Chapitre 14 : Une offre difficile à refuser
Gripsec n'avait jamais porté les sorciers en grande estime. Les gobelins avaient été opprimés par leur race depuis des siècles, des millénaires peut-être et encore aujourd'hui, leur développement était limité par les lois sorcières britanniques : il leur était interdit de posséder ou même d'utiliser une baguette magique par exemple. La plupart des sorciers qui se rendaient à Gringotts étaient arrogants, tellement certains de leur supériorité par rapport aux gobelins sans se rendre compte à quel point ils étaient dépendants de leur banque pour leur économie.
Il y a encore quelques mois, le gobelin aurait volontiers proclamé sincèrement que la grande majorité des humains devait être ainsi. Et puis il avait rencontré Harry Potter.
Gripsec n'accordait pas grande importance aux rumeurs sur le « Survivant » que colportaient les sorciers. La simple idée qu'un bébé ait pu repousser un sortilège de mort était ridicule. Les gobelins considéraient généralement que les parents avaient dû recourir à une puissante magie, peut-être trouvée dans le grimoire familial des Potter, pour le contrer ou encore qu'ils avaient utilisé un artefact gobelin particulièrement résistant, qui aurait retourné le sort à l'envoyeur. Toutefois, s'il avait entendu parler de Godric Potter, le gobelin devait reconnaître qu'il avait eu des difficultés à se souvenir qu'il avait un frère jumeau.
Je ne fais pas confiance aux sorciers.
C'était bien la première fois qu'un humain énonçait une telle phrase, à sa connaissance. C'était aussi une première pour un gobelin de se voir demander courtoisement son nom, plutôt que pour le menacer d'en référer à son supérieur. Plus étonnant encore, l'enfant voulait être conseillé par des gobelins pour ses affaires !
Depuis leur rencontre, le jeune Harry n'avait cessé de le surprendre. Non seulement il s'était attiré le soutien et la protection du Vice-Président Ragnok en personne mais il avait donné l'occasion à Gripsec d'assouvir la frustration qu'il ressentait envers les sorciers d'une façon tout à fait originale : retourner les manigances du vieux Dumbledore contre lui et déposséder une riche famille telle que les Potter de la moitié de leurs biens… ainsi que de l'enfant qu'ils avaient renié. Oh quel plaisir n'avait-il pas tiré de ces confrontations !
Le jeune Potter était un facteur de chaos qui avait permis au gobelin de se sentir plus vivant que jamais. Même s'il ne l'avouerait jamais à voix haute, Gripsec s'était attaché au sorcier et il n'avait pu s'empêcher d'être inquiet en apprenant qu'il avait échappé de très peu à la mort, dans l'enceinte même de Poudlard. Pour une fois qu'un sorcier s'avérait aussi combattif et ambitieux qu'un gobelin, ils n'allaient certainement pas laisser les manigances du vieux bouc le tuer !
Avocat et conseiller financier du Serpentard, Gripsec référait régulièrement au Vice-Président sur l'avancée des différents dossiers relatifs à l'enfant. Après tout, Ragnok était non seulement son supérieur mais également le tuteur magique d'Harry, fait qui lui fit esquisser un sourire carnassier en repensant à la mine déconfite de James Potter quand il l'avait appris.
James Potter était d'ailleurs son nouveau dragon de bataille. Suite à un parchemin relativement vague adressé au Vice-Président, Gripsec avait profité de sa visite hebdomaire à Poudlard, quelques jours plus tôt, pour converser avec le jeune Potter au sujet de son Auror de géniteur. Le gobelin avait trouvé le récit de son client très intéressant et avait pris soin de noter toutes les informations dont il se souvenait, avant d'interviewer la jeune Daphné Greengrass.
D'une façon assez discrète, Gripsec avait commencé par recouper les archives gobelines de l'époque avant de demander à une connaissance du Bureau de liaison des gobelins de fureter dans les archives du département de la Justice Magique et du Magenmagot. Jusque-là, les dires des Greengrass semblaient se tenir mais certaines archives restaient encore à trouver et pour ne pas éveiller les soupçons de Dumbledore ou d'autres sorciers malintentionnés, il leur fallait procéder avec la plus grande prudence et donc avec une certaine lenteur.
