Odalisque

Chapitre 6

Rukia faisait les cents pas à l'intérieur de son propre bureau. Son bureau à elle. Et à personne d'autre. Ses pieds avaient déjà usé le sol et ses orteils étaient plus que probablement parsemés de cloques. Momo était penchée sur le bureau à son côté et la regardait, spéculative. Ses yeux étaient méfiants et elle était quelque peu sur ses gardes, comme si elle s'attendait à ce que la tête de Rukia explose d'une minute à l'autre.

-Il était en retard Momo ! dit-elle avec hargne pour la quatorzième fois, Il s'est présenté à dix heures dix. Comment puis-je travailler avec un homme qui ne respecte même pas assez son entreprise pour se présenter à l'heure au travail ?

Momo garda le silence et Rukia lui en fut reconnaissante. Il lui fallait évacuer, elle n'avait pas vraiment besoin d'écouter ce qui ressemblerait à un conseil.

-Il m'a insultée, il ne m'a pas écoutée, il a entièrement dévasté son bureau avant que je n'arrive, il a une secrétaire effrayante, et ses cheveux font outrageusement non-professionnels. On dirait une zone sinistrée permanente !

Elle s'arrêta de marcher une minute avant de taper violemment le pied de son bureau. Momo sursauta en entendant le pied de Rukia entrer en contact avec le métal et ses yeux la regardaient avec beaucoup d'attention, beaucoup plus qu'avant.

-Et ce que je ne comprends vraiment pas, poursuivit Rukia, toujours bouillonnante de rage. C'est comment il peut me mettre plus en colère que je ne l'ai jamais été avant !

Tournant la tête vers Momo pour la voir sursauter doucement, Rukia l'ignora et continua d'évacuer : -Comment peut-il faire ça, Momo ? Je ne le connais que depuis deux jours ... peut-être. Tu me connais, j'ai appris – non, j'ai été formée pour garder la tête froide. C'est quand même Byakuya qui m'a élevée. Mais ce mec-là ... il balaye tout ça sur son passage et commence ... oh, je ne sais pas ... à m'insulter !

Elle grogna et donna un nouveau un coup de pied dans le bureau.

-Je le hais !

Momo ne parla pas pendant que Rukia continuait à arpenter la pièce. Son regard était fixé sur son amie avec dans les yeux quelque chose qui s'apparentait à de la spéculation, et même un peu d'amusement.

Ne voulant pas regarder dans ces yeux calculateurs, Rukia se détourna et continua à marcher. Elle traversait son bureau en long, en large, et en travers, se tenant très droite, ce qui traduisait sa nervosité, mais les yeux de Momo continuaient à la suivre.

-Donc ce que tu dis, c'est ..., commença-t-elle lentement, qu'il agit dans l'ensemble ... comme toi ?

Rukia se retourna, lançant un regard froid et empli de colère à Momo, mais la jeune femme l'ignora comme si de rien n'était et pencha la tête vers le côté en attendant sa réponse.

-Je n'agis pas comme ça. Déclara sèchement Rukia.

Momo s'étrangla de rire :

-Oh que oui !

-Pas du tout !

-Ah que si !

-C'est pas vrai !

-Menteuse, menteuse ! Ouh, la ment-

Rukia leva les mains au plafond et poussa un cri strident. Tout en pointant un doigt accusateur vers Momo, elle reprit :

-Maintenant, tu agis comme lui, toute aussi puérile et grossière !

Momo rit tout en remettant ses cheveux en arrière.

-Je n'agis pas puérilement. Je profite librement de ma vie, on peut pas en dire autant de ton cas.

-J'aime ma vie. Marmonna Rukia d'un ton renfrogné.

Elle croisa les bras sur sa poitrine avant de bouder de l'autre côté de la pièce.

-Mais bien sûr !

Rukia resserra sa mâchoire et roula ses yeux dans ses orbites.

-Momo, je jure devant Dieu que si tu pars dans un autre discours sur les chats et les vibromasseurs, je t'étrangle sans y réfléchir à deux fois.

Momo sourit simplement avant de soupirer.

-Ouais, si tu le dis. Réfléchis-y une minute ... Rukia, comment agis-tu avec tes clients ?

-Comme si j'étais le patron. Répondit-elle sèchement.

Sautant du bureau pour se diriger vers Rukia, Momo s'avança devant ce petit bout de femme et plaça ses mains sur ses épaules. Rukia tourna la tête vers le côté afin de ne pas croiser son regard, et ne fit aucun autre mouvement. Elle agissait comme une enfant irascible, mais elle ne s'en souciait pas pour le moment. Elle était beaucoup trop exaspérée pour ça.

-Rukia, dit Momo en parlant lentement et articulant avec soin afin que Rukia ne manque aucun mot, tu te comportes comme une imbécile.

Sa tête se tourna vivement vers Momo, une diatribe agressive prête à franchir ses lèvres, mais elle s'arrêta cependant quand Momo prit l'initiative de continuer à parler.

-Tu vas directement là où tu veux aller en ignorant tout le monde dans le processus. Tu entres dans une pièce et tu agis comme si tout t'appartenait. Tu es impitoyable, impolie et tu ne prends pas en compte les problèmes des aut-

-Mais si je -

Lui coupant la parole d'un grincement sec des dents, Momo fronça les sourcils.

-Tu te souviens, quand Toshiro et moi avons eu cette énorme dispute, il y a deux mois ?

La mauvaise humeur de Rukia s'évanouit dans un trou noir et elle acquiesça, l'air maussade.

-Toi et moi avons parlé toute la nuit. J'ai pleuré la plupart du temps et, quand je t'ai demandé si je pouvais rester à la maison le lendemain plutôt qu'aller au travail, tu m'as dit ...

Momo s'éclaircit la gorge, changeant le timbre de sa voix de sorte qu'il soit similaire à celui de Rukia.

-« Bien sûr que non, Momo, on a du boulot ! »

Rukia détourna la tête, prise de culpabilité.

