Auteur : Choupette
Titre : Des bleus sur nos coeurs
Disclaimer : Si l'un d'entre eux était à moi ça se saurait.
Tout est parti d'une idée qui me trottait dans la tête le matin lorsque je prenais ma douche. Reste à savoir si ma salle de bain est un bon lieu d'inspiration ou si j'aurais du me retenir de mettre tout ça sur papier.
Un grand merci à ma chtiote Naiaa, enfin Yael Lune Nonatsu,qui a eu la patience de tout corriger. Merci également à ceux qui auront la patience de lire.
Chapitre 1
Le brouhaha couvrait la musique. Les discussions s'entremêlaient avec le bruit des couverts et le tintement des verres remplis de champagne. Des éclats de rire, des exclamations soudaines et des mots chuchotés s'élevaient de la multitude de petits groupes disséminés ça et là, dissimulant sarcasmes et ragots. Des hommes en costumes noirs, des femmes en robes de soirée richement parées, des pique-assiettes agglutinés autour du buffet : une soirée banale de la haute société. Les lustres en cristal éclairaient la pièce sans que personne ne s'aperçoive de leur éclat. Passaient également inaperçus, pour ces personnes bien trop riches et habituées au luxe, les couverts en argent, la vaisselle de porcelaine, le carrelage importé d'Italie. Tout cela était normal, tout cela leur était du.
« Quelle bande d'hypocrites et de lèches bottes ! »
Retiré dans un coin de la salle, un jeune homme d'environ vingt-cinq ans, nonchalamment adossé contre un mur, vida sa coupe de champagne d'un seul trait. Son vis-à-vis se tourna vers lui, un éclat amusé brillant dans des yeux turquoise.
« Comme si tu étais venu sans avoir une idée derrière la tête, Heero.
- Quatre, voyons tu exagères. C'est l'anniversaire de mon père… J'étais malheureusement obligé de venir. Crois-tu réellement que j'ai fait le déplacement jusqu'ici uniquement pour le plaisir de le voir. Je me serais volontiers passé de tout cela. »
Un sourire ironique se dessina sur ses lèvres allant de paire avec la froideur de son regard.
« Cela fait presque deux ans que je gère la filière du groupe au Japon et j'aimerais passer à autre chose. Sait-on jamais, si je satisfais quelques unes de ses exigences, comme être ici ce soir, peut-être se décidera-t-il à prendre sa retraite et à me laisser les rênes de la société.
- Ton altruisme fait peur à voir. S'il t'a invité, c'est qu'il voulait te voir…
- Je ne pense pas. Il aurait été de mauvais ton que son fils et successeur soit absent le jour de ses cinquante ans.
- Désespérant. Essaie au moins de faire illusion le temps d'une soirée. Souris un peu. »
Une grimace apparut sur le visage aux traits asiatiques.
« Cela te va ?
- Je ne pense pas que tu puisses faire mieux de toute manière.
- Tout le monde n'a pas ta gueule d'ange, ni tes cheveux blonds et tes yeux bleus, M. Winner.
- Fais au moins un effort. Si ce n'est pour lui, fais-le pour nous. Cette salle regroupe les associés et les partenaires de ton père, ainsi que tous les requins de la finance de New York. Il y a sûrement des informations à glaner que ce soit pour ta future compagnie ou la Winner Corp. »
Heero hocha la tête alors que son ami remettait son nœud papillon droit. Quatre était un redoutable homme d'affaire qui pouvait convaincre n'importe qui d'exaucer la moindre de ses volontés. Heero était bien heureux d'être l'un de ses futurs partenaires plutôt que l'un de ses nombreux ennemis. Le père de Quatre avait légué à son fiston la plus grande chaîne d'hôtels des Etats-Unis et d'Europe (hôtels accessibles uniquement à une élite triée selon le nombre de zéros existants sur leurs comptes en banque), ainsi que quelques puits de pétrole au Moyen-Orient dont le jeune homme avait pris grand soin et qui lui rapportaient des millions chaque année.