Hélas, Gripsec n'avait pas une grande patience. Heureusement, il avait d'autres sujets concernant le jeune Potter sur lesquels s'occuper, tels que la vente des ingrédients que le garçon avait récoltés dans la forêt interdite auprès de différents apothicaires. Bien que le garçon soit désormais millionnaire, le gobelin trouvait qu'il avait bien raison de vouloir encore accroître sa fortune plutôt que de se reposer sur ses lauriers. C'est dans ce but qu'il travaillait depuis plusieurs jours sur les actions arrachées aux Potter dans différents commerces, de sorte à les fructifier au mieux.
Ce n'était pas tant que les Potter avaient fait de mauvais investissements. Bien au contraire, ils étaient plutôt placés dans des valeurs sûres. Le problème résidait dans le manque visible de gestion de ces actifs depuis la mort du précédent patriarche, Charlus Potter. Son idiot de fils ne s'était jamais vraiment intéressé à ces affaires, préférant jouer aux Aurors. Bien sûr, le métier d'Auror était relativement bien payé mais une meilleure gestion des affaires de la famille aurait rapporté le double voire le triple de son salaire.
Son fils Godric semblait suivre le même chemin s'il en croyait les premières impressions qu'il s'était fait de lui à Poudlard mais il était encore trop jeune pour être certain de ce qu'il deviendrait à l'âge adulte. Heureusement, Harry ne semblait pas du tout pâtir du manque d'ambition de son paternel, ce qui était peut-être le fruit de son enfance passée chez les moldus.
Il y avait cependant une nouvelle carte qui changeait tout à fait la donne dans cette affaire : Sirius Black. Le Vice-Président était resté très vague au sujet de ses plans le concernant mais Gripsec se doutait qu'il aurait un rôle important à jouer. Si Black ne mentait par sur ses motivations, il pourrait facilement devenir un très précieux allié dans la bataille d'indépendance du jeune Potter… et dans l'avenir de la nation gobeline.
Le gobelin fut sorti de ses pensées par l'ouverture de la porte de la salle de réunion où il travaillait depuis un peu plus d'une heure. Il s'était installé précisément dans cette salle avec ses dossiers parce que la personne qui entra n'était pas gobeline mais humaine.
Scarlet Sharp était une femme d'environ vingt-cinq ans, aux cheveux blonds et aux yeux noisette que Gripsec avait déjà entendu les employés humains de la banque décrire comme « jolie mais impossible à approcher ». Sharp était une sorcière née-moldue et il n'y a pas si longtemps, elle n'aurait sans doute jamais trouvé un emploi au Ministère de la Magie, en dépit de son intelligence et de ses qualifications. Elle devait son poste au Bureau de liaison des gobelins à l'ouverture d'esprit de Cuthbert Mockridge, le chef du bureau en question, qui avait choisi dès son accession à son poste de privilégier la compétence de son personnel à leur pédigrée. Cela lui avait réussi avec Dirk Cresswell, un autre sorcier né-moldu devenu une figure proéminente du bureau et c'était également le cas pour Sharp.
L'ancienne Serdaigle était reconnaissante à son supérieur d'avoir cru en elle et elle s'était appliquée à nouer une bonne relation de travail avec les gobelins. Scarlet était avec Mockridge, Cresswell et désormais Harry Potter, l'un des rares membres de la communauté sorcière qu'il pouvait tolérer.
Sharp éprouvait des sentiments beaucoup moins respectueux à l'égard du Directeur de Poudlard et du Bureau des Aurors. En dépit des opinions réputées pro-moldues de Dumbledore, la sorcière trouvait qu'il préparait très mal ses élèves nés-moldus à la réalité du monde magique, aussi raciste sur la pureté du sang de sa communauté qu'envers les autres espèces magiques.
Quant au Bureau des Aurors, son inimitié envers cette instance remontait à sa sortie de Poudlard. La jeune femme de dix-huit ans s'était présentée pour postuler à la formation d'Auror avec d'excellents résultats à ses A.S.P.I.C., dont des mentions « Optimal » dans les quatre matières incontournables et plusieurs « Efforts Exceptionnels » dans les autres. Elle avait ensuite passé les tests d'aptitude et de personnalité avec succès.