Secouant légèrement ses épaules, Momo poursuivit :

-J'étais anéantie, Rukia, mais tu as quand même insisté pour que je vienne travailler.

Celle-ci marmonna quelques syllabes incohérentes et détourna de nouveau le regard.

-Tu es exactement comme cet Ichigo Kurosaki, conclut Momo en tapotant doucement la joue de Rukia avec sa main, Sauf que tu as un vagin.

Rukia repoussa rapidement sa main mais ne put cependant empêcher un sourire de se former sur ses lèvres.

-T'es ridicule ... Marmonna-t-elle.

Momo s'écarta légèrement avant d'offrir une tasse de café fraîchement brassé à Rukia.

-Chérie, tu dois juste apprendre à l'ignorer de la même façon qu'il t'ignore.

-Plutôt difficile, étant donné la couleur de ses cheveux ! Répliqua méchamment Rukia, on pourrait retrouver ce gars au milieu d'un tsunami.

-De toute façon, tu as besoin d'une sorte de mécanisme d'auto-défense.

Elle s'arrêta un moment pour tapoter en rythme sur son menton.

-Comme ... quand il te parle ... commence à réciter la Constitution dans ta tête ... ou trouve un beau souvenir auquel tu peux te raccrocher. Repense aux jours ensoleillés sur les plages, ou bien tu pourrais rejouer une scène de ton film préféré dans ta tête. Peut-être que tu pourrais penser à une de tes chansons préférées ou -

-Ok, d'accord. Dit Rukia en levant ses mains en l'air et soupirant. Je pense que je peux le faire. Ça semble assez facile.

Elle s'arrêta un moment, laissant un sourire glisser sur son visage.

-Ou je peux juste m'imaginer lui couper la tête avec une tronçonneuse.

-Oui, acquiesça Momo, parce qu'au final, ça fera que tu le haïras un peu moins.

Elle leva les yeux alors que Rukia se mit à réfléchir tout en recommençant à arpenter la pièce.

-Je suppose que je vais pouvoir travailler sur ça. Marmonna-t-elle tout en continuant à marcher.

-Bien. Répondit Momo, un large sourire apparaissant sur son visage.

-Alors, est-ce que tu vas revenir dans ton nouveau bureau, aujourd'hui ?

-Probablement pas, répondit-elle d'un ton maussade, je vais finir quelques petites choses ici que je n'ai pas pu finir hier et puis …

Elle s'arrêta puis poussa un grand soupir :

-J'y retournerai demain.

-Bravo ! Hurla Momo en bondissant vers l'endroit où se tenait Rukia. Donc, puisque tu n'as pas l'intention de retourner travailler jusqu'à demain, ça te dit de sortir ce soir ?

Les yeux de Rukia s'assombrirent dangereusement.

-Qu'est-ce que tu entends par « sortir », exactement ?

Des yeux levés au plafond, des soupirs exaspérés et un visage qui refusait en bloc accompagnèrent la réplique de Momo.

-Tu vois, pourquoi tu dois toujours gâcher la surprise ?

-Parce que la surprise aurait probablement été : toi m'entraînant dans un club douteux.

Momo fit la moue.

-C'est vrai ... mais, au moins, tu aurais été surprise.

-Tu connais mes lieux de prédilection. Déclara Rukia. Cinéma, parc, restaurants et, occasionnellement, bars.

-Je te déteste. Railla Momo. Tu gâches tout le plaisir de la vie !

Rukia savait que la remarque de Momo n'avait pas pour but d'être méchante. Sarcastique peut-être, mais pas méchante. Mais ce commentaire faisait mal. Rukia détourna les yeux et essaya de concentrer son regard sur autre chose que son amie, qui était encore occupée à bondir dans la pièce.

Elle n'avait pas l'intention d'être une telle rabat-joie, c'est juste que … elle l'était . C'était la façon dont elle avait été élevée et la façon dont elle vivait. Elle avait essayé, par le passé, de sortir avec Momo, de « faire la fête », mais ça n'avait jamais marché. Elle était tout simplement trop en décalage pour ne serait-ce que se sentir à l'aise. Alors peut-être gâchait-elle les choses de la vie ... elle n'essayait pas, mais elle le faisait.

Comme les sangsues, songea-t-elle, elles ont besoin de sucer du sang pour survivre ... juste comme je suce la vie hors de ... hum, ce n'est pas une très bonne analogie.

Prenant conscience qu'elle venait juste de se comparer à une sangsue, Rukia se tourna vers Momo et sourit.

-Cinéma, ce soir ?

-Je peux amener Toshiro ? Fut son immédiate question.

-Pourquoi pas ? Murmura Rukia. Du moment que vous gardez vos mains dans vos poches. Tu sais à quel point j'aime regarder mes films en paix.

-Tu peux toujours t'asseoir entre nous. Suggéra-t-elle innocemment.

Rukia fit semblant de vomir sa gorgée de café.

-S'il te plaît, la dernière fois que j'ai fait ça, vous avez quand même trouvé le moyen de vous peloter.

-Peu importe. Répondit Momo puérilement. On passera te chercher à sept heures et je ferai en sorte de choisir un film pas trop à l'eau de rose, pas trop sérieux, et pas trop violent.

-D'accord, Soupira Rukia.

Elle frotta ses doigts contre ses tempes et réalisa qu'elle n'avait pas pensé à cet abruti de rouquin pendant près de vingt minutes. Attrapant sa tasse de café, elle s'installa à son bureau. Elle n'était pas exactement sûre de ce qu'elle allait faire aujourd'hui. Elle avait terminé tous ses fichiers hier et tous ses autres cas avaient été confiés à des sbires des niveaux inférieurs de l'entreprise. Elle se mordit les lèvres en regardant pensivement son écran d'ordinateur. Peut-être qu'elle pourrait tout simplement jouer au Freecell toute la journée ? Si Ukitake venait et la voyait, elle prétexterait que certains dossiers nécessitaient d'être terminés afin qu'elle puisse se concentrer pleinement sur son travail à la Suigetsu Inc pendant quelques temps.

