Le mélange de médicaments et d'alcool – il avait commandé direct du Whisky Pur-Feu – le fit dégringoler dans une ivresse psychotique. Alors que d'habitude il avait l'alcool joyeux, du genre à échanger des blagues et des scores de Quidditch, cette nuit-là la colère – pourquoi ne pouvait-il pas prendre juste quelques verres, pourquoi fallait-il toujours qu'il finisse absolument minable quand il buvait – et la frustration – pourquoi est-ce qu'il se sentait si nul et si seul alors qu'il avait des amis géniaux, une femme merveilleuse et des gosses adorables – le submergèrent.

Même ivre-mort, il eut la présence d'esprit de ne pas chercher à transplaner. Il marcha jusque chez lui, environ trois kilomètres, et une fois là se dirigea tout droit vers le salon. Il y éclata les miroirs, les lampes, enfonça ses poings dans les murs, balança le sapin et fit s'écraser les décorations au sol, tout cela en hurlant, Merlin seul savait quoi. Criant et sanglotant et haïssant le monde entier, surtout lui-même.

Il avait commencé à arracher les rideaux de la tringle quand le Stupéfix l'atteignit dans le dos.

Il se réveilla dans son ancienne chambre au Terrier. Pansy Parkinson était assise sur le coin de son lit et se peignait les ongles de pied en rose vif. Il se prépara à entendre les récriminations, les remarques culpabilisantes, le mépris.

« Hermione m'a appelée. »

Il ne pouvait même pas hocher la tête. Elle referma le vernis à ongles et le posa à côté de quatre flacons de potion anti gueule de bois.

« C'était un cocktail relativement létal, Weasley. Du sirop pour la toux, des médicaments moldus, et une bouteille de Pur Feu. Tu as eu de la chance de pas en claquer. Tiens, je parie que t'as mal. »

Elle se leva et passa un bras sous ses épaules. De l'autre main, elle porta la potion à ses lèvres et l'aida à boire.

« Une autre ?

— Non, grinça-t-il. »

Son estomac protestait déjà après juste une seule.

« Faut que je pisse.

— Tu ne vas pas pouvoir marcher pendant un moment. Tu devras pisser dans une bouteille. »

Dans un effort surhumain il leva la tête et regarda ses pieds. Ils étaient couverts de bandages. Cela montrait bien à quel point il était mal, pour ne pas avoir remarqué que la plante de ses pieds était en lambeaux. Mais maintenant qu'il avait réalisé, ça lui faisait un mal de chien.

« Tu as perdu tes chaussures quelque part entre le pub et chez toi. Tellement plein que tu t'en es pas aperçu, tu as continué à marcher, et tu as laminé tes pieds sur le goudron. Je ne sais pas de quoi tu te rappelles, mais la version courte c'était que tu étais ivre mort, que tu as pété un câble et ravagé ton salon. Molly et moi avons passé trois heures à enlever des fragments de miroir, de lampes et de boules de Noël de tes pieds. Elle montera tout à l'heure te jeter un sortilège de cicatrisation quand tu te sentiras mieux. Moi je suis nulle pour ça. Comme toi, ajouta-t-elle avec un petit sourire. »

Il se cacha le visage avec les mains et se mit à pleurer.

Hermione l'avait foutu à la porte. Il ne pouvait pas lui en vouloir. Plus tard dans l'après-midi était arrivée une malle réduite par magie, remplie de ses vêtements, accompagnée d'une Beuglante de deux pages qui détaillait tout ce qu'il avait fait pendant sa crise de rage alcoolisée. Elle terminait en lui disant qu'elle n'avait pas réparé le salon afin que les enfants puissent voir ce qu'il avait fait, y compris ses traces de pieds sanglantes sur le tapis. Il s'installa au Terrier. Revenir chez ses parents à l'âge mûr de trente-neuf ans était terriblement pathétique, mais sa mère le lui avait proposé et il ne voulait vraiment pas demander à quiconque d'autre – comme Harry ou George – parce qu'ils se sentiraient obligés de dire oui et que ça le ferait se sentir encore plus pathétique.

Harry lui avait demandé s'il voulait un congé, mais il avait dit non, parce que s'il n'avait pas quelque part où aller durant la journée, il deviendrait fou.

Il alla à Poudlard pour s'excuser auprès des gosses. Il leur fit la totale, comme quoi l'alcoolisme était une maladie et que ce n'était pas de leur faute s'il buvait, que c'était quelque chose qui était en lui. Qu'il avait des amis et des gens pour l'aider et qu'il surmonterait ça. Que ça n'allait pas se régler en un weekend, que c'était probablement l'affaire de toute une vie. Toutes les deux phrases, il leur répétait qu'il les aimait et que ce n'était pas de leur faute mais la sienne. Rose pleura tout du long. Les yeux de Hugo restèrent secs. Ron ne mentionna pas Hermione une seule fois. A la fin, il dit qu'il fallait qu'il y aille mais qu'il leur écrirait. Hugo hurla :

« Espèce de sale connard ! Je ne veux plus jamais te voir. »

Ce n'était pas quand il avait presque tué Harry qu'il avait touché le fond.

