Note : Bonsoir à tous ! Je suis un peu nerveuse, c'est la première fois que je publie sur DGM. C'est une toute petite fic de 48 pages, sans prétention. Je l'ai divisée en courts chapitres pour que ça soit plus lisible et ne pas que ça fasse « bloc ». Les flashbacks sont en italique, les pensées en gras. A part ça, j'ai fait de mon mieux pour respecter les personnages et écrire quelque chose de cohérent, pas juste un PWP. Ce n'est pas la fic du siècle, mais je crois que ça se tient. Si vous y voyez une incohérence, n'hésitez pas à me la signaler !

Spoilers : Cette fic prend en compte les scans jusqu'à la nuit 188, PAS LA 189. En effet, elle a été écrite avant sa sortie. Donc il y aura quelques petites incohérences avec la 189.

Je vous souhaite une bonne lecture !

Dédicace : Ma chère Mimi, qui m'a fait découvrir DGM et lit patiemment toutes mes fics. Merci !


« Y'a du sang sur mon piano
Y'a des bottes sur mon tempo.
Au-dessous du volcan, je l'entends, je l'entends
J'entends battre son cœur. »

Le blanc et le noir

Bernard Lavilliers


-I-

Il aime cette partition. Il la redécouvre à chaque fois qu'il la joue. Elle parvient toujours à le surprendre, malgré la logique parfaite de son enchaînement. Parfaite, c'est le mot. Chaque note est à sa place. Toutes s'envolent avec naturel, portées par les symboles de Mana, la voix claire dans son esprit et ses mains qui courent sur le clavier. Main rouge près de la main grise, Innocence et chair impure. Ce piano, c'est le seul endroit où ses deux facettes se rejoignent, savoir des Noé et devoir d'apôtre de Dieu. L'humain, lui, est tellement opprimé, coincé entre les deux, qu'il ne le trouve plus.

Une touche noire s'enfonce sous son index. Sur cette touche se brise une larme, en un millier d'éclats. Il tourne la tête pour regarder ailleurs et la quitter des yeux, cette larme qui sanglote un aveu dans chacun de ses fragments.

Une touche blanche, blottie entre deux ébènes, disparait sous son pouce. Son ongle pourpre, comme une griffe, raye sa surface parfaite. Une goutte de sang y tombe, se répand, la colore, glisse dans la rainure. Puis une autre la suit. Encore. Et encore.

Une pluie de sang martèle le clavier, imposant un tempo sinistre à la mélodie.

Il joue. Il joue à en mourir. Il joue à en devenir fou, encore plus qu'il ne l'est déjà. Le piano est son seul univers. Il n'est plus Allen, plus le Quatorzième, plus un exorciste. Il n'est qu'un meurtrier au cœur brisé, une petite fontaine de pleurs et d'hémoglobine.

Le sang coule de son œil, son œil maudit surmonté d'un pentacle. Le liquide carmin glisse le long de sa joue blanche, la souille, c'est une accusation. Accusation de voir. Accusation de connaître. D'être comme les démons qu'il a détruit par milliers, patiemment, un par un.

Le sang goutte de son torse, qu'une plaie béante ouvre à l'horizontale. C'est incongru, c'est atroce et répugnant ; sa cage thoracique est ouverte et l'on peut distinguer le cœur qui bat à l'air libre, qui vit. Un cœur intact au milieu des chairs déchirées, un cœur dont les artères et les veines scintillent d'Innocence. Il cogne contre ses os, se révolte et souffre. Il lutte pour continuer encore, malgré tout.

Le sang tombe de son front. Les sept stigmates noires en dégoulinent et teintent les cheveux blancs. Ceux-ci sont un peu trop longs, la vie qu'il mène ne lui a pas laissé le temps de les couper. Le sang goutte des pointes et glisse sur son corps, son corps qui vire au gris de cendre. Mais ce n'est pas la mort qui le prend, c'est simplement une malédiction. Quel dommage. Il aurait tellement bien accueilli la mort. Mais elle n'a pas voulu de lui.

Elle a bien voulu de l'autre, pourtant.

Ses yeux s'écarquillent, leur pupille saccade et ricane, un rictus abominable tord les commissures de ses lèvres. Les notes foisonnent, un peu désordonnées, un peu brutales. La douce berceuse s'est changée en valse de mort. Il plaque tes doigts sur le clavier avec une rage qui fait convulser ses épaules. Le cœur offert à la vue de tous palpite et se tord.

Ne pourrais-tu pas l'arracher de nouveau, Tyki ? Je ne te dirais pas non.

Puisque tu serais vivant.

Il le revoit, l'air ennuyé, suprêmement ennuyé. Si distant des gens qui passent. Il l'attend, appuyé contre un lampadaire. Est-ce encore une tentative de meurtre… ? C'est lassant, à la fin… Toujours la même chose, deux pirouettes, un cri de colère, une blessure, puis chacun retourne panser ses plaies en famille.

Pas cette fois.

Il revoit la scène…


Une œillade de velours entre deux rangées de longs cils noirs. Une cigarette au coin des lèvres, arrondies pour un baiser à la fumée. Une attitude séductrice reconnaissable entre mille. Allen se figea en le remarquant parmi la foule. Il jeta un regard affolé autour de lui pour évaluer les dégâts en cas d'attaque. C'était une place publique qui grouillait de monde. Une véritable catastrophe.

