Je déteste l'idée de me lever tôt demain matin.

OoO

Lorsque Harry Potter se dirigea vers la porte de son appartement, ce soir-là, il s'attendait à ouvrir au livreur de pizzas.

Il se retrouva ahuri devant ce qui semblait être un livreur de bébé. Un livreur bien blond, et bien embarassé.

"Malefoy?"

"Potter, je t'en supplie, je n'ai pas d'autre alternative, et crois-moi, ça me rend malade de te demander de me laisser entrer." Bredouilla le Serpentard d'une voix à mi chemin entre la supplique et l'ordre.

Le jeune diplômé de l'Académie de la Brigade Internationale des Aurors cligna des yeux. Malefoy tenait bien au creux de ses bras une couverture de velours cramoisi râpée et sale, dans laquelle dormait à poings fermés un petit môme aux joues rondes et pâles.

Il s'écarta immédiatement de l'entrée, de façon à laisser le pire spécimen d'égoïsme entrer, bien qu'en aucune manière il n'eut eu la volonté de céder. Seul le nourisson l'avait touché.

Malefoy sourit, baissa la tête pour cacher ce piteux sourire, et entra. Il était maigre, et voûté. Ces yeux d'acier s'étaient émoussés, peut-être même étaient-ils plus humbles sous le néon criard de la lampe suspendue au mur devant lui. Une barbe de quelques jours fleurissait sur ses joues hâves, hostile aux règles d'hygiène édictées par la maison Malefoy. Ses mains tremblaient, comme s'il était ivre, et ses vêtements étaient en mauvais état.

"Tu veux un café?" demanda maladroitement Harry, les yeux rivés sur cette barbe naissante dont il devinait l'aigreur au toucher.

"Oui." Fit Drago après s'être éclairci la gorge.

Il s'avança jusqu'au salon et sa tête pivota à droite et à gauche dans une contemplation muette de l'inerte intérieur. Ca et là, des manuels de procédures, de pratique élémentaire des mouvements de base face à un ennemi embusqué, d'éthique immédiate, et des cigarettes, entassées dans un cendrier de verre, des bouteilles de boissons énergisantes, un carton vide de lait, quelques miettes de biscuits, un journal déplié, un ouvre-boîte et un disque de Ravel... Tout cela sur une table basse, autour de laquelle se tenaient un canapé vieilli, qui sentait le poisson, un grande armoire vernie, une lampe halogène et un ficus.

"Ca t'a réussi de quitter Poudlard sans tes BUSES, Potter..." commenta le blond, le paquet dans ses bras comme une boîte de pizza.

Harry serra les poings et préféra se retirer dans la cuisine où il pourrait préparer un café en paix. Les sarcasmes venaient de s'introduire chez lui, en dépit de cette petite chose pitoyable enveloppée dans une vieille couverture.

Quand il revint, son esprit ressassait encore les mots de son ennemi d'enfance. Il ruminait quelques répliques acides, qu'il aurait pu lâcher face à une telle provocation, mais qu'il avait choisi de taire, pour simplifier les choses. "En effet, Malefoy, arrêter mes études a été ma plus grande joie." ou " A part quelques incidents de parcours qui ont été fatals à des êtres chers, oui, tout s'est passé comme sur des roulettes."

Malefoy était assis dans son canapé, et il avait allongé le bébé contre lui. Il lisait le manuel des procédures.

Harry posa deux tasses fumantes avec précaution au milieu de l'amas indescriptible sur la table basse et il s'assit à côtés du bébé.

"C'est le tien?"

"Tu me vois me démener pour un gosse qui serait pas de moi, Potter?" répondit Malefoy avec hargne, avant de fondre sur sa tasse de café et de poser ses lèvres sur la porcelaine brûlante pour humer l'arôme rassurant de la boisson.

"Et la mère?"

"Ca te regarde pas."

"Tes parents peuvent pas t'aider?"

"Ils ont renié mon existence depuis qu'ils savent qu'il existe."

Il désigna le nourrisson d'un mouvement de tête.

"Et tes amis, Goyle, Crabbe... Parkinson..."