Si Ron avait cru que les quatre premiers mois de sobriété étaient une torture, il s'était méchamment trompé. A l'époque, il avait toujours le respect de la plupart des gens, et ses amis croyaient en lui. Maintenant, Hermione avait peur de lui, ne le respectait plus, et il était assez possible qu'elle le déteste. Ses enfants avaient peur de lui, ne le respectaient pas, et Hugo le détestait. Harry et Ginny ne le respectaient pas, mais il s'accrochait à la certitude qu'ils l'aimaient toujours. Même chose pour ses parents. Oui, ils l'aimaient peut-être, mais ils ne croyaient plus en lui. Personne ne croyait en lui à part ses amis aux AA. Et Parkinson.

Il commença à aller à deux réunions par jour.

« Tu comptes rester un Auror toute ta vie ? A travailler avec Potter. Peut-être qu'il est temps que tu fasses quelque chose de différent. Que tu sortes de son ombre. »

Elle lui lança un regard significatif.

« Ouais, parce que les patrons font la queue pour embaucher des mecs dans mon genre, qui font n'importe quoi à leur travail et terrifient leurs familles en faisant des crises de rage alimentées au sirop pour la toux.

— Quand je me suis ramassée, la première fois – elle fit une pause pour le laisser s'imprégner de l'idée – j'ai atterri dans un fossé et j'ai failli mourir d'hypothermie. Drago possède les Canons. Il le garde secret parce qu'il ne veut pas faire fuir le public parce que le dirigeant de l'équipe est un ancien Mangemort. Quoi qu'il en soit, le directeur de la sécurité prend sa retraite dans quelques mois. Je lui ai dit que tu pourrais être intéressé. Tu aimes l'équipe, et quand tu y vas mollo sur le sirop pour la toux, tu es bon à ce que tu fais.

— Sûrement pas. C'est la faute à Malefoy si Bill a failli se faire arracher la tête. »

Il pensait que la conversation s'arrêterait là. Elle ne laissa même pas passer un battement de cœur avant de répliquer d'une voix contenue.

« Oui, c'était sa faute. Et si tu penses que ça ne l'a pas complètement bouffé, que ça ne continue pas à le bouffer, alors tu es un sacré crétin. Ce truc avec la sobriété, c'est pas juste apprendre à se pardonner nous-mêmes c'est aussi pardonner aux autres. Je vais aux chiottes. »

Il ne la crut pas. Elle en revenait, mais elle voulait sûrement quelques minutes pour se calmer.

Ils avaient pris l'habitude de passer la soirée dans le jardin – sa mère ne voulait pas que Parkinson fume à l'intérieur – et elle enchaînait les clopes de sept heures du matin jusqu'à ce qu'elle aille se coucher. Il avait construit un foyer en briques pour y faire du feu et, à moins qu'il ne pleuve des cordes, ils s'enroulaient dans des couvertures et se faisaient rôtir les orteils. Sa mère s'était bizarrement prise d'affection pour Pansy après sa crise. Elles échangeaient des recettes de cuisine et des trucs de jardinage et, assez souvent, Parkinson restait dîner. Une nuit alors qu'ils étaient assis dans le jardin et que Ron imitait pour elle un crétin du Ministère, entre deux crises de fou rire elle avait dit :

« Parfois, je me dis que tu dois bosser dans un théâtre comique. »

Il avait répondu :

« Ne le prends pas mal, mais en fait tu es gentille. »

Avec un rien de sarcasme elle avait répliqué :

« Merci, Weasley, mais on sait tous les deux que je ne suis pas gentille et que j'ai un caractère de merde sur lequel j'essaie de faire des efforts. Ce que j'ai, c'est un bon sens de l'humour. »

Alors qu'il attendait qu'elle revienne des toilettes, il essaya d'y penser. Laisser Harry ?

Elle s'assit et lui donna un petit coup de pied dans la jambe.

« Alors ?

— Je… je… Peut-être. Tu penses que je serai bon ? »

Il était arrivé au point où il savait quand elle levait les yeux au ciel sans avoir besoin de la regarder.

« Oui, je pense que tu serais plutôt génial à ce poste, pour être franche. Et plus important, je pense que tu y serais heureux. Envoie-lui un hibou.