Tyki tourna la tête et fit comme s'il n'avait pas remarqué le jeune exorciste. Au contraire, Allen se crispa et enleva son gant gauche, le défiant du regard. Qu'il approche, qu'il approche seulement. Mais face à son attitude belliqueuse, son adversaire se contenta de hausser un sourcil. Il souffla un peu de fumée, puis articula lentement, pour qu'il puisse lire sur ses lèvres et le comprendre malgré le brouhaha de la foule :

« -- Je ne suis pas là pour toi, mon garçon. Tu peux partir. »

Allen en resta bouche-bée, cloué sur place par la surprise. Comment ça, « je ne suis pas là pour toi » ? Et « Tu peux partir » ? Il avait été envoyé là pour récupérer une Innocence, Tyki devait être au courant… Et c'était une occasion rêvée pour le Noé de tuer son ennemi, de se venger des blessures si douloureuses à ses bras et sa poitrine. Alors, pourquoi ce désintérêt… ? Il secoua la tête et cria dans sa direction :

« -- Je vais continuer à chercher ! »

Ce qui voulait dire : « Ne croyez pas vous en sortir comme ça. Je trouverai l'Innocence avant vous. Vous devrez vous battre. ». Tyki fit une moue vaguement déçue et alluma une autre cigarette. Allen était de plus en plus déconcerté. C'est alors qu'il remarqua que sa peau n'avait pas la teinte grisâtre des Noé, tout comme son front n'était pas stigmatisé. Il était donc là en tant qu'humain ? Ou était-ce un piège ? Après un moment d'hésitation, il décida de s'approcher. Il alla le rejoindre d'un pas décidé, en fendant la foule et écrasant quelques pieds au passage.

Le Noé le regarda arriver, toujours adossé à son lampadaire.

« -- C'est une blague ? Demanda Allen, sur la défensive. Qu'est-ce que vous faîtes là ?

-- Je ne vois pas ce qui t'étonne. Sourit tranquillement son aîné. Je n'ai pas le droit de fumer tranquille, d'avoir une petite pause ?

-- Ne me dîtes pas que vous n'êtes pas au courant pour l'Innocence, l'interrompit Allen, nerveux. Je ne vous croirai pas.

-- Et tu aurais raison ! S'esclaffa-t-il. Mais nous sommes Dimanche et il est… (Il sortit de sa veste sombre une montre à gousset) neuf heures treize. Entre neuf et onze heures, le Dimanche, je ne suis plus là pour personne, ni le Prince, ni tes amis exorcistes. »

Amusé par son air ébahi, il lui souffla un peu de fumée au visage. Allen ne put s'empêcher d'éternuer, ce qui le fit rire de nouveau.

« -- On dirait un chaton qui miaule ! Se moqua-t-il. Et dire que tu es le grand Destructeur du Temps… »

Il rit. Allen, bras ballants et yeux qui piquaient, ne savait plus que dire ou que faire. Il était partagé entre l'embarras, l'angoisse et l'envie de protester puérilement.

« -- Je ne suis pas un chaton, marmotta-t-il finalement, vexé.

-- Mais si ! Jubila Tyki. Un petit chaton avec un pelage tout blanc. »

Fermant les yeux, il tira une nouvelle bouffée.

« -- Îzu aime bien les chatons, chuchota-t-il pensivement.

-- Îzu? Le… Le petit garçon avec le masque ? »

Tyki rouvrit les yeux, étonné. Allen avait l'air embarrassé et curieux.

« -- Tu parles avec moi, maintenant ? Sourit-il. Moi qui pensais que tu ne t'abaisserais pas à discuter avec un vilain-méchant Noé… »

Le quart d'heure sonna à la cathédrale de Notre-Dame, toute proche d'eux. Quelque chose passa brièvement dans les yeux d'Allen, comme une lueur de fatigue et de tendresse mêlées.

« -- Après tout, pourquoi est-ce que je ne prendrai pas une pause, moi aussi ? Répliqua-t-il, s'appuyant d'une main au pylône. Dimanche, de neuf à onze heures, c'est ça ?

-- Oui, c'est ça, répéta le portugais, incrédule. Tu es sérieux ?

-- Très. Si j'ai bien compris, c'est le temps de trêve et après, on recommence à se taper dessus comme des chiffonniers ?

-- En gros, oui.

-- Et pendant ce temps, pas de coups fourrés, pas de cœur arraché, pas de golem carnivore ?

-- Euh… Non.

-- Très bien. Ça me va. »

Sur ce, il tendit la main et, d'un geste preste, arracha sa cigarette à Tyki avant de la jeter par terre. Hébété, l'homme commença à bégayer son indignation, mais Allen lui adressa un sourire angélique qui le coupa en plein élan.

« -- Vous abandonnez vos objectifs et votre but suprême, vous êtes donc bien capable de laisser aussi vos mauvaises habitudes. Je ne supporte pas cette odeur. »

Puis, devant l'expression hallucinée du plus âgé, il éclata de rire.


Quelqu'un a écrasée la cigarette, depuis. Personne n'a récupéré le goût de ses lèvres en la glissant entre les siennes.

Allen le regrette. Pour la première fois de sa vie, il a comme une envie de nicotine.

Ses mains dégoulinent de sang, il n'y prête pas attention. Il faut qu'il refasse tout le parcours des souvenirs, revoie chacun des gestes qu'il a donnés à Tyki, s'il veut s'en sortir. Il faut qu'il affronte la vérité en face, sans artifice.

La vérité crue, la vérité honteuse et réprouvée, la vérité de chair et de sensualité.