Ça fait tellement longtemps que ce bonus est écrit et attend sagement sur mon ordinateur, je ne peux pas résister à l'envie de vous le laisser malgré tout. Et j'en profite pour le poster un mercredi, en souvenir de tous ces chapitres postés le mercredi !
Bien sûr, il se déroule avant le chapitre précédent puisqu'il a lieu avant la naissance de Carlie ;)
Bonne lecture, j'espère qu'il vous plaira malgré qu'il soit très court !
Je viens d'une famille nombreuse. Non, pas nombreuse comme vous les humains l'entendez avec juste cinq ou six enfants. Moi je veux dire vraiment nombreuse. Pour tout dire, j'ai une cinquantaine de frères. Jumeaux en plus. D'ailleurs, on est presque siamois parce qu'on reste collés ensemble une bonne partie de notre vie. Jusqu'à ce que l'un de vous, humain, décidiez d'arracher l'un d'entre nous. Cruellement et sans la moindre délicatesse.
TCHAC.
D'un geste sec, nous nous retrouvons privés d'un de nos frères.
Sinon, j'ai aussi des centaines de milliards de milliers de cousins plus ou moins proche à travers le monde. Nous ne nous ressemblons pas toujours. On nous différencie souvent par la couleur ou par la taille. La forme aussi peut varier. Moi, je suis jaune et carré.
Je suis un post-it banal quoi.
J'ai commencé ma vie dans une usine, bien au chaud entre tous mes frères. Puis nous avons été emballés dans une caisse en carton et de là, on nous a envoyés dans un magasin. Placé dans un rayon, j'ai vu des blocs composés de mes frères non-jumeaux se faire emporter. Puis ce fut notre tour.
C'est une femme au visage chaleureux et souriant qui nous a emportés chez elle.
Elle nous a placé sur le bureau et la dispersion commença. De temps en temps, quelqu'un – cette famille est composée de sept personnes – venait arracher un de mes frères, l'emportant on ne savait où.
Pour un post-it comme moi, trois destins funestes se démarquent.
Le premier, c'est quand on nous note quelque chose dessus, en aide-mémoire, et où on finit par nous jeter au bout de quelques jours, ou heures.
Le second, c'est quand on sert de marque page dans un livre, dictionnaire ou encore pour un travail scolaire. C'est le destin qui nous assure la plus longue vie.
Le troisième, et c'est le pire de tous, c'est quand nous sommes arrachés simplement parce que quelqu'un s'ennuie et qu'il veut s'occuper les doigts. Dans ce cas, on se retrouve froissé, chiffonné et parfois même découpé en petits morceaux et au final, nous n'avons servi à rien. Triste destin.
Les jours s'écoulèrent, mes frères disparaissant les uns après les autres et certaines choses changèrent. On finit par nous enlever de sur le bureau pour nous placer dans un tiroir et nous nous sommes retrouvés dans le noir complet.
Puis un jour, ce fut mon tour d'être au-dessus. J'étais le prochain.
Angoissé, j'attendais que des doigts viennent m'arracher, me séparant de mes frères. Je me demandais aussi comment j'allais finir. Qui allait le faire.
Ce fut la gentille dame qui nous avait acheté. Elle était très belle, et je me dis que ce n'était pas si mal que ce soit son visage, le dernier que je verrais. Elle ne m'arracha pas tout de suite, mais nous prit mes frères et moi avant de s'asseoir à une table, visiblement hésitante. Sa main droite tenait un stylo et je fus rassuré de savoir que je ne serai pas déchiqueté. Pas tout de suite en tout cas.
Finalement, la femme se décida. Elle s'arma de son stylo et, d'une écriture soignée, elle m'écrit dessus.
« Avis aux intéressés,
Les essais « bébé » ont officiellement commencer. Toute remarque, même négative, à ce sujet est la bienvenue tant qu'elle est formulée de manière calme et polie. Plus aucune dispute ne sera tolérée et tout débordement sera sanctionné.
PS : Emmett, je n'achèterais plus de mousses au chocolat tant que tu en engloutiras cinq par jour. »
Après cela, elle me décrocha et me colla sur le frigo avant de me sourire.
-Porte-nous chance, chuchota-t-elle avant de quitter la pièce.
