Titre: Au coeur des mystères
Auteur: Gorgonne
Disclaimer: La plupart des personnage et bien sûr le contexte/monde/univers sont à JKR
Résumé: Eté 1996- Victorieux de tant de combats, Sirius a perdu le dernier.
L'ombre du voile plane maintenant sur le monde sorcier… A l'aube d'une guerre inéluctable, le Département des Mystères conserve ses secrets. Harry conçoit l'espoir fou de percer le mieux gardé d'entre eux: un Gryffondor ne fuit ni l'aventure, ni la bataille!
Mais peut-il l'emporter là où le courage ne suffit plus?
JUSTE UNE EPREUVE DE PLUS
Juillet 1996
-Le dîner est prêt !
-Mmmh… grimaça Harry.
Les effluves de cuisine remontant le couloir jusqu'à se faufiler sous la porte de sa chambre avaient précédé de quelques minutes la rituelle annonce. Ce fut donc sans surprise que le garçon entendit retentir la voix suraiguë de sa tante Pétunia, qui ne l'aurait dispensé d'un repas pour rien au monde.
Harry tenta mollement de se décider à rejoindre sa famille, se prenant à regretter l'époque où les Dursley ne reculaient devant aucune économie sur ce qu'il leur coûtait –nourriture comprise. Décidément, ils avaient bien changé…
Il y avait une raison à ce retournement radical. A l'arrivée de Harry lors des dernières vacances, Vernon, Pétunia et Dudley avaient eu la déplaisante surprise de faire la connaissance de quelques membres de l'Ordre du Phoenix. Ces derniers avaient tenu aux Dursley un discours aussi bref que persuasif au sujet de la façon dont Harry devait être traité. Aucune menace n'avait été proférée, nulles représailles évoquées. Les membres de l'Ordre avaient simplement conclu l'entretien sur la promesse d'une visite au 4, Privet Drive au moindre manquement à leurs injonctions.
Presque un mois après cette rencontre, l'idée d'une « visite » de ces épouvantables personnages sonnait toujours comme un glas dans la tête des trois Dursley. Aussi se conformaient-ils scrupuleusement aux principes d'harmonie familiale édictés par les nouveaux protecteurs de Harry.
Il n'était plus question de priver Harry de repas au moindre prétexte, ni même de le sous-alimenter en permanence. Cependant, quelle que soit sa volonté de ne pas voir ses jours abrégés d'un coup de baguette magique, Pétunia n'avait pu se résoudre à appeler directement Harry pour qu'il participe aux repas. Aussi infligeait-elle trois fois par jour à toute la famille une retentissante annonce générale propre à ébranler les murs de la maison.
Les repas réguliers et normalement constitués n'étaient pas le seul changement estival pour Harry.
Il était désormais dispensé des innombrables corvées dont son oncle et sa tante l'accablaient auparavant –avec une inventivité d'ailleurs surprenante pour qui les connaissait.
Personne ne lui faisait la moindre réflexion s'il lui arrivait de feuilleter un journal posé sur une table, ou de s'intéresser à un programme de télévision en passant devant l'écran allumé -il ne s'était toutefois pas risqué à mettre lui-même en marche le téléviseur.
Il n'était pas jusqu'à Dudley qui, hanté par les souvenirs de ses rares mais cuisantes rencontres avec divers spécimens de sorciers, avait pris le sage parti d'ignorer son cousin.
Mais cet après-midi-là, il y avait eu mieux -ou pire, dans un sens. A sa profonde stupéfaction, Harry avait vu sa tante Pétunia entrer dans sa chambre pour la première fois depuis bien des années. Elle était chargée de quelques sachets d'un horrible coloris vert criard, qu'elle avait presque jetés sur le lit comme s'ils menaçaient d'exploser entre ses mains. Avant de sortir de la chambre aussi vite qu'elle y était entrée, elle lança à son neveu dans un murmure horrifié :
- Nous avons fait des frais pour toi.
Le ton de sa voix indiquait clairement qu'elle doutait de survivre à cela.
Les claquements de talons s'évanouissant dans l'escalier, Harry risqua un coup d'œil vers le lit. Des morceaux de tissu dépassaient des sachets. Harry s'approcha, plus qu'intrigué, pour découvrir…des vêtements ! Jamais, depuis qu'il vivait chez eux, les Dursley ne lui avaient acheté de vêtements. Il s'était toujours contenté de ceux que Dudley ne mettait plus, pour leur grand déplaisir mutuel : Harry flottait désagréablement dans des hardes bien trop grandes pour lui et Dudley était ulcéré à l'idée de donner la moindre de ses possessions, fut-elle hors d'usage.