Heero, lui, allait hériter d'ici peu (du moins, l'espérait-il) d'une compagnie de transport mondiale. Le pétrole avait besoin d'être acheminé et les moyens de transport avaient besoin d'essence. Heero et Quatre étaient faits pour s'entendre, au-delà du fait qu'ils étaient amis depuis bien des années. Il fallait juste que Odin Lowe, son père, décide de se retirer pour de bon.
Heero se laissa entraîner dans la foule et surtout par Quatre bien plus l'aise avec l'hypocrisie ambiante. Commencèrent alors ronds de jambe, faux-semblants et flatteries que même le tempérament froid et intransigeant d'Heero Yuy savait dissimuler sous des sourires lorsque les discussions faisaient état de millions de dollar.
« M. le député, vous avez l'air en pleine forme [et votre bedaine aussi]. »
« Mlle Une, quelle robe somptueuse [dommage que vos macarons capillaires lui fassent de l'ombre]. »
« M. J, je n'ai pas vu votre femme, est-elle souffrante ? [Ou avec son amant ?] »
Au bout de deux heures, Heero avait mal aux joues à force de sourire et il lui était de plus en plus difficile de ne pas se débarrasser de ces gens si imbus d'eux-mêmes par quelques paroles bien senties. Il s'exila aussi vite que possible sur la terrasse, s'accoudant à la balustrade, il respira l'air de la nuit, essayant de se calmer, soulagé par la fraîcheur nocturne. Il sentit une présence derrière lui, quelqu'un de familier.
« J'ai bien cru que tu allais lui enfoncer un petit four dans la gorge.
- Cette Dorothy n'est qu'une dinde… Ne crois-tu pas que j'aurais eu raison de le faire, Wufeï ?
- Si, mais le destin a voulu, heureusement pour elle, que son père possède des parts importantes de la compagnie.
- C'est, malheureusement pour moi, exact. »
Le nouvel arrivant, d'origine chinoise, s'approcha un peu plus en souriant.
« Comment va ma tante ?
- Ma mère se porte au mieux, elle est donc infecte et médisante. Je te déconseille d'aller la voir.
- Il y a des choses qui ne changeront donc jamais… D'autres pourtant ont l'air différentes. J'ai parlé à ton père, il est… radieux, je ne l'avais jamais vu comme ça.
- Tant mieux pour lui. À vrai dire, il ne m'a pas encore adressé la parole de la soirée. Il y a tellement de monde.
- Ta présence lui fait très plaisir. Il m'a dit qu'il t'avait souvent demandé ces derniers mois, mais que tu n'étais jamais venu le voir.
- J'étais très occupé.
- À l'éviter comme tu le fais avec ta mère ?
- Tu l'as dit toi-même : il y a des choses qui ne changent pas. Cela va faire quinze ans qu'ils sont séparés. Mon père est devenu glacial, son passe-temps préféré étant de me reprocher chacun de mes actes et ma très chère mère est devenue une femme aigrie, enlaidie par la méchanceté, crachant son venin sur tout le monde et toujours déterminée à pomper le maximum de fric à père.
- Joli portrait de famille. J'ai vraiment trouvé que ton père était différent ces derniers temps, tu devrais lui parler.
- Tu ne vas pas t'y mettre, on dirait…
- Moi ! »
Quatre s'avança, deux coupes de champagnes dans les mains. Il en tendit une à Heero.
« Bonsoir, Wufeï.
- Quatre. Comment vas-tu ?
- Très bien.
- Toujours avec… quel était son nom ? Tes amants restent si peu de temps que je ne retiens jamais leurs prénoms.
- Xavier. Non, c'est fini. Même si les français sont à la hauteur de leur réputation, il n'y avait que ça de bien chez lui. Par contre, j'ai repéré deux ou trois apollons ce soir. Je ne rentrerais sûrement pas seul.
- Dépravé. »
Heero se mit à sourire alors que ses deux amis se chamaillaient sur la débauche de Quatre. C'était comme cela à chaque fois qu'ils se croisaient et cela n'allait jamais très loin. Heero ne prenait pas parti, il affectionnait cette débauche autant que Quatre, mais de manière plus discrète. Quatre et Wufeï s'appréciaient autant qu'ils se querellaient.
