !

Seul, il se laissa aller sur sa chaise en souriant. Du boulot, il allait en avoir et il l'avait cherché. Mais l'entrevu lui avait montré que la vie ne commandait pas toujours tout. Il y avait des choses qui échappaient au quotidien et à la banalité du destin.

Et ces choses avaient un nom Kim Junsu.

Dix-septième jour, 1h00 :

Il regardait, réjouit, son jeune élève en pleine concentration. Depuis quatre jours qu'ils se retrouvaient ainsi, Yoochun avait pu découvrir dans cette petite tête un esprit d'analyse développé, un humour débordant et une joie entrainante à toute épreuve. Concentré, il récupérait les deux creux de son front qui l'amusaient beaucoup, et son excitation retombait pour laisser place à un calme olympien. Yoochun, finalement, adorait cette demi-heure ou faire des Maths devenait possibilité de détente et de plaisir pour tout les deux. La petite voix de Junsu le tira de ses pensées :

- Je fais quoi de ce f(x) ?

Son professeur se pencha au dessus de lui en souriant. Junsu n'en revenait toujours pas de tout ce temps qu'il lui consacrait sans broncher. Il essayait d'être autant naturel qu'enthousiaste, et tous ses efforts du moment se résumaient dans les Maths. Il s'était promis de ne pas décevoir cet homme qui lui offrait tant d'heures d'attention. Combien de temps accepterait-il de continuer à lui expliquer, jours après jours, les bases mathématiques qui lui manquait ? Aurait-il le temps d'apprendre, de saisir tout ce que cet homme lui donnait ? Il évitait d'y penser et savourait tout ces moments de duos, entre maître et élève.

- Attends, je crois que t'as fait une boulette quelque part…

- Je suis désolé.

- Pas de quoi, t'es là pour ça.

- Justement non ! Je suis là pour arrêter d'en faire…

- C'est en voulant aller trop vite que l'on se casse les dents, tu sais.

Junsu retint un sourire alors que son prof vérifiait les calculs. Il avait découvert en lui un homme intelligent et qui semblait voir le monde avec des yeux neufs qui choisissaient l'ironie pour ne jamais avoir à pleurer. Toujours réconfortant et chaleureux, empreint d'une gentillesse sans faille mais qui savait sortir les poings si necessaire. C'est ainsi qu'il se l'imaginait en regardant son visage détendu et serein, enrobé d'une douce lueur espiègle.

- C'est là. Tu t'es gouré dans le signe. Bon, c'est super, au moins t'as compris la technique ! On va pouvoir passer au chapitre suivant…

Yoochun eut un temps d'arrêt avant de réaliser :

- Mince, vous finissez à 2h30 aujourd'hui, non ?

- Oui. Le jeune lui adressa un sourire joyeux.

- Tant pis, alors, on se voit demain. Je vais pas t'embêter en te disant de venir à 4h30, rentre chez toi.

- Pas de souci, Y'a personne chez moi…

- Tu ne lâcheras pas, hein ?

Ils se sourirent, entre eux naissant de nouvelles émotions et de nouvelles complicités…