I. Le calme ou la tempête ?

Harry ouvrit les yeux. Un rayon de soleil filtrait à travers les volets et lui chatouillait le visage. Il referma les paupières pour sentir la chaleur du rayon lui réchauffer les joues. Il resta ainsi un instant, savourant la quiétude du moment présent. Puis il sursauta : Les horcruxes !

Cela faisait pourtant deux semaines. Deux semaines que la guerre était terminée, deux semaines que Voldemort avait été détruit. Définitivement anéanti. Deux semaines que tout était fini. Mais Harry ne parvenait pas à s'y faire. Avec le temps, oui, il arriverait à assimiler l'idée qu'il n'avait plus de raison de sentir ce poids sur ses épaules, mais il se réveillait encore chaque matin en oubliant le chemin parcouru la veille, en oubliant qu'il avait vaincu, en oubliant que tout était absolument, définitivement et irrévocablement terminé. Il se réveillait et se redressait violement, la vague d'angoisse permanente qui ne le quittait plus depuis des années le submergeant, et voyait devant lui la dure tâche que lui avait laissé Dumbledore.
Mais il avait vaincu. Il se répéta cette phrase une fois, deux fois, puis encore et encore. Il n'était plus question d'horcruxes, de Tom Riddle, ni même de cicatrice : la douleur s'était tue à la mort du mage noir, et Harry avait le sentiment qu'elle ne réapparaitrait jamais.
Il regarda le plafond. Il était au Terrier, depuis deux semaines. Mme Weasley avait insisté pour qu'il ne reste pas seul. Il comptait cependant rentrer à Godric's Hollow, dans la maison de ses parents, avant la fin du mois de juillet. Avec Ginny. L'idée d'en être séparé lui faisait bien plus de mal que quoi ce soit d'autre, ces temps-ci. Peut-être était-ce là la vraie preuve que tout était terminé. Ses préoccupations étaient celles de tout le monde à présent. La douleur d'être séparé de sa petite amie, la douceur du soleil sur sa peau, et présentement l'écharde qu'il venait de s'enfoncer dans l'orteil en posant son pied au sol.

« Par la barbe de Merlin ! »
Harry sauta sur son pied vacant en tenant l'autre dans sa main. Il essaya d'extraire le petit bout de bois mais perdit l'équilibre. Il tomba par terre.
« Harry ! »
La porte s'ouvrit sur Ginny, les cheveux flamboyants et l'air inquiet.
« Qu'est-ce que tu –
-Mon pied ! Une écharde dans…»
Il agita le pied dans la direction de Ginny. Elle soupira, avant d'éclater de rire.
« Imbécile ! Tu m'as fait peur ! »
Elle s'agenouilla et patiemment lui retira l'écharde du pied. Puis l'embrassa.
Ils descendirent main dans la main à la cuisine. Mme Weasley s'affairait à préparer des muffins en suivant la recette sur un livre qui lui dictait chaque ingrédient.
« 250 grammes de farine… Non, pas autant, pas autant, il faut couler moins fort ! »
La vaisselle se lavait toute seule, et une éponge malicieuse s'amusait à remplir la pièce de bulles multicolores. Pattenrond essayait de les attraper, et crachait quand l'une d'elles venait éclater sur son museau. Un bouquet de Pétunias Chantant entonnait une chanson paillarde, et Ron assis à table reprenait le refrain en chœur. Une vague de quiétude envahit la poitrine de Harry. Le bonheur était là, paisible mais saisissant, dans chaque détail de cette cuisine. Le seul objet qui parvenait à obscurcir son cœur était l'horloge des Weasley. Chaque aguille indiquait la position des membres de la famille. Mr Weasley était au travail, Percy à l'étranger, Ron en train de faire l'imbécile. Ainsi, chacun dans la cuisine pouvait s'assurer de la sûreté de chaque autre membre, et aucune des aiguilles n'avaient pointé en danger de mort depuis deux semaines. Mais il en manquait une, une seule, et son absence résonnait dans toute la pièce. L'aiguille de Fred était tombée à sa mort, et les Weasley l'avaient retrouvé brisée au sol à leur retour au Terrier. Elle avait été enterrée à ses côtés. Chaque regard sur l'horloge apportait la certitude de la sécurité de chaque Weasley et celle de la mort de Fred.
Si la douleur de la mort était particulièrement éprouvante pour George, il n'en laissait rien paraitre, et avait déjà repris son commerce de Farces et Attrapes avec la virulence d'un homme qui doit s'occuper pour ne pas penser.