Ses yeux errèrent sur la salle, désabusés par toutes ces personnes qui choisissaient leurs amis en fonction du nombre de cartes de crédit qu'ils possédaient. Ils se ressemblaient tous : ces mêmes sourires factices, cette même cupidité dans le regard.
Combien de temps faudrait-il avant que Quatre et lui soient exactement comme eux.
Un mouvement attira son regard sur l'escalier qui dominait la salle et était normalement interdit, un spectateur qu'Heero n'avait pas remarqué jusqu'à ce moment-là. Un costume noir avec une chemise de la même couleur, des cheveux longs tressés et des yeux dont il n'arrivait malheureusement pas à déterminer la couleur à cause de la distance.
« L'un de vous sait de qui il s'agit ? »
Son ami et son cousin se retournèrent suivant son regard.
« Aucune idée, il n'est jamais passé dans mon lit, c'est d'ailleurs bien dommage. »
Wufeï leva les yeux au ciel devant la remarque de l'héritier Winner et son manque de tact.
« Mais je ne pense pas qu'il soit difficile de remédier à ça.
- Pas touche, Quatre. Premier arrivé, premier servi.
- Tu veux faire la course, Heero ?
- Tu vas encore perdre. Messieurs, je vous laisse, je viens peut-être de trouver un intérêt à cette soirée. »
Heero vida encore une coupe puis retourna dans la salle, intrigué par le jeune homme qui ne semblait pas vouloir quitter son perchoir, invisible aux yeux de tous alors que rien n'échappait aux siens. Il posa sa coupe vide pour en prendre deux pleines et grimpa les escaliers. Une fois en haut, il s'avança doucement, étudiant le visage et la silhouette de l'inconnu, son sourire et ses yeux violines.
« Puis-je vous offrir à boire ? »
L'inconnu sursauta avant de se mettre à sourire.
« Je ne vous avais pas entendu.
- Désolé de vous avoir fait peur. Une coupe de champagne ?
- Volontiers. »
Heero lui donna le verre prenant un soin particulier à ce que leurs doigts se frôlent, à sentir la douceur de sa peau. Si la soirée avait été affreusement ennuyante, Heero se voyait déjà passer une nuit beaucoup plus ludique avec ce jeune homme magnifique. En plus d'être beau, il paraissait bien différent des personnes présentes ce soir. Tout dans sa façon d'être et de se tenir l'excluait du monde auquel Heero appartenait. Avant qu'il ne l'interrompe dans ses pensées, le jeune homme semblait juste heureux d'être là, rien de plus.
« Il est regrettable que nous n'ayons déjà été présentés.
- Regrettable… C'est très exagéré. »
Un sourire s'étira sur les lèvres de l'inconnu. Heero sentit une pointe d'orgueil le piquer. Le natté voulait apparemment jouer et Heero n'aimait pas perdre. Duo but une gorgée de champagne.
« Peut-on savoir à qui ai-je l'honneur ?
- À un ami de votre père, Heero.
- Je suis démasqué.
- Vos intentions à mon égard également. »
Le natté souriait toujours, taquin. Heero ne savait s'il devait prendre son attitude pour une invitation déguisée ou pour une déclaration de guerre. L'inconnu reprit la parole.
« Il est normal que je vous connaisse, comme je connais toutes les personnes présentes. J'ai organisé cette soirée pour votre père.
- Pourquoi avoir fait cela pour lui ?
- Vous pensez qu'il ne le mérite pas ?
- Ce n'est pas cela… Il ne me semble pas avoir jamais entendu parler de vous or pour organiser tout ça, il faut bien le connaître. Par exemple, les plats du buffet sont ses préférés et la majeure partie des invités fait partie de ses proches sur le plan professionnel et personnel.
