Ok, ça faisait longtemps, désolée. Mais finalement, bousculée par le petit Draco qui couine dans un coin de ma tête, j'ai poursuivi. J'espère que ça plaira toujours.

Enfermé dans sa chambre, Draco essayait de ramasser les débris du cocon que Ginny avait brisé. Cette fille Weasley… Assis sur son lit, le dos courbé sous l'accumulation des circonstances, il contemplait l'enveloppe protectrice qui l'avait couvert comme un duvet depuis que ses parents… que ses parents… MORTS ! Le mot claqua à son esprit. Cela faisait à nouveau mal, maintenant. Il l'écrivait sur des lettres sans destinataire, le traçait du bout des doigts sur ses draps, sur la buée de la vitre, il se le poinçonnait sur tout le corps, morts, morts, c'était plus facile d'apprivoiser les lettres quand on les esquissait dans la poussière des meubles. Il avait envie de s'arracher la peau au couteau. Tristesse et violence se mêlaient au creux de son estomac. La douleur le rendait tantôt agité, brusque, puis soudain la colère se métamorphosait en un calme de surface, brûlant et glacé à la fois, qui l'effrayait presque. C'est comme s'ils étaient morts une nouvelle fois.

Il avait quitté la cuisine en claquant la porte. « Ils me préviendront quand Kingsley aura décidé qui part chez les Zabini. » avait-il pensé. Il avait plus ou moins hâte de revoir Blaise. Leurs rapports avaient été plutôt tendus depuis que Draco portait la marque, mais Blaise était intelligent, et étrangement ouvert d'esprit. Ce qui inquiétait Draco, c'était que Blaise Zabini n'était pas un mangemort. Ce qui signifiait que la Milice avait ses propres critères, quant au choix de ses victimes. Pourquoi les Parkinson, et pourquoi les Zabini ? Bien sûr, quiconque à Poudlard savait que Pansy et Blaise n'étaient pas des enfants de chœur, et pas vraiment du côté de l'Ordre. Cela signifiait-il donc que la Milice était composée d'anciens élèves ? Ou que son chef avait été à Poudlard ? Il n'était peut-être pas nécessaire d'avoir été à Poudlard pour comprendre que les Zabini et les Parkinson avaient de la sympathie pour un certain chauve à narines de serpent. Après tout, la mère de Zabini avait été accusée d'avoir assassiné ses sept maris, mais innocentée à chaque fois, ce qui avait cependant fait connaitre la famille du grand public.
« Mais même dans ce cas, pourquoi forcément proche du Seigneur des Ténèbres ? Assassin ne rime pas toujours avec mangemort. Et dans ce cas, je doute que le Seigneur des Ténèbres se soit soucié des différents maris de Madame Zabini… Non, c'est forcément quelqu'un de Poudlard. »
Tout en murmurant ses hypothèses, Draco arrivait à contenir la violence dans son ventre. Tant qu'il était occupé sur cette affaire de Milice, il pouvait garder le contrôle. Oui, c'était ça qui le contenait dans cette chambre, ça, qui le gardait si calme parfois, ça, qui le retenait derrière la porte, ça, qui le maintenant à la surface de l'eau trouble dans laquelle il croupissait depuis la MORT de ses parents comme un CHIEN, ça, ÇA, qui retenait ses poings, qui retenait son envie de traverser le palier et d'aller coller son poing dans la gueule de cette fille, cette fille qui l'avait mis à terre en tuant une nouvelle fois ses parents, avant de l'achever sous le regard le plus méprisant que le monde eut connu. ÇA ! Ça. La vengeance… Ce plat dont on dit qu'il se mange froid, cette délectable envie de faire mal, qui se transforme en la plus puissante volonté de faire payer. Oui, comme un serpent au fond des entrailles, rongeant son frein, remâchant jour après jour la douleur pour la faire grandir, pour faire gonfler la boule de haine sous la peau, jusqu'au jour où il la sentira sur le point d'imploser. Alors, le serpent sera prêt à mordre.