Harry demeura un moment figé devant les sachets en plastique. Il finit par en examiner le contenu: un jean rapiécé auquel manquaient deux passants et dont une poche pendait, à moitié décousue un pull en coton d'un blanc douteux dont quelques mites semblaient avoir fait leur régal une chemise d'un orange agressif au col et aux poignets râpés, et enfin une gigantesque paire de chaussettes de montagne tricotées à la main, en curieusement bon état.
Ce n'était certes pas une garde-robe luxueuse qui s'étalait devant Harry. Mais le simple fait que les Dursley aient eu la fantaisie –ce seul mot appliqué à Vernon et Pétunia !- de lui acheter des vêtements plongea le garçon dans un état où l'ébahissement le disputait à l'inquiétude. Seule la peur de ses amis sorciers dictait la conduite de son oncle et de sa tante depuis le début des vacances, mais tout de même ! Lui acheter des vêtements pour la première fois de sa vie !
Harry s'étonnait lui-même de ce sentiment qui l'envahissait, exempt de toute satisfaction. A défaut d'apprécier les achats que l'on avait faits en son honneur, il aurait au moins dû savourer sa toute nouvelle position de force au sein de sa famille. Mais au fil des années, il avait fini par s'habituer aux traitements fluctuant du mépris à la haine que lui infligeaient les Dursley. Et un tel bouleversement chez les personnes qu'il connaissait le mieux au monde avait quelque chose d'angoissant.
C'est à ce stade de ses réflexions qu'un hululement disgracieux provenant du rez-de-chaussée lui avait vrillé les oreilles : tante Pétunia annonçait le dîner.
En arrivant à table, Harry se sentit tout de même obligé de remercier son oncle et sa tante pour leurs «cadeaux ». Vernon devint écarlate et manqua de s'étrangler avec l'apéritif qu'il était en train de terminer. Un grognement menaçant commença à sortir de sa gorge, mais, sur un coup d'œil de sa femme, il entreprit un effort surhumain pour reprendre une contenance normale. Pétunia, quant à elle, continua de remplir les assiettes sans regarder son neveu.
-Nous étions obligés de te fournir des vêtements neu... enfin, d'autres vêtements. Nous n'avions pas le choix, jeta-t-elle avec aigreur.
Précision inutile, pensa Harry. Il eut pour la première fois envie de sourire, en pensant au groupe hétéroclite qui avait fondu sur les Dursley à la gare de King's Cross.
Comme si elle avait lu dans ses pensées, sa tante leva sur lui un œil d'oie sauvage prête à attaquer.
-Tu as tellement allongé en un an, ajouta-t-elle, qu'il était impossible de ne pas faire cette dépense. Elle le contemplait à présent comme s'il était une variété particulièrement repoussante de plante vénéneuse, dont la croissance intempestive ne serait bientôt contenue que par les barreaux d'une cage.
–Heureusement, nous avons pu profiter des soldes, reprit-elle mais même la friperie de ce quartier douteux où nous avons dû nous risquer pratiquait des prix exorbitants !
-Absolument, grogna Vernon, qui semblait avoir retrouvé un semblant d'empire sur lui-même. J'ai dû marchander une demi-heure pour que ce maquignon ne nous fasse pas payer ces invendables chaussettes !
Voilà qui s'appelle une affaire! songea Harry. Le naturel de son oncle ne pouvait se laisser longtemps ignorer, et la vieille ironie du garçon envers ses plus proches parents refaisait parfois surface en constatant ses piètres talents d'acteur.
Mais dans son insondable mesquinerie, son oncle avait raison; l'état apparemment neuf des immenses chaussettes n'aurait pas du le laisser perplexe. N'étant manifestement pas destinées à un être humain, c'était sans doute les seuls articles du magasin n'ayant jamais été portés.
A contrecoeur, il s'assit et commença à manger. La conversation s'engagea entre les trois autres autour du dernier exploit de Dudley celui-ci venait de démontrer une force hors du commun en mettant en pièces le vélo du fils d'un voisin, et la fierté de ses parents ne connaissait plus de bornes.
Harry n'avait absolument pas faim, mais il se força à finir son assiette en un temps record de façon à pouvoir regagner sa chambre. Les regards furtifs qu'il sentait peser sur lui n'étaient pas pour lui faire goûter ces brefs moments de réunion familiale. Sitôt la dernière bouchée avalée, il commença, du ton exagérément poli qui revenait malgré lui face à Vernon et Pétunia :
-Puis-je qu…
-Si tu as terminé, tu es autorisé à quitter la table, l'interrompit Vernon d'un ton rogue.
Harry ne se le fit pas dire deux fois. En remontant l'escalier aux marches défoncées par les nombreuses cavalcades de son imposant cousin, il constatait une fois encore que la nouvelle attitude des Dursley ne lui procurait pas le moindre plaisir.