Rukia regarda son écran d'ordinateur pendant un moment avant de soupirer lourdement, assise dans son fauteuil, puis de cliquer sur le site de service de rencontres.

Elle pourrait tout aussi bien finir ce fichu formulaire.

- ! -

Rukia finit par s'asseoir sept rangées plus bas de Momo et Toshiro, qui n'avaient même pas été capables de garder leurs mains loin de l'autre pendant les bandes-annonces.

Le film n'était pas si mal. Il y avait un peu de sang, quelques cris, un peu de romance et quelques conflits. Rukia s'imposait de ne jamais regarder un film qui avait trop de l'un de ces éléments, elle ne savait pas pourquoi mais, si un film avait trop de l'un de ceux-ci, cela l'agaçait. Elle aimait les films équilibrés.

C'est donc assise dans une paire de jeans noir et un col roulé bleu clair, et avec un petit sac de pop-corn sur les genoux et un soda dans le porte-gobelet, qu'elle regarda un film parfaitement équilibré pendant que Momo et son petit-ami essayaient d'étouffer leurs rires tapageurs, sept rangées plus haut.

Quand ce fut fini, elle et ses amis se retrouvèrent à l'extérieur, se dirent « au revoir », et se séparèrent. Rukia essaya de ne pas faire attention au fait que les joues de Momo rougissaient furieusement quand Toshiro la serrait contre lui en la tenant par la taille ; ou qu'un sourire chaleureux fit son apparition sur le visage normalement froid du jeune homme lorsque Momo l'embrassait sur la joue ; ou que leurs mains étaient liées par leurs doigts entrelacés en sortant du cinéma. Rukia se tint simplement debout en les regardant partir. Les gens passaient devant elle pendant qu'elle gardait les yeux sur ses amis jusqu'à ce qu'ils se retournent, lui fassent un signe de la main, et se glissent dans un coin hors de son champ de vision.

Rukia avala sa salive et se retourna. Son immeuble chic étant seulement à quelques pâtés de maison, elle n'avait pas vraiment besoin de prendre le métro.

La nuit était sombre et relativement fraîche, considérant le fait que c'était la fin du printemps, donc Rukia resserra ses bras contre elle. Tendant le cou vers le ciel, elle était tout juste capable de reconnaître quelques constellations à travers la lumière étincelante des lampadaires. Pendant un instant fugace, elle souhaita être dans le parc à ce moment, près d'un bosquet sombre, allongée sur l'herbe, à regarder les étoiles ...

Elle chassa immédiatement cette pensée de son esprit. Il y avait un temps et un lieu pour de telles idées ... de préférence quand elle serait plus âgée et à la retraite, mais certainement pas maintenant. Certainement pas maintenant alors qu'elle venait juste d'être mise sur l'affaire la plus importante de sa vie, et qu'elle était en passe d'obtenir une importante promotion.

Son esprit dériva vers le profil du site de rencontres qu'elle avait terminé de remplir un peu plus tôt aujourd'hui. Cela avait dû lui prendre deux bonnes heures pour terminer, en comptant les interventions intempestives de Momo – faisant des suggestions et des corrections, ce qui avait rendu la chose encore plus difficile – mais, maintenant qu'il avait été complété, Rukia ressentait une étrange sensation…de ...

Merde, elle ne savait pas ce que c'était. Elle ne détestait pas le fait de l'avoir rempli, mais elle ne s'en réjouissait pas non plus. C'était comme si son opinion était coincée dans une sorte de limbes. Peut-être que, quand le temps serait venu pour quelqu'un d'être choisi pour elle, elle pourrait enfin se décider sur ce qu'elle ressentait. Ce n'était pas comme si elle avait bon espoir ou quoique ce soit d'autre – elle ne s'attendait pas à ce que le site de rencontres lui envoie une sorte de prince charmant qui viendrait à elle, chevauchant un étalon blanc et la faisant chavirer immédiatement. Elle voulait ... juste...

Rukia ferma les yeux et sentit une brise fraîche caresser son visage. À vrai dire, elle ne savait pas ce qu'elle voulait. Elle n'était pas sûre de vouloir ce que Momo et Toshiro avaient. Tout cet amour, cet engagement et ces bisous-bisous gluants donnant juste aux badauds et aux amis l'envie de vomir.

Elle ne voulait que certaines choses d'un homme ... de n'importe quel homme, en réalité. L'une d'entre elles était définitivement le sexe. Oui, tout homme avec qui elle resterait devrait être bon au lit. Ils n'avaient pas à coucher ensemble chaque nuit, mais tout de même assez souvent pour qu'elle reste satisfaite. Et si elle finissait par sortir – elle n'aimait pas le mot « rendez-vous », cela impliquait trop de choses – avec un mec du service, alors le sexe ne serait définitivement pas mentionné avant qu'ils ne se soient fréquentés pendant un long moment.

Il devrait être physiquement attractif également. Elle sourit doucement à la pensée de son homme parfait. À sa grande déception, elle ne pouvait s'imaginer que des beaux mannequins italiens bronzés et bien habillés, qui, elle le savait, ne seraient jamais sortis avec elle. Alors, au lieu d'essayer d'imaginer son homme parfait, elle commença à imaginer ses qualités.

Il devrait être plus jeune que Ukitake mais tout aussi doux. Il serait plus grand que Toshiro, mais tout aussi astucieux. Il devrait avoir plus de conversation que son frère, mais serait tout aussi intelligent. Il serait ...

Rukia cligna des yeux et essaya de penser à d'autres hommes qu'elle connaissait et, à sa grande stupéfaction, son esprit demeura totalement vierge. Elle étendit sa main et commença à compter sur ses doigts. Elle en leva un pour Byakuya, un pour Ukitake, un pour Toshiro, et un pour le vendeur de bouteilles d'eau dans le parc. Rukia avala sa salive, il y en avait d'autres, mais elle n'avait été en contact avec aucun d'entre eux depuis des années. Des anciens professeurs de collège, des amis d'enfance, et un couple de collègues apparurent dans son esprit. Mais aucun d'eux ne se distinguait particulièrement.

