Chapitre IX

- Si je vous comprends bien, Monsieur Malefoy, je dois partir du principe que l'objet Moldu qui faisait office de détonateur n'aurait pas dû se trouver là. J'ai un peu de mal, cependant, à me figurer quel objet pourrait paraître aussi incongru. Qui plus est, vous affirmez qu'il aurait été aisé d'identifier son propriétaire.
- L'énigme n'est pas si difficile, pour peu que l'on y réfléchisse. Les sorciers ont une raison très simple de ne pas utiliser la plupart des outils fabriqués par les Moldus.
- Ils sont avantageusement remplacés par des sorts.
- Bien, Rose. Maintenant, songez qu'il est un objet qui se trouvait nécessairement sur place et dont l'utilité était bien mystérieuse.

La Dame croisa les bras, et l'Homme esquissa un sourire. Il souffla :

- Sachez que vous avez cet indice sous le nez depuis le début de notre entretien et que vous refusez obstinément d'y prêter la moindre attention, préférant considérer cela comme un vulgaire caprice de ma part.
- Une… une cigarette ? Non, vous voulez dire…
- Oui ?
- Un briquet ? Je ne me suis pas même posé la question, j'ai allumé toutes vos clopes d'un Flambio, sans penser que… Pourquoi avait-il besoin d'un briquet ?
- C'est cela, Rose, le nœud du problème. Je dois reconnaître que, lorsque l'on m'a annoncé que vous m'apportiez des cigarettes, j'ai espéré : peut-être, enfin, quelqu'un avait-il compris ! Je m'étais cependant montré quelque peu optimiste. Peu importe, cependant, puisque vous êtes à présent si près du but. Reprenons où vous en étiez, donc. Pourquoi se servait-il d'un briquet alors qu'un sort élémentaire eût parfaitement fait l'affaire ? La réponse apparaît comme fort simple si l'on suppose, de un, le fait qu'il s'agisse d'un briquet électrique, et de deux, le fait que l'outil formait partie intégrante de son plan.
- Mais c'est complètement absurde ! Vous ne pouvez pas accuser Teddy sur un raisonnement aussi tordu ! Il y avait certainement un millier d'autres choses susceptibles de servir de détonateur.
- Mais il y avait-il un millier d'autres choses que l'on puisse aussi facilement rattacher à un individu particulier ? Vous saviez, Rose, que Teddy se servait d'un briquet Moldu, l'ayant surpris plusieurs fois en train de fumer dans le jardin. J'ajouterai qu'il existe au moins une autre personne ayant pu identifier le propriétaire du briquet : celle qui a pris la photo qui illustrait son obituaire dans la Gazette. Et nous partons là du principe fort peu probable que seules deux personnes étaient au courant de ses habitudes…
- Ces spéculations ne suffisent pas à en faire un coupable, Monsieur Malefoy.
- Pourtant, dès lors que l'on postule Teddy Lupin en tant qu'assassin, tout concorde parfaitement.
- En quoi ?
- En tout ! Tenez, voyez comme tout converge vers lui : je vous parlais, il y a peu, du peroxyde d'hydrogène, le seul élément qu'il soit dangereux pour le coupable de se procurer dans le commerce.
- Vous allez me dire que l'on a retrouvé sur le corps de Teddy un bon de commande pour dix litres de cette substance ?
- Vous êtes si proche de la vérité que c'en est drôle, Rose. Laissez-moi vous expliquer : bien que son achat à l'état pur soit régulé, il est possible de l'extraire de certains produits qui, eux, sont disponibles sur le marché libre.
- Vous appreniez ça en cours de Potions, de votre temps ?
- Non, mais on m'a suffisamment qualifié de blond peroxydé au cours de ma vie pour que je sois au courant.
- On en trouverait… dans le décolorant pour cheveux ?
- Tout à fait exact, très chère. Et qui, je vous le demande, possédait chez lui des quantités faramineuses de décolorant pour cheveux ?

La Dame passa lentement une main sur son front. Elle fut à peine surprise de constater qu'il était légèrement humide.