Pourtant, il était à présent correctement nourri. On lui avait acheté des vêtements – déjà portés, certes, mais pas par son cousin ! Il n'astiquait plus quotidiennement la maison de fond en comble, ne bêchait plus le jardin sous un écrasant soleil face à un Dudley hilare sirotant des sodas glacés. Il ne subissait plus les aboiements de Vernon ni les caquètements furieux de Pétunia, et même les lourdes moqueries de « Big D » avaient cessé de le poursuivre.
Harry faisait finalement de ses journées ce que bon lui semblait, à deux interdictions près.
La première -manquer un repas- était la conséquence directe de la terreur des Dursley, hantés par le spectre de Maugrey braquant son œil magique comme un périscope sur le 4, Privet Drive.
La seconde interdiction était de dépasser les limites du jardin et lui avait été signifiée par Dumbledore avant son départ de Poudlard. Suite à l'attaque des Mangemorts au Ministère, le vieux directeur avait en effet renforcé les protections magiques autour de la maison des Dursley. Harry avait été prié de demeurer dans ce périmètre sécurisé jusqu'à nouvel ordre, et en particulier de renoncer aux balades nocturnes solitaires qu'il affectionnait.
Contre toute attente, l'adolescent avait accepté sans broncher. Il aurait en fait accepté sans broncher à peu près n'importe quoi. Après son mémorable éclat dans le bureau de Dumbledore cette fameuse nuit, il s'était senti vidé de toute force vitale. Cette sensation n'avait fait que croître depuis son arrivée chez les Dursley, au point que Harry se découvrait indifférent face à une liberté dont il n'aurait même jamais osé rêver.
Tout au plus était-il soulagé d'avoir devant lui d'interminables heures pour ruminer à loisir la fin tragique de sa cinquième année à Poudlard. La nuit d'horreur au Ministère était devenue à ses yeux l'aboutissement prévisible d'évènements que nul –et lui moins qu'un autre- n'avait su déchiffrer à temps. Ainsi revivait-il indéfiniment les mêmes scènes, que son esprit semblait avoir fixées pour toujours. Ses nuits étaient peuplées de visions insupportables : non…pas Harry…tout ce que vous voudrez mais pas Harry…ses parents gisaient morts dans une maison en ruines… Tue l'autre…Cédric s'effondrait sans vie dans la pénombre d'un cimetière…allons, Bella, tu peux faire mieux que ça !...ce rire moqueur en forme d'aboiement…ce sourire tant aimé qui se mêlait de stupeur… et …NOON ! Mais malgré les cris désespérés de son filleul, Sirius disparaissait derrière le voile de la salle du Département des Mystères.
A cet instant, Harry s'éveillait immanquablement pour prendre conscience du pire : ses cauchemars n'en étaient pas, tout était réel. Irrémédiablement réel.
Et lui, Harry, était la cause directe de tout cela.
Morts.
Tous.
Par sa faute.
Ceux qui avaient le malheur d'être liés à lui. Ceux qui commettaient simplement l'erreur de l'approcher. Tous.
Comment, pour comble, osait-il être encore en vie ?
Cette idée était peut-être la plus intolérable de toutes celles qui rongeaient Harry. Tous ces êtres disparus parce qu'il avait été incapable d'anéantir Voldemort. Et grâce aussi à l'aide précieuse de mes actions irréfléchies, pensait-il amèrement. Et lui, Harry, était encore, toujours et désespérément…vivant.
Il avait reçu un Avada Kedavra à l'âge de un an. Puis un autre quatorze ans plus tard. Un Basilic l'avait attaqué. Une araignée géante l'avait promis en pâture à ses enfants. Un Détraqueur avait soulevé devant lui sa cagoule, s'apprêtant à lui donner le Baiser ultime. Une dizaine de Mangemorts déchaînés l'avaient cerné au Département des Mystères. Quoi d'autre ? Il en oubliait sans doute. Et en dépit de tout, il était là. Le Survivant. Si La Gazette du Sorcier pouvait s'honorer d'une trouvaille, c'était bien de ce surnom. Il semblait destiner à frôler obstinément la mort sans jamais y succomber.
Oui, c'était bien là le reproche permanent qui le tenaillait : il n'était jamais mort. C'était toujours les autres. Seulement les autres sur son passage. Non content de ne pouvoir les sauver, il semblait les précipiter inexorablement vers l'abîme.
Presque tout le monde sorcier avait cru, seize ans auparavant, que le mage noir avait été éliminé par Harry. Mais non. Tout juste avait-il retardé la victoire de « Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ».
Le temps de laisser ses parents mourir pour le sauver.
D'attendre que Cédric devienne un brillant jeune homme, promis à un faste avenir qu'il ne connaîtrait jamais.
Le temps de connaître Sirius, de découvrir en lui la famille qu'il n'avait jamais eu, de lui faire courir mille dangers pour la protection de son filleul, jusqu'à…
Mais non. Harry ne pouvait accepter cela. Chaque fois qu'il en arrivait au dernier instant où il avait vu son parrain, il butait sur quelque chose.
