Ceci est ma première fanfiction sur Tsubasa Chronicle. J'ai un peu peur, du fait qu'il y ait beaucoup de fic' que je n'ai pas lues, que mon histoire présente des similitudes avec d'autres que je n'ai pas pris le peine de connaitre. J'espère que ce n'est pas le cas et que ma fic ne fasse pas "déjà vu".

Bonne lecture :).

Disclaimer : Les personnages de TRC ne m'appartiennent pas.

Our Nostalgia

Mon nom est Flowright comme la fluorite en anglais et mon prénom : Fye. Enfin, mon véritable nom est Yui. Fye, c'était mon frère, il est décédé, il y a tout juste dix ans. Dix ans de vie passée sans mon double, mon autre moi, ma moitié. Nous étions jumeaux, indiscernables et inséparables. Même nos parents avaient du mal savoir lequel était lequel.

Fye est mort le 10 décembre 1979, on n'a jamais retrouvé son corps, ni son assassin. Et il m'a fallu dix ans pour savoir que ce monstre était tout près de chez moi et ça, ce fut la personne que je méprisais le plus qui me l'a fait comprendre.

Dans le monde dans lequel je vis, il n'y a que l'armée et les psychopathes qui se battent avec des armes à feu. Les autres, civils, ont une tout autre manière de combattre leurs ennemis : leur regard. Lorsqu'une personne ne rentre pas dans la norme, les autres la fixent de façon à ce que la personne en question soit le plus mal à l'aise possible. Les gens sensés n'insultent pas, et ne prennent pas la peine d'être violent, leur lâcheté leur interdit puisque si la pauvre victime riposte, le sort se retournera automatiquement contre ces pauvres fous. Tandis que s'ils se contentent de fixer leur proie, celle-ci ne peut contre-attaquer. Voilà la triste vérité de ce monde.

Hélas, la nature a fait que Je ne peux en aucun cas passer inaperçu dans la rue. Je suis blond, mes yeux sont bleus et je vis au Japon, là où tout le monde est brun aux yeux marron. Bien entendu, tout cela n'est que généralité : il y a des blonds ou tout au moins des blondes, des filles qui s'éclaircissent les cheveux pour ressembler à leurs stars préférées il y a des personnes qui ont les yeux bleus ou de couleurs claires, mais de toutes ces personnes, je suis le seul à être blond aux yeux bleus.

Lorsque nous étions deux, nous arrivions à supporter ces regards incessants, nous étions plus forts, nous étions à la fois deux et à la fois une seule et même personne. Maintenant je suis seul, avec Ashura.

Ashura était mon tuteur et en même temps celui de Fye lorsqu'il était encore vivant. Il nous avait trouvé sur le bord d'une falaise à regarder la mer qui s'échouait contre les rochers. Notre mère venait de mettre fin à ses jours. Je ne sais plus ce qu'il s'était vraiment passé, je me souviens que depuis que notre père s'était tué dans un accident de voiture, notre mère était toujours triste, elle nous répétait que l'on était ce qu'elle avait de plus cher au monde.

Et puis un jour, elle avait le sourire aux lèvres, elle nous avait levés, habillés et amenés dans la voiture. Lorsque nous demandions où nous allions, elle nous répondait que nous allions faire une grande balade. Puis, la voiture s'était arrêtée devant une falaise, maman avait emprisonné son visage dans ses mains, puis avait pleuré. Elle nous avait dit de sortir de la voiture. Comme nous hésitions, elle nous avait hurlé dessus. C'était la première fois qu'elle haussait la voix.

Dès que nous avions refermé les portières, la voiture avait avancé dans un terrible vrombissement et avait terminé sa course dans l'océan. Nous nous étions précipités pour regarder avec une lueur d'espoir si notre mère était encore vivante, et nous avions attendu, attendu des heures et des heures en regardant si nous ne voyions pas quelque chose ressemblant à celle que l'on avait appelée « Maman », en vain.

Ashura nous avait trouvés ainsi, nous étions incapables de pleurer, incapables de parler. Fye avait juste montré le vide du doigt et Ashura avait compris. Il avait tout d'abord cherché si nous avions de la famille, mais tous étaient en Europe et ne voulaient pas payer le billet d'avion pour deux orphelins comme nous. Alors Ashura avait décidé de nous prendre sous son aile. Comme il ne faisait pas partie de notre famille et que légalement, il ne pouvait pas nous garder, il nous a inventé un nom : Flowright, nous étions une famille issue des Etats-Unis venue vivre paisiblement au Japon. De ce fait, nous nous étions installés dans une petite banlieue de Kyoto.