- Vous avez remarqué tout ça. Pourtant, votre père est un homme que vous prenez soin d'ignorer et qui est censé vous indifférer. Vous avez même repris le nom de votre mère et n'habitez plus ici depuis dix ans si je ne m'abuse. Est-ce un miracle que vous ayez remarqué le choix des petits fours ? »
Le sourire de l'inconnu avait disparu. Heero était prêt à exploser de colère. Comment cet individu osait-il lui parler ainsi ? Sa perspicacité et ce ton ironique et moqueur le remplissaient de rage. Tout ce qu'il voulait c'était une partie de jambes en l'air et à la place, il se faisait sermonner par un homme plus jeune que lui.
« Qu'est-ce qui vous permet de me parler ainsi ?
- Je vous ai fâché. Excusez-moi, ce n'était pas ce que je voulais.
- J'avais pourtant bien compris le contraire.
- Vous m'avez attaqué en premier après tout.
- Quoi ?! Il ne me semble pas vous avoir fait la moindre remarque.
- Quand quelqu'un m'approche dans l'unique but de me sauter, je prends cela pour une attaque. De plus, je suis déjà pris et très heureux avec mon compagnon. Passez une bonne soirée M. Yuy. »
Sur un dernier sourire, l'inconnu descendit les escaliers et s'éclipsa laissant Heero bouillonner de rage, les poings serrés, prêt à les envoyer dans le premier visage qui ne lui reviendrait pas. Du rez-de-chaussée, Quatre et Wufeï observaient la scène.
« Je crois que Heero vient d'être vertement remis à sa place.
- Ce jeune homme à la natte doit avoir plus de moralité que vous. Quoiqu'il ait dit, cela ne devait pas être démérité.
- M. Chasteté va pouvoir se faire un nouvel ami. »
Le blond et le brun se regardèrent avec défi avant que leur dispute reprenne. La soirée défila, tirant sur sa fin. Heero, furieux, était parti se réfugier dans son ancienne chambre, identique malgré les années qui avaient passées. Il avait ôté sa veste et enlevé sa chemise de son pantalon pour être plus à l'aise avant d'écouter la rumeur de la foule s'amenuiser puis la musique s'arrêter. Son père avait dû saluer tous les invités en les raccompagnant jusqu' à leur voiture. Avec un peu de chance, l'inconnu se serait également envolé. Heero espérait le revoir pour prendre sa revanche, mais pas tout de suite.
Lorsqu'il descendit, le traiteur et les serveurs étaient également partis. Il aperçu Kate et William, les domestiques de la maison, qui faisaient le ménage. Heero sourit, il les connaissait depuis toujours. Ces derniers géraient et s'occupaient de la maison et de la propriété de plusieurs dizaines d'hectares. Kate était un petit bout de femme énergique qui avait souvent couru après le petit Heero pour lui mettre une fessée. William était un colosse aux cheveux poivre et sel au service de son père depuis plus de trente ans. Heero les contourna, remettant les retrouvailles à plus tard.
Il était cinq heures du matin et le soleil se lèverait bientôt. Il se dirigea vers la cuisine pour se faire un café. Vu l'heure, ce n'était plus la peine de se coucher. Il passa la porte.
« Tiens, Heero.
- Père.
- Tu veux un café ?
- C'est ce que j'étais venu chercher. »
Son père lui sourit, le surprenant un peu et s'affaira. Heero s'assit sur un tabouret près du plan de travail au centre de la cuisine et le regarda faire. Il y avait longtemps qu'ils ne s'étaient pas retrouvés seuls tous les deux, longtemps qu'Heero n'avait pas regardé son père.
Odin Lowe avait des yeux bleus, presque noirs et était encore robuste pour son âge. Il avait conservé sa ligne de jeune homme contrastant avec tous les bedonnants de ce soir. Son charme qui faisait sa réputation auprès de la gent féminine était accentué par ses cheveux argentés qui lui donnaient un air distingué. Heero n'avait jamais compris pourquoi son père ne s'était jamais remarié alors que la plupart des femmes étaient à ses pieds. Accoudé au plan de travail, il remarqua tout de même quelques changements : si ses yeux pétillaient d'une joie qu'Heero ne lui avait jamais connu, ses traits étaient tirés et ses joues s'étaient légèrement creusées. Le passage du temps n'épargnait personne et l'argent ne pouvait rien faire à ça.