Hélas, le bureau recrutait beaucoup moins depuis la chute du mage noir, si bien que seulement un poste de recrue était libre cette année. Entre elle et Williamson, un Gryffondor de sang-pur dont elle savait que les résultats aux ASPIC avaient été inférieurs aux siens, ils avaient choisi Williamson.
Au départ, elle avait supposé que le Gryffondor avait mieux réussi les tests pratiques et elle avait laissé ses rêves de chasseuse de mages noirs de côté. Le problème, c'est qu'elle se heurta ensuite à un mur lorsqu'elle tenta de rejoindre successivement la brigade de police magique puis les services administratifs du Magenmagot.
Après que Mockridge lui ait donné sa chance au Bureau de liaison des gobelins, elle avait voulu laisser ces mauvaises expériences derrière elle mais elle n'était pas une Serdaigle pour rien : il fallait qu'elle sache pourquoi elle n'avait pas été prise par ces trois organes du département de la Justice Magique.
Gripsec n'avait pas réussi à lui faire dire exactement comment elle s'y était prise – même s'il suspectait l'usage de polynectar – mais Sharp avait interrogé un des Aurors en charge du recrutement de l'époque. Autour d'un verre, l'Auror lui avait confié que Williamson avait été pris parce que le père de Williamson était un bon ami de Scrimgeour, issu d'une « bonne famille » mais aussi parce que c'était un homme. Il avait même ri en disant que les femmes capables d'être Auror étaient rares et que la « petite blonde » qu'ils avaient interviewée ne tiendrait probablement pas deux minutes sur le terrain alors que le jeune Williamson était un solide gaillard.
Scarlet n'avait pas donné suite à l'époque, sachant qu'elle ne pourrait rien prouver et que même si elle avait des preuves, le ministère ne ferait rien pour sanctionner Scrimgeour et encore moins l'Auror responsable. Après tout, la plupart du personnel haut placé du ministère partageait ce type d'opinions, soit en matière de pureté du sang, soit en matière de machisme.
L'ironie dans tout cela ? L'Auror qu'elle avait réussi à faire parler n'était autre que le célèbre Capitaine James Potter.
Autant dire que lorsque Gripsec l'avait approchée avec sa demande concernant les archives de l'affaire Greengrass et l'implication du père du Survivant, l'ancienne Serdaigle avait littéralement sauté sur l'occasion.
-Bonjour Scarlet. La chasse a-t-elle été fructueuse ? Demanda le gobelin en lui indiquant un siège.
-Bonjour Gripsec. Elle l'a été, d'une certaine façon.
Elle ouvrit sa sacoche et en sortit une liasse de documents. Il s'agissait des notes du procès d'Artorius Greengrass. Le procès semblait avoir été tenu à huit clos, avec un nombre de juges réduit et présidé par Bartemius Croupton. Cela n'était pas étonnant en soi, en tant que Directeur du département de la Justice Magique de l'époque, Croupton pouvait tout à fait officier à la place du Président-Sorcier du Magenmagot ou du Ministre de la Magie.
-Dois-je en conclure que Mlle Greengrass a menti ou n'était pas correctement informée ? Demanda Gripsec d'un air clairement dépité en reposant les papiers devant lui.
Etrangement, l'expression impassible de la sorcière se mua en un sourire qui avait presque quelque chose de gobelin. Elle tapota de l'index le haut du parchemin en secouant la tête.
-Pas tout à fait. Le document est très bien fait, on croirait un vrai… à un détail près. Croupton avait déjà démissionné de son poste à la tête du département deux semaines avant le procès.
Les lèvres du gobelin se plissèrent en un sourire qui laissait apercevoir ses petites dents pointues. Il aurait encore beaucoup de choses à faire bien sûr, notamment interroger les personnes listées parmi les juges, les participants et les témoins du procès mais c'était une piste très prometteuse.
Plus d'une semaine s'était écoulée depuis la victoire de Gryffondor lors du match qui l'avait opposé à Serpentard, une victoire que les rouge et or ne manquaient pas de célébrer depuis, notamment en narguant les verts et argent dès que l'occasion se présentait.
Attrapeur émérite et plus jeune joueur de Quidditch de Poudlard depuis un siècle, Godric Potter aurait dû participer à la liesse générale et cela avait été le cas pendant quelques heures mais ses pensées étaient déjà ailleurs. Si tout le monde ne voyait ce jour-là que comme une victoire, le jeune Potter n'arrivait pas à oublier qu'on avait aussi tenté de le tuer. Quelqu'un avait jeté un maléfice sur son balai et sans les efforts conjoints de sa mère et du professeur Rogue, la tentative aurait bien pu réussir.