-Oh mon Dieu, gémit-elle en appuyant une main chaude sur son front, je suis une vieille femme à chat ... sauf que je n'ai pas de chat.

Rukia garda sa main pressée contre sa tête en passant devant un autre immeuble. Il fallait qu'elle arrête de penser comme ça. C'était pendant ces temps « durs » que les théories et idées folles de Momo à propos des speed dating, des services en ligne, et sorties en boîte prenaient tout leur sens.

Elle avait juste besoin de rentrer chez elle, de boire un verre de vin, et d'aller se coucher. Rukia fronça le nez tout en secouant la tête : pas de vin ce soir. Elle voulait faire face à ce connard le lendemain, sans que l'une des sections de son cerveau ne soit lancinante.

Tout au long du reste de sa promenade Rukia se rappela de garder les yeux au ciel et de chercher les différentes constellations plutôt que de penser au nombre limité d'hommes qu'elle connaissait.

Bon, d'accord, il y en avait un qu'elle n'avait pas mentionné.

-Cet idiot de Poil de Carotte. Grogna-t-elle.

Elle fit une pause et inspira profondément. Demain, elle devrait tourner ce qui s'apparentait à une nouvelle page avec cet homme. Elle l'ignorerait. C'est ça, elle n'aurait tout simplement qu'à l'ignorer. Comme Momo l'avait dit, tout ce qu'elle devrait faire, c'est se remémorer une partie d'un film dans sa tête, ou une chanson, ou un souvenir. Elle devait juste faire la sourde oreille.

-Je n'attendrai rien de lui, songea-t-elle à haute voix, je ferai tout le travail moi-même et il pourra faire ce qu'il veut.

Une pointe de fierté surgit dans sa voix lorsque son esprit dériva vers le moment où la fusion serait complète. Rukia baissa la tête en souriant : verres de champagne, confettis, costumes-cravates et petites robes noires, peut-être même chapeaux pointus … Non pas qu'elle en porterait un, mais tout de même, ce serait divertissant. Les patrons viendraient la féliciter pendant que Kurosaki bouderait dans un coin. Elle obtiendrait une promotion, une augmentation de salaire, et trois semaines de vacances payées comme cadeau.

Rukia ne pouvait pas empêcher le sourire qui avait fait son apparition sur son visage de s'élargir. Avoir de telles espérances pouvaient être dangereux. Mais elle savait qu'elle pouvait le faire. Elle était Rukia Kuchiki, elle pouvait tout faire.

C'est à partir de cet instant, alors qu'elle rentrait chez elle d'une soirée au cinéma, que Rukia se jura qu'elle aurait sa propre cérémonie de félicitations, que ce soit avec ou sans Kurosaki.

- ! -

La chaise de Rukia arriva exactement à sept heures et demie le lendemain matin.

-Par ici s'il vous plaît, dit-elle à l'homme d'un ton sec.

Il hocha la tête et roula sa somptueuse chaise à côté de celle de Kurosaki. Rukia sourit légèrement en les comparant. Puéril, oui, mais tout de même ... sa chaise était tellement mieux que la sienne !

L'homme l'ajusta avant de se diriger vers la sortie. Rukia se tenait avec assurance sur le côté et le paya avant son départ. Alors qu'il empruntait le couloir, elle aurait juré l'avoir entendu marmonner quelque chose concernant le fait de ne pas commencer à travailler avant neuf heures.

L'avenir appartient à celui qui se lève tôt, se dit Rukia.

C'était l'un des mantra de son frère, quand elle vivait encore avec lui. Il en avait plusieurs et ce n'est que ces dernières années que Rukia avait effectivement commencé à les appliquer. Elle avait même ajouté quelques phrases à son répertoire.

-Le sarcasme est une défense naturelle contre la stupidité. Chantonna Rukia gaiement.

Oui ... de tous ses dictons, celui-ci était son préféré. Sans oublier qu'il était parfaitement applicable à la réalité. Kurosaki en était un exemple éloquent. Il était stupide à sa façon et elle devrait définitivement employer le sarcasme pour le maintenir à sa place.

Sa place de subalterne, bien sûr.

Une fois en possession de sa chaise ajustée et de son café brassé, Rukia démarra son ordinateur, joua à une première partie de Freecell – ce jeu est tellement addictif ! – puis se mit au travail.

Ce type d'acquisition était ce qu'on appelait une fusion horizontale, où les deux sociétés créant les mêmes produits les vendaient dans les mêmes domaines généraux. Rukia savait que cette situation était la meilleure, sachant qu'il n'y avait pas de stock contradictoire ou d'acheteurs en colère à affronter en passant d'une entreprise à l'autre. La seule chose un peu irritante était que Yamamoto et Aizen voulaient avoir connaissance de tous les détails. Chaque stock-options et chaque département devait être examiné et révisé avant même que la fusion ait lieu.

Donc cette opération, simple au premier abord, subirait un étirement et un élargissement de son processus. Rukia devrait contacter tous les départements de chaque société, des employés aux groupes d'investissement, des factions étrangères aux factions intérieures, et ainsi de suite. Elle devrait examiner tous les fichiers de tous les départements pour s'assurer qu'ils respectent bien les statuts et les lois affiliés à la nouvelle fusion.

Certes, cela aurait pris beaucoup moins de temps si on lui avait effectivement affecté une équipe de personnes bien éduquées pouvant travailler avec elle - enfin, sous ses ordres, en réalité – au lieu d'un unique connard de partenaire. Non pas qu'il travaillait, non bien sûr, il la laissait faire tout le travail fastidieux, le travail cérébral et le classement.

Un endroit chaleureux, se rappela Rukia sévèrement. Penses à un coin sympa.

Les heures de la matinée passèrent rapidement ou, du moins, relativement rapidement. Elle fut en mesure de terminer trois dossiers concernant la sous-direction secondaire d'un département. Elle leva les yeux au plafond et se força à se rappeler la grande fête de promotion qui serait donnée en son honneur une fois qu'elle aurait terminé ce travail.

