Should I stay or should I go ?
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Comment tout cela avait commencé, Wilkes s'en souvenait parfaitement.
C'était une question de principes et de hasard, et de grandes lois inéluctables.
C'était le grand bordel de la vie. Et de sa tête, et de sa tête à lui, et de leur tête à tous.
Et c'était faux de dire que tout avait basculé lors de la chute inattendue de Voldemort, car ça ce n'était que la fin, le point final de la trajectoire du Héros.
When they kick out your front door
How you gonna come?
With your hands on your head
Or on the trigger of your gun ?
Putain de musique électronique de merde.
Roger Wilkes avait passé la porte rouge et dévalait l'escalier aux marches en bois tordues, son sac de sport bleu et blanc à la main.
En fait, il n'était pas resté très longtemps. Il s'était laissé glisser hors du lit, tandis que Rosier regardait fixement la fenêtre blanche, le froc poisseux. Et il avait d'abord eu envie de rire, encore, puis soudain, tout avait été remplacé par la nausée, une nausée qui faisait siffler ses oreilles et pointiller l'appartement. Alors il avait pris ses affaires et était descendu. Bah, il reviendrait pas. Enfin, il ne savait pas quand il reviendrait. Il longea les poubelles et le terrain vague, passa derrière l'immeuble moldu.
Il aimait marcher. Ça le détendait. Il marchait souvent quand il était plus jeune.
Mais il avait que trois livres dans son pantalon, le con. Alors le lendemain matin, il était revenu. Rosier était assis à la table de la cuisine, en train de s'en griller une. Toujours les même cheveux dorés et le regard de voyou, avec ses boucles d'oreilles et sa chaîne argentés qui scintillaient.
« T'étais passé où ? »
« Quequ'part. »
« Et si on nous appelle, j'dis quoi moi quand tu disparais comme ça ? »
« J'sais pas, tu leur racontes c'qu'on a fait ? »
A partir de ce jour, leur expérience sur le lit devint une source de plaisanterie quotidienne pour Wilkes, qui ne se lassait pas de voir la mine déconfite de son coéquipier. Il en profitait un maximum, c'était comme un jeu, ou une vengeance. Par exemple, ils étaient dans un bar américain, avec Tony. Wilkes aspirait son milk-shake, vautré sur la table, en faisant du bruit avec sa paille, fixant Rosier de ses grands yeux bleus.
« J'te plais ? », lança-t-il d'un coup.
« Quoi ?! »
Le blond en laissa tomber son cheeseburger.
« J'te demande si j'te plais ? »
« Putain mais c'est pas parce que j'ai bandé une fois et que *par hasard* tu te trouvais dans la même pièce que… »
« T'as pas fait qu'bander, mec. T'as pris un putain de pi… »
« C'était le choc... ! », siffla Rosier.
Wilkes s'affala en arrière sur la banquette,
« Tu vois, j'en étais pas sûr pour le putain de pied. Maintenant, je sais. »
Le visage d'Evan devint rouge ; Tony monta sur son siège et enjamba Wilkes pour partir.
« Hé, moi j'me casse, vous êtes trop bi-zarres », commenta-t-il, en roulant des yeux.
Une autre fois, Wilkes lui caressa le bras – Rosier avait une peau de roux, comme lui, avec du duvet blond qui prenait la lumière.
« …Qu'est-ce que tu fais ? »
« Ben j'te touche pour voir si ça te fait d'l'effet. »
Il alla même jusqu'à le faire quand il dormait, passant la main sur la peau familière, mais musclée d'une manière drôle. Rosier se redressa d'un coup.
« Putain arrête de me p'loter bordel ! »
« T'as envie d'me baiser ? », demanda Wilkes, les yeux mi-clos.
« Quoi ? »
« Ou le contraire, c'est ça ? »
« Putain mais va chier ! »
Rosier se leva, en prenant son oreiller sans taie.
« J'vais dormir ailleurs. J'dors pas avec les pervers. »
« Y'a pas de mal, mec, j'te faisais juste une proposition. »
« Ouais, c'est ça… Fous-toi de ma gueule... Et l'pire, c'est que ça a même pas l'air de te scandaliser tout ça... »
« Ben pourquoi ça me scandaliserait ? Mon père il disait, tous les goûts sont dans la nature. »
« J'crois que les choses sont plus compliquées qu'ça. »
« Pourquoi ? La vie elle est un peu compliquée, c'est vrai, mais toi, tu la compliques encore plus. Tu t'inventes des complications. Faut pas t'étonner si t'es malheureux. »
« J'suis pas malheureux ! Et écoute-moi bien une bonne fois pour toute. J'suis pas un putain de pédé. Et on est amis toi et moi. Ce serait… sale quoi, et rien que l'idée, ça devrait t'donner envie de gerber, parce que l'amitié, c'est un truc sérieux qu'on gâche pas avec de la fesse ou des trucs dégueus d'ce genre. »
Wilkes haussa les sourcils.
« D'toute façon, ça changerait pas grand-chose, j't'ai toujours détesté... »
« Hein ? »
« J't'ai toujours détesté, mec… », répéta Wilkes en rigolant. « J'veux dire, j't'ai jamais vraiment apprécié, comme type… J'ai toujours pensé que t'étais qu'un pauv' con… »
« Quoi ? Mais tu t'fous de moi alors pourquoi t'étais ami avec moi ? Personne t'a jamais forcé à être ami avec moi ! »
Le Rouquin baissa les yeux.
« Parce que c'est nul d'être seul. »
Rosier, c'était pas le genre à montrer sa douleur. Et même qu'à force de la cacher, il ne la ressentait même plus. Il ne ressentait plus grand-chose, le pauvre.
Mais ce jour-là, ses yeux se sont mis à briller, et il a donné un coup de pied dans le bas du pieu.
« Putain mais pourquoi tu'me dis ça ?! T'as pas l'droit de m'dire ça ! »
Il lui lança son oreiller à la figure, puis se jeta sur lui pour le rouer de coups. Ce fut une nouvelle bagarre dans l'histoire de leurs bagarres. Et Wilkes finit par repartir avec son sac.
« J'm'taille, connard. J'veux plus voir ta gueule de con. »
« C'est ça, dégage », répondit Rosier en essuyant le sang qui avait coulé du coin de sa bouche.
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(à suivre)