Récit premier
« Je te hais. Je t'ai toujours haïs, depuis le commencement, depuis le début, depuis que nos pères se haïssent. C'est plus une tradition familiale qu'une haine individuelle, avec ses propres motivations. Nonobstant, je te hais. Toi, tes yeux, tes cheveux trop roux, ta famille de pouilleux, ton Terrier pourri et ta fausse sollicitude de merde. Tu es le roi des hypocrite au royaume des débiles et je suis condamné à être le bouffon du lot, tu sais, ce gars plus intelligent que les autres qui fait le pitre pour qu'on le croit stupide. Je te hais avec ta bête envie de m'aider, tes regards en coin, tes tee-shirts trop courts. Tu pus, Weasley, tu empestes le courage de merde et la fausse gentillesse. Arrête d'être faux, bon sang! Regarde-moi, je ne suis peut-être pas un modèle mais je suis authentique, les gens s'ils m'approchent savent ce qu'ils risquent. Avec toi, on ne sait rien. Je te hais. »
Ainsi pensait Draco Malefoy en ce début d'été. Ron avait ouvert le porte du Terrier et l'avait trouvé là, avec une valise et une lettre pour son père, sans rien de plus. Et il l'avait regardé comme on regarde un ami pour qui on a peur, ce qui avait déplut à Draco. Comment changer du tout au tout, comme ça, sans rien? Comment Weasley pouvait-il bien vouloir l'aider, lui, Malefoy, après tout ce qu'il avait fait? C'était impossible, ce qui voulait dire que dans son attitude, le rouquin mentait. Or Malefoy ne supportait pas les menteurs, surtout ceux qui étaient roux.
La lettre était brève. Elle provenait de Narcissa Malefoy, qui s'adressait aux Weasley sur un ton désespéré. Son mari avait été capturé par des extrémistes qui considéraient que tout Mangemort ou ancien serviteur de Voldemort devait mourir. Comme son fils avait eu des rapport avec ces derniers, elle craignait pour sa vie et avait préféré l'envoyer ici, au Terrier, seule place qu'elle considérait complètement imperméable à ce genre d'attaque.
« -Je sais que cela ne sera pas facile, pour aucun de vous, d'accueillir le fils de Lucius, mon fils, dans votre demeure. Pourtant, Arthur et Molly, je vous en conjure, faites-le. Permettez à mon fils d'habiter avec vous jusqu'au début de l'année scolaire prochaine, je vous rémunérerais si ce n'est que cela mais je ne supporterai qu'après mon mari, mon fils me soit enlevé. Par pitié pour une femme au désespoir, par le lien, certes très ancien mais toujours existant, qui nous relit à la famille Black, je vous en pris, acceptez mon fils chez vous pour l'été. Je vous en serait éternellement redevable. Narcissa Malefoy. »
Arthur acheva sa lecture et regarda Draco, médusé. Ce dernier ne fit pas un bruit, pas un commentaire. Il fixait un point droit devant lui et semblait avoir oublié où il se trouvait. Molly et Ron s'entre-regardèrent, étourdit par la lettre de Narcissa qui sentait la douleur et la fierté refoulée.
« -Ainsi donc, reprit enfin Arthur, tu... Ton père a été prit?
-Oui, répondit Draco de sa voix froide.
-Et, euh... Est-ce que toi, tu as envie de passer l'été ici?
-Arthur!
-Quoi, Molly?
-Enfin, ce n'est pas possible! Jamais je n'accepterai que ce... Qu'il passe l'été avec nous! Ils ont tué Fred! Je ne pourrai tolérer qu'une de ces personnes vive avec nous, mange avec nous, boive et plaisante avec nous. Jamais je n'accepterai qu'il dorme au même endroit que nous tandis que mon fils... »
Elle n'acheva pas sa phrase, submergée par la douleur. Arthur se leva d'un bon pour la prendre dans ses bras et lui parla tout bas.
« -Enfin Molly, pense que quelque part, une mère, comme toi, craint pour la vie de son fils. Une mère qui ne veut pas subir ton sort s'en remet à nous pour protéger ce qu'elle de plus précieux au monde! Je n'ai pas non-plus envie de lui ici, mais c'est un gamin, comme Harry, comme Ron, comme Ginny et Hermione. Un enfant qui a juste besoin de protection pour les bêtises de ses parents. »
Molly renifla. Elle regarda Draco par dessus l'épaule de son mari, puis son fils, toujours assit à table, et enfin le visage d'Arthur, grave.