- Teddy.
- Bien, très bien. Et qui avait l'idée lumineuse d'utiliser du décolorant pour cheveux afin d'éviter qu'un sortilège de traçage ne soit pratiqué ?
- Teddy.
- Je vous ai déjà évoqué mon étonnement en le voyant arborer une tignasse vert pomme sur la photo qui illustrait La Gazette : étant donné le traumatisme que ce garçon avait certainement subi, comment se faisait-il qu'il puisse malgré tout utiliser ses pouvoirs de métamorphomage ? Une réponse toute simple me permettait d'éclairer l'intégralité des événements : il avait, de fait, bien perdu ses pouvoirs, mais faisait comme s'il n'en était rien en se teignant fréquemment les cheveux. Pourquoi ? Tout simplement car cela lui assurait une excuse tout à fait plausible si de grandes quantités de ce produit étaient retrouvées chez lui. N'est-ce pas exactement ainsi qu'il vous a justifié ce fait ? Conséquence de quoi, la teinture n'était pas destinée à pouvoir cacher le fait qu'il avait perdu ses aptitudes, mais plutôt à expliquer l'existence de son laboratoire si celui-ci venait à être découvert ! C'est une manigance tout à fait astucieuse.
- Mais pourquoi Teddy aurait-il fait une chose pareille ?
- Un peu de patience, Rose, nous y venons. Le modus operandi seul peut éclairer le mobile, et inversement. C'est un crime miroir.
- Poursuivez.
- Continuons de penser que Teddy Lupin est le criminel que nous recherchons. Il fait l'acquisition de quantités astronomiques de décolorant capillaire afin d'en extraire du peroxyde d'hydrogène. Comment procède-t-il ?
- J'imagine qu'il ne pouvait pas pousser la porte d'un magasin et en commander deux-cents caisses. Il a donc été contraint d'espacer ses achats. Il est fort possible qu'il ait alterné entre plusieurs boutiques Moldues afin de ne pas attirer l'attention des commerçants. Ainsi, il est logique de penser qu'il a longuement préparé son entreprise.
- Ajoutons à cela le fait que l'extraction de la substance qui l'intéressait n'est pas sans complexité.
- Je vois. Il préméditait donc ce crime depuis longtemps…

L'Homme intervint :

- Et je pense même être en mesure de préciser qu'il a passé une année entière à le ressasser.
- Vous voudriez dire qu'il a commencé à planifier les attentats… L'année de la mort d'Andromeda ?
- Voyez comme tout s'emboîte ! Oui, le mécanisme s'est enclenché lorsque sa grand-mère s'est suicidée. Et pourquoi, Rose, Andromeda a-t-elle mis fin à ses jours ?
- Parce que Scabior, l'homme qui avait assassiné son mari, a été libéré de prison.
- Vous faut-il un meilleur mobile pour pousser un homme à massacrer des enfants de Mangemorts ? Souvenez-vous de ce que je vous ai dit au sujet d'Andromeda. Etre folle dans le bon camp, c'est toujours être folle. Les crimes de son petit-fils illustrent mes propos. Il a fait la même chose qu'elle, vous savez. Exactement la même chose.
- Elle avait tué des Mangemorts avec ses sortilèges de Confringo.
- Le sortilège de l'explosion.
- Alors il...
- Il s'est vengé en reprenant le flambeau.

La Dame secoua la tête.

- Ils n'étaient pas des Mangemorts, et ils n'étaient pas même tous des enfants de Mangemorts, Monsieur Malefoy. Ils étaient simplement des élèves de Serpentard.
- Depuis quand faites-vous la différence ? C'est une vengeance, Rose. Ce genre de distinction n'a plus qu'une importance annexe, lorsque l'on a suffisamment de rage au corps. Songez à ce que les parents des victimes ont fait à votre famille, et dites-moi si cela a réellement un sens. On blâme qui on peut.
- Mais Teddy… Teddy n'aurait pas pu faire une chose pareille…
- Il y a une heure à peine, vous m'auriez juré que Scorpius n'avait jamais fait de mal à une mouche.

