Ma toute première fic, écrite en 2003 ou 2004... Ou plutôt mes deux premières fics réunies en une seule histoire. Oui, je sais, parfois ça dégoulisuinte de bons sentiments. Je reste une incorrigible femelle romantique, malgré tout. L'histoire a été rédigée juste après la diffusion du dernier épisode de la saison 1 afin de calmer ma frustration de ne pas savoir ce qui allait se passer. L'avantage, c'est qu'elle sert aussi à combler un manque qui ne l'a jamais été par les scénaristes, puisque par une coupable ellipse nous sommes passés du stress intense au "2 mois plus tard". Même les auteurs de fanfiction n'osent pas ce genre de stratagème de bas étage. Enfin bon, c'est du passé, n'en parlons plus.

Publication sur dans l'optique d'un grand rangement de printemps dans mes vieilles histoires !

Bonne lecture à ceux qui se souviennent encore de cette série coproduite par M6 et Dupuis.


Aéroport de Mirabelle - Montréal - Canada

Joy était entre ses bras, sans connaissance, peut-être même sans vie. Il lui parlait, mais elle ne semblait pas entendre. Le véhicule de la sécurité de l'aéroport s'était arrêté tout près. Autour d'eux, le bruit des sirènes, des cris, des ordres lancés. Pourquoi ne se réveillait-elle pas ?

Quelqu'un lui parlait, lui demandait quelque chose, mais il ne le comprenait pas. Il ne pouvait pas détacher son regard d'elle.

Simon lui toucha doucement le bras et essaya à nouveau de le sortir de sa torpeur.

- Largo, je suis désolé…

- Non, ce n'est pas fini. Joy, ouvre les yeux, regarde-moi. Joy, tu m'entends ? JOY ! JE T'INTERDIS DE MOURIR !

Il la berçait dans ses bras, et la serrait fort contre lui, très fort. Assez fort pour... pour entendre son cœur battre. Faiblement, irrégulièrement, mais il pouvait l'entendre !

- Simon, elle est encore en vie !

- Quoi ? Tu es sûr ?

- Oh que oui !

Les rires se mêlèrent aux larmes. Enfin, le ciel y mettait un peu du sien, et une bonne chose leur arrivait. La première depuis le début de cette histoire.

Les deux amis se retournèrent ensemble vers les véhicules de la sécurité de l'aéroport et hurlèrent d'une même voix « Appelez une ambulance ». Ils couvrirent Joy de leurs vestes, l'encourageant à tenir le coup, tantôt en la suppliant, tantôt en la menaçant, sans savoir vraiment ce qu'ils disaient.

Lorsque, enfin, les secours arrivèrent, Largo monta avec Joy dans l'ambulance. Il ne voulait plus la laisser seule. Plus jamais...

Il lui prit la main, sans quitter des yeux ce visage si pâle, comme s'il pouvait éloigner la mort par sa seule présence. Il n'avait pas arrêté de lui parler doucement depuis le hangar. « Joy j'ai besoin de toi, tu n'as pas intérêt à me laisser tomber. On a tous besoin de toi : les quatre mousquetaires ! Allez, ma belle. ».

Seules les infirmières réussirent à lui faire lâcher sa main lorsqu'elles emmenèrent Joy en salle d'opération. En la regardant s'éloigner, il leur cria « Je suis Largo Winch, je veux que vous lui donniez les meilleurs soins, les meilleurs médecins. Je paierai. »

C'était tout ce qu'il pouvait encore faire. Il se sentait impuissant il se sentait perdu. Pour la première fois, il baissait les bras, lui l'aventurier aux multiples ressources.

Lorsque Simon arriva à son tour à l'hôpital, il vit Largo assis sur un banc, la tête entre les mains, les yeux fermés. Un instant il crut que le pire venait d'arriver. Il se laissa tomber lourdement à ses côtés, sans forces.