Le Survivant avait d'abord cru que le Directeur des Serpentard était responsable du maléfice mais sa mère l'avait assuré que Rogue avait murmuré un contre-sort qu'elle connaissait bien, à l'unisson avec elle. Le professeur Dumbledore et son père avaient été absents ce jour-là, tous deux au Ministère pour quelque affaire au Magenmagot apparemment.
Pour la première fois de sa vie, le garçon avait été terrifié. Le balai ne répondait plus à ses ordres, enchaînant les embardées et autres pirouettes qui avaient manqué de le faire tomber à plusieurs reprises, de plusieurs dizaines de mètres de haut. Hermione s'était renseignée sur le type de sorts qui aurait pu avoir cet effet. Selon elle, il s'agissait d'un maléfice qui n'était pas très compliqué en soi mais le fait qu'il ait été utilisé à longue distance, sans baguette visible, indiquait que le responsable était probablement un adulte.
Malheureusement, il y avait eu beaucoup d'adultes dans les gradins ce jour-là, aussi bien des parents d'élèves qui profitaient de l'occasion pour rendre visite à leurs enfants que des recruteurs d'équipes professionnels de Quidditch, venus dénicher des talents rares pour leur proposer des contrats à leur sortie de Poudlard.
La journée n'avait pas eu que des mauvais côtés. Lors d'une discussion avec Hagrid, celui-ci avait laissé échapper que la chose gardée par le chien à trois têtes avait un rapport avec un certain Nicolas Flamel mais sans vouloir leur dire ce dont il s'agissait. Plus étrange encore, les trois Gryffondor n'avaient pas été les premiers à lui soutirer cette information : Harry aussi était au courant.
En dépit de ses vastes connaissances, Hermione ne savait pas qui était Nicolas Flamel et elle n'en avait trouvé référence dans aucun des ouvrages qu'elle avait consulté sur les figures célèbres du vingtième siècle. Le nom disait vaguement quelque chose à l'attrapeur mais il n'arrivait pas à se rappeler où il avait pu en entendre parler.
Au vu de la nature sensible de l'information, ils ne pouvaient pas demander à d'autres élèves et ses parents étaient aussi hors de question : si jamais ils étaient au courant – ce qui était très probable puisque sa mère était enseignante – ils seraient découragés beaucoup plus sévèrement de s'y intéresser, voire même surveillés par le corps enseignant.
Cela ne laissait qu'une seule autre personne qui pourrait avoir la réponse à leur question : son frère.
Ses amis étaient divisés sur la question : Ron considérait qu'un Serpentard refuserait de les aider, même si en tout état de cause, ils l'avaient déjà fait en venant à leur secours face à Touffu. A contrario, Hermione pensait que c'était une bonne idée et qu'ils n'avaient rien à perdre à lui poser la question.
Ses parents l'avaient plutôt déconseillé de parler à Harry depuis ce qui s'était passé à l'infirmerie. Godric n'avait pas eu droit à beaucoup de détails mais il semblerait que ses parents avaient mis la vie de son frère en danger et que les gobelins avaient sauté sur l'occasion pour leur extorquer de l'argent en dommages et intérêts. D'ordinaire, il les aurait crus sur parole mais après avoir appris l'existence de son frère et d'autres choses qu'ils lui avaient cachées, le Gryffondor était plus méfiant.
Le cours qu'ils avaient en commun avec les Poufsouffle touchait à sa fin. Le jeune Potter fut un des premiers à quitter la salle avec Hermione, se dirigeant vers le couloir où les Serpentard et Serdaigle devaient se trouver. Il aperçut d'ailleurs leurs camarades sortir de la salle de classe mais aucune trace d'Harry.
Où était-il donc bien passé ?
Harry ne maîtrisait pas encore assez bien le sortilège de désillusion pour l'utiliser efficacement mais il avait passé son enfance à se faire discret, au point que c'était presque devenu un réflexe. Il avait une pause d'environ une heure avant le cours suivant et il comptait bien ne pas être en retard à son rendez-vous.