— On, je veux dire, Malefoy et moi, on n'a jamais pu se voir. Tu sais. A Poudlard. Même sans le truc avec Bill. »

Elle lui donna un coup à l'épaule.

« Tu es un pauvre idiot. J'étais là. Tu te rappelles ? La seule personne qu'il haïssait plus que Potter c'était toi. Cela dit, c'était il y a longtemps. Le type qui bosse à la sécurité en ce moment est un ancien Auror. Il dit que vous êtes bien entraînés. Drago n'a pas moufté quand j'ai suggéré ton nom. »

Elle parlait rarement de Malefoy, même s'il avait l'impression qu'elle le voyait assez souvent.

« Pourquoi tu bois, Parkinson ? »

Ça sortait de nulle part et il ne fut pas surpris qu'elle prenne quelques minutes avant de répondre.

« Je détestais être dans l'ombre. Toi et moi on pourrait écrire un bouquin, mon grand, sur la soif de reconnaissance et le sentiment de voir les spots éclairer tout le monde sauf vous. Il faut faire gaffe à ses vœux, de peur qu'ils se réalisent. Proposer de donner Potter au Seigneur des Ténèbres m'a clairement rendu célèbre – mais pas le bon type de célébrité. Ma tarte fraise rhubarbe mérite d'être connue, mais peu de gens le savent. C'est meilleur que le sexe, pour être honnête. Pourquoi tu penses que j'étais aussi salope à Poudlard ? »

Il se mit à tousser.

« Va te faire, Weasley, dit-elle avec bonne humeur. Je sais le reconnaître, t'inquiète. J'essayais d'être la meilleure dans une catégorie, de compenser, de me propulser vers le haut. Les Parkinson ont pas mal de points communs avec ta famille. Pas des tonnes d'argent, mais des Sang Pur malgré tout. Comparé aux Malefoy, aux Crabbe et aux Goyles, cela dit, on n'est tout juste des manants avec un pedigree. La différence, c'est que ça convient parfaitement à tes parents d'être dans la classe moyenne, et que les miens en ont honte. Ils essayaient de cultiver l'amitié de gens comme les Malefoy, qui supportaient leur présence à une fête de temps en temps. Quand je suis arrivée à Poudlard, j'étais déjà à moitié amoureuse de Drago. Lucius et Narcissa semblaient être tout ce que mes parents n'étaient pas : cultivés, élégants, riches. Je rêvais de me marier avec lui.

— A cause de ses parents ? »

Ron ne parvint pas à dissimuler l'horreur dans sa voix, parce que si Lucius Malefoy avait été son beau-père, il se serait pendu.

« Non, pas juste à cause de ses parents. Beurk. Tu ne le connais pas. Tu penses que c'est juste un gosse pourri gâté, un sale con arrogant qui est né avec une petite cuillère en argent magique dans la bouche. Et tout ça c'est vrai, mais il est aussi incroyablement intelligent, drôle et loyal. La plupart du temps, il ne te jetterait pas un verre d'eau si tu étais en train de brûler, mais une fois qu'il t'a accepté, il ferait n'importe quoi pour toi.

— C'est bien de savoir qu'il n'est pas juste là pour gâcher de l'oxygène. Aïe ! C'était mon pied. Bon, on pensait tous que vous alliez vous marier. Qu'est-ce qui s'est passé ? »

Tout comme Ginny et Harry, et Hermione et lui, semblaient destinés à se marier. Sa surprise avait été à la hauteur de celle des autres quand la Gazette avait annoncé le mariage de Drago Malefoy et Astoria Greengrass. »

Elle tira quelques bouffées supplémentaires et fit une grimace il pouvait voir les contours de son visage dans les ombres distordues jetées par le feu.

« Drago a été vendu pour restaurer la fortune des Malefoy et leur nom. On n'était pas assez en vue ou assez riches pour les Malefoy. Mes parents n'ont pas d'argent, et ça n'a pas non plus aidé que je m'habille comme une pétasse et que j'arrive à peine à avoir la moyenne à l'école. Les seules choses en ma faveur c'est que j'étais une Sang Pur et que je l'aimais, ce qui n'est pas suffisant dans le monde de Drago. Ce qui est marrant, c'est que Narcissa ne pouvait pas me voir quand on était gamins, mais maintenant que je ne suis plus une menace on s'entend plutôt bien. »

Dingues. Ils étaient dingues.

« Il a l'air bien avec Astoria. Je veux dire, Scorpius est un chouette gamin. Al l'aime vraiment bien. »

Elle ne répondit pas immédiatement. Elle termina sa clope et jeta le mégot au feu.

