Leçon 21: ... Mais vivre malgré tout

«Pourquoi?» demanda mon père. Je ne lui répondis pas, mais il accéda tout de même à ma requête. Trois semaines plus tard, en revenant travailler, c'est Philips qui me posa cette question.

Je me préparai un thé en salle de pause lorsqu'il apparut au seuil de la porte, prononçant ce simple mot. Il n'y avait ni colère, ni ressentiment dans sa voix. Cela m'étonnai. À sa place, s'il avait changé de coéquipier sans même m'en parler, je lui en aurais voulu à mort. Je saisis ma tasse et allai m'appuyer contre le rebord d'une fausse fenêtre. Coïncidence étrange, le temps faisant papier peint s'accordait parfaitement avec mon humeur et était proprement dégueulasse.

Je levai la tête. Il s'était adossé au chambranle et me fixait. Je soupirai, renonçant à ma nonchalance factice et grognai, frustrée.

«Tu sais pourquoi. (Comme il restait muet, je continuai) On est incapable d'être professionnel ensemble. On se met en danger et on met en danger les gens qu'on a juré de protéger. Je veux pas avoir la mort de qui que ce soit sur ma conscience. Je comprends même pas pourquoi tu ne l'as pas fait dès que ta mémoire est revenue.»

Il eut un sourire et je lus dans ses prunelles sombres qu'il me traitait de menteuse. Je m'empourprai et détournai la tête.

«Tu as bien fait.» dit-il, enfin.

Par la suite, j'entendis dire qu'il avait commencé à travailler avec Springtree dont le partenaire était parti à la retraite. Il bossait de nuit, moi de jour: c'est à peine si nous nous croisions.

Un soir, ayant finalement réalisé qu'on ne luttait pas contre quelque chose de plus fort que soi, je partis plus tôt du Ministère et allai chez Philips.

Il parut étonné de me voir au pas de sa porte et je dis la première chose qui me vint à l'esprit.

«Je venais te rendre tes clés.»

Il sembla encore plus surpris et s'écarta pour me laisser passer. J'entrai, déposai le fameux trousseau sur une petite table et m'approchai du canapé. Son appartement m'avait manqué, tout comme lui, son calme, sa voix...

«Tu veux une bière?

-Oui, merci.»

Il se dirigea vers la cuisine tandis que je m'asseyais sur le divan. Il me tendit une bouteille et je le remerciai d'un sourire crispé. Il resta debout, appuyé au mur, sans rien dire. Sans boire non plus, puisqu'il devait bientôt partir travailler.

Le silence devint vite insupportable, mais je restais là, incapable de parler, de le regarder, triturant mes doigts. Il finit par déclarer, constatant cela comme s'il s'agissait d'une chose anodine.

«Ce n'est pas en train de s'améliorer.»

Je ris tout bas et levai la tête pour confirmer:

«Non, ça ne s'améliore pas.»

Tous les mots que j'avais imaginé dire s'embrouillaient dans ma tête. Je les laissai filer, mais je restais consciente que c'était à mon tour de sauter sur un balai et de voir si je savais voler.

«Je... On... Je...»

Je savais bien que j'aurais dû arrêter les frais immédiatement, mais je ne pouvais m'y résoudre. Ce petit jeu devait s'arrêter. Alors, je me lançai, sans réfléchir, sans complexes, sans honte.

«Je pourrais travailler de nuit, ou toi de jour. On ferait nos services et on partirait ensemble. Et on resterait ensemble. Parce que, sinon, tout ça n'a aucun sens, tu ne crois pas?»

Je fermai les yeux. Les seuls bruits que j'entendais étaient les battements de mon coeur affolé. Je commençais à avoir le tournis, mais je continuais à essayer de me convaincre que j'avais bien fait. Chaque seconde qui filait semblait pourtant me donner tort...

«Tu es...»

Une sonnerie résonna bruyamment et je sursautai comme une gamine impressionnable. J'étais Auror, bordel! Cette pensée me fit relever la tête et, à mon tour, je le fixai.

«Il faut que j'aille bosser.» soupira t-il, et quelque chose se brisa en moi.

J'acquiesçai, dévastée et épuisée. La fatigue de cette journée, la fatigue de toute cette année s'abattit d'un coup sur mes épaules. Je l'observai vaguement ramasser son sac et une veste.

«Tu veux bien m'attendre ici et qu'on en parle après?»

J'opinai à nouveau du chef, même si je savais déjà que je sortirais quelques minutes après lui, que je retournerais dans mon appartement et dormirais jusqu'à tout oublier. J'entendis claquer la porte sans réagir. Au bout d'une minute, je me levai, ravalant des larmes brûlantes, m'efforçant de ne pas pleurer. Si je commençais, je n'étais pas sûre de pouvoir m'arrêter un jour.

Je n'eus pas le temps de faire un pas que la porte se rouvrit et mon coeur, ce vieux fourbe, cogna plus fort, plein d'espoir. Philips, la main toujours sur la poignée, ouvrit la bouche, interrogateur. Puis, il secoua la tête, sourit et fit un pas en avant. Et un autre. Et encore un autre. Les yeux grands ouverts, ne comprenant pas, n'arrivant pas à comprendre, je le regardai approcher.

Il se tenait, là, debout, aussi rassurant et effrayant qu'à l'accoutumée, un sourire en coin, beau, charmeur, fascinant.

J'adore la conjugaison

Et alors que c'est à moi d'avancer vers lui, je pense justement à ces pas qu'il a fait dans ma direction, ces pas qui ont tout changé. Nous nous regardons et je sais. Je sais avec une clarté infinie que ma place est avec lui. Pour le meilleur et pour le pire. Je le sais, je l'avais compris il y avait des années de ça. Pourtant, nous n'avions jamais franchi cette étape. Nous avons commencé à y penser le jour où la petite Emily nous a demandé pourquoi son papa et sa maman ne portait pas le même nom. Nous avons commencé pour elle et continué pour nous. Il faut dire, qu'en amour, il est un peu possessif et ça ne me déplaît pas. Au contraire, ça me plaît à en crever... Je suis finalement en face de lui, mais je le lâche un peu des yeux pour regarder notre fille. Folle de joie sur les genoux d'un de ses oncles, elle ne tient pas en place. Je ris doucement et reporte mon attention sur la cérémonie en pensant ces petits mots merveilleux dont je ne me lasserais jamais: lui, moi, elle, nous trois.


Si la fin semble rapide, c'est que je n'ais jamais su écrire les fins. A l'origine, j'en avais imaginé une autre, mais c'était long et j'aurais encore fait souffrir cette pauvre Lily. Là, au moins, elle a une jolie happy end!

Bravo d'être arrivé jusque là et si vous avez deux petites minutes, reviewez!