Suivant les instructions de Ragnok, Harry se dirigea vers le Saule Cogneur, esquivant les branches qui se balançaient en essayant de l'écraser. Grâce à sa petite taille, il parvint à atteindre indemne le nœud qui était supposé paralyser l'arbre. Il fut presque surpris de voir ce geste fonctionner et encore davantage de constater que le passage secret se trouvait bien à la base du tronc.
S'engouffrant à l'intérieur, il pria intérieurement pour qu'il ne s'agisse pas d'un piège. Le parchemin portait cependant le sceau du Vice-Président et il commençait à assez bien reconnaître son écriture pour savoir que c'était la sienne.
Lorsqu'il émergea de l'autre côté, le Serpentard constata qu'il se trouvait dans une maison d'aspect assez vétuste. Toutes les fenêtres et les portes qui menaient sur l'extérieur étaient barricadées et ne laissaient filtrer qu'une lumière tamisée, heureusement suffisante pour se repérer. Le sol et les meubles étaient couverts de poussière, signe qu'elle ne devait pas avoir été habitée depuis des années.
Le jeune sorcier monta les escaliers et arriva dans une large pièce. Celle-ci comprenait un large lit, un piano et une chaise posée sur une sorte d'estrade, à côté d'une des rares fenêtres qui n'était pas totalement obstruée. L'attention d'Harry se porta sur ce siège car il était occupé par un homme, dont le visage était tourné vers l'extérieur.
L'homme avait des cheveux bruns, mi-longs, qui s'étendaient presque jusqu'au bas de son cou. Ses traits aristocratiques étaient figés dans une expression préoccupée et peut-être mélancolique. Il reconnut cet homme et sa fine moustache pour l'avoir déjà vu le jour de son départ à bord du Poudlard Express. Il se trouvait alors en compagnie des Potter.
Son pouls s'accéléra malgré lui. S'agissait-il d'un piège ? Il s'agissait de Sirius Black, sans le moindre doute. S'il n'avait pas été complètement sûr à la gare de King's Cross, les vieux exemplaires de la Gazette du Sorcier qu'il avait consultés à la bibliothèque le lui avaient confirmé. Pourtant, quel intérêt pourrait bien avoir le Vice-président Ragnok à le piéger ?
L'Auror renifla quelque chose dans l'air et tourna immédiatement la tête dans sa direction. Son expression n'était pas menaçante, il avait l'air surpris et la première phrase qu'il prononça n'était pas du tout celle qu'il imaginait.
-Ça alors ! C'est la première fois depuis longtemps que quelqu'un arrive à s'approcher si près sans que je ne m'en rende compte. Tu dois être très silencieux.
Un sourire avait naturellement fleuri sur les lèvres de Sirius mais il était différent de celui qu'il avait vu chez les Potter. Il y avait du regret dans ses yeux mais aussi de la détermination mais dans quel but, il n'aurait su le dire.
-Pardonne-moi, je ne suis pas très doué pour les introductions. Comme tu l'as peut-être deviné, je m'appelle Sirius Black, je suis commandant chez les Aurors et tes parents m'ont choisi pour être ton parrain quand tu es né.
Devant le silence d'Harry, il se leva de sa chaise et conjura avec aise une table ronde assez modeste et deux chaises identiques. L'homme était visiblement très doué en métamorphose. Il indiqua l'une des chaises à Harry.
-Le temps nous est malheureusement compté, c'est pourquoi je vais être le plus bref possible. Sache que tu peux partir à tout moment, ceci n'est pas un piège et ne concerne pas, ou en tout cas, pas directement, Lily, James ou Dumbledore. Je suis ici de ma propre initiative, avec l'assistance du Vice-Président Ragnok.
Le Serpentard ne pouvait pas s'empêcher d'être intrigué. Il ne faisait pas confiance à beaucoup de gens mais il l'avait mise en Ragnok et jusqu'ici, il n'avait jamais eu de raison de douter de ses bonnes intentions à son égard. Si le gobelin avait jugé bon de lui faire rencontrer l'Auror, il devait avoir une raison pertinente de le faire. L'élève acquiesça simplement, l'invitant silencieusement à continuer.
