Chapitre 4

Zénith

Printemps jour 9

Claire avait réussi à pénétrer dans sa remise après une autre prise de bec avec la porte non-coopérative. Elle repéra la broche à poule, empêtrée sous une table de travail. Elle tira dessus mais elle semblait prise dans quelque chose. En se penchant pour la déprendre, elle repéra quelque chose qui lui redonna le moral. Elle n'en croyait pas sa chance : des sacs de semence! Des navets, des concombres, des patates! Elle ressorti avec une détermination toute neuve, la future clôture à la main. Même la difficulté extrême pour refermer la porte ne pouvait affecter sa bonne humeur. Elle se mit au travail, encouragée par la musique de son radio solaire.

La journée avançait, et Claire trimait sous un soleil plombant. La sueur commençait à perler sur son visage, et la poussière venait s'y coller. Son travail fut interrompu un peu avant le dîner par une créature à plumes, qui déambulait sans le moins souci du monde en caquetant doucement. Claire déposa son marteau, perplexe. Une jeune fille aux longs cheveux bouclés arriva en courant au même moment, par l'entrée de la ferme.

« Attrape la s'il-te-plait! Lui cria-t-elle de loin.»

Claire se dépêcha de saisir la poule par son petit corps dodu car celle-ci faisait mine de se pousser, comme si elle était soudainement en retard pour un autre rendez-vous.

« Haaa, merci, souffla la jeune fille en arrivant à sa hauteur. Ouff! Ce n'est pas la première fois que ça arrive, mais c'est la première fois que quelqu'un est ici pour intercepter mes fugueuses haha! Tu es…?»

« Claire, répondit la fermière en redonnant la poule à sa propriétaire.»

« Hoo! C'est toi qui a racheté la ferme! Tu es plus jeune que je pensais, tu es courageuse! Je ne crois pas que j'aurais eu le courage de me lancer là dedans moi! Mes grands-parents ont la ferme de poulets à côté. On a de la misère à les tenir en place. Les poulets, pas mes grands-parents! Hihi! Je vis avec mon frère, Rick, et eux. Je me verrais pas faire tout ça toute seule! Ha je suis bête, je ne me suis pas présentée! Moi c'est Popouri!»

Claire sourit. Elle avait de la jasette cette Popouri.

« Tu sais, les poules ça serait sûrement très bien pour ta ferme, elles ne mangent vraiment pas beaucoup, elles ne sont pas dispendieuses à entretenir! Et elles donnent des œufs à tous les jours. Je te conseille de venir en chercher chez nous, je suis sûre que tu vas aimer! Qui ne les aimeraient pas hihi!»

Popouri monta la poule à son visage pour en caresser son plumage. L'oiseau semblait plutôt neutre face à ce traitement, laissant s'échapper quelques «poc-poc».

« C'est gentil, répondit Claire, je viendrai vous voir dès que j'aurai assez d'argent. Pour l'instant les affaires ne vont pas particulièrement bien…»

Elle désigna le potager dévasté. Popouri le fixa de ses grands yeux ronds.

« Ho… ça c'est vraiment pas chanceux! S'exclama-t-elle. Tiens.»

Elle lui tendit la poule.

« Considère que c'est un prêt. On s'arrangera quand tu viendras chercher tes prochaines poules! »

« Merci, bredouilla Claire.»

La fermière commençait à être gênée de toute l'aide qu'elle recevait. Elle allait être redevable à beaucoup de gens. Elle prit la poule et la déposa dans son potager.

« Tu peux la laisser se promener dans ton champ le jour, elle va manger les insectes qui s'attaquent à tes plantes! Mais le soir rentre la dans le poulailler, il peut y avoir des prédateurs qui rôdent.»

Claire prit bonne note du conseil. Elle allait avoir de la lecture sur les poules à faire ce soir! Tandis que Popouri reprenait le chemin du village, Claire s'en retourna à sa clôture, en cherchant le nom parfait pour le premier animal de sa ferme. Elle finit par décider de l'appeler Zénith, comme la position du soleil à ce moment.

Claire n'eut pas un long répit avant de vivre la seconde interruption de la journée. Elle était en train d'essayer de planter les piquets de bois dans le sol, avec une maladresse extrême. Elle n'avait jamais été très manuelle, et elle commençait à perdre patience. Les deux premiers côtés du rectangle entourant son potager faisaient pitié à regarder : la broche était mal tendue et les piquets manquaient de rectitude. Quelqu'un l'interpela.

« Ta clôture ne tiendras pas grand chose à l'écart.»

Claire tourna la tête. C'était le garçon de la forge, Gray. Il arrivait de toute évidence de la forêt car il transportait une pile d'épaisses branches mortes dans ses bras. Claire soupira mais ne répondit rien. Elle n'était pas la fille avec le meilleur sens de la répartie. Elle trouverait sûrement quelque chose à lui répondre au court de la nuit… très utile. Il déposa ses branches à terre et s'approcha de la clôture.

« C'est pas comme ça qu'on se sert de ça, dit-il en pointant la masse qui servait de marteau à Claire. Donne, je vais te montrer.»

Claire lui tendit l'outil avec réticence. Le ton du jeune homme n'était pas cordial, il était plutôt agacé, comme si il était forcé de lui offrir son aide. Elle n'avait rien demandé!

« Il faut utiliser tout ton poids comme ça, expliqua-t-il d'un ton autoritaire. Tu peux glisser une main plus près de la masse sur le manche quand tu remontes, et quand tu donnes le coup, elle redescend près de ton autre main. Comme ça.»

Il souleva la masse et asséna un coup sur un piquet qui s'enfonça dans le sol comme un couteau dans du beurre. Malgré elle, Claire ne put s'empêcher de remarquer la forte musculature des bras du jeune forgeron. Elle détourna le regard. Gray lui rendit sa masse. Elle n'appréciait pas sa rudesse, mais était quand même contente du conseil. Gray ramassa sa pile de branches et continua vers le village. Claire le regarda s'éloigner.

Drôle de goût, se dit-elle en soulevant sa masse. Il aime les branches mortes…