Elle ne sut que répondre. Elle se tut longtemps. Puis, elle prit une grande inspiration, et expliqua, d'un ton terriblement las :

- Votre raisonnement se tient tant est si bien que je suis moi-même parvenue à le retracer. Cependant… cependant, il y a une faille, dirons-nous. Une sorte de faille. Ne pourriez-vous pas conclure sur l'idée qu'après tout, tout cela n'est que spéculation, et qu'il demeure une possibilité pour que l'un des autres clients ait perpétré ces crimes ? Ne pourriez-vous pas me dire cela ? S'il vous plaît, Monsieur Malefoy, pourriez-vous me le dire ?
- Croyez bien que je suis sincère quand je vous dis que le regrette, mais je ne peux pas, Rose.
- Pourquoi pas ?
- La glace.
- La glace ?
- Afin de pouvoir monter une bombe artisanale, les produits utilisés doivent être conservés dans un endroit réfrigéré peu avant leur mélange. A moins que votre coupable ne se soit promené avec une glacière sur lui, il n'avait donc d'autre choix que de trouver sur place un récipient qui soit rempli de glaçons.
- Un seau à glace ?
- C'est tout à fait cela, Rose. Et les boissons que l'on sert avec un seau à glace…

La Dame l'interrompit de nouveau, comme si elle regrettait déjà ses devinettes.

- Du vin. Ou du champagne, peut-être.
- Autrement dit, avec de l'alcool. Vous m'avez vous-même affirmé de manière répétée, Rose, que les autres victimes étaient des gosses. Ainsi, le seul client qui avait atteint sa majorité et pouvait donc commander une boisson servie avec un seau à glace est nécessairement le coupable.

La Dame serra les lèvres et détourna les yeux. Elle réunit lentement les quelques mèches qui pendaient sur ses épaules, puis entreprit de restructurer son chignon roux.

- Voyez les cycles, déclara l'Homme en illustrant son propos d'un ample mouvement du poignet. C'est terrifiant, non, cette manière qu'ont nos drames de se transmettre de siècle en siècle ? On n'en sort pas.

L'Homme fixa la Dame, qui lissa brièvement ses cheveux du plat de la main avant de croiser les doigts sur ses genoux.

- Les crimes sont fondamentalement différents, et pourtant, nos assassins sont atrocement similaires. Vous n'avez sûrement pas manqué de le remarquer, Rose, tout remonte aux sœurs Black. C'est comme si des années d'histoire avaient tissé une toile arachnéenne autour d'eux. Ils étaient prisonniers, Rose, il n'y avait pas d'autre issue.
- Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Comment pouvez-vous affirmer que l'on puisse devoir tuer ?
- Lorsque vous vous levez le matin pour aller travailler, Rose, vous demandez-vous parfois pourquoi vous vous donnez la peine de vous traîner de bonne heure jusqu'à un boulot qui vous emmerde ? Si je vous posais la question, vous me diriez que vous n'avez pas le choix. C'est pourtant faux. Vous pourriez très bien, si vous en décidiez, cesser de vous y rendre. Juste comme ça. Ca paraît facile, non ? Pourtant, vous savez bien que c'est terriblement dur. On a toujours le choix, Rose, c'est un fait, et vous avez raison sur ce point. Sachez, cependant, qu'il est des situations dans lesquelles ce n'est pas tout à fait évident. Nous aurions tous pu plaider l'Imperium, Rose. Tous. Cela ne rend pas ce qu'ils ont fait juste, ou bon, mais faites l'effort de songer à cela lorsqu'il vous prendre l'envie de haïr Teddy Lupin.

La Dame exhala un long soupir et laissa s'abaisser ses paupières.

- Alors c'est vraiment terminé ?
- J'en ai bien peur.

Elle hocha la tête.

- Je vais… je vais devoir prendre congé, Rose. Ils ne tarderont plus.
- Je serai là.
- Ah. Tant mieux.

L'Homme détourna les yeux et fixa le mur instant.

- Avant qu'ils vous emmènent, Monsieur Malefoy, désirez-vous voir cette photo ?
- Quelle photo ?
- Cette photo de votre fils. Celle que j'ai proposé de vous montrer au début de notre entretien.

La Dame fit glisser vers lui le rectangle de papier glacé qui attendait, posé dans les obscurités de la table. L'Homme s'en saisit, et tourna et retourna longuement la petite image entre ses doigts.

- Oh. De quand date-t-elle ?
- De ce matin.
- Je vois. C'est de vous, j'imagine.
- Le cliché, vous voulez dire ?
- Tout.
- Oui.
- Ah.

Scorpius Malefoy était allongé sur le dos, nu dans les draps défaits. A ses côtés, une femme, maigre comme un clou, avec des cheveux noirs et de longues jambes de sauterelle. Elle était toute rose contre le corps blanc de Scorpius. Tous deux raidissaient encore de mort verte, et la surprise s'était fossilisée dans leurs grands yeux opaques.