- Ils m'ont dit d'attendre là. Ils n'ont rien voulu me dire.

Simon adressa une prière silencieuse au Ciel. Il y avait donc encore de l'espoir, et il fallait qu'ils s'accrochent à cette idée.

- T'en fais pas, elle est plus têtue que nous deux, c'est dire. Ce n'est pas une petite fusillade qui réussira à venir à bout de notre Joy ! Tu l'as dit, ce n'est qu'une égratignure.

- Je m'en veux, Simon. On a agi n'importe comment. Elle m'a dit de partir, et je ne l'ai pas écouté. Je n'en ai fait qu'à ma tête, et maintenant c'est elle qui paye.

- Oh là, doucement, il n'y a qu'un responsable : Jagger. Tu le sais aussi bien que moi.

Largo ne répondit rien. Simon avait beau avoir raison, il se sentait malgré tout responsable. Le sang de Joy maculait ses vêtements, sa peau. Il aurait dû n'avoir de cesse que de se changer, de se laver, mais il l'accueillait comme une punition. Il aurait toujours le souvenir de ce contact, quoi qu'il arrive.

- Si elle y reste, je ne me le pardonnerai jamais.

Simon ne trouva rien à répondre à ces mots murmurés. Lui aussi se sentait vaguement coupable et rejouait les dernières heures en se demandant si un mot, un geste aurait pu changer la donne. Perdu dans ses pensées, il sursauta lorsque Largo se dressa d'un coup et commença à faire les cent pas.

- Je vais faire payer à ces salauds pour tout ce qu'ils ont fait. Je reviens, je vais téléphoner à Kerensky : je veux savoir comment ils étaient au courant, et où ils sont passés.

Largo était déjà au couloir lorsque Simon réussit à le rattraper et à l'arrêter.

- Largo, à ce sujet j'ai un truc à te dire. Tout à l'heure j'ai appelé Kerenky pour qu'il envoie des secours et... Non, le mieux c'est que tu l'écoutes toi même.

Simon prit son portable, composa le numéro du Bunker et le passa à Largo. Son expression passa de l'étonnement à la colère.

- Bon sang ! C'est vraiment pas le moment de nous faire une crise d'orgueil. Il va m'entendre, « l'homme de glace ». Simon, veille sur elle et tiens-moi au courant à la moindre nouvelle, il faut que j'y aille. On a besoin de lui.

Largo avait trouvé un moyen de se passer les nerfs. Survolté, il partit en trombe, laissant Simon bouche ouverte, direction la maison de Kerensky.

Dans le jet qui le ramenait vers New-York, Largo revoyait sans cesse l'expression de Joy alors qu'elle sombrait doucement dans l'inconscience. Elle avait voulu lui dire quelque chose, mais n'avait pas eu le temps de finir sa phrase. Mais il avait lu dans ses yeux plusieurs émotions mêlées. Au delà de la douleur qu'elle devait ressentir, il y avait une grande douceur, peut être même de la tendresse.

Il savait qu'ils n'étaient pas totalement indifférents l'un à l'autre, il avait suffisamment d'expérience pour le voir. Il aurait pu tenter sa chance, mais s'y était toujours refusé. Joy était différente des autres femmes qu'il avait rencontré dans sa vie : vive, courageuse, forte, mais aussi très fragile. Il y avait autour d'elle une aura de mystère qui le fascinait et lui donnait envie de mieux la connaître, et en même temps il hésitait à ruiner le lien très fort d'amitié et d'admiration qui existait entre eux.

« Joy, si tu t'en sors. Non, quand tu t'en sortiras, nous aurons une petite conversation, tous les deux ».

New-York

- Kerensky, c'est moi ! Ouvre !

- Si c'est pour les petites soeurs de Sargeval, j'ai déjà donné.

- Bon sang, c'est pas le moment. Tu ouvres ou j'enfonce cette porte !

Le russe apparut enfin, assez remonté lui aussi.