« Ce que je vais te dire est un secret, et si tu le répètes à quiconque – ta sœur, Potter, même ta mère – je me ferai un collier avec tes intestins. J'arrive à peine à croire qu'il ait eu Scorpius, ok ? Il est amoureux de Blaise Zabini depuis qu'on a quatorze. Il est pédé comme un phoque. Evidemment, il pourra jamais le dire à ses parents. Je suis tombé sur lui et Blaise un jour en septième année. Même alors, j'espérais quand même que peut-être… Quand il a épousé cette grosse vache de Greengrass, je me suis mariée avec le premier type qui me l'a proposé. Qui s'est trouvé être un enculé de Français qui avait besoin d'un permis de travail britannique. Sa façon de voir la fidélité, ça a été d'attendre après la lune de miel pour se taper la nana du traiteur. »

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais elle le coupa :

« On peut s'appeler par nos prénoms ? Je t'ai aidé à pisser dans une bouteille. Je pense qu'on est assez proches pour les prénoms. »

Il se mit à rire pour la première fois depuis six semaines.

« Pourquoi tu es si sombre ? Tu as fumé comme une cheminée toute la nuit et tu as à peine décroché un mot. »

Ils étaient assis sous un auvent grossier que Ron avait obtenu en transformant une table de pique-nique. Ca les protégeait un peu de la tempête qui faisait rage autour d'eux. Il gardait le feu allumé en envoyant constamment des étincelles avec sa baguette. Elle avait été silencieuse durant le dîner, et même sa mère mentionnant une nouvelle recette de fairycakes qu'elle devait absolument essayer n'avait pas suffi à la faire changer d'humeur. Elle avait hoché la tête et essayé de sourire, mais c'était comme si les coins de sa bouche ne marchaient pas. Malgré une averse de grêle elle s'était ruée dehors après avoir aidé à faire la vaisselle, pour y fumer une clope après l'autre.

« Me suis fait virée. Mon enfoiré d'ex-mari n'attend qu'une excuse de ce genre pour empêcher les gosses de venir aux vacances de printemps. Pas qu'il les veuille, il ne veut juste pas que moi je les ai. »

Une des plus grandes peurs de Ron avait été de perdre son travail.

« J'ai dit à mon patron que s'il me foutait la main aux fesses encore une fois, je le dirais à sa femme. Il m'a virée aussitôt.

« George, tu aurais besoin d'aide à la boutique ? »

Après la mort de Fred, George avait vécu comme en berne, se relevant à peine lorsqu'il avait épousé Angelina. Ron était persuadé que lui et Angelina n'aurait jamais d'enfants c'était comme un ménage à trois où il manquait le troisième. Et puis Hermione avait eu l'idée géniale de faire peindre le portrait de Fred. Une fois le portrait fini, George et Angelina commencèrent à pondre gamins sur gamins. Fred était un réservoir de blagues dégueux sur la grossesse et le sexe.

« J'ai besoin de quelqu'un pour s'occuper des relations avec les fournisseurs parce que je ne peux pas continuer à le faire, je vais finir par tuer quelqu'un. La semaine dernière cet enfoiré de Dreger a coupé son stock d'asphodel avec de la menthe.

— Tu aurais dû ensorceler ses couilles et les faire tomber, Georgie. Tu te bonifies avec l'âge, déclara Fred.

— Tu veux bien la fermer ? »

George jeta un regard noir en direction du portrait.

« Bon Dieu, il a été sur mon dos toute la sainte journée, souffla-t-il. Tu veux le job, Ronnichou ?

— Non, Ronnichou ne veut pas le job, mais il connaît quelqu'un qui en cherche un. Pansy s'est fait virer. Le pervers pour qui elle bossait lui a quasiment fait un toucher rectal. Quand elle lui a dit de dégager et de garder ses sales pattes pour lui ou elle le dirait à sa femme il l'a foutue à la porte. »

George jeta un regard circulaire autour de lui.

« Tu vois Angelina quelque part ? »

Ron et Fred regardèrent rapidement autour d'eux avant de secouer la tête en même temps.

« Pas que j'approuve ce genre de comportements… – Fred renifla – mais je dois admettre que Parkinson a une sacrée chute de reins. Ça serait pas évident de tenir mes mains tranquilles.

— Angelina transformerait Popaul en cornichon, vieux. Remarque, ça serait peut-être une amélioration, niveau taille…

— Au moins j'en ai un en état de marche, mon cher frère. »

George porta sa main à son entrejambe dans un geste obscène.

« C'est bas, George. Même pour toi.

— Si c'était toi… »

Ils pouvaient continuer comme ça pendant des heures. Ron interrompit d'une voix forte :

« Pansy ?

— Je pense que ça serait une très bonne idée, Georgie Porgie. Je peux l'entendre démonter Dreger d'ici. »

Dans une imitation criante de vérité de Pansy quand elle était de la pire des humeurs, Fred se mit à glapir :

« Dreger, tu me refais un coup comme ça encore une fois, je t'arrache la queue et je te la fais bouffer. »

Le regard de George s'éclaira.