Nous avions passé cinq années de pur bonheur, nous vivions dans un petit havre de paix, les voisins étaient tous si gentils : il y avait Clow, un bibliothécaire fou amoureux de Yûko, une femme qui tenait un magasin d'Antiquités. Elle avait un petit garçon qu'elle avait sous sa protection, il avait pilepoil notre âge et s'appelait Watanuki. Comme nous, ses parents étaient décédés dans un accident mais à la différence de Fye et moi, Yûko ne le considérait pas comme son enfant : elle disait que ça la vieillissait. De ce fait, Watanuki était triste et cela nous désolait pour lui. En face de chez nous, résidait la famille Mokona, personne n'a jamais su leur prénom.

Il y avait Mokona le mari, un jeune homme brun, le teint légèrement hâlé et toujours vêtu de bleu, Mokona la femme, elle était aussi blanche que la neige, plus blanche que Fye et moi, blonde vénitienne et s'habillait toujours de rose ou de rouge. On n'a jamais pu voir leurs yeux, ils étaient trop bridés et comme ils souriaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le discernement de leurs pupilles se faisait d'autant plus difficile.

À quelques maisons se trouvaient celle de Fei Wan, un chef d'entreprise qui s'est longtemps montré très courtois avec nous et qui avait une aventure avec Xin Huo, une jeune femme brune aux cheveux ondulés qui résidait au bout de notre rue et enfin Seichiro, un passionné d'architecture que nous ne voyions quasiment jamais à cause des fouilles qu'il aimait tant suivre. Lorsqu'il était chez lui, il était souvent suivi de Shaolan et de Syaoran, deux jumeaux comme Fye et moi sauf qu'à la différence de nous deux, ils sont facilement discernables : Shaolan a les yeux vairons, l'un est bleu et l'autre noisette tandis que Syaoran les a tous deux de couleur brune. Ils sont beaucoup plus jeunes et n'ont jamais connu Fye, il me semble qu'ils avaient emménagé un an après la mort de ma moitié et comme les gens veulent en général oublier les choses tragiques, ils n'ont jamais entendu parler de cette histoire.

Même s'ils étaient toujours ensembles, j'avais très bien deviné qu'ils ne s'entendent pas très bien, ils s'aiment bien, mais c'est tout. Je l'avais deviné lorsque je les avais vus en compagnie de la nièce de Clow, Sakura, qui venait souvent dans notre quartier. Une forte rivalité s'éveillait entre les deux jumeaux vis-à-vis de la jeune fille, et lorsque la rouquine avait montré clairement qu'elle aimait Shaolan, je crois que Syaoran aurait mis fin à ses jours s'il n'avait pas sa volonté qui faisait tout son charme.

Je me souviens l'avoir trouvé un jour sur le pont qui séparait notre quartier de campagnes à la forêt et l'ancienne ferme des Suwa. Le pauvre enfant avait déniché une maigre branche d'arbre et l'avait relié à une ficelle et imitait les pêcheurs qu'il devait sûrement voir à la télévision. Le visage ruisselé de larmes, le regard perdu au milieu de nulle part, il jetait de temps à autre le bout sa canne à pêche de fortune dans la rivière et j'observais le morceau de ficelle fouetter le courant sans trouver le moindre poisson. Je me rappelle m'être assis à côté de lui sur le petit pont de bois et lui avait offert un de mes plus beaux faux sourires.

- La pêche est bonne, Syaoran ?

Naturellement, le petit garçon fut surpris de ma présence. Il tenta en vain de me renvoyer un faux sourire, mais cela ne fit que l'attrister davantage. À ce jeu, j'ai toujours été le plus fort.

- Oh, bonjour Fye, désolé je ne vous avais pas vu arriver. Veuillez m'excuser.

- C'est pas grave et arrête de me vouvoyer, ça fait quelques années qu'on est voisin.

- Oui… Mais vous êtes mon aîné… Je veux dire tu es mon aîné, et…

- Oh arrête, on a quatre ans de différence, arrête de me vieillir !

- Désolé.

Ma mascarade avait réussi à calmer l'atmosphère ô combien tendue. Cependant lorsque le silence revint, la mélancolie du jeune garçon reprit de plus belle et cette fois, de grosses gouttes salées se mirent à courir le long de ses joues.

- Je suis désolé… C'est idiot…

- Tu veux en parler ?

- Non, enfin oui… Mais je ne veux pas te déranger.

- Si ça me dérangeait, je ne serais pas venu te voir.

- C'est vrai… En fait, mon jumeau, Shaolan, sort avec une fille, Sakura, et…

- … Et tu as peur que ta moitié t'abandonne pour cette fille.