- Tu viens pour quoi ? M'arrêter pour espionnage ? Je suppose que Joy a déjà prévenu ses petits camarades de la CIA pour me convier à une gentille discussion au coin du feu ?

Il y a des mots à éviter à certains moments. Sentant monter son taux d'adrénaline et l'envie de mettre son poing sur la figure de son ex-ami, Largo lui répondit d'une voix glaciale :

- Si tu n'avais pas déserté le Bunker, tu saurais que nous sommes tombés dans une embuscade. Sache qu'ils ont repris mon père. Et que Joy…

La gorge serrée, il ne pouvait aller plus loin. Il inspira doucement, et recommença d'une voix plus dure, lui montrant ses vêtements ensanglantés.

- Joy s'est fait tirer dessus.

Stupéfait, Kerensky en oublia pour quelques instants sa rancœur. Il s'effaça pour laisser entrer Largo.

- Elle est…

- Non. Elle est à l'hôpital, mais elle était vraiment très mal en point. Je ne sais pas si elle s'en sortira. Simon ne m'a toujours pas appelé, elle doit encore être sur le billard.

Après un bref silence, Kerensky retrouva la parole. Et son agressivité.

- Et je suppose que tu viens m'accuser d'avoir révélé à la Confrérie le lieu du rendez-vous ?

- MAIS NON, bon sang. Je viens te demander de nous aider à comprendre ce qui se passe, à démasquer la taupe, et à venger Joy.

- J'ai démissionné, tu t'en souviens ? Désolé, mais…

- Enfin, qu'est-ce que tu veux, Kerensky ? Que je te supplie à genoux ? Alors regarde !

Largo était hors de lui. Il se mit à genoux, les bras ouverts.

- Moi, Largo Winch, demande solennellement pardon au grand Georgi Kerensky d'avoir douté de lui ! Et je prie sa Grandeur de bien vouloir m'aider ! Voilà, ça te va ?

Largo se remit debout, soudain très las. Il passa la main dans ses cheveux, et s'affala dans un fauteuil. Kerensky le regardait, gêné, hésitant. Largo inspira profondément dans l'espoir vain de reprendre le contrôle, et repris la parole :

- Ecoute, ces dernières heures ont été plus que difficiles. Pour nous tous. Tout va mal depuis l'annonce du retour de Nério. On est tous devenus paranoïaques, et voilà le résultat : mon père enlevé, Joy entre la vie et la mort. Il faut se serrer les coudes, maintenant ou jamais.

- OK, OK, ça va. Autant ne plus en parler pour le moment et faire face à la crise. Qu'est-ce que tu veux de moi ?

- En premier lieu, m'aider à comprendre comment ils ont pu savoir qu'on était au hangar. Il y a des fuites au groupe W : il faut coincer celui ou celle qui les renseigne, et je te jure qu'il nous dira tout ce qu'il sait. Ensuite, essayer d'identifier ceux qu'on a descendus et avoir une piste pour Nério.

- Je m'y mets tout de suite. Et toi, que vas-tu faire pendant ce temps ?

Un sourire effleura les lèvres de Largo.

- J'ai le choix : je pourrais rester au chevet de Joy, en attendant patiemment son réveil. Mais je crains que son premier geste ne soit de me mettre un coup de poing dans les gencives pour ne pas avoir couru après ces ordures. Alors, je crois que je vais aller avec toi. Si tu veux bien d'un pauvre type un peu dépassé par les évènements.

- A la réflexion, je crois que je pourrais supporter la compagnie d'un milliardaire capitaliste pendant quelques heures.

Le Winch Building, New-York

Les deux hommes gagnèrent le Winch Building, avec la ferme intention de faire payer la note aux responsables, jusqu'au dernier. Mais lorsqu'ils passèrent la porte du Bunker, une surprise les attendait : le tableau de bord avait été mis en pièce. Les circuits dépassaient de la table, une tasse renversée aux couleurs du drapeau américain laissait s'écouler son contenu, risquant à tout moment de provoquer un court-circuit.