La voix de Mme Weasley arracha Harry à ses pensées. Il détourna son regard de l'horloge.
« Harry mon chéri, ça va ?
-Oui, oui, désolé, je pensais… Vous me disiez quelque chose ?
-Je te demandais si tu voulais attendre que les muffins soient cuits pour ton petit-déjeuner, ou si tu préférais des toasts ? »
Harry sourit.
« Je crois que je vais attendre les muffins. »
« Très bonne idée ! lança Ron. Je vais aussi les attendre !
-Tu as déjà pris ton petit-déjeuner ! s'exclama Ginny.
-Et alors ? J'ai encore faim.
-Mais dites-moi que ce n'est pas mon frère ! »
Harry éclata de rire.

Ron et Harry était en train de jeter des mauvais sorts aux gnomes du jardin lorsque Mr Weasley rentra du travail, au crépuscule. Un gnome affublé de verrues clignotantes – une trouvaille particulièrement intéressante de Ron qui comptait s'en resservir à Noël- fonça dans ses jambes et manqua de le faire tomber.
« RON ! Ne laisse pas courir les gnomes partout, ou ta mère va t'en dire des nouvelles !
Ron grommela.
« A qui dois-je dire nouvelles, Arthur ? demanda Mme Weasley, en sortant de la maison.
- A pers-
-RON ! Je t'avais demandé de dégnomer le jardin !
-Mais maman !
-Pas de mais ! Tu t'occupes de ça tout de suite ! Tu ne rentres pas dîner tant que je vois encore un seul, je dis bien un seul, gnome dans mon jardin !
-Mais maman ! J'ai dix-huit ans ! Je suis plus à l'école depuis un an ! Tu peux plus me traiter comme un gamin !
-Tu es encore dans ma maison, et tant que tu es dans ma maison, tu fais ce que je te dis ! Viens dîner, Arthur. Harry, tu peux venir dîner aussi, même s'il serait préférable que tu aides Ron.
-Je vais rester avec lui. On se dépêche, Mme Weasley. »
Ron grommela encore une fois.
« Pourquoi ça tombe toujours sur moi ? Ça tombe jamais sur toi. C'est vrai ça, elle t'engueule jamais ! » Ron se retourna vers la maison. « Maman ! Engueule Harry pour une fois ! »
« Hé ! » Harry jeta un gnome sur Ron. « Ton père rentre tard, tu ne trouves pas ? Il est déjà neuf heures.
-Ouais. Je sais pas ce qu'il se passe encore. Enfin, je veux dire, je sais pas ce qu'il peut encore se passer. C'est vrai, Il est mort, non ?
-Cette fois, oui, dit férocement Harry.
-Alors il ne devrait plus y avoir de problèmes, non ? A part les théières mordeuses et les toilettes régurgitantes …
-J'imagine… j'imagine qu'il doit y avoir des choses à régler, à réorganiser. Azkaban, par exemple. Ils ne peuvent plus utiliser les Détraqueurs, ou alors ils n'ont vraiment rien compris.
-T'as raison. Viens, on rentre », dit Ron en expédiant par un sort le dernier gnome au dessus de la barrière.