- Non ! Non, Shaolan est si puéril, je vais être débarrassé de ses gamineries. Non, en fait moi aussi j'aime Sakura, mais elle aime cet idiot de Shaolan.

- Tu ne penses pas être un peu dur avec Shaolan ? Après tout, c'est ton frère. Te fâcher avec lui, pour une fille, c'est un peu puéril, comme tu dis.

- Sakura n'est pas une simple fille, c'est l'être le plus adorable que je connaisse !

- Écoute Syaoran, tu as quoi ? Douze ans ? Treize ans ? Tu as toute la vie devant toi pour rencontrer celle qui partagera ta vie. Et n'oublie pas, ce qui ne tue pas te rend plus fort.

L'enfant sécha ses pleurs me sourit, pas un sourire qui dissimule tout son contraire, mais un vrai sourire plein de reconnaissance. Comme ceux que l'on adresse à ses amis, à ses parents ou aux personnes qui nous aident lorsque l'on est dans le besoin. Malheureusement, mon raisonnement ne tenait pas la route, j'étais incapable d'appliquer les conseils que je faisais à autrui.

Pourtant, Shaolan semblait satisfait de mes astuces, s'était redressé et avait jeté sa canne à pêche dans la rivière, le courant emportant le bout de bois et de ficelle au loin. Ensuite le jeune garçon et moi étions repartis vers notre quartier, tournant le dos à l'inquiétante forêt qui a longtemps été la source de mes angoisses.


C'est dans cette même forêt que Fye a été assassiné. Du moins je présume, nous avions pour habitude de passer par un champ pour rentrer chez nous après l'école. Cependant, un soir d'hiver, Fye avait insisté pour qu'on contourne par la forêt. Il disait que ça aurait pu être amusant et qu'on aurait pu jeter un œil à la ferme des Suwa qui était abandonnée depuis le meurtre de ses propriétaires. Cependant, les arbres m'effrayaient avec leurs longues branches crochues tels des doigts de sorcières que l'on voyait dans les contes occidentaux. J'avais refusé catégoriquement. Malheureusement, Fye et moi avions ce même entêtement qui lui a été fatal. Il avait emprunté le chemin le plus long et j'avais couru à travers le champ pour rentrer à la maison.

Ashura nous attendait et fut surpris de me voir franchir le pas de la porte d'entrée sans mon frère. Je lui avais expliqué ce qui s'était passé et nous avions attendu Fye pour dîner. Naturellement, il ne venait pas et nous ne nous doutions pas que jamais il ne serait rentré. Nous avions commencé à manger et débattu ce que l'on devait mettre dans son assiette pour son repas à son retour. À vingt heure trente, nous avions commencé à nous inquiéter, Ashura avait appelé nos voisins pour savoir s'il n'avait pas vu mon autre moi en espérant qu'il soit simplement en train de boire un jus d'orange chez l'un d'entre eux. Hélas, toutes les réponses étaient négatives.

Fye avait disparu.

Je me souviens qu'après avoir appelé la police, Ashura avait attrapé son manteau, son écharpe, la photo de moi et mon frère qui se trouvait sur la table dans l'entrée et commençait à sortir. Paniqué à l'idée de rester seul, je m'étais accroché au bas de son manteau et avais pleuré pour qu'il reste. Il s'était doucement mis à ma hauteur puis m'avait dit tendrement :

« Je vais revenir Yui, je vais chercher Fye et l'on sera tous les trois ensembles. »

Ashura avait toujours eu, comme de nombreux parents, cette façon de mentir qui rassure tous les naïfs enfants qui ont besoin de réconfort. Comme dire que le petit poisson rouge avait trouvé une fiancée et qu'ils étaient partis vers le grand bleu tandis que l'autre parent abaissait le bouton de la chasse d'eau emportant ainsi le cadavre du malheureux animal domestique. Même si je ne suis pas père, j'ai acquis avec facilité cette capacité à pouvoir mentir sans aucune faille. Tout chez moi n'est que mascarade, du bonjour amical au simple sourire, tout est faux. Il n'y avait qu'avec Ashura où j'étais naturel parce que celui-ci sait très bien ce que c'est de mentir à quelqu'un. Puisque Ashura n'est jamais revenu avec Fye ce soir-là.

Mais lorsqu'il m'avait dit que l'on serait tous les trois ensembles, j'y avais cru. J'avais attrapé nos deux peluches que les Mokona nous avaient offertes et je m'étais posté sur le canapé près de la fenêtre qui donnait sur la rue et j'avais attendu le retour de mon père adoptif et de mon frère jumeau. Au bout d'un moment la fatigue avait pris le dessus sur moi et j'étais tombé dans les bras de Morphée. Il me semble qu'un policier était venu me voir, mais je devais dormir trop profondément pour me réveiller entièrement.


