Chapitre séquelle: "Fragment d'existence"
Rating: Mmh... Ce chapitre ci ne vaut peut-être pas le M... Disons rating T, juste pour la forme. =P
Petite note de l'auteur: Ce deuxième chapitre est à prendre comme une séquelle, un morceau d'intimité volé entre deux verres. Je m'excuse auprès de ceux qui attendaient un retour en arrière qui expliquerait la mise en couple de Harry et Draco du temps de Poudlard, mais j'ai préféré rester dans l'ambiance et vous proposer une percée entre les nuages, peut-être une lumière au bout du couloir. Enfin bref, j'espère quand même que ce deuxième chapitre ne vous décevra pas et qu'il vous laissera sur une bonne impression ;)
/!\ Merci mille fois à tous ceux qui ont commenté cette histoire, vos éloges et vos encouragements m'ont fait chaud au coeur! (Et ont, accessoirement, encore augmenté mon envie d'écrire. En gros vous n'êtes pas sortis de l'auberge! xD) Mais plus sérieusement: vraiment, merci beaucoup d'avoir aussi bien accueilli cette fanfic!
Cette chanson là, nous ne la chantions plus. Ou du moins, plus à voix haute. Sa mélodie langoureuse avait déserté mon crâne, enfin, et la chape de nuages qui alourdissait le ciel s'était dissipée, comme éclatée en fines gouttelettes qui poissaient mes habits, ma peau et mes cheveux. Les ombres de la ville revêtaient une silhouette tortueuse et distordue, branches mortes qui s'étiraient vers le ciel comme autant de bras squelettiques, avec leurs phalanges saillantes et leurs longs doigts décharnés qui griffaient le ventre mou de la grisaille.
L'humidité était telle que j'avais du mal à allumer ma cigarette, bataillant avec mon vieux briquet et ma nicotine imbibée d'eau vaporeuse, traitresse, qui s'infiltrait à travers la fine lamelle de papier et refusait de se consumer. Je remportais finalement la bataille, tirant quelques crachats de fumée galeuse qui me firent tousser. Lorsqu'enfin je pu tirer une bouffée convenable, je m'appuyais contre la rambarde rouillée du balcon, prenant bien soin de ne pas m'entraver dans les tôles à moitié défoncées qui trainaient ça et là et qui n'auraient pas manqué de te réveiller de leur grondement métallique. En contrebas, une ruelle miteuse aux murs graffités d'injures racistes, sexistes et de femmes dénudées, aux pavés cimentés par la crasse et jonchés de déchets, humains ou non, dont personne ne voulait. Quelques clébards pelés poussaient des glapissements rauques de temps à autre, puis jappaient sous les coups d'un soiffard dérangé ou crevaient tout simplement de faim. Qu'est-ce qu'on en avait à foutre ?
Tout ça disparaissait peu à peu sous la brume poisseuse qui coulait entre les immeubles, bouchait les rues et courrait entre elles comme de gigantesques tentacules visqueuses et boursoufflées, fumées putrides échappées du ventre puant de la terre. Sa couleur grisâtre entachée de noir me fit penser à ces gaz qui enflaient les chairs mortes d'un cadavre et qui, une fois la viande ouverte, s'échappaient en un infâme relent de mort, comme une bulle qui explose en répandant son pus.
Un gémissement métallique un peu enroué me tira de mes pensées et je souris malgré moi en reconnaissant la plainte des vieilles tôles gondolées, celles-là même que j'avais soigneusement évité pour ne pas troubler ton sommeil. Tu n'as jamais été discret. Un grondement agacé s'échappa des tréfonds de ta gorge tandis que tu te dégageais de leur emprise, te massant l'orteil là où les traitresses t'avaient heurté, puis tu me rejoignis sur mon perchoir, au bord du précipice, seulement séparé du vide par une vieille barrière bancale à moitié arrachée du béton par je ne savais quelle griffe monstrueuse. Ta main effleura nonchalamment mon dos, tes doigts glissant jusqu'à mes reins, aussi légers que ceux d'un fantôme, puis repartit comme elle était venue, fière de cette attention. Un frisson désormais familier me traversa au contact de ta peau, puis un autre à sa perte, celui-là beaucoup moins agréable, mais sans pour autant me troubler. Nous avions tout le temps, à présent. Je sentis ton regard sur mon torse nu et, suivant la ligne de feu que traçaient tes prunelles, te trouvais en simple boxer par cette fraicheur encore hivernale. Tes doigts fins vinrent me voler ma clope et la porter à tes lèvres, jouant quelques instants avec les miennes que tu laissas insatisfaites en leur préférant cet imbécile de filtre presque déjà à moitié rongé par le feu. Nous étions proches, si proches que je pouvais sentir la chaleur naissante de ta peau, mais nous ne nous touchions pas. Nous regardions dans la même direction, vers le ciel, et c'était déjà bien. Quelques fois nous nous passions la clope, mais plus par habitude qu'autre chose. Au final, nous n'avions plus besoin de fumer.