Les heures passèrent dans un calme complet au début et je compris que seule la gentille dame était présente dans la maison, ainsi que le gros machin remuant et plein de poils. Puis le bruit de la porte d'entrée se fit entendre et je me préparais à remplir mon rôle : transmettre le message qui était inscrit sur moi à ses destinataires.
oOoOoOo
Le premier à s'approcher était grand. Très grand. Ses cheveux étaient noirs et bouclés. Il fonça droit dans ma direction, mais ne m'accorda même pas un coup d'œil. A la place, il ouvrit grand le frigo et le fouilla pendant plusieurs minutes avant de ressortir la tête, dépité.
-Mais, il n'y a plus de mousses au chocolat ! s'exclama-t-il, outré par cette découverte.
Et il repartit sans même m'avoir vu.
oOoOoOo
Le deuxième était grand aussi. Moins que le premier, mais grand quand même. Ses cheveux étaient blonds. A la différence du premier, il n'ouvrit pas le frigo. Il était clair qu'il n'était venu jusqu'ici que pour moi. Il me lut rapidement et pinça les lèvres, sans commenter. Mon message était peut-être passé, mais il ne lui plaisait pas.
Et il repartit lui aussi.
oOoOoOo
Je dû attendre une heure – pendant laquelle le premier revint deux fois, mais il ne me vit à aucune d'entre elles – avant qu'une troisième personne ne me lise. C'était une fille. Blonde. Belle. Très belle. Trop belle. Si un post-it pouvait tomber amoureux, je le serais sans doute.
Elle prit un yaourt à la fraise dans le frigo et, en le refermant, elle m'aperçut. Elle me lut à son tour avant de repartir en haussant les épaules, en quête d'une petite cuillère.
oOoOoOo
Le quatrième – un garçon avec des cheveux vaguement orange – arriva peu après, fouilla rapidement le frigo avant d'en sortir la tête.
« — Non Emmett, je n'en vois pas ! cria-t-il à travers la maison. Tu as du toutes les manger ! »
Puis, son regard se dirigea vers moi, visiblement attiré par ma couleur. Il me lut attentivement, trois fois. Ensuite, il marmonna quelque chose et quitta précipitamment la cuisine.
oOoOoOo
Il revint quelques instants plus tard, accompagné d'une sorte de petit lutin aux cheveux noirs qui partaient en pics. Il me fallut quelques minutes pour réaliser qu'il s'agissait en fait d'une fille. Celle-ci me lut, les yeux luisant de colère.
Je me sentis frémir à son expression, comprenant que ma fin était arrivée. D'un geste brusque, elle m'arracha et me déchira en deux, puis en quatre, puis en huit, et ce jusqu'à ce que mes morceaux soient trop petits pour que ce monstre puisse continuer. Alors, elle froissa tous mes morceaux avec fureur et nous jeta dans la poubelle.
oOoOoOo
La poubelle avait apparemment été vidée récemment, et je compris que j'allais devoir y rester longtemps avant qu'elle ne se remplisse à nouveau.
Mais j'avais tort. Le garçon gigantesque du début s'en empara et la retourna, ramassant mes petits bouts un à un, l'air paniqué. Derrière lui se tenait le garçon aux cheveux orange et – horreur ! - le lutin démoniaque.
« — Mais Alice, pourquoi tu l'as déchiré ? gémit le plus grand. »
Il essayait – en vain – de me recomposer pour pouvoir me lire à nouveau.
« — Laisse tomber Emmett, je t'ai dit qu'elle n'en rachèterait pas tant que tu en mangeras cinq par jour. Et puis, tu trouves vraiment que c'était l'information la plus important à retenir ?
— Bien sûr que oui ! s'exclama le grand avant de m'abandonner là et de partir précipitamment. Esmé ! Je n'en mangerai plus que trois ! C'est promis ! Mais vas-en racheter ! Esmé! »
Les deux autres quittèrent également la pièce en soupirant et je restai là, étalé sur le sol, me demandant ce qu'il allait advenir de moi.
C'est alors que le gros machin remuant et plein de poils se jeta littéralement sur mes morceaux et, avec une joie palpable, il m'avala à l'aide de sa langue gluante.
Et ce fut la fin de ma triste vie de post-it.