Draco sentait ce serpent qui sifflait sous sa poitrine, se tortillait, et il le nourrissait, oui, le nourrissait. Il voulait devenir le serpent. Il voulait faire mal, aussi mal qu'on avait pu lui faire. S'exorciser. En une journée, la haine avait grandi en lui de manière fulgurante, l'étourdissant presque. Tout ce que le cocon délicat de nuages avait pu contenir explosait en lui en un artifice d'émotions lourdes et brûlantes. C'était presque animal. Draco savait que sous sa certaine indifférence aristocratique, que derrière ses yeux froids et implacables se cachait un feu glacé. Il n'était pas quelqu'un de calme. Il savait qu'il était un enfant capricieux et gâté, enclin à geindre à la moindre contrariété, et à se manifester un peu trop dans ses accès de colère. Mais ces derniers mois sous les ordres du Seigneur des Ténèbres lui avaient appris l'humilité, ou plutôt, l'humiliation. Il s'était senti moins que rien, et la honte portée sur sa famille l'avait profondément atteint. La peur, aussi, cette peur qui ne l'avait pas quitté, l'avait d'une certaine manière défiguré. Il était sorti de cette année sous les ordres du Seigneur des Ténèbres fissuré de toute part. Ces blessures l'avaient rendu plus humain, mais aussi plus fragile.
« Peut-être que quelque chose s'est définitivement brisé en moi à la mort de mes parents. Peut-être que j'ai plus perdu que je ne le pensais cette nuit-là. Tu vois, Weasley, là j'hésite entre te frapper à mort et te remercier. Te frapper pour ce regard que tu m'as servi hier, et te remercier de m'avoir fait comprendre ce qui comptait maintenant. »
La fille Weasley le regardait, appuyée contre le cadre de sa porte dans une position qui paraissait décontractée, mais Draco la sentait prête à lui arracher les yeux à coups de griffes au moindre geste suspect.
Il avait finalement traversé le palier, après un jour d'enfermement. Il était venu tiraillé entre ces deux envies, les coups ou les remerciements, et hésitait encore.
« Laisse-moi rentrer, Weasley. Si ton crétin de frère mettait le nez hors de son trou, il risquerait d'y avoir dégâts. Ou pire, le plus saint de tous tes petits amis, Saint Potter ! »
Draco ricana.
« Je l'ai senti assez énervé hier soir, quelque chose l'a froissé ?
-Crétin ! Il a dû nous voir. »
Une lumière inonda le visage de Draco.
« Alors ça, c'est vraiment trop drôle ! Hilarant ! Cet idiot qui avait pris des habitudes d'imbécile heureux ces derniers temps croit se faire voler sa copine par son propre ennemi ! Vraiment hilarant ! »
Draco partit dans un fou-rire malsain qui lui fit un bien fou. La fille Weasley le regardait avec son drôle de regard de chat, perdu quelque part entre la rage et la consternation.
« Tu viens me déballer tes bris de corps devant ma porte pour ensuite t'en prendre à Ron et Harry ! Malfoy, mon frère a raison, tu es cinglé.
-Tu ne m'en voudras pas de m'inviter moi et ma cinglitude dans ta modeste chambre ? Et note bien que je pèse mes mots, comme « modeste ». Ginny, ajouta Draco en appuyant sur le « y » final, un sourire sarcastique aux lèvres. Il s'était retrouvé.
-Il y a des années, tu étais détestable et idiot, maintenant, tu es juste abject. Pousse-toi de ma porte.
-Alors aujourd'hui je suis intelligent et détestable, c'est ça ? »
Draco éclata de rire, mais Ginny lui jeta un regard navré. Il n'arriverait pas à la mettre hors d'elle.
« Aujourd'hui, tu n'as plus aucune excuse. Bonne nuit. »
Elle lui avait fermé la porte au nez. Draco soupira. Cette porte fermée lui donnait la nausée, une nausée triste. Ses émotions se succédaient sans aucune constante. Il était monté dans sa chambre la veille plein d'une colère froide, à laquelle avait succédé la rage, puis l'étau glacé de la vengeance l'avait conduit à vouloir cogner et à la fois remercier Ginny. Et maintenant il s'affalait contre la porte d'une traître à son sang qu'il appelait par son prénom.