Ce n'est que le lendemain que je me suis rendu compte que j'avais fait la bêtise de m'être endormi. J'étais dans mon lit, avec le mokona blanc tandis que le noir résidait sur le lit impeccablement fait de Fye. Ce détail me faisait comprendre que mon frère n'avait pas dormi à la maison et surtout qu'Ashura m'avait menti. On n'était pas tous les trois ensemble. Le cœur battant la chamade, je décidai de descendre au salon.

De ma chambre, j'entendais les voix d'Ashura et d'autres personnes. Tandis que j'avançais tremblant le long du couloir, les voix allaient crescendo. Je comprenais qu'ils parlaient de mon jumeau, mais je savais que si je montrais le bout de mon nez, la conversation prendrait une autre tournure puisque à huit ans, on ne participe pas aux discussions des adultes, même si nous étions très matures, Fye et moi. À plat ventre j'avais rampé sur la moquette délavée de manière à ne pas être vu.

En bas, mon père adoptif assis dans le canapé discutait avec un monsieur chauve et de petite taille installé sur le fauteuil en face, deux autres policiers en uniforme se tenaient debout derrière le chauve. L'un était ventru, le crâne dégarni avec quelques cheveux sur les côtés tandis l'autre était aussi petit que l'homme assis, maigre et doté d'une chevelure qui semblait écraser son visage. Ashura tenait la tête entre ses mains et soupirait continuellement tandis que le chauve restait impassible. D'un coup, mon père adoptif releva sa tête reprit sa conversation :

- Mais puisque je vous dis que Fye a seulement huit ans, il n'a pas fugué !

- Vous savez, il n'y a pas d'âge pour fuguer. S'il y a un malaise dans la famille, les enfants n'hésitent pas à sortir de chez eux.

- Écoutez, je ne sais pas si vous comprenez la situation : Fye mène une vie heureuse avec nous et puis, il ne serait jamais parti sans Yui, son jumeau. Croyez-moi, il est arrivé quelque chose à mon fils.

- Je ne dis pas qu'il lui n'est rien arrivé, j'émets simplement des possibilités que l'on retrouve dans de nombreux cas. Vous avez questionné les voisins ?

- Oui, tous…

- Vous pouvez nous faire un descriptif des vêtements qu'il portait ?

- Heu, attendez… Il avait un jean foncé, un pull blanc à col roulé, un manteau bleu marine et un cartable en cuir assez basique…

Le chauve jeta un œil à ses deux compagnon puis se mit à se moquer d'Ashura.

- Vous pourriez être un peu plus précis, histoire que si on retrouve un cartable en cuir assez basique, on sache qu'il s'agit de celui de votre fils et non de celui de la racaille du coin ?

Si Ashura n'avait pas été aussi peiné, je pense qu'il aurait passé le petit policier par la fenêtre. Mais il savait que s'il avait fait la moindre action insensée, le sort se serait retourné contre nous et plus personne n'aurait enquêté sur la disparition de mon frère. Au lieu de cela, il se tourna vers l'endroit où j'étais tapi et nos regards se sont croisés, les policiers suivirent le regard de mon père adoptif. Je me levai puisque j'étais découvert et qu'il n'y avait plus aucune raison à ce que je reste caché. Ashura me sourit tendrement même si de là où j'étais je pouvais apercevoir ses yeux gorgés de larmes :

- Yui, tu peux enfiler vite fait les mêmes vêtements que Fye avait hier soir ?

- Même les sous-vêtements ? Demandai-je d'une voix innocente

- Ce ne sera pas la peine. Et amène ton cartable aussi.

J'avais filé aussi vite que j'avais pu jusque dans notre chambre et devant notre armoire. Il y avait deux portes qui séparaient le meuble en deux parties égales. Nous avions chacun notre côté, pourtant nous avions exactement les mêmes vêtements. On insistait pour avoir des affaires identiques au grand damne d'Ashura qui nous défendait de porter les mêmes vêtements le même jour. Il disait qu'il avait déjà du mal à nous distinguer au quotidien alors si on s'amusait à se rendre plus indiscernables que d'habitude, Ashura menacerait de faire un malaise.