- Qui a touché à MON ordinateur ! Regardez moi ce désastre !

- C'est pas vrai, ils ont même réussi à entrer dans le Bunker !

Après une brève inspection, Kerensky donna son diagnostic :

- C'est un profane qui s'est acharné sur les machines. Il voulait faire le maximum de dégâts, sans savoir où frapper. C'est impressionnant, alors qu'en réalité il n'y a que peu de dégâts. Pas mal de données ont été abîmées, mais lors de l'histoire du virus qui avait contaminé l'ensemble du système informatique j'avais fait de multiples copies, histoire de limiter les dégâts. Autrement dit, si tu me laisses quelques minutes, je te remets tout en l'état et on leur déclare la guerre…

- Kerensky, tu es le meilleur. Je vais me changer, et je te retrouve ici dans 10 minutes.

- C'est parti.

Déjà, le génie de l'informatique ne regardait plus dans sa direction, et s'affairait à la tâche.

En montant dans l'ascenseur, il tomba sur Marissa, les bras chargés de dossiers. Les yeux ouverts au grand format, elle contempla les taches qui avaient viré au brun.

- Monsieur Winch ? Vous allez bien ? Votre chemise…

- Ne vous en faites pas, nous avons juste eu un accident.

- Rien de grave j'espère ? Vous n'avez rien ?

- Non, C'est Mademoiselle Arden qui a essuyé des coups de feu.

- Mon Dieu ! Elle va bien ?

- Elle ira bien.

L'ascenseur s'arrêta. Marissa fit quelques pas, puis se retourna avant que les portes ne se referment.

- Mon cousin travaille aux urgences de l'hôpital général, peut-être pourrais-je lui demander des nouvelles officieuses de son état pour vous ?

- Ce ne sera pas la peine, elle n'est pas à New-York, mais à Montréal. Bonne soirée.

- Bonne soirée, Monsieur Winch.

Largo ne vit pas son sourire lorsqu'elle s'éloigna dans le couloir, pas plus qu'il n'entendit sa conversation au téléphone quelques minutes plus tard

- Diana, tu es là ?

Pas de réponse. Elle avait dû retourner dans son appartement, ou bien elle était sortie et reviendrait plus tard. Un problème à la fois, pensa-t-il…

Seul dans son appartement, Largo sentit la tension retomber. Il en avait assez de courir après des fantômes, de jouer sans cesse à Don Quichotte, de sauver l'entreprise paternelle. Une seule chose l'intéressait pour le moment : être aux côtés d'un ange aux yeux de chat et aux cheveux bruns. Un ange qui avait plusieurs fois risqué sa vie pour lui, et qu'il avait cru immortel, repoussant toujours le moment où il se pencherait un peu plus sur la véritable teneur des rapports qui s'étaient tissés entre eux.

Un ange qui avait versé son sang pour lui et qu'il ne reverrait peut-être jamais plus.

Il secoua la tête, retira ses vêtements, et se changea rapidement. Hors de question de se laisser abattre : non seulement il allait la revoir, mais tout ça allait changer. Son téléphone sonna, et il sentit sa gorge se serrer en reconnaissant le numéro de Simon.

- C'est moi, je t'apporte les nouvelles fraîches.

- Raconte…

- Mon vieux, elle en réchappe de justesse : une balle s'est logée dans le lobe supérieur du poumon gauche, une autre dans son épaule. Ils l'ont opéré, maintenant elle est dans sa chambre. Pour le moment elle est encore inconsciente. Il paraît que c'est aussi bien pour elle, elle souffre moins. Il faut attendre pour savoir si elle a bien supporté le choc opératoire.

- Tu ne la lâches pas d'une semelle, OK ?