« Rentre, crétin. »

La chambre de Ginny ressemblait à une chambre de garçon. Des affaires sales étalées sur tout le sol, quelques livres jetés ça et là, plusieurs affiches du club de Quidditch des Harpies, dont une petite photo où la gardienne était sérieusement dévêtue, et quelques paquets de gâteaux entamés. Un couteau reposait sur le bord de la fenêtre. Une partie de sa chambre semblait être consacrée aux objets provenant du magasin de farces et attrapes de ses frères. Draco reconnut la poudre d'Obscurité Instantanée mal camouflée derrière ce qui semblait être une peluche touffue.
« C'est quoi ce truc ?
-Quoi ? Ça ? C'est Arnold !
-Arnold… Bien sûr, Arnold, encore un énième rouquin à tâches de rousseur dans cette famille qui n'en peut déjà plus ! Sauf que celui-là est violet, et beaucoup plus poilu que les autres ! »
Ginny le frappa.
« C'est mon boursouflet, espèce de sombre andouille !
-Très bien, très bien, le cochonnet à poil s'appelle donc Arnold !
-Et parle moins fort, sinon les autres vont monter, et s'ils te trouvent ici, ils te tuent !
-Ou bien c'est moi qui le fait, mais j'avoue que les deux solutions peuvent paraitre assez désagréables, chuchota Draco en s'asseyant sur le lit.
-Tu vas aller chez Zabini ? lui demanda abruptement Ginny.
-Bien sûr, je ne vais pas laisser les meurtriers de mes parents s'ébattre dans la nature !
-Oh, tu es moins lâche que je ne le pensais, Malfoy. Tu as peur que Zabini se fasse tuer ? Cet imbécile.
-Absolument pas. Je veux juste les tuer. Les voir souffrir devant mes yeux. Les écraser. Comme des insectes. »
Les poulets caquetaient dehors. La chambre de Ginny était bercée d'une teinte rouge-orange, comme le reste de la maison. Ces gens n'ont donc aucune individualité ? pensa Draco. Le violet du boursouflet détonnait comme une faute de goût dans cette atmosphère chaleureuse, comme si une ombre devait être ajoutée au tableau. La petite ombre violette qui suivait Ginny partout. Elle jurait même avec ses cheveux.
« Tu ne ressembles vraiment pas à Harry. » lança Ginny après un moment.
Draco la regarda. Elle semblait en être convaincue, convaincue que lui, Draco Malfoy, soit à milles lieux d'Harry Potter dans son désir de faire du mal pour se faire du bien.
« Mais tu crois que Potter n'a jamais eu envie de se venger ?
-Oui.
-Tu crois qu'il a tué Voldemort pour sauver l'humanité ? Par civisme, en quelque sorte ? Tu crois vraiment qu'il a souffert toutes ces années pour atteindre ce but avec l'unique force d'un amour incommensurable pour tous les sorciers du monde ? Tu crois ça ?
-Ou-oui. Pour quelle autre raison ? ajouta-Ginny dans un chuchotement furieux.
-Pour ses parents ! Assassinés par ce sorcier ! Il a voulu les venger, il a voulu juger lui-même cet acte…
- Arrête ! Venger n'a rien à voir avec la justice, il ne s'agit pas de juger !
-On est d'accord. Mais Saint Potter n'est peut-être pas si sain que ça… Il a éprouvé la douleur, lui aussi.
-Harry n'a jamais torturé personne, et n'a jamais tué personne volontairement, lui ! Il n'a jamais jeté de sortilèges impardonnables !
-Et c'est lui qui te l'a dit ? Mais peut-être qu'il a voulu le faire… Contre Voldemort lui-même, ç'aurait été du suicide, mais contre un de ses fidèles… Je ne sais pas moi, Bellatrix peut-être ?