Une tasse de café fumant atterrit devant son nez et son père s'assit face à lui.
« Alors, comment va mon fils ?
- Bien, ce qui est également ton cas à ce que je vois.
- En effet. Quelles nouvelles ? Comment va notre mégère nationale ?
- Elle te hait toujours autant si c'est ce que tu veux savoir et s'est trouvé un nouveau pigeon pour subvenir à ses besoins.
- Le pauvre. Tu es toujours dans le même appartement ?
- Oui.
- Tu as reçu mes messages ?
- Oui. J'étais très occupé, le travail.
- Hum, il n'y a pas que le travail dans la vie.
- C'est toi qui dis ça alors que tu n'as pas pris de vacances ces vingt dernières années.
- J'en prendrais bientôt… définitivement. »
Heero but une gorgée de café, gardant un visage imperturbable alors qu'il bouillait intérieurement de curiosité.
« C'est une bonne nouvelle pour toi, mais tu fais quand même la tête.
- Tout dépend de ta définition de « bientôt ».
- Plus tôt que tu ne le crois. Ne cache pas ta joie, je sais que c'est la seule chose que tu attends de moi.
- Le fait que tu dises ça avec le sourire m'inquiète.
- Tu as toujours été si méfiant, faire confiance aux gens n'a jamais tué personne.
- César avait confiance en Brutus me semble-t-il. »
Le visage de son père s'était fermé. Heero sut qu'il avait fait mouche sans en tirer aucune satisfaction cependant. Kate entra avant qu'Odin n'ait pu répliquer.
« Heero ! Tu es venu !
- Comme tu peux le voir.
- Comment vas-tu mon petit bichon ?
- Par pitié, ne m'appelle plus ainsi. »
Kate s'était avancée pour faire un câlin à Heero qui espérait que ce cauchemar allait s'arrêter. Odin était ravi de ce spectacle, mais le quitta lorsque Kate lança un regard vers la porte menant à la salle de réception. Il laissa Heero avec sa ventouse humaine et en entrant dans la salle, vit avec satisfaction que tout était presque rangé. Il n'y avait plus qu'à passer un coup de balais, la serpillière et remettre les meubles. Il fit signe à William d'arrêter le ménage, le reste pouvait bien attendre quelques heures et surtout le balai était inaccessible.
Il n'entendit pas Heero qui avait réussi à le suivre malgré son ancienne nounou. Les bras croisés sur la poitrine, Odin observait le centre de la pièce. S'il s'était retourné à cet instant, il aurait pu voir la mâchoire de son fils s'affaisser légèrement et ses yeux s'agrandir de surprise juste l'espace d'une seconde. L'inconnu à la tresse était juste là. Il s'était endormi debout, accroché au balai. Son corps oscillait doucement, prêt à tomber. Odin s'avança et murmura quelques mots. Le natté lâcha le balai, s'accrochant au cou de l'homme qui le souleva sans mal le positionnant sur son dos et passant ses mains sous ses genoux.
Odin se tourna vers Heero.
« Je vais aller le coucher avant de retrouver ma chambre et dormir quelques heures. On continuera notre discussion au déjeuner.
- Oui… J'ai quelques questions à te poser. »
- // -
Heero avait réfléchi toute la matinée. Il était resté assis sur la terrasse, laissant son café refroidir à côté de lui. La retraite de son père, reprendre la société, l'identité de l'inconnu… tout tournait dans sa tête successivement, sans logique ni raison. Le regard améthyste revenait, récurant, perturbant ses pensées, l'irritant un peu plus. Il était rare qu'il n'obtienne pas ce qu'il voulait et il détestait encore plus que quelqu'un ne le laisse pas indifférent, lui ôte la maîtrise de lui-même et mette la pagaille dans son esprit.
Il revint lentement à la réalité alors que William installait une table sur la terrasse sur laquelle Kate mit le couvert.
« On déjeune sur la terrasse maintenant ?
- Oui, dès que le temps le permet.
- Je ne me rappelle pas qu'on l'ait déjà fait.
