L'après-midi touchait à sa fin, et le ciel commençait à prendre une teinte rosée annonçant la tombée de la nuit. La chaleur n'avait pourtant pas diminuée en ce début du mois de mai, et une jeune fille blonde s'éventait machinalement de la main en rentrant chez elle. Les rues étaient encore remplies des passants qui profitaient des moindres rayons de soleil, mais elle n'aspirait qu'à prendre une douche et s'affaler sur son canapé. Sa journée de cours était finie, et la fatigue se faisait sentir. La jolie blonde, répondant au nom de Yuya, était étudiante depuis deux ans à la prestigieuse université de Tôkyô et elle croulait sous les devoirs et les examens. Heureusement c'était vendredi, et elle allait pouvoir souffler un peu. En arrivant sur le pas de sa porte elle s'aperçut qu'elle avait oublié ses clés, et sonna en soupirant.
- Kyoshiro c'est moi ! Ouvre !
Elle finit par entendre des pas de l'autre côté, et son colocataire apparut.
- C'est la troisième fois que tu oublies tes clés ce mois-ci, mais comment tu ferais si j'étais pas là ?
- J'irai chez Sakuya, je vois pas trop où tu pourrais être autrement.
Le jeune homme brun eut un sourire bêta, heureux à la simple évocation du nom de sa bien-aimée. Cela faisait près d'un an qu'ils se fréquentaient, après s'être rencontrés par le biais de Yuya. Cette dernière avait fait la connaissance de Sakuya à l'université, et elles étaient rapidement devenues très amies. Avec Kyoshiro ça avait été le coup de foudre immédiat, mais les deux timides s'étaient tournés autour pendant longtemps avant de finalement sauter le pas. Ils ne vivaient toutefois pas encore ensemble, car Sakuya désirait se concentrer avant tout sur ses études. Yuya avait craint qu'elle ne voie d'un mauvais œil leur colocation, mais la jeune femme avait bien compris que Kyoshiro et elle étaient plus frères et sœurs qu'autre chose.
Ils se connaissaient en effet depuis le lycée, et s'étaient immédiatement liés d'amitié. Ils avaient tous les deux travaillé très dur pour être acceptés à Todai, et avaient alors décidé de vivre ensemble pour partager le loyer. En réalité c'était plutôt dans l'intérêt de Yuya, car Kyoshiro venait d'une grande famille très riche et ne manquait de rien, alors qu'elle devait se serrer la ceinture pour parvenir à payer ses études. Comme elle refusait catégoriquement d'accepter de l'argent de la part de son ami, malgré ses nombreuses propositions, elle travaillait plusieurs soirs par semaine comme serveuse dans un restaurant de son quartier. C'était fatiguant certes, mais elle appréciait d'être indépendante. Suite à la mort de son grand frère dans un accident de voiture lorsqu'elle était au collège, elle s'était juré d'être digne de sa fierté en allant dans la même université que lui, même si cela impliquait de longues journées de travail et quelques nuits blanches passées à réviser. Kyoshiro avait beaucoup plus de facilités qu'elle, et pouvait se permettre d'aller passer la plupart de ses nuits chez Sakuya sous le regard mi-attendri, mi-envieux de Yuya.
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La soirée était maintenant bien entamée, et les deux amis se racontaient leur journée en mangeant. Yuya avait remarqué que quelque chose semblait tourmenter Kyoshiro, mais elle savait qu'il lui en parlerait seulement lorsqu'il l'aurait décidé et faisait comme si de rien n'était. Finalement, à la fin du repas, Kyoshiro alla s'asseoir à côté de la blonde sur le canapé.
- Ecoute Yuya, il faut que je te dise quelque chose. Tu sais, j'ai un cousin…
Yuya haussa un sourcil, surprise d'entendre son ami parler de sa famille, car il n'abordait jamais le sujet. Il était un descendant des Mibu, une lignée riche et puissante très impliquée dans la politique du Japon. Sans qu'elle sache exactement pourquoi, elle avait vite compris qu'il était en mauvais termes avec la majorité d'entre eux et qu'il voulait en restait éloigné le plus possible. Son compte en banque était toutefois approvisionné très généreusement chaque mois, comme c'était le cas de tous les enfants Mibu, et cela lui permettait de payer sa scolarité et ses dépenses personnelles sans difficultés.
- J'ai un cousin, Kyo, que je n'ai pas vu depuis plusieurs années, et qui va bientôt venir vivre à Tôkyô. Il n'a nulle part où aller, alors je pensais que peut-être…
- Tu veux qu'il vienne vivre ici ?
Yuya avait du mal à croire que c'était ça qui l'avait angoissé toute la soirée. D'habitude il ne se gênait pas pour inviter son meilleur ami Benitora à venir s'incruster chez eux.
- Mais ce serait juste temporaire bien sur ! De toute façon je suis sûr qu'il ne sera pas souvent là.
- Bon, et bien s'il paye un loyer le temps qu'il reste, pourquoi pas… Mais il habitait où avant de venir ici ?
Kyoshiro se mit alors à rougir. N'aimant guère la tournure que cela prenait et comprenant qu'on abordait enfin le vrai sujet sensible, Yuya insista.
- Kyoshiro ? Il faisait quoi ton cousin avant de venir à Tôkyô ?
- Oh, il a vécu ici et là… Il a fait pas mal de petits boulots…
Yuya dévisagea son ami, qui n'osait pas la regarder dans les yeux. Après quelques minutes de silence elle finit par accepter en soupirant. Après tout Kyoshiro ne la mettrait jamais en danger en invitant un psychopathe à venir chez eux.
- Mais il devra payer sa part du loyer, je suis sérieuse !
- Merci Yuya, je te revaudrai ça ! Il dormira sur le canapé du salon, tu verras tu ne remarqueras même pas sa présence !
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Cette dernière phrase retentissait dans la tête de Yuya quelques jours plus tard, tandis qu'elle se tenait en face de leur nouveau colocataire. Une chose était sûre, ça allait être impossible de ne pas remarquer la présence de cet homme.
Kyoshiro était allé le chercher à la gare, et les deux cousins venaient de rentrer à l'appartement. Lorsque Yuya avait ouvert la porte elle s'était retrouvée nez-à-nez avec un grand jeune homme, bien bâti et aux longs cheveux noirs. Elle avait immédiatement remarqué son regard, qui était presque rougeoyant tant il vibrait, et son sourire animal. Tout en lui respirait la virilité et, ce qui la mettait assez mal à l'aise, la violence. Il lui avait à peine jeté un regard, et était allé directement poser ses affaires dans la chambre de Kyoshiro. Troublée, la jeune femme avait tout de même remarqué quelque chose d'étrange.
- Mais il n'a qu'un sac ? Est-ce que le reste de ses valises arrive plus tard ?
- Oh c'est juste qu'il voyage léger… Enfin je veux dire, peut-être qu'il en manque… Mais…
- Tu ne lui as pas dit ?
Les deux amis se retournèrent d'un bond. Kyo était revenu dans le salon, où il se tenait adossé contre un mur en fumant une cigarette.
- Elle ne sait pas où j'étais ces cinq dernières années ?
Perdue, Yuya jeta un regard à Kyoshiro mais celui-ci s'obstinait à regarder par la fenêtre.
- Comment ça ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Un fin sourire carnassier étira alors les lèvres de Kyo.
- J'étais en prison, pour meurtre.