Au nom de l'amour que l'on portait à notre tuteur, nous portions des tenues différentes chaque jour. Fye aimait mettre des couleurs comme le bleu ciel ou marine avec du blanc et moi du bleu très pâle ou roi avec par moments du noir ou de l'écru selon mon humeur. Pourtant, devant l'armoire devenue si imposante en quelques secondes, j'avais eu un blocage. Jamais je n'avais ouvert mon côté sans Fye à proximité. Ce ne fut qu'au moment où Ashura passa dans l'encadrement de la porte que je me suis ressaisi. Sous l'œil attendri de mon tuteur, je déposais les affaires sur mon lit.

Sans un mot, mon père adoptif quitta son emplacement et j'entendis s'éloigner ses pas le long du couloir avant de descendre. J'avais vite enfilé les vêtements puis rejoins mon père adoptif et les enquêteurs dans le salon.

Avant de partir de chez nous, l'inspecteur avait déclaré « Je le retrouverai, ne vous en faites pas », avec celui d'Ashura la veille, ce fut le plus gros mensonge que l'on m'ait fait de toute me vie. Fye n'est jamais revenu, personne ne l'avait retrouvé. Il n'était plus là et c'était de ma faute.

Plus les jours passaient et plus je culpabilisais, je pensais que si j'avais été avec lui dans la forêt, nous aurions été plus fort et rien ne nous serait arrivé ou si je l'avais persuadé de rentrer directement avec moi, nous serions retournés tous les deux à la maison. Nous aurions raconté notre journée, expliqué comment notre professeur m'avait balancé un morceau de craie en plein lobe frontal parce que je discutais avec mon voisin de devant et comment Fye avait gagné son sac de billes à la récré.

J'avais tout gâché : ma lâcheté avait entraîné la perte de mon autre. J'étais perdu sans lui, même le réconfort d'Ashura ne pouvait empêcher mes pleurs le soir ainsi que mes cauchemars. Mon tuteur continuait d'espérer, il gardait la foi malgré le temps qui passait.

Un jour, l'enquêteur au crâne dégarni dont j'ignorais le nom est entré chez nous. Ashura commença à m'éloigner, mais l'homme lui fit signe que je pouvais rester. Mon tuteur s'installa en face du policier qui, sans un mot fit glisser une pochette en plastique fermée dans laquelle se trouvait un sac en cuir dont les bretelles étaient lacérées et recouvertes de sang séché et noirci.

Dépassant de la poche sur le côté, j'aperçus quelques billes rouler hors du sac. Celles que Fye avait gagné. Les larmes me montaient aux yeux tandis que mes doigts effleuraient ce qui symbolisait mon frère défunt. Cependant, Ashura repoussa la pochette en plastique puis, tremblant, boucha son nez afin de retenir tant bien que mal les gouttes salées qui menaçaient de couler.

- Écoutez, je sais très bien où vous voulez en venir. Mais Fye a très bien pu se blesser, abandonner son sac et continuer sa route. C'est tout à fait possible ! Il faut continuer les recherches ! Vous avez questionné Kyle Rondart ? C'est soi-disant un médecin, mais je le trouve assez suspect, et Yûko Ichihara ? J'ai entendu dire que c'était une sorcière, elle doit sûrement savoir quelque chose…

- Monsieur Flowright, nous avons fouillé la forêt de fond en comble et questionné tout le voisinage : Kyle et Yûko ont un alibi. Pourquoi vous ne vous rendez pas à l'évidence ? Ça fait un mois que votre fils a disparu, on a retrouvé beaucoup de sang séché à l'endroit où se trouvait le sac. Fye est mort, Monsieur Flowright… Je suis sincèrement désolé.

Je ne me rappelle plus avoir vu l'inspecteur sortir de la maison puisque lorsque j'avais entendu les mots « Fye est mort », je me suis aussitôt rué dans les bras d'Ashura, nous avions longtemps pleuré et n'avions pas mangés le soir. La nuit, j'avais refusé de dormir dans notre chambre, j'étais resté avec mon tuteur et pour la première et la dernière fois, je l'avais appelé « Papa ». Dans les coups durs, on a toujours besoin d'un parent pour nous attendrir, je pense que c'est la raison pour laquelle je l'ai qualifié ainsi. Il n'avait pas relevé l'appellation puisqu'il dormait à poings fermés.

Après ce jour funeste, l'enquête se basait sur la recherche d'un coupable. Tandis que les gens et la presse, assoiffés de ragots et de commérages, s'acharnaient à raconter que le pauvre Fye avait péri sous la griffe d'un ours ou d'une autre bête sauvage, les enquêteurs soupçonnaient un être humain d'être l'auteur de cette tragédie. Ashura faisaient son bonhomme de chemin en fouillant des articles de journaux concernant le voisinage et épiait tous les faits et gestes de chacun. Il avait même été pris à voler les factures de ceux qui, trop distrait, avaient oublié de récupérer leur courrier.

