Épilogue

Bien que nous ne nous soyons jamais mariés, Severus Rogue et moi avons toujours eu l'un pour l'autre un amour inconditionnel. Depuis les terribles évènements où ma cousine Lucinda a trouvé la plus cruelle des morts et où Morrigan, ma marraine, n'a eu d'autre choix que de nous quitter, Severus n'a jamais cessé de veiller sur moi et d'assurer ma sécurité. En outre, nous avons décidé conjointement de ne jamais officiellement nous unir. D'une part, parce que nous n'avions pas besoin de cela pour nous prouver combien nous nous aimions, et d'autre part, parce que Severus avait très à cœur de masquer mon existence, ainsi que notre relation, aux yeux du Seigneur des Ténèbres. En bon espion, il savait que son "maître" pouvait se servir des gens qu'il aimait pour faire pression sur lui, ou les tuer pour le punir de toute forme de trahison.

Nous avons vécu des années heureuses, même si les deux guerres ont assombri le tableau. Bien qu'il s'y était attendu grâce à sa première existence, la mort de sa meilleure amie Lily Evans (devenue Mrs Potter à cette époque) l'avait tout de même beaucoup secoué. Mais pour elle, il s'était toujours donné la secrète mission de veiller sur son fils Harry. Contrairement à la première fois, Severus avait eu l'ambition d'intégrer les mangemorts pour espionner l'ennemi et fournir de précieux renseignements à Dumbledore et son mouvement de résistance. C'était évidemment délicat dans la mesure où il ne pouvait pas s'amuser à donner n'importe quelle information, de peur de changer radicalement l'avenir. Impossible de risquer de voir un futur où plus personne ne serait en mesure d'arrêter le Seigneur des Ténèbres. Simplement, cette fois-ci, Lily le savait dans le camp adverse en qualité d'espion pour le compte d'Albus Dumbledore. Elle l'abreuvait d'encouragement autant qu'elle manifestait de l'inquiétude pour lui, et le temps supplémentaire qu'il put passer en sa compagnie, à se régaler de leur inaltérable amitié, avait suffit à son discret bonheur. Tout comme le temps qu'il passa à mes côtés.

Nous n'avons jamais vraiment vécu ensemble, sous le même toit. Il ne m'a jamais permit de le voir dans la maison de ses parents où il a vécu après le décès de son père. J'ai été surprise de le voir aller aux obsèques de ce dernier, car vu leur inimitié et la haine paternelle pour tout ce qui touchait la magie, je m'étais toujours imaginée que mon compagnon adoré aurait rayé à jamais son géniteur de sa vie. Mais peut être que Severus voulait par-là démontrer une ultime fois, et par orgueil, qu'il était bien meilleur que lui. Je sais cependant qu'il a refusé que son père soit enterré avec sa mère. J'ignore où se trouve la tombe de Tobias Rogue, Severus ne m'en a jamais parlé. Par contre, il a toujours veillé à ce que celle de sa mère reste bien fleurie.

C'est à Pré-au-lard que j'ai vécu. Depuis la nomination de Severus à son poste d'enseignant, j'ai travaillé pour Madame Rosmerta comme serveuse au pub Les Trois Balais. Je louais juste à côté une petite maison où Severus venait me retrouver chaque fois que cela lui était permit. Cette relation clandestine m'a toujours beaucoup amusée, même si ce n'était pas rose tous les jours et que cela m'a imposée quelques gros sacrifices. Mais je pense que d'un autre côté, cela a contribué à un certain épanouissement de notre couple. Nous restions ces deux adolescents qui devaient presque se cacher des autres pour s'aimer en paix, loin des regards désapprobateurs et des railleries.

Aujourd'hui, nous affrontons le joug du Seigneur des Ténèbres. Sa victoire semble totale et si personne ne l'arrête, une sombre époque s'annonce. Mais Severus est confiant. Le mage noir périra dans les prochaines heures car le jeune Harry Potter ne va plus tarder à revenir à Poudlard pour y mener la bataille finale. Il le sait, c'est un évènement inexorable. Sa nomination comme directeur de Poudlard sonne malheureusement pour lui la fin. Lorsque Potter sera là, cela signifiera pour Severus que sa propre fin arrive également. Il sait qu'il doit mourir.

Exceptionnellement, alors, il m'a fait venir dans les murs du château, à l'insu de tous. Dans le bureau qui fut encore l'année dernière celui d'Albus Dumbledore, Severus m'a pris les mains et m'a longuement regardé, sans un mot. Pas besoin. Ses magnifiques yeux noirs expriment bien mieux son affection pour moi et ses espoirs d'avenir que ne sauraient le faire des simples mots. Nous savons que c'est la dernière fois que nous nous voyons. Mes mains, même si elles sont tremblantes et moites, serrent les siennes pour l'encourager. Notre séparation sera dure, et nous ignorons tous les deux ce que l'avenir nous réserve après sa mort et la défaite du Seigneur des Ténèbres, mais nous espérons que ceux que nous chérissons pourront grandir et vivre en paix, sans craindre les Forces du Mal.