À neuf heures, Rukia prit un moment pour se lever, s'étirer, et se faire une autre tasse de café. Scannant du regard l'espace laissé ouvert par la porte d'entrée, elle put constater que plusieurs personnes fourmillaient dans le bâtiment. Elle fit un hochement sec de la tête à ceux qui, passant devant son bureau, jetaient un œil à l'intérieur. Cependant, au moment où elle tourna la tête, les murmures commencèrent.

Rukia leva les yeux en l'air en sirotant son café.

Génial, grogna- t-elle, Des potins. Juste ce dont j'ai besoin ici.

À la Gotei Corp, toute personne disposant d'une moitié de cerveau savait qu'il était préférable d'éviter de la chercher, de colporter des rumeurs à son sujet ou même de la regarder trop longtemps. La mort, ou tout au moins, une rétrogradation, suivrait très rapidement dans ce cas. Rukia, se redressant sur l'encadrement de la porte, se pencha en arrière. Elle remarqua qu'Inoue était à son poste, occupée à prendre des appels et à agrafer des documents. Elle sourit en pensant au fait que sa vie et celle d'Inoue étaient …différentes. Inoue resterait coincée à agrafer des documents pendant que Rukia ... eh bien, Rukia serait bientôt titulaire d'un salaire à sept chiffres.

La satisfaction qu'elle ressentit fut d'autant plus augmentée par le fait qu'elle n'aimait pas beaucoup Inoue.

Fronçant les sourcils, elle jeta un coup d'œil au bureau vide. C'est ça ... elle n'aurait simplement qu'à l'ignorer. Elle se fichait du fait qu'il soit là à l'heure.

Se mordant la lèvre inférieure, Rukia retourna à son ordinateur. Ouvrant une autre session de Freecell, elle commença à cliquer sur les cartes. Le problème concernant cette nouvelle stratégie du « je l'ignore et je dénie sa présence », c'est qu'elle ne savait pas combien de temps elle pourrait la maintenir. En réalité, elle se souciait du moment où il se présenterait au travail, elle se souciait du fait qu'il ait effectivement fait son travail et elle voulait avoir une sorte de rapport professionnel avec lui. Ils n'avaient pas besoin d'avoir de bons rapports ... juste un rapport.

Quel mot étrange, soupira Rukia en terminant sa première partie, je me demande si c'est du français ...

Elle joua quelques parties supplémentaires avant de se mettre au travail. C'était fade et banal, mais constant. Peut-être que c'était ce qu'elle appréciait autant dans le Droit. Chaque jour, elle se présentait au travail, savait exactement ce qu'elle avait à faire, le faisait, et ensuite elle rentrait chez elle. Certaines personnes trouvaient ce type de mode de vie ennuyeux, terne, voire monotone. Pour Rukia c'était juste sa façon de vivre. Cela avait été la même chose quand elle vivait avec son frère, il se levait, mangeait un pamplemousse, allait travailler, rentrait, dînait, et allait se coucher.

C'étaitsans danger.

Elle sourit en fermant sa session de Freecell. Elle se mit à fredonner puis se demanda si elle ne devrait pas mettre un peu de musique classique afin de rendre la journée moins silencieuse.

La trotteuse de l'horloge résonna presque jusqu'à neuf heures trente. Rukia avait fini près de la moitié d'un fichier d'une subdivision secondaire d'un département lorsque la porte du bureau s'ouvrit.

-Sunshine, dit-il d'une voix traînante, prenant soin de prononcer chaque syllabe. Je ne pensais pas te revoi- Qu'est-ce que t'as fait à mon bureau ?

La colère, qui s'était accumulée à la mention du surnom 'Sunshine' , s'effaça immédiatement au moment où elle entendit l'irritation dans sa voix. Un sourire narquois fit son apparition sur le visage de Rukia alors qu'elle le regardait calmement. Instantanément, une musique d'ascenseur commença à jouer à l'intérieur de son esprit. Calme ... Apaisement ... Détente ...

-Notre bureau, dit-elle platement, une pointe de nonchalance dans la voix.

Inclinant la tête vers lui tout en lui souriant froidement.

-D'après ce que j'ai compris, nous devons partager un bureau jusqu'à ce que je sois capable d'en obtenir un à moi. Mais ne t'inquiètes pas, je t'ai donné beaucoup de place. Expliqua-t-elle en indiquant le grand espace entre leurs chaises.

Elle lui envoya un regard glacial tout en souriant :

-Je t'en prie.

La stupéfaction pouvait se lire sur toute la longueur de sa face répugnante : mâchoire légèrement déséquilibrée, yeux écarquillés, et enfin, narines s'élargissant par intervalles.

Le sourire de Rukia se radoucit immédiatement avant de commencer une autre session de Freecell. Son but : Apparaître désintéressée, du moins juste assez pour qu'elle puisse se concentrer sur la musique d'ascenseur qui tournait en boucle dans sa tête.

Les oreilles de Rukia se redressèrent doucement lorsqu'elle l'entendit fouler une nouvelle fois la moquette de la pièce. Du coin de l'œil, elle le vit placer son porte-documents sur le dessus d'un comptoir, pivoter et se retourner. Son regard fixé sur son dos large glissa sur ses bras puis ses jambes. Elle observa les muscles laconiques de ses épaules, ses poings serrés et ses cuisses tendues, le tout ayant pour effet de transformer son sourire mièvre en un petit sourire d'autosatisfaction, alors qu'elle le regardait sortir du bureau.

Qui emmerde qui maintenant ? Songea Rukia .

Tout en déplaçant une autre carte au Freecell, elle se mit à fredonner.

-Bâtard ! murmura-t-elle.

Rukia n'eut pas à attendre longtemps. Après seulement une ou deux minutes, il réapparut, ou plutôt son derrière refit apparition. Rukia se mit une claque mentale pour avoir remarqué son postérieur avant toute autre partie de son corps. Se disant que c'était, en fait, la zone la plus évidente où regarder, en partie parce que c'était la première chose qui entra dans son champ de vision.