« -Nous allons en parler. Montons, dit-elle en le prenant par la main. Ron, mon chéri, reprit-elle plus doucement, fait un déjeuner pour quatre, d'accord? Je sais que tu sauras faire. »
Elle partie avec son mari, monta les escaliers quatre à quatre. Une porte claque à l'étage, puis se fut le silence. Aussitôt, le sourire confiant de Ron disparut de son visage. Il regarda Malefoy, semblant le haïr. Brusquement, il se leva et le frappa. La gifle se répercuta, écho sinistre sur les murs de la cuisine. Draco ne fit pas un mouvement.
« -Ainsi donc, reprit Ron, tu vas vivre ici. Je n'en ai aucune envie.
-Ta mère veut en parler, il me semble.
-Elle m'a dit de faire à manger pour quatre, or personne d'autre ne doit venir, ce qui signifie que tu manges ici. Si maman fait cela, c'est que cette décision est déjà prise, elle est juste montée s'en remettre. Je n'ai aucune envie que tu vives ici.
-Moi non-plus. »
La silence reprit, lourd, pesant. Ron se détourna et commença à éplucher des carottes. Un rictus mauvais pointait sur son visage.
« -Quelle ironie, Malefoy! Toi, obligé de vivre parmi ceux que pendant sept ans tu insultas! Dans la maison que tu appelais « taudis »! Finalement, tu dois être bien heureux que cette maison existe, puisqu'elle est ton salut.
-Non. Je m'en fiche. Ma mère voulait que je vienne ici, mais entre être ici ou entre les mains des extrémistes, cela ne change pas, pour moi. Nous allons juste nous trouver dans une situation désagréable, pleine de silences, de non-dits, de haine camouflée. Mais pour moi, rien ne change vraiment. »
Ron se tourna pour le regarder. Draco fixait un point trop loin, comme s'il ne s'adressait pas à lui, comme s'il parlait avec quelqu'un d'autre, quelqu'un de plus grand, de plus vieux. De plus sage, peut-être. C'est a ce moment que Ron Weasley se rendit compte que le jeune homme n'allait vraiment pas bien. Il ne l'insultait pas, ne critiquait pas et avait accepté de vivre au Terrier. Il n'était pas dans son état normal. Ron laissa couler le couteau qu'il tenait entre ses mains et s'approcha de Malefoy, le regardant toujours intensément. Le bruit que fit l'objet en tombant sur le sol de grès ne réveilla personne, comme une porte qui au loin claque mais dont on se fiche bien.
Ron fixait intensément Draco, toujours assit, toujours silencieux. Toujours ailleurs. Il était juste devant lui, à présent, et il pouvait voir avec plus de netteté les marques sur son visage. Marques de coups, marques du temps, marques de pleurs. Toutes ces cicatrices de douleurs qui distinguaient Draco Malefoy du reste du monde, qui en faisait quelqu'un hors du présent, quelqu'un brulé à vie.
« -Mon Dieu, Malefoy, murmura Ron. Que t'ont-ils fait? »
Draco ne répondit pas, comme s'il ne l'avait pas entendu. Il recommence, se dit-il, encore cette fausse sollicitude, cet irréel intérêt.
Une porte claqua à l'étage, surprenant les deux garçons dans cette scène insolite. Les oreilles de Ron virèrent au rouge et il retourna près de son évier, ramassa au passage le couteaux à terre et se mit à gratter furieusement ses carottes, comme si ce bruit, à l'étage, l'avait dérangé. Il fit semblant de ne plus se soucier de Malefoy, toujours sur sa chaise, et ne s'attela pas à ranimer une conversation stérile. Rien ne pourrait faire parler le jeune homme blond, de toute façon. Il se muait dans une sorte de cocon de silence, un nid dans lequel il se sentait moins mal qu'à l'extérieur, au beau milieu de la cuisine des Weasley.
Une heure passa, puis une autre. Le silence, au début pesant, était devenu un refuge pour les deux jeunes hommes, l'un comme protection contre le monde, l'autre en tant que résultat d'une haine trop longue. Dans le four, le poulet cuisait doucement sur son lit de carottes épluchées rageusement, dorant à chacune des minutes un peu plus. Au loin, égrainant les secondes, un vieux coucou émettait un tapement régulier. Ron, qui depuis l'enfournement de son plat s'était assit, se leva brusquement, ouvrit le frigo, sortit une Bièraubeurre, prit deux verres, dont un ébréché, dans un placard qui faisait l'angle et posa le tout sur la table, entre Malefoy et lui. Il prit pour lui le verre fendu et servit à Malefoy l'autre, plein de la pétillante boisson doré.