-Jamais ! »
Ils chuchotaient presque sans bruit mais en y mettant autant de rage qu'ils le pouvaient. Draco crut vaguement entendre du bruit derrière la porte à un moment, puis oublia, emporté par l'énervement.
« Tu crois que perdre un proche conduit forcément à vouloir se venger ! Mais si chacun résonnait comme ça, rien n'irait ! Tout le monde n'est pas comme toi ! murmura Ginny.
-Il y a bien plus de gens comme moi que tu ne le penses. Je croyais que tu étais réaliste, Ginny, sors de ta bulle !
-Fred est mort !
-Moins fort !
-Et son meurtrier…
-Son meurtrier est déjà mort ! C'est plus facile !
-Personne ici n'a cherché à venger la mort de Fred ! Personne ! Qui ici aurait pu-»
Ginny s'immobilisa, et Draco sut qu'ils venaient de penser à la même chose.

Il avait passé encore deux jours dans la chambre de Ginny. Ils survivaient à coup de petits gâteaux, ne dormaient pas trop et parlaient, parlaient. Concentrés sur le même objet, ils arrivaient à s'entendre. Ou du moins, même sans s'entendre, ils creusaient vers le même point qu'ils avaient trouvé ensemble. Draco n'était toujours pas descendu remercier Mrs Weasley de tous ses efforts pour lui, et s'en voulait. Toute sa haine concentrée sur la Milice, il n'en avait plus assez envers les Weasley pour ne pas s'en vouloir de son ingratitude. Au matin du troisième jour, ses yeux s'ouvrirent dans une crinière rousse, et ses cils s'entremêlèrent aux cheveux. Ils s'étaient endormis par terre, l'un à côté de l'autre. Il avait dû se rapprocher pendant la nuit. Non, elle avait dû faire ça. Ou peut-être les deux en fait. Pendant qu'il tranchait ce cas de conscience assis par terre, il sentit soudain une présence au dessus de sa tête.
Granger. Sa grosse tête mal coiffée et les yeux grands ouverts. Draco lui jeta un regard qui signifiait clairement « tu parles, je te tue ». Il ne s'était rien passé, mais…
« …de dire « il ne s'est rien passé » aurait pu tout aussi bien dire l'inverse. Tu vois ce que je veux dire ? J'ai une certaine dignité à préserver, et m'acoquiner avec une traître à son sang dans une porcherie c'est assez…
-T'es vraiment trop con. »

Il avait été finalement décidé que seuls Harry, Ron, Hermione et Draco accompagneraient l'escouade Auror chez les Zabini. Quelques membres étaient déjà présents, et Harry et les autres allaient les rejoindre le soir-même. Avant le dîner, Mme Weasley dit à Hermione d'aller chercher Ginny. Hermione, au son de la voix de Mme Weasley, obéit illico presto.
« Il faudrait peut-être aller chercher Draco, non ? demanda-t-elle.
-Bah, tant pis pour lui, répondit Ron. On ne sait même pas s'il est
réellement dans sa chambre, on n'entend rien », ajouta-t-il tandis qu'Hermione montait les escaliers.
Harry haussa les épaules.
« Ou alors il est mort », chuchota Ron. Les deux rirent méchamment.
Harry n'avait pas pu attendre et avait déjà commencé son poulet quand Hermione revint dans la cuisine, les joues en feu. Mme Weasley lui jeta un regard interrogateur.
« Elle ne veut pas descendre, murmura Hermione. Elle semblait bouleversée.
-Vous vous êtes disputé ? », lui chuchota Harry alors qu'elle s'asseyait à côté de lui.
Hermione secoua violemment la tête. Ron lança un coup d'œil à Harry.
« Tu sais que Ginny est tellement énervée qu'elle grogne toute seule depuis des jours… Peut-être qu'elles se sont disputées mais qu'Hermione ne veut pas en parler. Ginny peut-être très méchante quand elle s'y met.

-C'est sûrement ça », lui répondit Harry.
Il avait la vive impression que c'était beaucoup
plus que ça, en réalité.