Regarde sa région dorsale d'abord, Rukia. Se dit-elle. Pas son très joli centre de gravité.

Ses yeux se fixèrent sur ses épaules pendant qu'il entrait plus à l'intérieur de la salle. Les sourcils de Rukia se levèrent et un léger tremblement s'empara de sa tempe lorsqu'elle découvrit qu'il portait quelque chose.

Sans un bruit, Kurosaki pénétra complètement dans le bureau en traînant une petite table. La mâchoire de Rukia se desserra lentement lorsqu'elle la vit complètement. C'était un bureau d'écolier, du genre de ceux se trouvant dans les écoles primaires et les salles de détention, fait de faux bois avec une chaise en plastique reliée par des barres en métal.

La première pensée qui lui vint à l'esprit fut : Où a-t-il trouvé cette chose ?

Et celle qui vint à la suite : Qu'est-ce qu'il a l'intention de faire ?

Ses yeux le suivirent patiemment pendant qu'il se déplaçait à l'intérieur tout en traînant le bureau avec lui. Il le fit glisser sur la moquette usée et l'envoya dans un coin désert de la salle. Penchant vers le côté, la pauvre chose vacilla avant de se placer – accompagnée d'un nuage de poussière – dans son nouveau coin.

Une fois le bureau pitoyablement positionné, Kurosaki se redressa puis se retourna avant de concentrer toute la puissance de son regard contrarié sur Rukia Kuchiki.

Il fit deux pas en avant sans que Rukia ne bouge, soutenant son regard. Ses yeux étant beaucoup plus furibonds que d'habitude, elle céda presque au désir de lui rire au nez. En quelques secondes, ses longues enjambées couvrirent la totalité de l'espace entre eux, provoquant à chaque mouvement de légères vibrations qui arrivèrent jusqu'à la chaise de Rukia. Malgré le fait qu'elle n'osait pas rompre le contact visuel, elle savait que ses poings étaient toujours serrés. Son corps était très proche du bureau et, en une dernière foulée, il se planta devant elle. Elle prit note de sa posture alors qu'il se penchait en avant, déplaçant ses mains serrées devant lui, et les frappant sur la table. Les seuls objets les séparant étant son ordinateur portable et sa tasse de café. Deux objets facilement déplaçables, remarqua Rukia avec mécontentement.

Ses saphirs violets rencontrèrent deux ambres aux reflets couleur miel et se fixèrent. Rukia pouvait sentir que c'était bien plus qu'un simple jeu de regard, c'était une bataille de volonté. Aucun des deux n'était disposé à flancher. Osant plisser les yeux, elle fit apparaître un sourire narquois et menaçant sur ses lèvres. Elle ne perdrait pas ce combat.

-Joli bureau. Dit-elle sèchement.

Sans la quitter du regard, il plissa les yeux en affichant un air renfrogné et laissa échapper un faible grognement.

Levant subitement son bras, il désigna de l'index le pathétique bureau dans le coin sous le regard fixe de Rukia.

-Assis.

Ses yeux renvoyèrent de furieux éclats de marbre violacé et elle se mordit les lèvres jusqu'au sang.

-Tu me prends pour un chien, Kurosaki ?

Penchant la tête sur le côté, il sourit :

-Je ne pense pas que tu veuilles que je réponde à cette question, Kuchiki.

-C'est pour cette raison que c'était une question rhétorique.

-Tu te crois intelligente ?

Elle le foudroya du regard :

-Je ne pense pas que tu veuilles que je réponde à cette question, Kurosaki.

-C'est pour cette raison que c'était une question rhétorique. Lui rétorqua-t-il.

Rukia se pencha nonchalamment dans son fauteuil, haussant un sourcil.

-Ah là là ... C'est seulement notre deuxième jour et tu répètes déjà tout ce que je dis ? Mon Dieu, tu es plus facile à dresser qu'un terrier, Kurosaki ! S'exclama Rukia en allant même jusqu'à prononcer son nom sur un ton dégoûté.

-Je pensais que nous avions déjà établi que les comparaisons canines n'étaient pas appropriées.

-Pour moi, peut-être, mais certainement pas pour toi.

-Je ne répéterais peut-être pas tout ce que tu dis si tu voulais bien juste la fermer.

Les lèvres, les yeux, le front et le nez de Rukia commencèrent à travailler ensemble pour former l'expression la plus furieuse présente sur aucun visage humain. Mais en plus de cela, en plus de toute la malice qui suintait de tous ses pores, elle affichait un sourire capable d'offenser n'importe quelle personne sur la planète.

Penchant la tête sur le côté et croisant les bras, elle dit :

-Comme c'est original ... Est-ce que l'Académie Française t'a déjà contacté ?

La Mort.

C'est ce qu'elle vit dans ses yeux.

L'Hilarité.

C'est ce qui étincelait sur son visage.

Rukia se pencha en avant sur son bureau – car c'était son bureau maintenant, elle s'était octroyé cette autorité depuis le début de leur altercation – et posa ses coudes sur le dessus. Entrelaçant ses doigts, elle forma un toit avec ses index relevés avant d'en placer les extrémités contre ses lèvres incurvées. Levant les yeux vers lui, elle s'assura qu'il perçoive distinctement le regard d'acier qui en émanait. De l'extérieur, elle était l'image de la perfection : fantastiquement apprêtée, penchée en avant avec une colonne vertébrale incroyablement droite, un visage de marbre flanqué d'une expression passive-agressive et un regard dur comme la pierre.

C'était Kurosaki qui était troublé et pouvait à peine parler. Ses cheveux étaient ébouriffés, à l'état sauvage, ses yeux étaient pétillants de fureur, sa posture était terriblement déformée, ses muscles étaient tendus, et son visage était encore plus laid que d'habitude.

Elle avait le contrôle. Elle était le patron. C'était elle qui commandait dans ce bureau.

Rukia prit une milliseconde pour se prélasser dans la gloire de cette réalisation. Et dans cette milliseconde, elle s'octroya, le temps d'une nanoseconde, le droit d'inscrire ceci au tableau des droits des femmes, comme une petite victoire pour toutes celles qui travaillaient dans le monde de l'entreprise.