« Dis-lui de m'envoyer un hibou. »

« Comment ça se fait que tu m'ais jamais invité chez toi ? »

Elle rougit. Ça le tua parce qu'il n'avait jamais imaginé qu'elle soit seulement capable de rougir.

« Je n'ai pas pu réparer les dégâts après l'incendie. Je n'ai pas le fric pour ça et je sais pas le faire moi-même.

— C'est si terrible que ça ? »

Ok, ça l'était. Il était stupéfait qu'elle s'en soit sortie en vie. Au moins la moitié des fenêtres de la maison était fermée par des planches des marques de suie noircissaient toute la façade. Bien que largement plus grand que le Terrier, la maison avait ce même côté garenne, avec une pléthore de minuscules fenêtres surplombées par une savante combinaison de tourelles.

« La jolie moitié est celle qui a brûlé heureusement la cuisine était dans la partie merdique. On fait avec, même si les chambres de ce côté sont minuscules. Le thé sera prêt dans une minute. Tiens. »

Elle posa devant lui une assiette débordante de biscuits.

« Elle est géniale cette maison, même à moitié calcinée. Je croyais que les Parkinson n'avaient pas un rond. Ces biscuits sont délicieux »

Il s'arrêta au deuxième. Etre sobre lui permettait de perdre du ventre. Il n'avait pas envie d'en reprendre en se goinfrant chez Pansy.

« Ma grande-tante Tabitha si, ou au moins assez pour posséder cette maison. Et elle m'aimait bien. Elle m'a laissé la maison, et mon père a eu un canari. Faut dire qu'il la traitait comme de la merde parce que c'était une Cracmol. Mes parents me laissaient ici les weekends et on faisait des gâteaux et des tartes au chocolat. Sacrée Tabitha.

— Tu as des Elfes de maison ? Je veux dire, ce jardin est vraiment chouette. Ça doit être quelque chose au printemps et en été, marmonna-t-il tout en avalant une bouchée de biscuit. »

Celui-ci était encore meilleur que les deux précédents.

« Non. »

Elle pointa un doigt dans sa propre direction.

« Ça me garde sobre. Je suis pas une fan de ménage. Je fais la poussière quand il faut, mais mon truc c'est le jardin et la cuisine. Du thé ? »

Ils restèrent assis en silence sans que ce soit désagréable jusque à ce que Ron ait une idée terrible. Terriblement bonne. Et peut-être terriblement terrible.

« Pansy, si j'emménageais ici ? Je suis plutôt fauché en ce moment, mais je pourrais retaper au lieu de te payer un loyer. Et j'ai toute une tripotée de frangins qui pourraient donner un coup de main. En dépit des apparences, Percy est carrément bon avec les sorts de construction. »

Alors qu'il débarrassait la table, elle s'alluma une cigarette et alla se placer devant une fenêtre ouverte, soufflant la fumée dans le jardin.

« Tu veux emménager ici ? demanda-t-elle lentement, comme si elle avait mal aux dents.

— Mes parents sont géniaux, vraiment, mais c'est comme si j'avais de nouveau quinze ans. Ma mère m'a demandé hier si j'avais mis mes chaussettes au sale. Et c'est pas comme si t'avais pas la place. Alors ? »

Elle jeta son mégot et le regarda quelques secondes. Il se prépara à son rejet, à ses excuses : elle aimait vivre seule, il y avait ses enfants, c'était une mauvaise idée pour deux alcoolos de vivre ensemble. Tout un tas de raisons.

« Je vais te faire visiter le tout. Et puis tu me diras si ça tient toujours. Drago et Blaise viennent dîner ici dimanche. Si tu vis ici, tu acceptes mes amis. Et il faudra que tu te trouves un autre tuteur. »

Il apparut que Malefoy était vraiment drôle, et avec lui et Pansy qui s'envoyaient des blagues sans arrêt, Ron n'avait pas ri aussi fort depuis une éternité. Ou du moins, il n'avait pas ri si fort en étant sobre depuis une éternité. Zabini était toujours autant un mystère qu'à Poudlard. Il parlait peu, mais quand il ouvrait la bouche c'était pour dire quelque chose de brillant qui faisait taire les deux autres l'espace d'un instant. Ils avaient tendance à s'entraîner l'un l'autre et Zabini les laissait faire jusqu'à un certain point et les coupait avant que ça ne s'envenime.

Ron se leva pour débarrasser et fut surpris de trouver Malefoy juste derrière lui. Malefoy ferma la porte de la cuisine après être entré.