Quant à moi, je savais pertinemment qui était responsable de ce drame. Si j'avais été resté avec Fye, nous serions rentrés et rien de tout cela ne serait jamais arrivé. Malheureusement j'avais toujours été un lâche, même lorsqu'il s'agissait de mon frère. Lorsqu'un chien, sorti tout droit des poubelles, s'était rué sur mon jumeau et le mordait encore et encore, je n'avais pas été capable de bouger ou même d'appeler quelqu'un. Ce fût le mari Mokona qui avait vu la scène et avait chassé la bête enragée. Même si Fye me disait qu'il allait bien et que je n'avais pas à culpabiliser, je savais que c'était de ma faute si mon frère avait été blessé. Quelques années plus tard, mon manque de courage lui avait été fatal.


Quelques jours après la visite de l'enquêteur, Ashura avait dû se résigner et admettre que Fye n'était plus de ce monde. J'avais trouvé sur la table de la cuisine, à côté du journal hebdomadaire d'Ashura, les déclarations de décès de mon frère défunt. Perplexe, j'observais chaque contour de l'écriture fine et italique de mon père adoptif, quelque chose me tracassait. Pourquoi Fye qui n'avait rien demandé se retrouvait ainsi ?

Sans réfléchir aux conséquences de mon acte, je barrai au feutre noir le prénom de mon jumeau pour le remplacer par le mien. Après tout, Yui était le seul qui méritait de mourir : celui qui discutait sans cesse pendant le cours du professeur, celui qui parlait aux inconnus, celui qui était incapable de sauver son frère de la mort.

D'après les dires d'Ashura, lorsqu'il m'avait découvert, j'étais complètement déboussolé. Mes yeux se perdaient dans le vide tandis que, tremblant, la prise de mes doigts autour du stylo se desserrait. Je n'ai repris mes esprits que lorsque mes oreilles furent heurtées par le bruit de l'impact du crayon sur le sol. Ce fut à cet instant que je remarquai Ashura qui, tranquillement, relevait l'objet reposant sur le tapis. Il observa en se relevant, l'imposante rayure noire et le corrigé juste à côté.

- Tu penses sincèrement que tu te sentiras mieux en te faisant passer pour Fye ?

En guise de réponse, je hochai la tête. Ashura se mit à soupirer, il ramassa la déclaration de décès ainsi que son journal. Pendant un moment, j'eus l'impression que ma culpabilité s'envolait. En l'espace d'un instant, j'avais l'impression d'offrir une seconde vie à mon autre.

Évidemment, ce n'était que l'espace d'un instant.

Ashura avait raconté à l'inspecteur que j'avais menti dès le début au sujet de mon identité. Bien qu'intrigué, le responsable de l'enquête avait cru notre histoire, prétextant que j'avais été perturbé par la disparition de mon frère. Ce qui n'était pas entièrement faux.


Contre le gré de mon tuteur, qui n'arrivait pas à se faire de la mort de Fye, une messe commémorative avait été organisée. J'avais ressorti le costume noir de jais que je n'avais pas remis depuis l'enterrement de la femme de Fei Wan, un an et demi avant la tragédie. Étant venu avant tout le monde, j'observais les gens venir un à un dans l'église. Jamais de ma vie, je n'avais vu autant de monde habillé aussi sombrement.

Je suppose que la mort d'un enfant avait dû mobiliser les gens et, même s'ils n'avaient pas été conviés, venaient tout de même assister à la célébration en l'honneur du « pauvre mioche » comme ils disaient. Derrière mon dos, j'entendais les mauvaises langues dire du mal de celui qu'elles pensaient défunt et de sa famille.

- De toute façon, c'est ce que je te disais : ça devait arriver. Les gosses rentraient tout le temps tout seul, et puis la ferme des Suwa est hantée, j'en suis sûre sinon ils l'auraient démolie depuis longtemps. J'ai l'œil, moi !

- Je pense qu'il doit y avoir une bête sauvage assoiffée de sang qui doit roder dans la forêt, ça expliquerait tout ! Notamment la mort des Suwa. Mais de toute façon, un type qui vit seul avec ses gosses est forcément un peu bizarre, si tu vois ce que je veux dire.

- Oui, j'ai entendu dire que les mômes sortaient souvent sans escorte. Quel père indigne !

Leurs jacasseries auraient pu continuer des heures et des heures. Même si ces femmes assoiffées de ragots avaient conscience que nous nous trouvions juste devant elles. Elles poursuivaient leurs bavardages jusqu'à ce qu'Ashura se retournât et fît taire les deux commères.