Nous avons partagé une dernière étreinte, échangé un dernier baiser. Je ne pleurerai pas. Je sais ce qui doit être fait, et je suis assez forte et courageuse pour supporter le poids du sacrifice qu'il s'apprête à faire. Même si peu de gens lui rendront honneur après cela, moi, je sais qu'il est un héro. Un héro discret et imparfait, avec sa part de lumière et de ténèbres. Je prie pour que son âme ne tombe pas entre de mauvaises mains, car sa dette contractée avec les Entités n'a jamais été recouvrée. Etrangement, aucune d'elles ne s'est manifestée pour réclamer les services de Severus et le voici aux portes de la mort, complètement à la merci de cette Entité inconnue dont nous ne savons rien des intentions.

Avant que je ne quitte le bureau, ses yeux s'attardent sur mon ventre arrondi, et je devine ses dernières pensées. Il ne verra jamais naître et grandir l'enfant que je porte. Un enfant arrivé par accident, alors que nous pensions ne jamais pouvoir en avoir. Une grossesse tardive qui fait tout de même notre bonheur : il va me rester une part de Severus bien vivante dans ce monde. Je lui ai laissé le choix du nom, l'ultime cadeau d'un père aimant pour un enfant qu'il ne pourra jamais connaître. Ma main caresse mon ventre et je lance un sourire rassurant et encourageant à mon bien-aimé. Il peut compter sur moi pour élever et protéger le bébé.

Mes pas résonnent étrangement dans les couloirs, comme si le temps avait ralenti. Poudlard n'a pas vraiment changé, de vieux souvenirs remontent. Les mauvais comme les bons. Finalement, j'entre dans la bibliothèque désertée et pénètre dans la section de la Réserve. J'observe les alentours. Personne. Ma main glisse dans les rayonnages le vieux livre que Morrigan m'a confié, quelque part entre "magie controversée du Moyen-âge" et "Histoire de la magie noire : entre grandeur et décadence". Un jour, un élève le trouvera et aura peut être la curiosité de le lire. Il y saura ainsi la vérité. Notre histoire aura une chance de ne pas être oubliée. Severus ne sait pas que j'ai fait cela. Il pense que je suis repartie aussitôt. Cela le rendrait furieux de savoir que je me mets en danger pour un "stupide" livre. Je souffle un coup, et je repars.

Au détour d'un énième couloir, j'entends une conversation. Deux personnes bloquent l'accès au passage qui me permet de quitter en douce l'école. Mon oreille reconnait très vite la voix de Severus, anormalement nerveuse et troublée. Je me rapproche autant que la discrétion me le permet. Severus est en train de parler avec un homme camouflé par une longue cape grise, la capuche sur la tête, m'empêchant de discerner les traits de l'inconnu. Cependant, je ne rate rien de leur échange.

"- ... N'est pas une bonne idée," dit Severus sur le ton du défi. " Même si Morrigan ne peut plus agir directement, les autres Entités ne manqueront pas de vous pourchasser pour vous punir. Vous êtes en train de jouer gros."

L'intrus opine du chef, visiblement convaincu par ses paroles. Je trésaille quand je réalise qu'il mentionne les Entités et Morrigan. Cela faisait des années que plus personne n'est venu nous turlupiner avec cela. Cet inconnu es-t-il l'Entité qui a récupéré le contrat de Severus ? La voix qui s'élève et qui répond me ramène des années en arrière, alors que je m'étais imaginée ne plus jamais l'entendre. Mon corps se tend, j'angoisse.

"- C'est vrai, je prends un sacré risque en venant te voir," rétorque Balor d'un ton posé. "Mais c'était trop tentant. Tu es aux portes de la mort, et bientôt ton âme ne t'appartiendra plus. Mais je voulais que tu saches."

Il fait une pause théâtrale dont il suppose que cela fera effet auprès de son ennemi. Mais Severus demeure imperturbable. Son sang-froid me rend si fière de lui, alors que pour Balor, c'est une petite déception.

"- Tu m'as ravis Lilith, rendant impossible mes projets. Je pensais avoir tout perdu, et je t'ai longtemps haï pour cela. Pas que toi d'ailleurs. La fin misérable de Sirius Black, la peine de cette chère miss Greenwood qui n'a jamais pu fonder de famille avec son pathétique amoureux. Y a-t-il eu quelqu'un en dehors de vous qui sait que ces deux là s'aimaient ? Aujourd'hui, tu meurs, et tu ne verras jamais ta progéniture. Petite consolation que tout cela. Si je pouvais, j'irais bien voir ta garce de femme pour lui arracher cet enfant de ses entrailles..."