Sirius esquissa un léger sourire, un peu plus assuré tandis qu'il mettait sa sacoche sur la table et en sortait un épais dossier. Les mots « Harry Potter » étaient écrits dessus. Black lui tendit le dossier et fit simplement un geste de sa baguette pour l'ouvrir.
Il s'agissait de formulaires, de recours juridiques et même de projets de lois. Tous partageaient un point commun : lui-même. Ces papiers n'étaient autres que des demandes pour retirer sa garde aux Dursley et le placer auprès de Black. Les projets de lois portaient sur le bien-être des enfants et des mesures préventives sur les risques de négligence et de maltraitance. Il y avait aussi des devis auprès de différents briseurs de sorts, réalisés à Little Whinging pour déterminer quelles barrières magiques se trouvaient autour de la maison des Dursley et s'il était possible de les briser ou de passer outre, à l'aide de hiboux ou de portoloins. 1981, 1982, 1983, 1984, 1985… Les recours avaient commencé immédiatement après son abandon et la procédure de reniement. Ils partageaient un autre point en commun : Albus Dumbledore les avait tous refusés.
Harry finit par redresser la tête, croisant le regard de l'Auror avec un air incertain.
-J'ai essayé d'obtenir ta garde dès que j'ai découvert que tes parents t'avaient donné à Pétunia et à son horrible mari. Je les connaissais peu mais assez pour savoir qu'ils haïssaient tout ce qui avait attrait à la magie.
Il fit une courte pause, joignant ses mains tandis que son visage prenait une expression crispée.
-J'ai essayé de comprendre pourquoi James et Lily avaient fait ça… je savais que Dumbledore était impliqué d'une façon ou d'une autre mais je ne comprenais pas pourquoi ils t'avaient confié à ces gens-là. J'étais ton parrain. Même s'ils ne voulaient pas ou ne pouvaient pas s'occuper de toi, j'étais tout à fait volontaire pour t'adopter. J'ai fini par ne même plus essayer de les convaincre et passer directement par la voie des tribunaux, sans succès, comme tu peux le voir.
L'Auror esquissa un maigre sourire et sortit de sa poche une photo légèrement floue, sur laquelle se trouvait un enfant de six ans qu'Harry connaissait bien : il s'agissait de lui.
-Ce n'est pas exactement notre première rencontre depuis ton abandon, Harry. Je m'excuse de t'avoir trompé à ce sujet mais tu étais surveillé alors la seule façon que j'ai trouvée de t'approcher, c'était ainsi.
Et sur ces mots, il se transforma alors en un chien noir, svelte et pas très beau. Harry resta figé en réalisant de quel chien il s'agissait. Il avait côtoyé ce chien pendant des mois pendant les premiers temps lorsqu'il revenait tout seul de son école primaire. Du jour au lendemain, son oncle l'avait chassé et s'était mis à le ramener avec Dudley.
Un mot lui vint immédiatement en tête : animagus. Le professeur McGonagall en était un aussi, elle pouvait se transformer en chat.
L'animagus reprit forme humaine et se rassit en face de lui, l'air quelque peu contrit. C'était comme s'il avait peur de prendre la parole. Harry ne comprenait pas pourquoi cet homme avait fait ça, pourquoi l'avoir approché sous cette forme animale ? Et surtout, pourquoi avait-il fait autant d'efforts pour essayer d'avoir sa garde ? Après qu'il ait été renié, il n'avait plus rien, plus droit à un quelconque héritage des Potter, il n'avait pas non plus de célébrité contrairement à son frère.
-Pourquoi ? S'exclama-t-il malgré lui. Pourquoi avoir fait tout ça pour moi ? J'étais personne ! Je n'avais rien ! J'étais juste un… un monstre…
Harry ne l'avait pas vu bouger à travers les larmes qui lui brouillaient la vue mais qu'il s'obstinait à ne pas laisser couler. Tout ce qu'il voyait, c'était une silhouette avec un genou à terre en face de lui, qui avait posé une main sur la sienne et la serrait doucement.
-Harry, tu es mon filleul. J'étais présent lorsque tu es venu au monde, c'est moi qui t'ai fait monter sur ton premier balai… tu n'es pas un fardeau. J'ai fait tout ce que j'ai pu mais je n'ai jamais réussi à te retirer à ces gens. Si tu savais comme je regrette…
Sa voix s'était enrouée, peut-être par l'émotion et sa large main serra un peu plus fort la sienne, et elle tremblait quelque peu même si Harry ne savait pas si c'était de peine ou de colère. Le Serpentard se frotta les yeux de sa main libre et plongea son regard dans les orbes anthracite de son parrain.