- De un : bien qu'il reste à la maison, le père indigne travaille, lui. De deux : c'était les enfants qui insistaient pour rentrer tous les deux. De trois : nous sommes dans une église, le jour de la messe commémorative de mon fils, alors si vous avez un problème vis-à-vis de moi ou de ma famille, c'est après la célébration !

Lorsqu'elles virent deux yeux verts les fixer avec rage et les longs cheveux d'Ashura se hérisser à la manière d'un chat, les deux femmes cessèrent leurs dires. Je n'avais jamais vu mon tuteur s'énerver ainsi –je ne l'avais même jamais vu s'énerver, à vrai dire-, les battements de mon cœur s'accéléraient sous l'effet de la surprise tandis que je soupirais d'aise du fait de ne plus entendre les commérages des deux « dindes » comme aurait dit Fei Wan.

Celui-ci se trouvait un peu plus en retrait, aux côtés de Xin Huo. Il me semble que tous nos voisins étaient présents exceptée la femme Mokona qui n'aimait pas les évènements tristes et restait cloîtrée chez elle depuis l'annonce de la disparition de Fye. Elle avait cependant appelé Ashura pour s'excuser de son absence au cours de la messe. Tandis que le chanteur sortait du fond de ses entrailles, les premières notes du « Ave Maria », je scrutais l'assemblée à la recherche de têtes connues. Je trouvai avec aise Yûko avec sa longue robe noire moulante dévoilant généreusement sa poitrine et fendue des deux côtés jusque dans le haut de ses cuisses.

Le mari Mokona, non loin de la jeune femme réprimandait sévèrement les jeunes filles derrière lui qui fantasmaient sur le chanteur qui n'avait d'yeux que pour son chant religieux. Clow accompagné de Sakura qui venait de fêter ses quatre ans se trouvait au fond de l'église. Bien qu'il dût lire quelque chose en l'honneur de Fye, le bibliothécaire préférait rester à proximité de la sortie pour pouvoir quitter le lieu saint en cas de soucis vis-à-vis de sa nièce. Sa traversée jusqu'à l'autel fut donc assez remarquée, tous les regards s'étaient tournés vers lui et les ragots reprirent de plus bel lorsqu'il débuta la lecture de son texte.

« Je ne l'ai pas beaucoup connu, mais Yui était un enfant épanoui, lorsque Fye et lui rencontraient quelqu'un, il avait le sourire aux lèvres. Je suppose que cela doit être très dur pour Fye qui, comme Yui, est à l'aube de sa vie. Vivre sans la présence de quelqu'un que l'on aime est très difficile à vivre, mais je pense que Fye sera fort et je l'encourage à se battre pour remonter la pente. C'est tout ce que j'ai à dire. »

Tandis qu'il regagnait sa place au fond de l'église sous les regards pesants de l'assemblée, j'entendais les femmes dans mon dos critiquer son discours : « trop court », « pas en l'honneur du défunt, mais en celui du frère jumeau », « quelle idée de demander à un homme qui ne connaissait pas le gosse de discourir le jour de l'enterrement du mioche »… D'une part, j'étais d'avis avec ce qu'elles disaient. Ainsi, je ne m'étais pas retourné pour leur faire signe de se taire, Clow n'avait pas à parler de moi, c'était Fye qui était mort, pas moi.

Lorsque ce fut mon tour de parler, je me levai du banc sous l'œil protecteur d'Ashura qui déposa sa main sur mon épaule pendant que je m'éloignais pour rejoindre l'autel. Devant moi se trouvait toute l'assemblée : de nombreuses têtes connues ou non me regardant avec attention. Certains attendaient avec impatience que je débute mon discours tandis que d'autres plus attendris m'observaient tel le pauvre petit orphelin famélique que l'on voit à la télévision. Ce fut le sourire encourageant d'Ashura qui me permit de commencer ma lecture :

« À mon frère, ma moitié,

Il y a deux ans, tu m'as dit : « nous sommes un », je n'étais pas apte à comprendre. Maintenant, je pense que je le suis. Personne n'est capable de dire lequel était né le premier, nous étions une seule et même personne. Je ne comprends pas les histoires des adultes « né du même ovule ou non », mais je sais que tu étais mon frère, mon autre, la seule personne avec qui je racontais tout, même les secrets qu'il ne fallait pas révéler. Tu as toujours été le plus sage et le plus courageux. Moi, je ne fais qu'attirer les ennuis, c'est moi qui aurais dû mourir, pas toi… Je sais que maintenant, les gens disent qu'on est bizarre, mais c'est faux parce que tu étais le meilleur frère qui puisse exister.