Mr Weasley avait le front plissé, et Mme Weasley battait nerveusement des œufs en omelette.
« Qu'est-ce qu'il se passe Papa ? » demanda Ron en s'asseyant. Il prit deux pommes de terre brûlantes avant d'écouter son père.
« Des nouvelles complications.
-Ça a un rapport avec Voldemort, dit Harry.
-Plus ou moins. Plutôt avec ses fidèles.
-A'ec ches manchemorts ? Achkaban ? »
Mme Weasley se retourna brusquement. « Ron, ne parle pas le bouche pleine ! »
« Mais maman !
-Ecoute ton père plutôt ! »
Mr Weasley déplaça sa chaise vers eux, et les regarda dans les yeux, l'un après l'autre.
« Harry, Ron, vous lisez les journaux ces temps-ci ? »
Ils secouèrent la tête.
«On prend des vacances avec l'actualité, répondit Ron.
-Oui, c'est mérité. Mais si vous lisiez la Gazette, vous remarqueriez qu'il se passe de drôles de choses…
-Ça va nous changer, dit Ron. Son père lui sourit.
-Il ne s'agit de rien qui vous concerne directement, mais c'est inquiétant. Un étrange phénomène, étrange mais logique, suite aux évènements… Vous savez que lors de la bataille, à Poudlard, des Mangemorts ont été capturés.
-Ou tués.
-Ou tués. Mais certains ont réussi à s'échapper. »
Harry ferma les yeux. Il se sentit bouillonner de rage.
« Cependant, une milice qui se fait appeler M.E.M.S., la Milice d'Epuration du Monde Sorcier, regroupant des sorciers dans tout le pays, a rattrapé la plupart des fuyants.
-Bien, très bien, lança Harry. Où est le problème ?
-Cette Milice d'Epuration ne s'est pas contentée d'attraper les Mangemorts. Elle les a également tué. »
Harry baissa les yeux. Il n'arrivait pas à ressentir véritablement de compassion pour des Mangemorts, mais tuer un tueur n'allait-il pas contre le sens ?
« La milice ne peut-elle pas… Tout simplement… Tout simplement livrer les Mangemorts à la justice ?
-C'est ce qu'elle devrait faire. Mais ce n'est pas si simple. Nous retrouvons chaque jour des gens assassinés, à côté d'une phrase, un message, toujours le même. Justice pour nos morts ! Voilà ce qu'ils clament.
-On ne peut pas tout à fait leur donner tort… dit Ron.
-On peut évidemment les comprendre.
-Vous avez dit « des gens », dit Harry. Il ne s'agit pas que de Mangemorts ?
-Non, et là tu approches le point peut-être le plus inquiétant de la situation. La Milice pourchasse également quiconque elle soupçonne d'avoir contribué d'une manière ou d'une autre au retour du Vous-Savez-Qui. Un de mes collègues éloignés est d'ailleurs inquiété par cette Milice.
-Est-ce qu'il a … ?
-Oh non, je ne crois pas, je pense qu'il a juste agi comme n'importe quel homme qui a peur, mais cela ne vous regarde pas, ni moi non plus d'ailleurs.
-Cet homme est protégé par le Ministère, je suppose ?
-Absolument. Mais le Ministère n'est pas très enthousiaste à l'idée d'engager des Aurors pour protéger d'autres personnes, si vous voyez ce que je veux dire.
-Pas tout à fait, dit Harry. Qui ?
-Les Malfoys. »
Ron grogna bruyamment.
« Et oui, Ron. Ils sont également mis à rude épreuve par la Milice.
-Normal ! Ils ont été du côté du Tu-sais-qui pendant des années ! Draco a essayé de tuer Dumbledore, il porte la marque ! Son père n'a jamais cessé d'être un Mangemort ! Pourquoi ils ne sont pas encore en prison ceux-là ?
-Le ministère a accepté leur repentir. »
Ron roula des yeux.
« Non mais je rêve, ces crétins du ministère se sont fait avoir encore une fois... A croire qu'ils font exprès !
- Ron, je pense sincèrement que les Malfoys ne sont plus une menace.
-Sûr, ils ont trop peur ! Personnellement, je me fiche que cette Milice leur tombe dessus, si ça peut nous débarrasser une bonne fois pour toutes de ces vipères !
-Je sais que tu ne les aimes pas, et moi non plus. Mais on ne peut pas laisser tuer des gens.
-C'est pourtant ce que le Ministère fait à propos des Malfoys, s'il ne les protège pas… murmura Harry. Hé, moi non plus je ne les aime pas ! ajouta-t-il alors que Ron le foudroyait du regard.
-Le Ministère ne veut plus à avoir rien à faire avec la famille Malfoy. De plus, les membres de la Milice sont insaisissables. Impossible de savoir qui ils sont. Les leaders sont sûrement haut placé, si j'en crois les renseignements dont ils semblent disposer… Quoi qu'il en soit, je n'aimerais pas être à la place des gens qui figurent sur leur liste d'exécution à l'heure qu'il est.
-Moi non plus… » murmura Harry.