Entre temps la brume était montée, avalant les reliefs comme autant d'ordures balancées dans le gosier de l'océan, prenant les murs d'assauts de ses ventouses flasques et putréfiées, presque jusqu'à notre étage. Je sentais déjà son haleine fétide réchauffer le bout de mes orteils de sa moiteur chaude et nauséabonde, et retenais l'envie de secouer bêtement les pieds pour m'en débarrasser. A la place je tendis une main vers toi et t'attirais près de moi, te faisant simplement glisser le long de la rambarde jusqu'à ce que ton bassin vienne se cogner contre le mien et que tes côtes reconnaissent leurs consœurs, ma main enlaçant la tienne. Doucement, je calais ma tête sur ton épaule et te repiquais la clope pour me la voir retirer trois secondes plus tard, tes doigts jouant toujours avec la peau craquelée de mes lèvres. Tu répondis à l'étreinte sans en avoir l'air, sans me rapprocher ni me laisser partir, profitant simplement de ce que je t'offrais.
Sur ma nuque, la trace éclatante de ta possessivité. Sur mes hanches, celles de ton plaisir. Et au plus profond de moi, celle de ton amour. Je t'appartenais enfin, marqué d'une trace indélébile, et ton bras passé autour de ma taille, ta main frôlant tendrement ma hanche, me rappelaient à cet ordre des choses. J'étais bien. C'était comme cela que ça devait être.
La cigarette entièrement consumée, tu laissas tomber le filtre à nos pieds, par-dessus la rambarde, et nous quittâmes le balcon pour nous réfugier à l'abri du froid. En refermant la vieille baie vitrée aux carreaux trouble, opaques, et aux jointures encrassées par la saleté, tu pris soin de vérifier que je ne partais pas avant de pousser le loquet. C'était ta crainte la plus profonde ; me voir partir. La solitude te faisait peur, presque autant qu'elle me confortait. Moi j'avais peur du monde. Tu fuyais la foule parce qu'elle t'isolait; toi, le Sauveur du monde sorcier, l'exception parmi les exceptions. Cette même foule me crachait dessus, injuriait mon nom et inventait milles humiliations pour me faire payer le souvenir d'une marque que je n'avais jamais désirée et qui, de son ombre infâme, putréfiait les lambeaux d'avenir qui me restaient.
Si dieu existait vraiment, bien planqué derrière la pierre grise et molle de l'eau stagnante qui menaçait au dessus de nos têtes, alors il devait sûrement bien se marrer de nous voir, deux pantins mal dégrossis, tirer sur nos filins de laiton à nous en trancher les veines. Certains parleraient de destinée. Je persiste à croire en une putain d'ironie du sort.
Toi et moi, deux meilleurs ennemis. Deux singulières antithèses, deux Némésis. L'un aussi lumineux que le soleil, bienveillant et chaleureux; l'autre aussi froid que le glace, sombre et métallique. Faits pour se haïr, conçus pour se repousser.
Plongeant mes yeux dans les tiens je retournais deux mois en arrière, lors de cette fameuse soirée où j'avais envoyé ballader mon verre, ma clope et tous leurs plaisirs solitaires pour venir me consumer dans tes bras.
Cette nuit là, nous sommes entrés en collision. Une collision violente, dévastatrice, marquée par la rage et le désespoir, par le manque, les privations et la solitude. Nous étions formatés pour nous haïr; nous nous sommes aimés. Si désespérément que tels deux aimants retenus trop longtemps loin de l'autre, nous n'avons eu d'autre choix que de nous percuter violemment, à nous en faire éclater les os, une fois nos entraves brisées. La douleur du choc fut si intense, si brutale et profonde que nous en avons jouit, de toutes nos forces, jusqu'à épuisement.
Et depuis, tout a changé.
J'ai quitté mes quatre murs de béton miteux et mes collacataires de miséricorde pour m'installer chez toi. Un couloir étroit en béton nu, rugeux, deux pièces miteuses avec un canapé, une cuisine en perdition et un lit défoncé, avec un sommier inconfortable et plusieurs lattes brisées. Une baie vitrée mal isolée aux carreaux opaques, aux jointures sales et irrégulières, et un balcon encombré de gravas avec vue sur un quartier de perdition d'où s'élevaient, la nuit, les voix des putes et des camés, les echos d'une société à l'abandon.