- Compte sur moi. En plus, ils lui ont attribué une petite infirmière charmante. Elle est en train de me donner des cours de vocabulaire médical…

Largo secoua la tête en souriant. Il savait ce que Simon était en train de faire et il lui était reconnaissant de ce semblant de normalité.

- Tu n'es pas possible. Ne te laisse pas trop distraire, et tiens-moi au courant de tout.

- Hé, attends : et Kerensky ?

- C'est réglé pour le moment. Il répare le Bunker : on a eu de la visite, et la méthode de notre intrus pour faire le ménage laisse quelque peu à désirer… Je te rappelle.

Au Bunker, Kerensky avait fini par remettre en marche tous les systèmes. Il était collé à son écran, et entendit à peine son patron revenir. Il avait retrouvé son calme, et semblait plus imperméable aux sentiments que jamais.

- Alors, quoi de neuf ?

- Je suis en train d'examiner sur les bandes de vidéo-surveillance les personnes qui ont eu accès à l'appartement de Simon ces dernières heures.

- Mais il n'y a pas de caméra dans sa chambre ?

- Il y en a dans l'ascenseur et les couloirs. Et en se basant sur l'heure à laquelle le fax a été envoyé, j'ai restreint mes recherches.

- Et si le fax avait été programmé ?

- Je suis payé pour réfléchir et prendre en compte cette éventualité, mon cher Largo. Et le modèle qui se trouve dans les appartements de Simon ne permet les envois différés que 6 heures après la programmation. Donc, au boulot.

Chacun sur un ordinateur, les deux hommes étudièrent une à une les personnes qui défilaient sur l'écran. A grande vitesse, les silhouettes marchaient dans le couloir, sans pour autant s'arrêter devant la porte de Simon. A un moment, ils avaient cru trouver la solution, mais en examinant plus attentivement la bande, il ne s'agissait que de Simon, passé prendre son manteau, accompagné de Diana. Fausse alerte, et retour à l'examen fastidieux des bandes. Soudain, Kerensky se redressa sur sa chaise :

- Bingo. Une heure avant l'envoi, une personne est entrée chez lui. Un petit zoom sur le visage… Allez, tourne-toi, montre-nous à quoi tu ressembles… Voilà… C'est pas vrai !

Largo attendit quelques secondes, mais le russe restait silencieux, vérifiant fébrilement son écran, continuant à visionner les images en espérant voir quelqu'un d'autre. Impatient, Largo frappa sur la table.

- Quoi ? Explique !

- Il doit y avoir une erreur : c'est Marissa qui est entrée dans son bureau… Attends.

Retournant sur son ordinateur, Kerensky chercha à suivre l'évolution de Marissa dans les couloirs, à l'aide des nombreuses caméras que comportait le système de sécurité du Winch Building.

- Là j'ai une séquence dans l'ascenseur. Elle téléphone à quelqu'un de son portable.

- Il y a un moyen de savoir de quoi elle parle ?

- ça vient, ça vient. Le son est mauvais, il faut que je l'améliore.

Des grésillements, un murmure étouffé. Puis une voix claire : « C'est fait, ils l'ont reçu. Et maintenant ? Non, je ne sais pas encore. Entendu, je vous recontacte ».

Kerensky, sous le choc, ne pouvait en croire ses oreilles. Il repassait encore et encore les images, cherchant une autre signification à ce qu'il voyait.

Quant à Largo, après quelques secondes de surprise, il se rendit compte de la portée de leur découverte : il y a un instant, il avait annoncé à Marissa l'échec de son plan, et le lieu où Joy était soignée. Rien ne l'empêchait de terminer ce qu'elle avait commencé. Il saisit son portable, et composa fébrilement le numéro de Simon.

- Allo ?

- Simon, tu es avec Joy ?

- Oui. Enfin non, je suis à la machine à café, là. Une infirmière est passée de ta part avec les fleurs. Elle a proposé de prendre le relais quelques instants, le temps que je…

- NON ! C'est Marissa la fuite, elle sait tout, elle sait où est Joy! Il ne faut pas…

- Oh nom de Dieu !