- C'est bien pour lui que vous êtes venue, alors ?
- Oui. Pour me faire pardonner, peut-être, si une telle chose est possible, répondit la Dame d'une voix absente. Je pensais… je croyais que ce serait lui faire un dernier honneur que de découvrir le nom de l'assassin de sa mère. De toute évidence, il n'avait pas besoin de mon aide sur ce point.
- En effet.
- Vous savez, cela fait bien longtemps que j'ai envie de vous parler. Mais j'avais peur. Peur d'Azkaban. Comme si… comme si cette prison, c'était un endroit pour les coupables, et que les autres n'avaient rien à faire ici. Alors, vous comprenez, j'ai mis bien du temps à venir. Mais à présent, de toute façon… Ce que je veux dire, c'est que si je dois finir ma vie à Azkaban, je devais absolument vous rencontrer. Avant… Avant quoi ?

D'une main crispée, la Dame sortit la dernière cigarette du paquet racorni. Elle l'alluma, puis la porta à ses lèvres.

- Sitôt que j'aurai mis un pied en dehors de cette cellule, les Aurors me sauteront à la gorge. Je ne suis pas Teddy, Monsieur Malefoy. Je n'ai pas été assez maligne pour couvrir mes traces. Et puis… et puis de toute façon, tout cela a bien peu d'importance, n'est-ce pas ?

La Dame baissa les yeux. Ils restèrent silencieux un moment, et l'Homme fit encore tourner la photo entre ses doigts. Finalement, il ouvrit la bouche :

- Vous savez, Rose, cette femme, elle ressemble à Pansy.
- Oh. Je devrais rire ?
- Je ne sais pas. C'est un peu drôle, tout de même, non ?
- J'imagine.

La Dame tenta un sourire qui se flétrit avant de passer la barrière de ses dents. L'Homme, quant à lui, rejeta la tête en arrière et éclata d'un rire mauvais qui lui secoua les épaules.

- Mais bien sûr que c'est drôle, Rose. Regardez-nous ! Regardez-moi ! Voilà cinq ans que je pense contrôler la mécanique du monde, et vous de m'annoncer, comme une fleur, que je me fourre le doigt dans l'œil jusqu'au coude ? Que l'engrenage de Scorpius continue de tourner sans moi ? Mais c'est hilarant, vous ne trouvez pas ? Tout ça, c'était pour rien ?

Il se fit violence pour oublier ses Détraqueurs, et alla racler un dernier rire rauque sur les parois de sa gorge. Ce fut bref, jaune et sec comme l'os. La Dame le regarda faire. Elle tira sur sa cigarette, et, songeuse, pencha la tête sur le côté. Elle souffla plusieurs ronds de fumée dans un silence de mort. Finalement, elle déclara :

- On ne peut rien y faire, n'est-ce pas ? Rien du tout. On n'aurait rien pu y faire.

L'Homme ne répondit pas, et demeura un instant pensif. Puis, il demanda :

- Vous n'avez pas d'enfant, je présume ?
- Non.
- Alors il n'y a plus de Malefoy. Plus de Black.
- Non.
- C'est sans doute mieux. Vous avez... vous avez mis fin à quelque chose, Rose.
- A quel prix ?
- Vous regrettez ?
- Je ne sais plus. C'était une vraie question.

Elle exhala une dernière bouffée de fumée.

- Tout cela me rappelle quelque chose, Monsieur Malefoy. Je me souviens que, lorsque j'étais enfant, mon grand-père m'avait offert une boîte à musique, avec une ballerine en bois qui tournait sur elle-même. Je m'amusais à rabattre le couvercle, juste un tout petit peu, puis à brusquement rouvrir le coffret, pour la voir s'arrêter et recommencer, encore et toujours. Je me disais qu'elle devait vraiment être bien stupide pour ne pas comprendre que c'était inutile de se fatiguer, que j'allais encore refermer le couvercle. Que je m'en fichais de la voir tourner. Pourtant, à chaque fois, elle recommençait. Et dans ce tout petit assemblage de rouages, dans cette bête ballerine en bois qui dansait en rond, toute raide, il y avait la grâce d'un être de chair. Parce que dans ce fait qu'elle recommençait immanquablement de tourner, elle avait quelque chose de si… de si terriblement humain.

Ils se dévisagèrent encore, longuement.
Ils étaient à Azkaban, après tout, et ceux qui y entraient n'en ressortaient jamais.