« -Merci. »
Un mot, c'était tout, et pourtant c'était bien trop déjà. Le charme du silence était rompu, balayé par ce simple mot, un remerciement sommes toutes banal.
« -De rien. M...
-Ron, mon chéri. Je t'aime beaucoup mais tu sais que la règle ici, c'est de demander avant de prendre quelque chose dans le frigo. »
Molly Weasley termina cette réplique sur un sourire, en pointant son fils du doigt. Elle semblait plus calme que deux heures auparavant, ses cheveux étaient coiffée et sa robe lisse. On pouvait encore voir sur son visage quelques stigmates de la crise qui l'avait agité, mais désormais, elle était sereine, bien que toujours fatiguée. Elle se tourna vers Draco, tentant d'avoir l'air le plus neutre possible. Ce fut peine perdue, car sa haine à l'égard du jeune homme transparaissait tout de même.
« -Excuse-moi, Maman. Je ne voulais pas vous déranger.
-Oui oui. Malefoy... Draco, prononça-t-elle avec difficultés, comme si ce mot lui faisait du mal, Draco, je te dois des excuses. Je suis désolée pour tout à l'heure, je n'aurait pas dû parler de la sorte.
-Cela ne fait rien, madame, répondit Draco. J'imagine combien il doit être dur de m'avoir sous votre toit après ce que mes parents et moi avons fait.
-Justement. J'ai écouté Arthur et ai décidé de faire table rase du passé. Tu peux bien sûr passer l'été ici si cela peut te protéger. Je te préviens, je ne suis pas sûre de pouvoir tout oublier. Je suis peut-être une traitresse à mon sang mais je suis tout de même fière. J'espère ne pas avoir à regretter cette décision.
-Je ferai ce que je pourrai pour rendre cette cohabitation acceptable, dit Draco d'un ton monocordes, comme s'il avait appris un discours. Merci de bien vouloir m'accueillir ici.
-A la bonne heure! S'écria Arthur Weasley, qui venait de descendre. Ron, est-ce que le déjeuner est prêt?
-Oui Papa, répondit Ron, et Draco et moi avons mit le couvert.
-Parfait! Tu vois Molly, il est charmant! »
Ron mentait. Il avait mit le couvert seul et le couvrait, une fois de plus. Draco qui n'en pouvait plus de sa compassion. Il chercha le regard du rouquin pour lui faire comprendre qu'il se fichait bien que ses parents l'apprécient ou pas, et lu dans ses yeux quelque chose qui pouvait ressembler à « Je ne le fais pas pour toi mais pour eux, pour qu'ils aillent mieux. Alors ta gueule! »
Draco se tut donc. A table, le silence que les deux garçons chérissaient tant devint trop dur, et Ron prit la parole.
« -Il faudrait peut-être expliquer à Mal... Draco ce qui se passe en ce moment au Terrier, les règles, les personnes qui viennent...
-Mais oui, répondit Arthur, suis-je bête! Alors, euh... Déjà, sais-tu que nous avons sept enfants?
-Six, rectifia Molly, livide. Nous avons six enfants, Arthur. »
Ce dernier ouvrit la bouche, puis la referma lentement. La mort trop récente de Fred pesait encore au dessus de la table, et cet oubli de la part d'Arthur jeta un froid sur l'embryon de conversation.
« -Bref, reprit Ron, ils ne sont pas tous là en ce moment. Bill s'est marié l'été dernier et vit loin d'ici, il viendront peut-être passé quelques jours début août avec sa femme, Fleur. Tu la connais, elle participait au Tournois de Trois Sorciers. Charlie et Georges sont partis en Roumanie et ne viendront probablement pas cet été, George à besoin de prendre l'air.
-Exacte, à cause de... Enfin... »
Les mots moururent dans la gorge de Molly. Elle leva des yeux suppliant vers Arthur qui continua, la mort dans l'âme.
« -Notre troisième fils, Percy, a des affaires à régler quelque part en Irlande, il reviendra pour la dernière semaine d'août. Enfin, la dernière, Ginny, est partie avec Harry et Hermione. »
Draco, qui n'écoutait que d'un oreille distraite depuis le début de la conversation, leva brusquement la tête et interrogea Ron du regard, nous voulant pas faire de gaffe auprès des parents Weasley.
