Métamorphoses
Prologue : Cauchemars
Sueurs froides. Terreur. Panique. Se raccrocher aux draps, ou au contraire les envoyer valdinguer à travers ma vaste chambre de préfet, toute sertie d'émeraude et d'argent. Se débattre. Se cogner brutalement la tête contre le montant du lit ; se réveiller haletant, désorienté, et contempler autour de soi un véritable champ de bataille, méritant quelque médaille de mauvais goût.
Chaque nuit, c'est la même routine. Immanquablement, je finis par me lever, aussi exténué que si je n'avais pas fermé l'œil. Ces cauchemars, insondables et qui me paraissent si réels, me flanquent une frousse de tous les diables. Il n'y est pourtant jamais question de la guerre, celle qui se prépare autour de moi depuis tant de mois déjà. A moins qu'ils ne soient les conséquences du stress amer qu'elle engendre ?
Je soupire et me glisse sous la douche, savourant la fluide chaleur des ruisselets d'eau qui courent sur mon corps, tout en repensant à ces terrifiants – et ô combien réels ! – fruits de l'angoisse qui se tapie au fond de moi depuis si longtemps. Dans ces cauchemars, je suis prisonnier à l'intérieur d'une bête. Jamais la même. Il peut s'agir d'un loup, d'un renard, d'un tigre. D'un ours, d'un faucon, ou même d'une araignée. Et tant d'autres… Je suis prisonnier d'un corps bestial aux instincts primitifs, et je cours sous la lune froide et impitoyable, toute humanité envolée. Je crois que c'est cela qui me fait si peur.
Réalistes, réalistes, réalistes… ces rêves le sont tellement. Je sens tout l'intime mécanisme des corps, minuscules ou imposants, dans lesquels se glisse ma conscience. Des mécanismes d'une perfection inouïe. Les muscles qui se gonflent, les tendons qui s'étirent, les os qui se tendent, la peau qui coulisse avec une savoureuse dextérité. Le sang douloureux qui pulse avec une impersonnelle régularité dans les moindres tissus. Et je suis submergé par toutes sortes de perceptions aussi éphémères que précises, générées par les sens ou par le plus pur instinct animal, avec toutes les émotions indéchiffrables qu'il comporte. Je sens toute la sauvagerie de ces corps, toute leur volonté de survivre, de dominer. Et je m'y reconnais avec tellement de facilité que je suis secoué de tremblements, même au plus profond de mes rêves…