Je retiens mon souffle, me retenant de céder à la panique. La voix de Balor est si dure quand il lance sa menace que mon corps en tremble malgré moi. Je dois me calmer. Severus ne dit rien, seule sa main se serre et ses jointures craquent, trahissant son énervement grandissant. Mais il ne donnera pas la moindre satisfaction à son ennemi. Il demeure froid et imperturbable, ignorant la menace et attendant sagement la suite.

"- Cependant, je ne m'adonnerai pas à ces enfantillages. Car il semble que le destin ai tout de même décidé de jouer en ma faveur. L'enfant, que je désirais et que Lilith aurait dû mettre au monde, est finalement né. Je n'ai eu aucun besoin de comploter pour cela. Le hasard a fait que..."

Sa voix chantonne, ce sale démon exulte. Je n'ose croire qu'il soit tout de même parvenu à ses fins. Comment est-ce possible ? Severus doit certainement se poser la même question.

"- Qui est cet enfant ?" demande calmement Severus. Balor hausse les épaules, glousse, se dandine sur place, comme hésitant à quitter les lieux sans en dire plus ou rester encore un peu pour torturer sa victime.

"- Si tu n'a rien de plus à me dire, disparais !" gronde mon bien-aimé.

"- J'ai gagné, et tu vas mourir en le sachant et sans que tu ne puisses rien faire d'autre. Lorsque cet enfant sera adulte, il plongera ce monde dans les Ténèbres et ira défier les autres Entités. Grâce à lui, une nouvelle ère débutera. Ceux dont la magie est absente seront voués à disparaître ou à servir le Nouvel Ordre de la magie. Grindelwald, Voldemort... ils ne sont rien à côté de ce que sera cet enfant, ou tout au plus de simples précurseurs."

Il disparait ensuite en riant à gorge déployée, l'écho de sa sombre prophétie se répercutant dans ma tête. Sonnée, je réalise plus tard que Severus est parti lui aussi. Le temps file maintenant à une allure démentielle. Quelle journée horrible ! Et la nuit qui avance sera pire encore. Enceinte et prête à accoucher, je sais très bien que je ne peux rien faire. Il est trop tard de toute façon. A bout de souffle, je rejoins le passage secret qui me mène hors des murs du château. A son extrémité, Heather Greenwood m'attend. Elle est restée une bonne amie, discrète et fidèle. Depuis la mort de Sirius, elle enrage et guette la fin du Seigneur des Ténèbres et de ses lieutenants. Si elle n'avait pas à s'occuper de me protéger, elle serait sur le champs de bataille à massacrer du mangemort dans l'espoir de tomber sur Bellatrix pour la réduire à l'état de charpie.

Un autre destin l'attend. Elle doit m'emmener aussi loin que possible de la bataille, me cacher de la purge qui s'annonce. Peu de gens savent que Severus Rogue est un espion, et si les gens apprennent que je suis sa compagne et que j'attends son enfant, leur colère et leur vengeance seront dirigées sur nous. Elle va me faire quitter le pays. D'après elle, l'orient est un coin tranquille, bien loin du tumulte du Royaume-Uni. Là-bas, personne ne me connait. Personne n'a besoin de savoir qui je suis exactement. Et puis, sa famille prendra soin de moi, comme si j'étais des leurs.

Nous transplanons. J'ai soudain l'impression d'avoir abandonné Severus.

Je réalise que je ne veux pas qu'il meure. Tout ceci est trop cruel...

Pitié, que quelqu'un le sauve !


Le mot de l'auteur

Voilà, c'est la fin. Sept ans se sont écoulés depuis le tout premier chapitre, mais cette histoire est enfin achevée. Je dois avouer que lorsque j'ai commencé à écrire, je ne savais pas encore comment j'allais terminer mon récit. Plusieurs idées me trottaient dans la tête. Finalement, la longue pose avant la reprise de mon écriture m'a permis de faire mûrir cette fin. Le recul est une bonne chose lorsque l'on bloque. Comme vous l'avez remarqué, l'épilogue laisse entendre une possible suite. Je me suis attachée à mes protagonistes et j'ai encore des tonnes d'idées pour eux. Mais ce ne sera pas forcément pour tout de suite. Je voudrais arriver à bien travailler mon projet, et ne pas mettre sept ans supplémentaires pour en venir à bout. Tout va dépendre de mon inspiration.
J'en profite également pour remercier tous mes lecteurs qui auront eu le plaisir et le courage de lire mon œuvre jusqu'au bout. J'espère que vous avez prit beaucoup de plaisir à suivre les péripéties de Severus. Je le voulais rebelle, tranchant, amer, pourri de regrets, mais en même temps si fragile, désorienté, et plein d'espoirs... Même s'il n'est pas le meilleur des hommes, j'avais tellement envie que quelqu'un puisse le sauver.

A bientôt pour une prochaine histoire !