Tu as cessé de donner des concerts. Certains moldus te reconnaissaient encore dans la rue, de temps à autre, mais la plupart t'ont vite oublié. Au fond, tu t'en foutais. Cette chanson là ne fut plus jamais jouée. Nous en aurions même oublié les paroles, si nous l'avions pu. Ce fut étrange de sentir qu'une fois le puzzle recomposé, elle sonnait si faux, si discordante à nos oreilles. A quel point ses accords semblaient vides, comme incompréhensibles aux êtres humains que nous étions redevenus. Et s'il fallait n'être qu'une entitée tronquée, une épave en cour de dégradation pour en retrouver toute la beauté, alors je l'abandonnais sans le moindre regret.
Nous eûmes du mal à parler d'avenir: le présent suffisait à notre inquiétude. Pourtant ce fut toi qui, un soir, te callais entre mes bras et me parlais d'un "nous" improbable, loin de nos démons intérieurs et de nos erreurs passées. Juste toi et moi, dans un appart' aux alentours de Londres. Ni trop grand ni trop petit, sans crasse ni trop d'ordre, juste ce qu'il faut pour que l'on s'y sente chez nous. Des cendriers sur la table basse, ta guitare dans un coin et un mini-bar dans l'autre. Une étagère remplie de livres, car tu sais que ça me manque, une télévision et un lit confortable. Tu parlas même de la cuisine, où tu nous voyais faire réchauffer des plats surgelés et grimacer de leur goût infect jusqu'à ce que l'un de nous deux craque et apprenne enfin à préparer un repas convenable. Tu nous voyais avancer dans la vie, loin de notre ancienne insouciance et pourtant étrangement raffistolés, heureux malgré toutes nos cicatrices, nos blessures enfin refermées. Et je me surpris à rêver avec toi de ce tableau improbable, te serrant dans mes bras comme un objet précieux, oubliant jusqu'à ma clope qui s'éteignit au coin de mes lèvres. Je m'étonnais d'envier ce "nous" fictif, enfin heureux et posé, et te demandais, sans même penser à retenir ces mots qui m'échappaient, si ce futur là c'était ton souhait.
Ta réponse ce soir là décida de tout le reste.
"Et toi, Draco?"
Depuis, nous remontons doucement la pente. Ce n'était pas chose facile mais peu à peu, pas à pas, nous franchissions nos vieux obtacles.
Tes bras autour de ma taille me tirèrent de mes souvenirs tandis que tes lèvres frôlèrent ma tempe, ton souffle brûlant s'écrasant contre ma peau, ton torse fermement moulé aux courbures de mon dos.
"A quoi tu penses?"
Fermant les yeux, je me laissais aller dans tes bras, m'abandonnant entièrement à ton étreinte tendre et possesive, comme un cocon de feu et de diamant. Mes épaules s'affaissèrent, quittant cette position défensive qui les tendait en permanence, et ma tête bascula en arrière, ma nuque parfaitement imbriquée dans le creux de ton épaule, ma joue tout contre ton cou. Inspirant longuement, je m'ennivrais de ton odeur avant de répondre.
"A nous. Plus tard..."
Tes bras se ressérèrent autour de moi et je sentis tes lèvres survoler mon cou offert, tes cheveux me chatouillant la gorge.
"Et... comment est-on?"
Je souris malgré moi. Tes mains carressaient tendrement mes hanches, un peu brusques et maladroites, mais toujours aussi avides de moi. Comme si tu ne pouvais t'en rassasier. J'aimais cette sensation d'être indispensable à ta vie, désiré comme jamais et probablement pour toujours. D'ailleurs, tout était dans ces deux petits mots: pour toujours... Alors, sans même y réfléchir, je soufflais:
"Tous les deux."
Et, levant les yeux sur la veille baie-vitrée rendue opaque par le brouillard au dehors, je tombais sur deux prunelles émeraudes dont l'éclat irradiait de vie, brûlantes d'un feu nouveau, tandis que ton reflet me souriait doucement en resserrant ses bras autour de mon corps.
Je contemplais un instant l'image de ce couple si étrangement rappiécé, comme deux amants fondus l'un dans l'autre par erreur et maintenant indissociables, et tombais sous le charme de leur étreinte, si belle quoi que trop improbable.
Alors mes mains glissèrent jusqu'aux tiennes, entremêlant nos doigts, et je contemplais la vitre avec fascination, tombant pour la première fois depuis plus de dix ans sur deux orbes métalliques, couleur d'orage, qui transperçaient la grisaille extérieure et brillaient avec force, consumant ma rétine d'un éclat presque aveuglant.
Puis mon reflet détourna les yeux et l'acier rencontra l'émeraude, glace contre feu, tandis que je scellais nos lèvres avec douceur, sans toute cette passion qui nous pressait d'aller toujours plus vite, toujours plus fort, savourant simplement l'instant présent.
Cette fois, nous avions tout le temps...