« Je suis désolé. Pour ton frère. »

Malefoy lui tendit la main. Ron en fut si stupéfait qu'il laissa tomber toutes les assiettes en équilibre sur son bras.

« Ron ? entendit-il Pansy glapir.

— C'est rien. J'ai juste fait tomber quelques assiettes, cria-t-il en retour. »

Bien. Se pardonner. Pardonner aux autres.

Il tendit son bras et ils échangèrent une poignée de mains. Malefoy jeta un Reparo, déposa les assiettes dans l'évier avant de jeter un sort de silence.

« Weasley, Pansy est comme une sœur pour moi. Je connais des sorts qui te feraient regretter de n'être pas mort durant la bataille de Poudlard. Si tu lui fais du mal, je te le ferai regretter. »

Si Ron avait toujours eu les assiettes en main, elles lui auraient échappé à nouveau.

« C'est quoi ton délire, Malefoy ?

— Elle a connu suffisamment de types qui voulaient juste un trou où foutre leur queue. Tu lui fais ça, tu peux te préparer à vivre dans la paranoïa pour le reste de tes jours. »

Malefoy leva le sort de silence.

« Mainenant que ça c'est fait, j'aimerais qu'on parle de ce job pour les Canons. Je pense que tu serais parfait. »

Une routine s'installa les weekends. Ils se levaient tôt, allaient à une réunion, et puis pendant qu'il s'occupait de réparer les dégâts causés par l'incendie, Pansy passait la majeure partie de sa journée dans la serre ou le jardin avant de s'occuper du dîner. Quelquefois Harry venait donner un coup de main, quelquefois Percy (qui n'était pas fan de Pansy mais avait ses propres erreurs à rattraper). Son père venait l'aider tous les samedis et insistait pour tout faire avec des outils moldus. Au bout d'un mois, Ron était devenu le dieu des pistolets à clous.

Tout n'était pas rose. Pansy avait vraiment un caractère de merde, mais heureusement, elle n'était pas du genre à faire la tête. Elle explosait et puis c'était fini. Et puis il y avait toujours des jours où il restait des heures au téléphone avec son nouveau tuteur. Mais il restait sobre, passait les jours un à un et commençait à comprendre, pour la première fois, qu'il serait toujours alcoolique mais qu'il n'avait pas besoin d'être alcoolo.

Ils ne sortaient pas, sauf pour les réunions et un repas de temps en temps chez ses parents. Vu que la grande-tante de Pansy était une Cracmol, il y avait une télévision dans la maison. Ils passaient la plupart de leurs soirées à regarder des films qu'ils louaient dans un village moldu pas loin. La premières fois qu'ils étaient parti chercher des DVD, Ron s'était attendu à souffrir en silence pendant le temps du film merdique que Pansy choisirait avant de pouvoir s'étourdir de deux heures de ce que l'Amérique pouvait offrir de plus violent. Hermione voulait regardait des conneries suédoises existentialistes où tout le monde voulait se tuer à la fin – ou au moins, Ron voulait les tuer pour abréger leurs souffrances – ou des comédies romantiques françaises peuplées d'actrices que Ron ne trouvait pas le moins du monde attirantes et qu'il ne comprenaient pas parce que, bordel, elles parlaient français, et s'il avait voulu lire un film il aurait loué un livre. Ron retrouva Pansy au comptoir, elle tenait « Pulp Fiction » d'une main et « Kill Bill » de l'autre.

Lorsque les vacances de printemps arrivèrent, il était revenu à une réunion par jour. Il avait repeint les chambres des gosses et Pansy s'était occupé d'accrocher de nouveaux rideaux pour que ce soit comme neuf pour les vacances. Il avait retapissé la cage d'escalier avec un papier à motif fleuri qui était trop féminin pour lui, mais ça plaisait à Pansy et c'était sa maison. Hugo ne lui parlait toujours pas. Fidèle à sa parole, il écrivait aux enfants chaque semaine. Rose lui répondait par des lettres enjouées Hugo ne répondait jamais. Il n'avait pas le courage de demander à Rose s'il les lisait ou s'il se contentait de les jeter dans la cheminée.

Il emmena Rose en vacances à New York. C'était la fille de sa mère. Il la suivit de bonne grâce à travers le Metropolitan, le Cloisters et même un endroit affreux appelé le Guggenheim avec les tableaux les plus horribles qu'il ait jamais vu, à l'entendre pousser des ooh et des ahh. Elle ressemblait tellement à Hermione ado qu'il fut au bord des larmes pendant tout le voyage.

Il revint de New York pour trouver le jardin couvert de crocus, de tulipes et de jonquilles.

