Auteur : Anita Klee
Catégorie: Réflexions/One-shot
Rating : Tout public
Disclaimer : Rien à moi, tout à Clamp… dommage lol.
NDLA : Premier recueil TRC, troisième fic du recueil ;)
Bonne lecture ^_^
Du bout de la plume
Elle se leva et débarassa la table, le tout en souriant.
Et lui ne put détacher son regard de la délicate silhouette qui s'affairait tout près, si près qu'il aurait pu sentir le drapé de sa robe contre ses doigts s'il avait osé tendre la main, si près qu'il sentait déjà l'air se mouvoir sous les mouvements gracieux de la jeune fille. Et il fixa intensément les mains qui s'agitaient doucement pour rassembler les couverts qui s'entrechoquaient dans une douce cacophonie.
C'était étrange, cette façon qu'elle avait de rendre la plus insignifiante des petites choses belle et attrayante. Il aurait voulu lui dire.
Il aurait voulu dire que les princesses ne débarassaient pas la table, qu'elles ne faisaient pas la vaisselle. Il aurait voulu se lever et l'aider, prendre les assiettes de porcelaine de ses jolies mains pour qu'elle puisse se reposer, se promener au milieu des fleurs ou faire ce que bon lui semblait, faire tout ce qu'une princesse faisait en temps normal.
Mais il ne le dit pas, parce qu'elle avait l'air tellement heureuse de faire ça, de rendre service, d'être utile. Kurogane et Fye se battaient, Mokona les faisait voyager, lui récupérait les plumes, et elle...
Il aurait voulu s'excuser. Elle était dans les ruines, ce jour-là. Et elle était avec lui, et il n'avait pas pu, pas su quoi faire pour la protéger. Il aurait voulu s'excuser pour son âme disparue, envolée en morceaux. Il aurait voulu la sauver et la protéger avant. Avant qu'il y ait quelqu'un à sauver et à protéger. Parce que peut-être que s'il l'avait protégée dès le début, peut-être que s'il lui avait demandé de ne pas entrer dans les ruines, peut-être...
Mais il ne s'excusa pas, parce que c'était inutile. Parce que la quête dans laquelle il s'était lancé était trop énorme, trop importante pour croire que ça aurait réellement pu se passer autrement. Parce que c'était trop tard et que des excuses ne ramèneraient pas ses plumes ni sa mémoire ni rien du tout. Et parce qu'elle ne comprendrait pas.
Il aurait voulu tout avouer. Il aurait voulu dire tout ce qu'il aurait dû dire avant, faire tout ce qu'il aurait dû faire avant. Il aurait voulu la prendre dans ses bras et lui murmurer à l'oreille à quel point elle était importante, et pas seulement pour le monde entier ou pour son peuple ou pour un autre ; mais pour lui. Il aurait voulu poser ses lèvres sur les siennes et ses mains sur sa taille et il aurait voulu que ce moment dure toujours, qu'il ne s'arrête jamais ; parce que si ce moment s'arrêtait, cela signifierait un retour à une vie normale et qu'il était impossible de vivre normalement après avoir goûté à tant d'amour, de douceur et de bonheur.
Mais une fois encore, il se tut, parce que c'était sa punition, son propre supplice. Parce qu'il pouvait aussi bien tout avouer que ça ne changerait rien ; peu importait la profondeur des sentiments qu'il éprouvait, peu importait l'intensité des émotions qui le torturaient quand il la regardait, la touchait, l'entendait, la sentait, il n'avait plus sa place auprès d'elle. Parce qu'il avait sacrifié sa place dans ses souvenirs pour son âme et qu'il préférait endurer mille morts en la sachant vivante et heureuse plutôt que vivre mille vies en la sachant disparue à jamais.
Il aurait voulu lui raconter. Il aurait voulu raconter comment ils avaient semé les gardes du palais, lui dire qu'ils avaient tellement couru, ce jour-là, que leurs coeurs avaient menacé de sortir de leurs poitrines, que le sien avait coulé, sombré profondément sous terre lorsqu'elle avait sourit avant de croquer à pleines dents dans sa pomme. Il aurait voulu lui dire que son coeur, il ne l'avait jamais retrouvé et qu'il n'en avait pas eu envie parce qu'il savait où il était. Il aurait voulu tout lui dire sur leur rencontre, les moments qu'ils avaient passé ensemble, sur leur enfance paisible qui avait vu leurs sentiments éclore timidement, puis s'affirmer un peu plus chaque jour.
Il aurait voulu tout lui rendre.
Il aurait voulu qu'elle se souvienne.
Mais toutes ces histoires, toute leur histoire, tout ce qui était dans sa tête à lui et qui n'était plus dans sa tête à elle, il garda tout pour lui, parce que la Sorcière des Dimensions avait très bien fait son travail et que sa Princesse ne se souviendrait jamais de lui. Il retrouverait les plumes, elle retrouverait son âme, et puis il s'en irait et elle l'oublierait. Encore.
Et comme tout ce qu'il voulait lui dire finissait toujours par mourir au fond de sa gorge, il resta silencieux et baissa les yeux, s'arrachant de sa contemplation.
Alors il se leva et sortit de la pièce sans voir le regard intrigué que lui offrit celle pour qui il avait tout donné.
Parce que malgré tout ce qu'il n'avait pas dit, le seul mot qui lui était permis de prononcer sortit de sa bouche instinctivement dans un murmure, comme une mélodie, un chant oublié qui serait revenu d'entre les replis d'une mémoire, comme la caresse d'une plume troublant l'onde silencieuse.
Sakura.