Simon n'attendit pas la fin de la phrase. Courant dans les couloirs, il se précipita vers la chambre de Joy, priant pour qu'il ne se soit encore rien passé.

- Simon ? Simon ! Réponds, tu m'entends ?

Il entra en coup de vent : la femme était bien là, une seringue à la main, l'aiguille à quelques centimètres du bras de Joy. En un bond digne des plus grands sportifs, il sauta par-dessus le lit et la ceintura. Elle se défendait bien, et essayait de pointer vers lui l'arme qu'elle avait cachée sous sa blouse, mais après une courte lutte, Simon eut le dessus.

Prenant un rouleau de bande Velpeau sur la table toute proche, il attacha solidement la pseudo infirmière sur une des chaises sans la moindre délicatesse.

- J'espère pour toi qu'elle n'a rien. Si tu l'as touchée, tu vas voir le grand Simon très en colère.

Une petite voix se fit entendre derrière lui : « Si... Simon ? »

Se retournant, il vit Joy, encore mal réveillée. Le bruit de la lutte et les coups qu'avaient donné les deux combattants dans le lit avaient sorti la jeune femme de son sommeil forcé. Simon termina de ligoter la femme puis la bâillonna avant de se précipiter au chevet de Joy.

- Salut ma belle ! Tu nous as fais peur, tu sais ? Comment te sens-tu ?

- Mal partout. En vie. Jamais été aussi contente de te voir.

- Je t'adore. Attends, faut que j'annonce la bonne nouvelle.

Reprenant son téléphone, il se rendit compte que Largo n'avait pas encore raccroché et hurlait des « Allo » pathétiques.

- Ouais, ouais, arrête de crier ! J'ai les choses bien en main, mon pote ! Tu sais, je me doutais que c'était Marissa : je l'ai toujours trouvée trop gentille pour être honnête. Et puis rien que le fait de trouver Kerensky séduisant aurait dû suffire à nous mettre la puce à l'oreille.

- Mais bien sûr. Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment va Joy ?

Simon esquissa un geste pour passer le téléphone à Joy, mais elle semblait si près de se rendormir qu'il se ravisa.

- Viens ici, t'auras qu'à lui demander toi même !

- Elle est réveillée ? Je suis en route pour le hangar, ne bougez pas !

- Et où veux-tu qu'on aille, hé, crétin ?

Simon raccrocha, et se pencha sur Joy, tout heureux de l'avoir retrouvée.

Largo et Kerensky arrivèrent, deux heures plus tard, tenant littéralement Marissa par la peau du cou. Elle évitait soigneusement le regard du russe qui semblait vouloir la fusiller sur place. Largo se pencha vers Joy, osant à peine la toucher. Lorsque ses yeux s'ouvrirent, il ne put s'empêcher de lui caresser les cheveux.

- Salut, la belle au bois dormant ! Tu te souviens de nous ?

Joy regarda tour à tour Simon, Kerensky et Largo.

- Laissez-moi deviner. L'épouvantail, l'homme en fer blanc, et le lion, non ? Il y a eu une tornade, et voici la méchante sorcière de l'est.

Elle désignait Marissa, qui n'en menait pas large entre Simon et Kerensky.

- Oui, Dorothée, et nous avons imaginé une petite confrontation entre cette demoiselle et la femme que Simon nous a dit avoir attrapée. Mais où est-elle, au fait ?

Simon eut l'air un peu gêné.

- Oups, pardon ! Pour éviter des questions de la part du personnel, j'ai préféré la mettre à l'abri des regards indiscrets.

Se penchant sous le lit de Joy, il en tira la fausse infirmière, préalablement assommée aux bons soins de Simon et d'une petite injection de morphine bien dosée. Voyant sa comparse, Marissa commença à réagir et à vouloir se libérer de l'emprise de Kerensky. Celui-ci la secoua sèchement.