- Monsieur y tiens beaucoup depuis quelques temps. »
Heero fronça les sourcils, se leva et alla s'asseoir à table, attendant le maître des lieux. Son esprit se perdit à nouveau. Quelqu'un descendit les escaliers, il reconnu le pas de son père, se rappelant doucement quelques souvenirs, lorsque avec ses parents ils petit déjeunaient tous les trois. Sa mère avec sa robe de chambre en soie, son père en costume prêt à aller travailler. Il tourna la tête et fut surpris de sa tenue : un simple jean et un tee-shirt blanc.
« Bonjour, Heero.
- Père… Tu es…
- Mal habillé ?
- Non, mais c'est loin de tes costumes.
- Pour rester à la maison cela suffit.
- Hn.
- Je suis allé réveiller notre petite marmotte. Nous commencerons dès qu'il sera là. Je lui ai parlé, il paraît qu'il t'a martyrisé hier soir.
- Ce serait donner trop d'importance à ses paroles de parler de martyr.
- T'aurait-il cloué le bec ?
- Quelle importance. Par contre j'aimerais bien savoir qui il est et ce qu'il fait ici. »
Odin prit le pichet sur la table et se servit de l'eau avant d'en boire quelques gorgées.
« C'est le fils d'un ami décédé que j'ai recueilli. Il s'appelle Duo, Duo Maxwell.
- Il vit ici ? Depuis quand ?
- Environ trois ans. »
Heero qui jouait négligemment avec une petite cuillère la laissa tomber dans son assiette. Trois ans… Trois ans que son père n'était plus seul dans cette maison et il n'était pas au courant. Même s'il n'était pas venu depuis des lustres, les rumeurs se propageaient généralement assez loin pour qu'Heero sache ce qu'il se passait chez lui. Il reprit sa cuillère entre ses doigts contenant son mécontentement.
« Duo… Ce n'est pas vraiment un prénom. On dirait un diminutif ridicule.
- Son prénom ne l'a pas empêché de te remettre à ta place.
- Tu veux la guerre dès le matin ?
- Voyons Heero, je te taquine.
- Bonjour. »
Une voix ensommeillée leur fit tourner la tête. Duo se tenait dans l'encadrement de la porte, les yeux encore gonflés par le sommeil, sa natte refaite en vitesse laissant s'échapper quelques mèches. Il portait la même chemise noire que la veille avec un jean très clair. Il s'assit à table encore endormi. Kate apporta l'entrée. Aucun des trois hommes ne prenaient la parole, l'un trop vaseux pour pouvoir aligner trois mots, l'autre trop en colère, s'empêchant d'ouvrir la bouche pour ne pas sortir une vacherie et le dernier, curieux de voir s'il y allait avoir confrontation. C'est finalement Duo qui se lança, les yeux rivés sur son assiette.
« Je suis désolé pour hier soir. Même si je pense avoir bien fait de vous envoyer sur les roses, je n'aurais pas du le faire ainsi. »
Heero inspira, il voulait lui rendre la pareille, le rabaisser plus bas que terre, mais le regard de son père l'en dissuada. Il ne valait mieux pas aller à l'encontre de la volonté d'Odin Lowe encore moins lorsque l'on était son fils. Le fait qu'il prenne la défense de ce Duo attisa sa colère.
« Excuses… Acceptées.
- Merci.
- Hn. »
Duo posa un pied sur sa chaise, ramenant son genou contre sa poitrine. Il fit un immense sourire au Japonais avant d'attaquer ce qu'il y avait dans son assiette. Heero qui avait été élevé strictement était outré de sa façon de se tenir à table, ainsi que de la réaction de son père. Odin ne disait rien, un regard presque paternel se posant sur le natté. Heero qui s'était pris tant de remarques et de réflexions pour une fourchette mal tenue ou un geste de travers avait du mal à comprendre l'absence de réactions de son père.
« Alors Heero, combien de temps vas-tu rester avec nous ?
- Tu veux déjà te débarrasser de moi ?