Puis elle se tourna vers lui.

-De mon point de vue, commença Rukia en profitant de la tournure ironique de ses paroles, tu as trois options.

Elle leva la main comme une enseignante de maternelle et commençant à décompter ses doigts, tout en ignorant le tic nerveux qui s'affichait sur la joue de son collègue.

-Premièrement, commença-t-elle, tu peux partager cet espace avec moi, comme je te l'ai si généreusement proposé tout à l'heure. Ainsi tu obtiendras la moitié du bureau, ainsi qu'un peu de ta dignité en retour.

Woaw, regardez-moi ce tic !

-Deuxièmement, poursuivit-elle, tu peux choisir de t'asseoir dans ce bureau que tu as si consciencieusement placé dans le coin. Sourit-elle avant de lever un sourcil. Mais si tu fais ça, je pourrais être tentée de placer un bonnet d'âne sur ta tête.

Une combustion spontanée peut-elle simplement survenir dans la région crânienne ?

-Troisièmement, finit-elle, tu peux partir.

Rukia un, Kurosaki zéro.

Le concours d'intimidation reprit aussitôt. Kurosaki et elle se regardaient l'un l'autre avec chaque fois un plus de force. Cependant, elle savait qu'elle était en train de gagner. Elle avait la main haute, le pouvoir ... et elle avait le bureau. Bien sûr, elle ne savait pas si elle serait capable de le garder après aujourd'hui, mais cela n'avait pas d'importance. Elle l'avait, elle était assise, et pourtant il était là, debout, essayant de rester imposant, tout en échouant lamentablement. Elle était la gagnante du jour.

Ils restèrent dans la même position pendant au moins quinze minutes. Afin de lutter contre l'ennui insupportable qui accompagnait ce débat outrageusement long et silencieux, Rukia commença à jouer de la musique d'ascenseur dans sa tête. Elle le dévisageait durement sans laisser ses yeux devenir vitreux. Elle ne regardait pas sur le côté, ne bâillait pas, ne parlait pas, et clignait à peine des yeux.

C'était un fait, Rukia Kuchiki pouvait dévisager un homme mort ... et Ichigo Kurosaki n'était pas un homme mort.

Ils auraient pu continuer ainsi toute la journée. Merde, Rukia savait qu'elle aurait pu le faire ; malgré sa petite taille, elle ne se laissait pas démonter aussi facilement, sans mentionner qu'elle possédait la vessie d'un homme de trente-cinq ans. Elle pouvait encore continuer comme ça pendant des heures.

La seule chose qui mit fin à leur match « J'aimerais que tu meures » fut un faible coup sur la porte et l'apparition d'une femme aux cheveux roux arborant une large poitrine, portant une chemise dangereusement cintrée, une jupe serrée et un sourire lumineux mais vide.

-Mr. Kurosaki ?

Aucun mouvement de sa part.

Ni de la sienne.

Toujours à côté de la porte, Orihime Inoue fléchit nerveusement. Balayant des yeux la scène devant elle, elle frappa de nouveau.

-Mr. Kurosaki ?

Toujours aucun mouvement.

De son côté non plus.

S'agitant près de l'entrée du bureau tout en essayant de se tenir droite, Inoue semblait à la fois mécontente et irritée. La situation resta inchangée pendant près de deux minutes de plus avant qu'elle ne pousse un soupir grinçant tout en s'approchant d'eux.

-Mr. Kurosaki ? Demanda-t-elle en levant la main pour lui toucher légèrement l'épaule.

Il s'écarta soudain.

Victoire.

Rukia ne remarqua pas l'expression traversant le visage d'Inoue face à la réaction que son geste avait provoqué. Ses yeux le fixaient lui, et seulement lui.

-Oui, Inoue, qu'est-ce que vous voulez ?

Sa voix était râpeuse et rugueuse. L'expression d'Inoue ne changea pas, mais Rukia n'y porta aucune attention. Elle était trop occupée à dévisager son visage renfrogné, ses sourcils arrogants, ses yeux furieux, et son visage écarlate.

Je ne devrais pas autant apprécier cette situation. Pensa-t-elle distraitement.

Il ne lui fallut qu'une seconde pour réaliser qu'elle se fichait de savoir si y prendre du plaisir était politiquement correct ou non. Pour la première fois depuis longtemps, elle s'était réellement amusé avec un homme. En mettant bien sûr de côté, le fait qu'elle le faisait à ses dépends.

Ce n'est pas le moment d'être politiquement correcte, Rukia, se dit-elle, amuses-toi tant que tu le peux, tout simplement.

Inoue regarda timidement le sol.

-M. Ichimaru souhaite vous voir dans son bureau.

S'arrêtant un moment, continuant à balancer son poids d'un pied à l'autre, ses yeux effectuant un va-et-vient entre eux tout en se mordant la lèvre inférieure.

-Euh ... maintenant.

Son sourire narquois s'agrandissant de plus en plus, Rukia haussa un peu plus son sourcil avant de pencher la tête sur le côté.

-Je pense que tu devrais partir maintenant. Dit-elle doucement et dangereusement.

-Je reviendrai, grogna-t-il.

-Merci pour l'information, Arnold, répondit-elle sur un ton aussi dur que l'acier et dégoulinant de sarcasme, mais je ne t'attendrai pas.

Il la fusilla du regard. Balayant son regard tel un esquimau emporté par une tempête de neige, Rukia commença une fois de plus à penser à la musique d'ascenseur. Après l'avoir encore dévisagée durement pendant environ trois secondes supplémentaires, Kurosaki se redressa, se détourna et sortit en trombe du bureau.

Ses pas laissèrent un véritable sillage derrière lui. Rukia pouvait encore les entendre alors qu'il continuait vers l'ascenseur jusqu'à ce qu'il appuie ferment son doigt sur le bouton.

