Deux semaines.

Debout devant le large portail -trop coloré à son goût- indiquant l'entrée du centre, le vent chaud de ce début juillet flottant dans ses cheveux noirs, il repensait à la conversation qu'il avait tenu avec sa mère la veille.

« -Ton père et moi partons en vacances en Espagne. Seuls. En amoureux.

Severus, malgré son jeune âge, n'était pas dupe : sa mère lui faisait plus l'impression d'être une otage à la merci de l'immonde gastéropode alcoolique qui lui servait d'homme que d'une mariée comblée et - quel était le terme qu'elle avait employée ? - amoureuse.

Il ne savait pas pourquoi ses parents avaient décidés de partir en vacances et honnêtement il s'en fichait royalement…non…impérialement. Non encore mieux : DIVINEMENT.

-On ne va pas trop te manquer, Severus ? Lui avait demandé naïvement sa mère.

Severus s'était préparé à répondre qu'il ne voyait pas comment il allait survivre sans la superbe distraction que lui offrait chaque jour Tobias de par son incommensurable bêtise, mais il se retint devant l'air menaçant de son paternel. Risquer de se voir casser une jambe par son cher géniteur alors qu'il se préparait à passer les deux plus belles semaines de sa vie ne lui paraissait pas d'une extrême intelligence. Il se contenta alors d'un bref signe de tête.

-Bien, alors…au revoir.

Sur -ce, Eileen ébouriffa affectueusement les cheveux de son fils (ce qui lui valut un regard pour le moins meurtrier. Severus ne supportait pas l'hypocrisie de sa mère : comment cette dernière prétendait-elle l'aimer alors qu'elle le laissait se faire tabasser par l'autre mollusque ?), et tourna les talons en direction de la voiture.

Lorsqu'il entendit la porte d'entrée se refermer sur la femme, un large sourire se dessina sur les lèvres du garçon.

Seul.

Enfin.

-Tu ne pensais tout de même pas que cela allait être si facile ?

Severus se retourna brusquement et vit avec horreur que son père, lui, n'était pas encore parti. Sûrement s'était-il décidé, à la dernière minute, d'emporter tout compte fait son vingt- sixième pack de bière.

-Navrant...

Severus frémit. Son père se rapprochait dangereusement et calmement de lui.

-Pourtant, continua-t-il de sa voix doucereuse, n'importe quel gamin aussi stupide soit-il, aurait comprit qu'en tant qu'adulte…(il toussota) responsable, je ne pouvais pas te laisser seul ici deux semaines…mais non…(il donna un coup de pied à son fils) il a fallu que j'hérite du gamin le plus stupide de toute la galaxie…incapable de comprendre la chose la plus simple…pathétique.

Les yeux noirs de Severus lançaient des éclairs. Merlin qu'il mourrait d'envie de répliquer quelque chose. Mais , au grand désarroi de son père, il n'était pas stupide. Il savait reconnaître quand il pouvait-ou pas- risquer d'user de sa brillante répartie. Et là, il ne pouvait pas.

Il était en face de la version la plus terrifiante de son père : la version « sobre ».

Là, il avait pleinement conscience de ses actes. Sans l'emprise de l'alcool, il avait tout le temps de mieux réfléchir à la façon la plus horrible de rabaisser Severus. Et il ne se priverait pas.

-Serais-tu incapable de répondre quoique ce soit ?

Une fois de plus, tu prouves à quel point ton esprit de déduction est prodigieusement inexistant, pensa-t-il.

Tobias ricana.

-Bien…ne répond pas…Mais apprend que je t'ai inscrit dans une colonie de vacances Moldue.

-Non !

Au vu du sourire malsain qui défigura le visage de Tobias, celui-ci pensait que le « Non ! » de Severus exprimait son désaccord.

De toute évidence, il se trompait.

Par ce « Non », ces simples lettres, Severus n'avait pu camoufler son étonnement. Jamais il n'aurait pensé que son père paierait pour son bien-être. Il y aurait du sortilège de confusion dans l'air que ça ne l'étonnerait pas.

-Pas de « non » qui tienne. Fais tes valises, tu pars demain.

Tobias jeta une brochure au visage de Severus.

-Ne va pas t'imaginer quoique ce soit. Ce sont les parents d'Eileen qui ont financé ton voyage. C'est un endroit plutôt luxueux, alors tâche d'être présentable.

Et si je ne le suis pas, on aura qu'à mettre ça sur le dos de l'hérédité...

La main de Tobias entra violemment en contact avec l'arrière de la tête de Severus (il aurait aimé y déceler une quelconque marque d'affection à l'instar de sa mère mais sans succès), puis, non sans lancer un dernier regard méprisant à son fils, Tobias Rogue tourna les talons et sortit de sa maison.

Voilà comment Severus s'était retrouvé devant le portail de la « colonie des joyeux écureuils ».

En feuilletant la brochure la veille, il s'était presque demandé si sauter du haut de l'avion qui l'avait amené dans le sud des Landes n'aurait pas été une option plus alléchante…

Il regardait pour la énième fois le dépliant. Sur un fond vert, s'étalait en grosses lettres marron

« Colonie des joyeux écureuils : le bonheur et la gaieté à portée de patte. »

Il leva un sourcil, se disant qu'ils auraient au moins pu trouver un slogan digne de ce nom : faute d'avoir du goût, ils auraient prouvé qu'ils avaient de l'imagination.

Sous le slogan était représenté un écureuil cartoonisé vêtu d'une veste de pécheur verte (Severus frémit rien qu'à l'idée de se représenter avec cette veste sur un bateau de pèche, entouré de trente Moldus.). Il arborait un sourire terrifiant, presque hypocrite (que toute personne heureuse et remplie de joie de vivre aurait identifié comme un sourire chaleureux) ainsi que d'énormes yeux verts. Le futur maître des potions soupira de lassitude : il allait passer deux semaines sans ses parents soit, mais entouré de crétins débordant de joie à vous en donner la nausée incapables de représenter convenablement un écureuil sur une brochure. Youpi tralala.

-Hey, salut toi !

La voix enjouée fit sursauter Severus.

Ce dernier se retourna afin de voir qui osait le déranger en pleine méditation. Qui que ce soit, il allait vite fait retourne en haut de son arbre, en compagnie des autres écureuils timbrés.

Mais l'autre garçon, aux cheveux aussi noirs que ceux de Severus et aux yeux bleus ne prêta pas attention au regard meurtrier de son interlocuteur et poursuivit son entrée.

-Alors comme ça, toi aussi t'es en avance ?