- Bien sûr que non. Tu peux rester autant que tu le souhaites. D'habitude, tu vas te réfugier dans l'appartement que tu as conservé sur New York, je suis un peu surpris que tu sois ici c'est tout. Il serait bien que tu restes, de plus tu n'auras bientôt plus besoin de retourner au Japon.
- Tu veux vraiment prendre ta retraite ?
- Je te l'ai dit. Alors, tu restes ?
- Aussi longtemps que possible.
- Bien, toi et Duo pourrez faire connaissance…
- Je ne vais pas vraiment avoir le temps de rester avec lui, Odin. »
Duo n'avait pas daigné lever le nez de son assiette, se moquant bien d'Heero.
« Tu sais bien que j'ai des examens à préparer en ce moment et d'ici deux semaines je vais devoir retourner sur le campus pour finir mes révisions et passer les examens. »
Duo avait adopté un ton froid, continuant négligemment de manger sans prêter la moindre attention au Japonais. Heero eut une forte envie de lui enfoncer sa fourchette dans la gorge et de le laisser agoniser jusqu'au dessert. Il replaça sa serviette sur ses genoux.
« Mais oui, voyons Père, tu sais bien qu'il n'a pas le temps. »
L'atmosphère s'alourdit dangereusement. Kate traversa l'orage pour apporter un plat et repartit aussitôt en ressentant la tension qu'il émanait des deux jeunes gens.
« Le fait que je connaisse bien votre père vous gêne ?
- Je trouve ta façon de lui parler aussi irrespectueuse que tes manières à table. Peu de gens sont aussi familiers avec père.
- Je ne devrais même pas le tutoyer selon toi.
- Tu te crois chez toi ici ? Tu prends plus de libertés…
- Que toi ? Ça c'est clair, car même si je le tutoie, il y autant de respect dans mes mots que de mépris dans votre façon de dire « père » quand vous vous adressez à lui. D'ailleurs Monsieur Yuy, je vous vouvoie pour cette même raison, vous tutoyer voudrait dire que je ne vous méprise pas. »
Ni Duo, ni Odin n'eurent le temps d'anticiper le coup de poing qui éjecta le natté de sa chaise. Heero quitta la table alors qu'Odin s'agenouillait auprès de Duo dont la joue tentait de rivaliser avec un arc-en-ciel.
« Ton fils est une brute.
- Tu l'as mérité, non ? Tu y as été un peu fort.
- Ai-je dis quelque chose de faux ? Je n'y peux rien, il me met hors de moi. Tu n'as peut-être pas toujours été un bon père, mais aujourd'hui il est tout sauf un bon fils.
- C'est quelque chose qui ne te regarde pas.
- Je sais, excuse-moi, mais je continue de penser que tu devrais lui parler.
- On verra… Pour l'instant, j'aimerais beaucoup que vous deveniez amis. Tu sais pourquoi c'est si important pour moi. »
Duo acquiesça, tout en massant doucement sa joue.
« Je vais me réconcilier avec lui. Je te le promets.
- Merci… Aller on va mettre de la glace sur cette joue.
- Heureusement qu'il tape comme une fille.
- Duo…
- Oui, c'est bon j'arrête les commentaires. »
-//-
Heero et Duo s'étaient ignorés pendant deux jours. Évitant de se retrouver à table ou dans quelque pièce que ce soit. Mais cela ne pouvait durer infiniment. La maison avait beau être grande, ce n'était pas non plus un château. Et puis, Kate en avait marre de faire plusieurs services pour les repas, il valait donc mieux pour les deux hommes que cette guerre cesse sous peine de ne plus avoir accès à la cuisine.
Cette nuit, Odin était partit se coucher tôt puisqu'il travaillait le lendemain. Duo s'était réfugié dans la bibliothèque où il passait le plus clair de son temps. Vers vingt-deux heures la porte s'ouvrit sur Heero qui, dès qu'il aperçut le natté, tourna les talons pour le fuir
« Attendez ! S'il vous plait… »
Heero, réticent, poussa la porte avant d'entrer et alla s'asseoir dans un fauteuil près de la fenêtre, à l'opposé du bureau où se tenait Duo.