"Des moutons de Panurge, Potter. Ils suivent la mode : la mode est à l'ostracisme du dernier des Malefoy, ils ostracisent leur leader. C'est la logique de Serpentard, Potter, la logique du plus fort."

"Depuis combien de temps tu..."

Harry rougit. Il ne savait comment ne pas heurter son hôte par une question trop indélicate. Le fait d'avoir laissé entrer Malefoy chez lui impliquait qu'il en prenne soin et ne lui impose aucune conduite cavalière. C'était une sorte de règle que la vie avec les Dursley lui avait donné. Il savait ce que voulait dire n'avoir pas d'autre toit que celui d'une autre personne, que l'on déteste, qui plus est. Et la sensation de n'être pas à sa place... Tout au fond de lui, Harry sentait la sympathie le gagner peu à peu, et cela le mettait dans tous ses états, parce que Malefoy, visiblement, n'avait pas ôté sa fierté légendaire de ses épaules en pénétrant cette demeure.

"Depuis combien de temps je suis à la rue à mendier pour payer le lait en poudre et les foutues couches culottes, Potter?... Quelques mois, déjà."

Harry laissa ses yeux vagabonder auprès de la couverture. Malefoy en fit de même. Il but son café, laissa l'air chaud et domestique pénétrer ses poumons. Juste une gorgée, comme la dernière de la tasse. Il ferma les yeux. Ses paupières blanches paraissaient presque evanescentes dans la lumière tamisée de la lampe halogène. Harry déglutit. Le coeur s'emballait, il fomentait un autre complot plus grave que celui de la simple sympathie. Il sentait quelque chose.

Cependant, Malefoy rouvrit brusquement les yeux et ce complot se mura en une flamme fugace et vaniteuse. Il n'y avait plus rien que des yeux gris vitreux qui l'observaient.

"Potter, ça me déchire de te dire ça, mais "merci pour tout"."

Il se leva. Le canapé grogna, et le bébé agita un bras dans son sommeil.

Harry sentait que ce quelque chose revenait, comme le violon de Ravel, qui s'éveille quand tout un orchestre se tait. Cela revenait, et ça l'envahissait, cognait contre son crâne, contre sa gorge. Ca fomentait des mots, qui restaient coincés, ça appuyait contre son coeur, et son coeur appuyait contre sa poitrine, et Potter se leva brusquement, et déglutit. Il voulait que ça se calme, parce que par Merlin, n'était-il pas maître chez lui?

Malefoy saisit doucement la couverture. Il fit attention à ne pas réveiller le petit, et retrouva le chemin de l'entrée.

Harry sentait qu'il était sur le point de tout perdre. Le quelque chose, qui n'était ni pitié ni sympathie, s'agitait avec une ardeur plus terrible encore. Il cisaillait ses veines, de sorte que le sang s'était figé en lui, ou alors que son sang s'échappait de lui, et il le piquait aux artères, trop près du coeur, et il le mordait à la tête, et il lui croquait les joues, les yeux et la gorge. Potter se faisait dévorer vivant par ce quelque chose qu'il ne pouvait nommer, et Malefoy s'éloigner sans faire un bruit.

C'était insupportable.

"MALEFOY, ATTENDS!"

Le blond se retourna et, furieux, il plaqua son idex devant sa bouche. Toutefois, il s'apaisa et attendit. Harry sentit les mots fomentés percer ses cordes vocales. Il ne pouvait qu'attendre la révélation, aussi étonné que Drago.

"J'ai besoin d'un... de quelqu'un pour m'aider avec le ménage... Tu peux rester, si tu veux."

Malefoy fit la grimaçe. Harry était estomaqué de ce qu'il venait de dire. Cela dit, le blond se pencha sur son enfant endormi et Harry comprit que pour cette petite personne, il était prêt à ravaler sa fierté et à tout endurer. Le quelque chose ricana dans son oreille.

"Tu fais chier, Potter, mais ok."

Il y avait quelque chose, maintenant, qui allait de l'un à l'autre et piquait, mordillait, moquait et frappait leurs petites fiertés. Il y avait quelque chose d'indicible qui s'amusait à les faire rougir. Et ce quelque chose, tous les deux en étaient certains, était on ne peut plus dévoué à sa tâche.

OoO