- N'y pense même pas. On te tient, et on a pas mal de questions à te poser, auxquelles tu as intérêt à répondre.

- Je ne dirais rien. Les menaces n'y feront rien : je sais ce que je risque si je parle. De toute manière, vous ne reverrez jamais votre père, il doit déjà être loin. Vous ne le retrouverez que lorsque la confrérie n'aura plus besoin de lui, et il sera six pieds sous terre.

Simon avait assis l'infirmière et lui tapotait les joues.

- Ne vous en faites pas, les mecs. Elle joue les durs, mais sa petite copine est beaucoup plus coopérative, on a bien discuté, tous les deux. Raconte leur, chérie.

Baissant la tête, encore sonnée, la jeune femme refusa de parler. Marissa la regarda, furibonde.

- Ce n'est pas grave, je vais parler pour toi. En résumé, Marissa est encore en phase d'apprentissage. Elle fait ses preuves chez nous. Son job était de recueillir le maximum d'information, de mettre quelques mouchards, de leur annoncer nos déplacements. Pas vrai, Marissa ?

Kérensky força Marissa à le regarder sans le moindre ménagement. Il allait la faire parler, à l'ancienne si besoin était.

- Depuis quand tu travailles pour eux ? Ils t'ont recrutée avant ou après ton arrivée à la Winch Company ?

Marissa se contenta de le regarder en souriant.

- Poses-moi les vraies questions. Tu sais, du style « tu m'as utilisé, ou tu m'aimais vraiment »… D'après toi, mon grand ? C'était uniquement le hasard qui nous faisait nous rencontrer trois fois par jour ? C'était par intérêt pour ta petite personne que je te posais des questions sur ton travail ? Alors Georgi ?

Rendu furieux, Kerensky la gifla avec une violence telle qu'elle tomba, renversant dans sa chute une des tables où étaient rangés du matériel médical.

C'était une erreur : elle avait espéré un tel résultat. Profitant de la surprise, elle saisit une seringue, se redressa très vite et se plaça derrière la femme. Avec un regard méprisant pour l'équipe Winch, elle injecta de l'air directement dans la carotide de la jeune femme qui s'écroula en un instant. Le sourire de Marissa avait quelque chose de dément lorsqu'elle reprit la parole.

- Elle ne vous dira plus rien. Et moi non plus.

Elle esquissa un geste vers son cou, mais Kerensky lui sauta dessus.

- Pas question que tu nous fausses compagnie. Une malade comme toi, ça ne peut pas échapper à la justice. Et tu nous diras ce qu'on veut savoir, un jour ou l'autre. Largo, c'était une mauvaise idée de l'amener ici. Pardon, je ne pensais pas qu'elle était autant impliquée.

- A dire vrai, moi non plus. Fais la sortir d'ici, fais-en ce que tu veux. Je ne veux plus la voir.

Simon sauta sur l'occasion avec un sourire peu discret aux lèvres.

- Euh, Largo, j'accompagne Kerensky. Je suis sûr que je gênerai moins qu'ici. Et puis il va falloir que quelqu'un explique tout ça aux flics…

- Merci pour ta finesse habituelle, Simon.

- De rien, à ton service ! Dors bien, Joy. Et ne faites pas de folies !

Largo et Joy se retrouvèrent seuls dans la chambre, jetant à tour de rôle des regards au cadavre toujours assis près de la fenêtre et gardant un silence gêné, jusqu'à ce que Largo laisse échapper un petit rire.

- Ce n'était pas exactement comme cela que j'avais envisagé nos retrouvailles.