Une soudaine envie de sauter hors de sa chaise et de faire une danse de la victoire était plus que tentante. Rukia, cependant, ne se permit pas de sauter de sa chaise. Au lieu de cela, elle sourit comme une idiote et s'autorisa à commencer une nouvelle partie de Freecell en récompense.

Alors qu'elle cliquait sur toutes les cartes appropriées dans tous les endroits appropriés, se grondant silencieusement de ne pas avoir eu un appareil photo avec elle pendant cette altercation, elle ne remarqua même pas que Orihime Inoue était encore dans la pièce.

La jeune femme se tenait là, regardant fixement l'espace où Kurosaki était sorti dans un nuage de rage, balançant son poids d'un pied à l'autre. Quand Rukia remarqua enfin sa présence, elle décida de l'ignorer avec tact. Lorsque près d'une minute entière passa, Inoue continuant à se balancer, le regard vague, Rukia leva les yeux et demanda brusquement : -Avez-vous besoin de quelque chose ... In-Orihime ?

Elle devait se rappeler d'utiliser le prénom de la jeune femme plutôt que son nom.

Sa tête se tourna vers Rukia et elle cligna des yeux à plusieurs reprises avant qu'un sourire lumineux n'apparaisse sur ses lèvres.

Si Rukia avait pu rouler des yeux, elle l'aurait fait.

Mon Dieu, pensait-elle, doit-elle avoir l'air si ... distrait ... tout le temps ?

-Il est tellement gentil ! s'exclama-t-elle doucement.

Les yeux de Rukia se levèrent de son jeu avant qu'elle ne fronce les sourcils vers elle. Sa voix était enrobée de quelque chose qui pourrait s'apparenter…. au désir ?

Eh bien, eh bien, eh bien… se pourrait-il que Mlle Inoue ait un faible pour M. Kurosaki ? L'esprit de Rukia se pencha sur l'idée et, lorsqu'elle en fut certaine, elle commença à se sentir mal. Qu'une personne puisse être attirée par quelqu'un comme lui dépassait son niveau de compréhension.

Il doit y avoir quelque chose en lui qui l'attire ... se dit-elle. Se pourrait-il que ce soit son air menaçant et dégoûtant ? Sa taille outrageusement grande ? Peut-être, son arrogance ?

Rukia haussa les épaules, elle savait que certaines filles aimaient les mecs comme ça. Elle ne savait pas pourquoi. Le jour où elle s'arrêterait finalement sur quelqu'un, que ce soit un homme au hasard dans la rue ou une personne choisie pour elle par l'algorithme complexe d'un ordinateur, elle savait qu'elle serait son égale dans tous les sens du terme. Elle ne s'assiérait pas dans un coin pour le regarder béatement tout le temps ... ce que Inoue semblait faire.

Avec un petit sourire, elle hocha la tête sèchement :

-Je suis sûre que vous le pensez.

Inoue lui fit face soudainement, un petit froncement de sourcils commençant à se former au-dessus de ses yeux.

-Mais il l'est ! Il est très gentil ... Généreux, bienveillant et compatissant ...

Elle se sentit mal de nouveau, mais cette fois la sensation de nausées s'étendit de son estomac à sa gorge. La patience de Rukia s'amenuisait. Elle cliqua légèrement sur sa souris et hocha la tête une nouvelle fois. Et merde, si elle ne pouvait même pas dire ce qu'elle pensait vraiment de Ichigo Kurosaki, il ne lui restait plus qu'à apaiser la jeune femme.

-Peut-être une fois que je le connaîtrais mieux. Déclara-t-elle, un faux sourire éclairant son visage, allant jusqu'à utiliser sa «voix joyeuse» afin de paraître un peu plus crédible.

Inoue hocha la tête et sourit avec enthousiasme.

-Oh, ne vous inquiétez pas. Lorsque vous le connaîtrez, vous l'apprécierez énormément !

« Et à quel point le connaissez-vous, mademoiselle Inoue ? » était la question qui brûlait les lèvres de Rukia. Mais elle se retint. Sa mâchoire se serra pour tenter d'étouffer le rire sombre qui bouillonnait dans le creux de son estomac. Dieu que cette femme était irritante.

-Merci à vous, Orihime, dit-elle d'un ton sec, je vais garder cela à l'esprit.

Inoue acquiesça avant de sourire gentiment. Cependant, malgré la largeur de son sourire, la façon dont ses lèvres s'étiraient vers l'extérieur ou encore la blancheur de ses dents, il y avait une infime lueur dans ses yeux qu'elle n'arrivait pas à déguiser. Rukia connaissait cet éclat dans son regard. C'était celui traduisant une certaine nostalgie et, oserait-elle le dire, de la jalousie.

Inoue sortit rapidement, faisant claquer ses talons sur le sol, les yeux de Rukia suivant sa chevelure rousse et brillante jusqu'à ce qu'elle parte. Il y avait juste quelque chose avec cette fille ... quelque chose dont Rukia devait se méfier. Elle ressentait le besoin jusque dans ses tripes de garder un œil sur elle.

Elle termina sa partie et sortit quelques fichiers, se demandant brièvement si Kurosaki serait de retour dans le bureau bientôt. Elle en doutait, mais supposait que les deux avaient mérité un jour de repos. Hier, elle avait pu quitter le bureau dans un tourbillon de haine, et aujourd'hui, depuis qu'elle lui avait renvoyé la faveur, c'était à son tour de partir dans le même état. Elle serait assez généreuse pour le lui octroyer. Rukia, se souriant à elle-même, décida que, oui, elle était très gentille de lui accorder sa journée.

Pour ça, on dirait une marmotte, en fait. Pensa-t-elle distraitement, se rendant compte que, au cours de la dernière heure, elle avait comparé Kurosaki à deux animaux différents.

Une heure plus tard, presque submergée par des fichiers et des comptes, elle repensa à la stratégie que Momo lui avait conseillé d'utiliser. Elle réalisa que, si la musique d'ascenseur avait été un succès au début, elle avait fini par se battre avec lui de toute façon.

Bah, pensa-t-elle d'un ton léger, ça m'est égal.