Ses parents étaient morts, soit. Il avait grandi avec cette idée et, si elle le rendait malheureux, elle faisait tout de même partie de lui. C'était ainsi depuis toujours. Ce n'était pas comme s'il les avait connus. La douleur était à la fois moins violente et plus irrémédiable : il ne s'était pas brutalement retrouvé orphelin, arraché à une famille aimante; mais par là même, le moindre souvenir heureux pour combler cette absence lui était inaccessible.
Seule sa rencontre, puis ses liens avec Sirius avaient adouci cette blessure. Son parrain avait à la fois permis à Harry de savoir qui étaient ses parents, et comblé le vide laissé par ceux-ci en remplissant leur rôle autant qu'il l'avait pu.
Puis Cédric était mort. Cette fois, il avait ressenti autre chose qu'une profonde tristesse et des regrets brûlants pour ce qui aurait pu être. Quelqu'un qui faisait réellement partie de son monde et pour qui il éprouvait, malgré une pointe d'envie, une sympathie sincère, était mort devant lui. Le choc, d'une intensité inconnue de Harry, l'avait d'abord tétanisé. Puis un instinct de survie mêlé de rage l'avait emporté. Avant même de réaliser ce qu'il faisait, Harry était en train de combattre le sorcier noir le plus redouté depuis des siècles. Il luttait pour sa vie, pour venger Cédric, pour que ses parents ne soient pas morts en vain, pour mettre fin à tout cela.
Mais toute combativité l'avait quitté après son échappée in extremis du cimetière. Pendant les mois qui avaient suivi le drame, le remords et la culpabilité avaient accablé Harry. Tous ses amis, et jusqu'à Dumbledore, avaient beau lui répéter que le seul responsable était Voldemort, le jeune sorcier ne pouvait oublier qu'il avait poussé Cédric à prendre le trophée, causant ainsi sa perte.
Là encore, seul Sirius avait su le convaincre qu'il se trompait de coupable. Avec une patience que Harry n'aurait jamais soupçonnée chez son parrain, il lui avait inlassablement démontré que son geste n'aurait engendré que la joie d'une victoire commune, et sans doute une belle fête, si Voldemort n'avait pas existé. Il avait aussi fait remarquer à Harry que, grâce à lui, Cédric était au moins mort heureux, vainqueur ex-aequo du tournoi des Trois Sorciers. La confiance que le jeune garçon plaçait en son parrain avait fait le reste. Si Harry se considérait toujours comme un acteur de la mort de Cédric, il n'en était plus la cause directe et pouvait désormais vivre avec cette idée.
Mais maintenant, Sirius… Non, c'était impossible. Définitivement. Harry ne pouvait pas perdre cet être merveilleux qui lui était tout : un second père qui veillait sur lui, un frère aîné qui lui ressemblait par bien des côtés, un confident à qui il osait tout dire, un complice de « maraude » et… même une mère, parfois. N'avait-il pas veillé son filleul toute la nuit qui avait suivi la Troisième tâche, simplement pour éloigner ses cauchemars ?
Et il aurait maintenant disparu à jamais ? Et par la faute de Harry, encore ! Seul Sirius lui avait permis de surmonter ses précédentes épreuves. Personne ne pourrait lui faire accepter celle-ci.
Harry savait à présent sur quoi il butait, quand le fil de ses pensées le menait au terrible épilogue de cette nuit au Ministère. La prophétie prédisait qu'il devrait tuer Voldemort ou être tué par lui. Or Voldemort ne l'avait pas tué. Et Harry savait bien qu'il ne pourrait jamais non plus le vaincre s'il était privé de son seul soutien en ce monde –le seul, en tout cas, qui comptait assez pour le rattacher à une vie plus que promise aux difficultés.
Sirius ne pouvait donc pas être mort. C'était aussi évident que cela. Le futur ne pouvait pas être aussi noir. Le monde des sorciers ne pouvait pas être gouverné par un Voldemort à qui Harry, privé de toute ressource, aurait abandonné la victoire.
Ce n'est qu'une épreuve de plus, finit par asséner le jeune sorcier d'une voix déterminée. Oui, c'est ça : juste une épreuve de plus, et j'en viendrai à bout. Je trouverai ce qui se cache derrière ce voile, et je ramènerai Sirius. J'en fais le serment sur la mémoire de mon père et de ma mère. Dussé-je affronter Voldemort gardé par tous les Détraqueurs, tous les Basilics et tous les Magyars à pointe de la terre.
Les coups de l'horloge du salon annonçaient que minuit venait de passer.
Pour la première fois depuis plus d'un mois, Harry s'endormit d'un sommeil enfin apaisant.