Un après-midi vers la fin du printemps, alors que les digitales se balançaient dans la douce brise et que les roses menaçaient d'éclore d'une seconde à l'autre, il sortit pour dire à Pansy que le thé était prêt et s'arrêta net en la voyant. Elle portait ses vieux vêtements de jardinage – son tee-shirt était tâché par une auréole de sueur sous les bras et dans la vallée entre ses seins, elle ne portait pas de soutif si bien que ses énorme nichons tombaient sur son ventre, ses cheveux étaient retenus par un foulard noué, il y avait une trace de terre sur sa joue – elle avait une dégaine abominable. Et absolument merveilleuse. Ron porta une main à sa poitrine pour contenir la chaleur, l'envie, le désir, la tendresse qui s'étaient emparés de lui tout à la fois.

Bon Dieu, il était en train de tomber amoureux de Pansy Parkinson.

« Pansy, il faut que je… Hermione. »

Il agita la main. Juste avant de transplaner il eut le temps d'apercevoir un éclair de désespoir profond sur son visage.

Hermione était à la maison, et prenait le thé de son côté. Ils ne s'étaient pas parlé depuis cette nuit-là. De temps en temps il demandait à Harry si elle allait bien et Harry hochait toujours la tête pour dire oui. Ron n'en demandait jamais plus.

Elle n'eut pas l'air particulièrement surprise de le voir.

« Du thé ? Je viens juste d'en faire. »

A la sécheresse de son ton il réalisa qu'il aurait dû la contacter avant, quand il avait commencé à aller mieux.

« Non. Enfin, peut-être. »

Il avait besoin d'occuper ses mains.

« J'aurais dû venir plus tôt. Excuse-moi. »

Elle lui prépara une tasse, faisant son thé juste comme il l'aimait, et la posa devant lui avec un peu trop de force, si bien qu'un peu de liquide coula à côté. Elle fixa un moment les gouttes sur la table mais ne fit pas un geste pour aller chercher une serviette ou quelque chose. Elle s'assit et dit d'une voix dure :

« Oui, tu aurais dû. Me mettre dans une position où j'étais forcée de demander à Rose ou Harry ce que tu devenais n'est pas correct. »

C'était un reproche et il le méritait.

« Je suis vraiment désolé, répéta-t-il, sincère. Je croyais que tu ne voulais plus me parler. Peut-être pour toujours. Cette Beuglante.

— Oh, pour l'amour de Dieu, Ron…

— Et peut-être que j'avais trop honte – après cette nuit, tu sais – pour te parler. Je vais bien. Je suis resté sobre depuis, tu sais, cette nuit. Les quatre pires mois de ma vie, mais ouais. Ça va. Je vis avec Pansy.

— Harry m'a dit, dit-elle de cette même voix dure, bougeant à peine les lèvres. »

Tout ce qui allait sortir de sa bouche allait la blesser, mais il n'avait pas été honnête depuis des années, et voilà où ça l'avait mené.

« Pansy a foutu le feu par accident une nuit où elle était ivre vu qu'elle fume comme un pompier. Elle a failli y passer et la moitié de la maison a brûlé. Je l'aide à réparer au lieu de payer un loyer. »

Elle ne répondit rien.

« Je vois un avenir pour moi, là. »

Il s'était attendu à ce qu'elle proteste, peut-être même à ce qu'elle lui jette un maléfice. Quand elle répondit d'une voix plate : « Je veux un futur avec le Ron que je connais. Connaissais. Pas ce Ron- » en faisant un geste fatigué de la main en direction du salon, quelque chose se cassa en lui et un poids disparut.

Hermione avait été sa jeunesse, son histoire pendant si longtemps. Il avait fait chauffer des biberons pour ses bébés dans cette cuisine, y avait découpé des rôtis et allumé des bougies d'anniversaires. Hermione était la seule personne au monde à qui il pouvait dire « Tu te rappelles quand Hugo avait ce doudou miteux dont il refusait de se séparer. Il l'emmenait même aux toilettes avec lui. » Elle était la seule personne à savoir la couleur de ce doudou et à quel point Hugo l'avait aimé. Que le premier mot de Rose avait été « livre » et le suivant « dada ». Qui savait même s'il ne pouvait l'exprimer avec des mots ce que ça voulait dire de perdre Fred.

« Je ne peux pas te promettre ça si je reste. Une partie de mon problème d'alcool c'est que je suis dans ton ombre et l'ombre d'Harry et…

— Ce n'est pas ma faute ! cria-t-elle.

— Non, mais ça me tue quand même ! cria-t-il à son tour avant de compter jusqu'à dix. »

Il remarqua avec surprise une longue mèche grise dans ses cheveux. Est-ce qu'il avait été tellement absorbé par ses propres problèmes qu'il n'avait simplement pas remarqué ou bien est-ce que c'était récent, une preuve d'à quel point cette année avait été horrible pour elle ?