« -Oui, Hermione est partie chercher ses parents en Australie. Harry ne voulait pas qu'elle y aille seule, alors il l'accompagne et Ginny est littéralement collée à lui, elle va où il va. D'ailleurs, je ne m'explique toujours pas pourquoi elle a eut le droit de partir et pas moi, je suis quand même le petit ami d'Hermione, non?
-Ron, mon chéri, dit sa mère, nous en avons déjà parlé. Quand nous partirons, dans deux semaines, il faut que quelqu'un de majeur garde la maison. Et je ne voulais pas que ta sœur me fasse culpabiliser pendant mes vacances, elle est pire que toi, tu sais?
-Ça... »
Ron eu un petit sourire, se remémorant les crises de Ginny. Il se tourna ensuite une nouvelle fois vers Malefoy.
« -Mes parents partent eux-aussi en Roumanie, dans deux semaines. Cela fait un bail que Charlie n'est pas venu et comme Georges est avec lui... Enfin bref, nous aurons la maison pour nous deux.
-Mais ce n'est pas une raison pour y faire je-ne-sais-quoi, répliqua Arthur sous la pression du regard de Molly, n'est-ce pas?
-Oui Pa-pa! Ânonna Ron.
-Oh... Oui, bien sûr, répondit de même Draco en voyant les trois regards des Weasley posés sur lui.
-Bon, mis à part la règle évoquée par Maman tout à l'heure, il n'y a rien de vraiment interdit ici. D'ailleurs cette règle n'est respecté que lorsque qu'elle est dans la cuisine, n'est-ce pas, Papa?
-Hein? Fit faussement Arthur, tout sourire.
-Je ne te ferai pas l'affront de te dire que toute tâche est faite en commun, qu'on aide à la préparation des repas, le mise du couvert, la lavage des assiettes, qu'on fait son lit le matin... »
Et pourtant, tu le fais, se dit Draco intérieurement. C'était finement joué de la part de Ron, ainsi il ne passait pas pour un crétin arrogant mais il lui rappelait tout de même les règles de base de la vie en communauté. Weasley n'était pas un imbécile, cela Draco le savait. Il était parfois très fin, comme en cet instant.
« -Et euh... Maman, où va-t-il dormir?
-Je ne sais pas... Je refuse que ce soit chez Ginny ou les Jumeaux, parce que... »
Un ange passa. Ginny, parce que c'était une fille, tout bêtement, et les Jumeaux... « Parce que c'est de ma faute si ton fils est mort, c'est ça, demanda Draco en lui-même. Le meurtrier dans la chambre de la victime serait de fort mauvais goût, j'en conviens. »
« -Les chambres de Bill et Charlie sont devenues le grenier, alors ce ne sera pas là non-plus. Il ne reste que la chambre de Percy, dit finalement Molly, que ce déjeuner éprouvait.
-C'est celle en face de la mienne, reprit Ron. Je te montrerai.
-Eh bien, moi et ta mère allons nous occuper du rangement, montre-lui donc tout de suite!
-D'accord Papa. Ma... Draco, où sont tes affaires?
-Euh, dans l'entrée...
-Tu n'as que ça, pour un été?
-C'est une valise magique, elle est plus profonde qu'elle n'y paraît. »
Ron constata une fois de plus combien Draco allait mal. En temps normal, il lui aurait envoyé une bonne vielle réplique Malefoy, le traitant au passage d'idiot. Mais non, rien.
En silence, le rouquin amena Draco dans une chambre plutôt grande, aux murs bleus. Le lit était encore fait du jour où Percy n'était pas revenu, bien des années auparavant. Cela sentait un peu le moisi, Molly n'osait aller dans cette pièce depuis des lustres. Lentement, Ron défit tout le lit et remis des draps, aidé par Draco, dans le silence ambiant. Un silence si agréable parce qu'il était vrai. A table, lors de la conversation, tout était faux. Ce faux intérêt pour Draco, ces questions sans but, ces sourires et mots qui n'avaient qu'un usage : faire comme si. Les Weasley jouaient à faire comme si, comme si tout allait bien, qu'il étaient encore une grande famille unie. Mais certains signes ne trompaient pas : si la famille avait été la même qu'au début, alors tous seraient ici. La maison était vide de la présence des enfants, des amis. Vide de son essence, de son sens.
Ron montra en détail la maison à Draco, puis le laissa. Chacun passa la journée dans son coin, occupé à tromper l'ennui. Chacun avait ses pensés, ses préoccupations, ses questionnements. Sa tristesse.
« Prends la peine d'ignorer la tristesse des tiens, se dit Draco, le soir, dans son lit, après un autre repas insipide. C'est exactement ce qu'il se passe ici. »