« Nous ne sommes pas vraiment partis du bon pied tous les deux… Deux fois de suite. Pourtant, je suis sûr qu'on peut s'entendre.
- Je ne crois pas.
- Ah ? C'est comme vous voulez. Après tout, vous partez dans quelques temps… Moi je reste.
- Pourquoi ? Franchement qu'est-ce que tu fous là ? Tu n'as rien à faire dans cette maison. Mon père n'est pas le tien.
- Seriez-vous jaloux ?
- Non.
- Vous n'avez pas à l'être. L'importance que vous porte Odin est bien différente de celle qu'il me confère. Je ne vous remplacerais jamais. Si c'était un fils qu'il voyait en moi, il serait aussi implacable qu'il l'a été avec vous.
- Garde tes belles paroles. Je veux savoir ce que tu fais là. Tu as quoi ? Presque mon âge, non ? Tu pourrais très bien être indépendant, pourtant tu es là.
- Votre père m'a recueilli, il y a presque trois ans, à l'époque je n'étais pas encore majeur. J'ai quelques années de moins que vous. Je fais encore des études et n'ai personne vers qui me tourner. Votre père est bien le seul à se soucier de mon sort ou presque. Je suis là, car je n'ai nulle part où aller. »
Le silence retomba. Duo ferma le classeur qui était devant lui sous le regard d'Heero dont il avait animé la curiosité. Duo rangeait ses affaires avec soin, éclairé par la lampe du bureau. La lumière orangée jouait sur le visage du natté, créant des ombres, mettant en valeur la pâleur de son teint. Heero ressentait cette beauté presque irréelle. Duo était séduisant et semblait inaccessible, comme lorsqu'il l'avait aperçu en haut des escaliers. Tout disparaissait soudainement lorsque Duo était là, comme s'il faisait parti d'un monde à part, qu'Heero avait eu la chance d'appréhender avant qu'il ne disparaisse, une douce illusion qui perdurait alors, qu'il pouvait toucher du bout des doigts s'il le voulait, qu'il pouvait caresser si seulement il arrivait à quitter ce siège.
Il chassa les idées peu catholiques qui lui traversèrent l'esprit et qu'il savait pertinemment ne pouvoir assouvir. Ses yeux retombèrent sur les livres parsemant le bureau.
« Qu'est-ce que tu étudies ?
- Les langues. »
Heero bannit tout ce qui pouvait s'associer à ce mot et qui était alors totalement hors contexte.
« J'aimerais devenir traducteur et qui sait peut-être écrire par moi-même.
- Pourquoi avoir choisit cette filière, on ne peut pas dire que ce soit… rentable.
- On croirait entendre Odin. Tout ce que l'on fait n'est pas forcément intéressé. Je me suis découvert une passion pour la littérature. Je suis déjà trilingue et actuellement je suis en train d'ajouter deux autres langues à mon répertoire.
- Impressionnant, je ne parle qu'anglais et japonais.
- C'est déjà bien. Tu n'as pas besoin de plus, le monde des affaires ne connaît que l'anglais et le dollar.
- C'est vrai. »
Duo lui sourit et ne put retenir un bâillement.
« Je crois que je vais aller me coucher, je suis mort. Passes une bonne nuit, Heero.
- Plus de vouvoiement ?
- Je ne t'ai jamais réellement méprisé. J'étais juste en colère. Moi qui n'ai plus de parents, je ne comprenais pas pourquoi en trois ans je ne t'avais jamais vu ici. »
Le Japonais le regarda sortir. On lui avait toujours fait remarquer son indifférence envers ses parents, ce qui avait toujours eu le don de l'énerver. Personne ne pouvait interférer dans les affaires de famille et les donneurs de leçons ne savaient pas de quoi ils parlaient, ils ne le connaissaient pas, ni lui, ni son père.
Pourtant, Duo semblait les connaître.
Heero se leva et prit la direction de sa chambre. Alors qu'il se glissait entre ses draps, il se surprit à penser que lui aussi, il aimerait bien connaître Duo Maxwell.
Dois-je éviter ma salle de bain à l'avenir ?