Il attrapa ses mains et dit d'une voix douce :

« Quand je bois, je trouve Ron Weasley, ce qui, je sais, est complètement tordu, mais c'est comme ça. Alors il faut que je trouve Ron Weasley sans avoir besoin de me torcher pour ça. Je t'ai aimée quasi toute ma vie, et je t'aime toujours, mais si je reste dans ce mariage, je n'y arriverai pas. »

D'une voix fatiguée, vaincue, elle dit :

« Ron, quand tu as fait ça dans le salon, ça… ça a cassé quelque chose. Peut-être pour toujours. Certaines choses que tu as dites…

— Je ne m'en rappelle pas, avoua-t-il. Mais je suis sobre maintenant, et quoi que j'aie pu dire cette nuit-là, c'était l'alcool qui parlait. Je ne rejette pas la faute sur toi. J'aimerais vraiment ne pas me sentir comme ça – un type de troisième-rang, au mieux – mais j'y peux rien. »

Il pointa le salon du menton.

« Je ne veux pas que tu sois mariée à ce type. C'est un branleur égoïste qui a vraiment un gros problème avec l'alcool. »

Elle lui avait résisté jusqu'alors, essayant d'arracher ses mains à sa prise, mais quand il dit « branleur » elle eut un petit sourire, se détendit et serra ses mains à son tour.

« Je ne veux pas être mariée avec lui non plus, murmura-t-elle. »

L'espace d'une seconde, il se retrouva dans le marécage de dégoût de soi et de haine qui avait alimenté son alcoolisme, comme si les murs de la maison en eux-mêmes étaient un genre de sable mouvant émotionnel. C'était pas étonnant qu'il s'en soit pris à eux à coups de poings. Non, il n'allait pas revenir à ça. Même pas pour Hermione. Il entrelaça leurs doigts, un geste qu'il avait fait des centaines de fois.

« J'ai trente neuf-ans, bordel, et pas la moindre idée de qui est Ron Weasley. Je me sens comme le fils qui n'égalera jamais de moitié Fred ou Charlie ou Bill ou George, comme le faire-valoir d'Harry Potter, et… »

C'était ce qui était le plus douloureux à dire :

« Comme le mari d'Hermione Granger.

— Tu n'es pas ça pour moi, protesta-t-elle.

— Je sais. Les seuls moments où ça me rend pas dingue, c'est quand je descends une pinte. On a eu des bons moments, Hermione, mais il est temps pour toi maintenant de trouver quelqu'un qui aime l'opéra et qui pense que des vacances passées à visiter des musées en Italie sont géniales. Quelqu'un qui ne se moquera pas à chaque fois que tu mentionneras L'histoire de Poudlard. »

Il éleva la voix pour se faire entendre par-dessus les sanglots d'Hermione.

« Quelqu'un qui lira vraiment les livres que tu lui recommandes au lieu de vaguement feuilleter le dernier chapitre. Qui t'achèteras un abonnement au ballet pour ton anniversaire et qui ne ruinera pas le cadeau ensuite en se plaignant que c'est chiant. Parce que tu mérites cette personne, Hermione. Quelqu'un qui ne traîne pas un complexe d'infériorité de la taille du Pays de Galles. Qui t'aimeras parce que tu es la femme la plus intelligente et la plus belle qu'il ait jamais connu, pas un pauvre type qui ne peux pas s'empêcher de t'en vouloir parce qu'il n'a pas la moitié de ton génie et qu'il ne peut pas se pardonner pour ça. »

Il transplana dans le salon et Malefoy était là, à tenir Pansy dans ses bras. Ils étaient assis sur le canapé, ses faibles sanglots étouffés contre l'épaule de Malefoy. Elle releva la tête en entendant le pop du transplanage. Bon sang, elle avait une mine atroce. Les yeux tout rouges et bouffis, le visage complètement blême.

Il leva le pouce vers lui.

« Je m'en occupe. »

Il ignora le regard noir de Malefoy et s'assit de l'autre côté de Pansy. Il la tira dans ses bras. Il y avait des millions de raisons qui faisaient de ça une mauvaise idée, et seulement quelques unes qui faisaient que ça pourrait marcher. Elle se tourna vers lui et l'étreignit, sans qu'aucun d'eux ne fasse attention à Malefoy qui partit par la Cheminée. On aurait pu penser qu'avec sa taille – tout en bras et en jambes – et son corps petit et compact, ils n'iraient pas très bien ensemble, mais ses courbes épousèrent ses angles comme si ça faisait des années qu'ils faisaient ça. Elle sentait la fumée de cigarette et les roses.

Peut-être que ce n'est pas la personne avec qui vous êtes qui compte. Peut-être que c'est qui vous êtes avec cette personne.

Fin