Joy leva les yeux au ciel avec humour, le remerciant silencieusement de ce semblant de normalité. Elle désigna le cadavre d'un signe de tête :

- J'ai l'impression que j'ai manqué pas mal d'épisodes depuis la fusillade. Il faudra qu'on me résume ce qui s'est passé, je…

- Ne t'en fais pas, je te raconterai tout plus tard. Mais pour l'instant, il faut que tu te reposes. Tu as été gravement touchée, et je t'en demande pardon.

- Pardon ? Pourquoi ferais tu ça ? Tu n'y es pour rien, c'est mon job de te protéger, quitte à parfois prendre des coups. Je suis ta garde du corps, tu l'oublies ?

- Et mon amie, ma confidente, ma conseillère en écriture lorsque je rédige des discours, celle qui peut tenir tête à Simon et Kerensky… Et pourquoi pas plus…

Le moment paraissait mal choisi : Joy sortait d'une opération compliquée et paraissait épuisée, une femme qui venait de trouver la mort dans des conditions horribles était affalée à moins de deux mètres… Et pourtant Largo était pris d'une irrésistible envie de parler en cet instant précis, conscient à présent de la fragilité de la vie.

Il enserra la main de Joy, , et tout en gardant les yeux baissés pour ne pas faillir à sa résolution, commença à parler.

- Tu sais, toute ma vie je ne me suis intéressé qu'au moment présent. Quand l'aventure ou l'amour se présentaient, j'en profitais, tout bêtement. Je n'avais pas conscience que tout pouvait s'arrêter, comme ça, un beau jour. J'ai du mal à penser à l'avenir. Je crois que je suis encore un gamin, au fond, qui s'amuse de la vie sans penser aux choses sérieuses. Peut-être avais-je peur de la stabilité, moi qui ne dormais que rarement deux fois au même endroit. Oui, je sais ce que tu vas me dire, c'est du passé, et depuis la mort de Nério ma vie a bien changé. C'est vrai, mais sentimentalement je suis toujours le même : je ne vis que des relations intenses mais brèves, j'évite de trop m'attacher. Du moins, c'était vrai jusqu'à ce que je te voie par terre, perdant ton sang. J'ai bien cru que c'était fini, et que je ne te reverrais jamais. Et j'ai compris que… que je tenais à toi différemment, que… Bon sang, ce que je veux te dire, c'est que je crois que j'aimerais bien commencer quelque chose avec toi, Joy. Qu'est-ce que tu en penses ?

Il releva la tête, ne sachant trop s'il devait s'attendre à un refus ou à un baiser. Mais il ne trouva ni l'un ni l'autre : le visage de Joy n'exprimait rien, pour la bonne raison qu'elle dormait !

- C'est pas vrai ! Je trouve le courage de te parler sérieusement, et toi tu t'endors ?

Dieu seul sait ce que Joy avait retenu de la conversation. Quelle que soit la réponse, dans son sommeil, un jeune homme aux cheveux rebelles et aux yeux d'un bleu intense la tenait dans ses bras et l'embrassait doucement en lui répétant « Je ne tiens qu'à toi »

- Ce n'est pas grave, tu sais. Je reviendrai à la charge jusqu'à ce que tu m'écoutes jusqu'au bout, et que tu me répondes.

Il dégagea doucement une mèche de cheveu sur le côté de son visage, et effleura ses lèvres d'un baiser.

Alors qu'il imaginait mille manières de la séduire, son téléphone vibra. Il décrocha, un peu de mauvaise humeur qu'on le dérange dans son rêve.

- Oui, Georgi ?

- Largo, y'a un problème. Avant que je la remette aux mains de la police, Marissa m'a demandé des nouvelles de Diana et de Jack avec un drôle de sourire. Vérifications faites, ils ne sont ni chez eux, ni au building. Ils sont introuvables.

- Non, pas eux ! Dis moi qu'ils n'ont pas été enlevés à leur tour !

- Je ne sais pas, Largo. Enlevés ou partis, le résultat est le même : ils ont disparu. Qu'est-ce qu'on fait ?

A SUIVRE...