-Dumbledore m'a fait envoyer jusque dans les Carpates pour me faire abandonner et pendant un temps, je l'ai fait. J'ai joué les Aurors dociles, en faisant comme si j'avais passé l'éponge, renoué avec James et Lily… en sachant que si je voulais réussir, il faudrait que j'attende le bon moment.
Il eut un éclat de rire étranglé avant de secouer la tête.
-Je ne suis pas un homme patient, Harry ! Cela a été très dur ces quatre dernières années… je ne peux pas dire que je sais ce que tu as vécu, personne ne le sait mais j'ai grandi dans une famille qui me détestait pour ce que j'étais et ça, je peux le comprendre.
Il se redressa finalement, libérant sa main avant d'en poser une sur son épaule.
-Quand j'ai su que les gobelins avaient réussi à te libérer, même temporairement, de l'influence d'Albus, je les ai contactés. Si je suis ici, ce n'est pas pour t'imposer quelque chose. Je suis ici pour te faire une proposition, que tu es libre d'accepter ou de refuser. Cela ne changera pas l'affection que j'ai pour toi, ni le fait que je me battrai pour toi avec les gobelins.
Harry ne savait pas quoi dire, il ne savait pas non plus quoi faire. Avant d'aller à Poudlard, il s'était mentalement préparé à combattre les adultes qui chercheraient à faire de lui leur pion, à lui imposer leur volonté : ses parents et Dumbledore en particulier. L'homme qui se trouvait devant lui avait fait tout ce qui était légalement possible et peut-être un peu illégalement aussi pour l'arracher aux Dursley. S'il avait seulement su ! S'il avait su que quelqu'un pensait à lui et voulait son bien là-dehors…
Par Merlin, ces satanées larmes n'arrêtaient pas de revenir dans ses yeux. Il avait fallu qu'il meure pour découvrir que des gens l'avaient aimé, que ses grands-parents l'attendaient et veillaient sur lui de l'autre côté et maintenant, il découvrait qu'un adulte était là pour lui, pas parce qu'il était riche mais parce qu'il éprouvait de l'affection pour lui.
Il prit de profondes inspirations, ayant de se calmer avec plus ou moins de succès. Il était un Serpentard par Morgane ! Il n'allait quand même pas se montrer comme un bébé !
-Je… je vous écoute. Dit-il d'une petite voix, pas trop chevrotante mais ses yeux verts fixés sur lui.
Sirius sourit et lui tendit un petit carton d'invitation, qu'Harry lut malgré lui à voix haute.
-Sirius Black, habitant au 12, square Grimmaurd, vous invite à passer avec lui les fêtes de fin d'année.
Les fêtes de fin d'année ? Harry était un peu hésitant, il n'avait jamais vraiment fêté Noël de façon normale par le passé. Il regarda de nouveau son parrain, se demandant malgré lui quelles étaient ses motivations. Cela devait se voir dans ses yeux émeraude car l'animagus esquissa un large sourire avant de prendre la parole.
-Je ne suis pas doué pour les façons détournées de faire les choses alors je vais tout te dire très directement : je souhaite que tu passes les fêtes à la maison avec mes amis et ma famille, sans les Potter, sans Dumbledore, c'est promis. Si tu t'y plais, j'espère te persuader de passer également l'été avec moi et de t'offrir un toit. Je sais que je ne peux pas changer le passé mais je veux être là pour toi et apprendre à te connaître. Charlus et Doréa Potter m'ont offert un foyer quand j'ai fugué de chez moi à seize ans. Aujourd'hui, je viens t'offrir la même chose, si tu le souhaites.
Pour être direct, on ne pouvait pas être plus direct. Harry n'était décidément pas habitué à ce genre d'interaction avec des adultes, surtout des adultes humains. Il semblait sincère mais pouvait-il vraiment lui faire confiance ?
Note de l'auteur : Je m'excuse pour la très longue attente avant la reprise de cette fiction et je remercie tous deux qui ont eu la patience d'attendre. J'espère que ce chapitre ne vous aura pas déçus.