Je suis sûr que tous ces gens sont jaloux de n'avoir pas eu un frère comme toi. Depuis que tu n'es plus là, plus rien n'est pareil, tu me manques, je veux que tout soit comme avant. Je veux qu'on raconte nos journées à Ashura le soir en rentrant de l'école, qu'on joue à cache-cache dans la maison et dorme dans le même lit pour ne pas être loin de l'autre. Pourquoi tu n'es plus avec moi ? Je veux que tu reviennes. S'il te plait, ne m'abandonne pas. Je te jure que je t'aimerai toujours et quand je vais mourir, on sera tous les deux ensembles et l'on sera « un » comme avant.

Je t'aime ma moitié. »

J'admets qu'Ashura m'avait aidé pour certains passages, mais à partir d'un certain moment, j'avais abandonné mon texte et dit ce que j'avais sur le cœur. Les commères avaient arrêté leurs bavardages et me regardaient bouche bée, certains avaient même la larme à l'œil. Ashura, qui se retenait de pleurer depuis le début de la messe, avait laissé couler les larmes le long de ses joues sans chercher à les interrompre. Moi-même, j'avais craqué dès la troisième phrase, mais j'avais tout fait pour ne pas que mon chagrin ne prenne le dessus et m'empêche de poursuivre mon discours.

J'aurais tellement aimé que ce désespoir ne dure qu'un instant, qu'après nous puissions continuer notre route sans être rongé par le remords. Que Fye puisse nous entendre de là-haut et puisse être fier de nous et se disant que nous avions pu vivre heureux avant et qu'à présent, nous étions plus forts. Hélas, je fus le seul à ne pas vouloir abandonner mon frère, j'étais lâche. Lâche au point de ne pas pouvoir tourner la page et passer à autre chose.


Noël 1979, trois jours après la messe commémorative de Fye. Le premier noël du reste de ma vie et le pire de toute mon existence. J'avais dîné en tête à tête avec Ashura et ouvert mon cadeau ainsi que celui qui aurait dû être destiné à mon frère jumeau. Déballant le ruban doré, j'ôtais sans surprise le papier-cadeau des livres respectueusement attribués à mon frère et moi. Depuis que notre père adoptif nous avait enseigné la lecture deux ans auparavant, nous étions passionnés de ce que les livres pouvaient nous apporter.

Lorsque nous nous trouvions au milieu des pages de l'ouvrage, nous étions tous deux transportés au travers de l'histoire. Cette évasion nous faisait oublier notre mère à qui nous dédiions chaque soir une prière. Après la mort de Fye, je n'adressais plus rien à celle que j'avais appelé Maman. Je crois que j'avais même perdu la foi après que l'inspecteur avait annoncé la mort de mon frère. Ainsi je n'avais guère prêté attention au présent qui m'étais adressé. Je serrais contre mon cœur le livre de Fye en m'agrippant tant que je pu aux reliures de l'ouvrage.

Une à une, les larmes vinrent s'échouer sur la couverture et s'écouler le long de l'objet pour s'écraser sur le sol. Ashura avait accouru m'apporter un mouchoir pour essuyer les gouttes salées sur mes joues et celles qui avaient coulé sur le livre de mon jumeau.

- Allons Yui, c'est jour de fête. Tu n'as tout de même pas envie d'abîmer le cadeau de Fye avec tes larmes ?

Ashura était le seul à m'appeler par mon véritable prénom. Il ne parvenait pas à échanger les identités de ses fils adoptifs et je ne bronchais pas lorsqu'il m'appelait « Yui », à condition qu'il le fasse à l'abri des regards.

- Non… Je vais le lui apporter demain.

Bien que le corps de mon jumeau n'avait pas été découvert, une tombe avait été creusée en l'honneur de mon jumeau. Ce n'était pas une sépulture à proprement parlé puisqu'il n'y avait pas de cadavre ni de pierre tombale, mais simplement une place au cimetière où une croix de pierre avec gravé mon nom et prénom dans la roche, dominait l'endroit où la terre avait été retournée.

Je pense que c'était mieux ainsi : je n'aurais pas supporté le fait que mon frère soit réduit à l'état de cendres en terre. Sur la pierre, il n'y avait pas de date de naissance ni de mort, Ashura était contre, ni de photos : nous avions peur qu'en me voyant, les gens me prirent pour un fantôme. Ainsi, j'avais déposé le cadeau d'anniversaire de mon jumeau décédé sur la terre, sous le cœur en gravillons que j'avais fait la veille, puis avait quitté le cimetière pour la dernière fois.


à suivre.

Voilà, le premier chapitre sans ses gros pavés :)