Titre : Lammas
Auteur : Meish Kaos
Bêta-lectrice : Archea
Rating : PG-13
Genre : Drame, Angst
Pairing : Albus/Gellert
Disclaimer : Les personnages à JKR, la citation extraite des oeuvres de Goethe, rien à moi.
Commentaires : Destiné à Arcadiane, dans le cadre de l'échange de noël 2008 de la communauté LiveJournal "Sous le Sapin".

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Lammas

Dans la pénombre, seules les dernières traces du soleil couchant, au loin, sont encore colorées. Le clair-obscur de la nuit s'est étendu sur le monde qui s'endort, mais Albus veille – il ne se lasse pas du chant des grillons.

Derrière le bruissement apaisant, il peut entendre les voix étouffées en provenance de la Tête de Sanglier, sous ses pieds. Cliquetis de bouteille, rires gras, craquements de feu de bois. L'univers d'Aberforth, dans lequel il aime se plonger de temps à autres.

Il n'est pas heureux, non. Il ne l'a plus été depuis cet été-là. Mais en contemplant le morceau de parchemin une énième fois, il est calme, et même un peu joyeux. Professeur à Poudlard. Il sera Professeur à Poudlard, en Septembre.

Dans quatre semaines.

Depuis qu'il a appris la nouvelle, il y a près de six mois maintenant, cela lui semble presque comme le début d'une nouvelle vie, une vie qui effacerait le passé. Une vie où sa mère ne serait pas morte, où Ariana aurait été en parfaite santé, où Abe se serait réjoui avec lui plutôt que de lui jeter les clefs de la chambre sans le regarder. Une vie où il aurait accompli avec Elphias un tour du monde qui l'aurait rendu plus sage, peut-être, ou tout simplement plus instruit.

Une vie où il n'aurait pas rencontré Gellert.

Il hoche la tête, s'éloigne de la fenêtre. Il ne peut renoncer à cela. Les années passent, mais il ne peut retenir un battement de cœur précipité à la vue d'une chevelure blonde, d'un regard vert, d'un sourire enjôleur. Il ne peut retenir ce bref espoir qui envahit son cœur lorsqu'il surprend un mouvement vif du coin de l'œil – peut-être est-ce lui ? Peut-être est-il là, à la périphérie de sa vision, peut-être n'aura-t-il qu'à tourner la tête, comme avant, pour contempler son maintient à la fois nonchalant et plein de noblesse, peut-être…

Il n'est jamais là, bien sûr.

Le plancher craque sous ses pas alors qu'il retire ses vêtements, se glisse entre les draps de laine élimés. Le tissu pique un peu la peau, mais ce désagrément lui semble bien faible, en comparaison de la couronne d'épines que ses souvenirs lui infligent. Il finira bien par trouver la paix cette nuit, ou à défaut, les songes. Ceux dans lesquels il est toujours à ses côtés.

Le premier caillou contre la vitre, il croit l'imaginer.

Bien vite, il se redresse. Rêve-t-il ? Mais non, un second caillou frappe le verre, rapidement suivi d'un autre, puis d'un autre encore. Les yeux embrumés de sommeil, il se relève, ouvre la fenêtre. Il s'en faut de peu que le cinquième caillou ne lui heurte le front. Un rire chaud lui hérisse la colonne vertébrale.

- Gellert ? murmure-t-il.

Là, en bas, une silhouette lève la tête vers lui, et même dans la pénombre il reconnaît immédiatement la tache claire que forment ses cheveux sur la cape de voyageur. Même sans ses lunettes, il reconnaît l'éclat sauvage de ses yeux, du sourire qu'il devine sur ses lèvres. C'est lui, aucun doute possible.

L'espoir devient chape de plomb. Sous sa fenêtre se tient celui par qui le malheur s'est abattu sur sa famille – mais non, Albus, que racontes-tu là, ce sont les Moldus qui ont détruit tes rêves, qui ont attaqué ta sœur et fait emprisonner ton père – celui qu'Aberforth tuera s'il l'aperçoit seulement si près d'eux. À quoi pense-t-il, en se présentant à lui après tant d'années ? Dix ans, dix ans déjà…

- Albus ?

La voix, sa voix, naguère si assurée, laisse percevoir un soupçon d'incertitude. L'accent rocailleux est légèrement plus prononcé qu'autrefois – si peu, oh, si peu. Il ne prend pas la peine d'enfiler sa chemise. Un pantalon est amplement suffisant pour le rejoindre – et puis, il fait si noir.

Avant d'avoir réalisé où ses pas le menaient, il pousse la porte arrière, sort de l'Auberge par la cuisine, loin de la vue des clients. Loin de la vue de son frère. Ce n'est que lorsque la brise le fait frissonner que la pleine acceptation de son geste le frappe au cœur. Il va le rejoindre. Ce soir. Enfin.

Où est-il ?

Il n'a qu'une faible conscience de ses pieds nus qui s'écorchent aux aspérités du sol, de son torse exposé aux éléments. Seul compte la promesse qu'il a entrevue de sa fenêtre, cette promesse de le revoir, lui, son Saint-Graal personnel. Il s'avance à l'aveuglette, incertain de ce qu'il trouvera au bout du chemin mais assuré de le désirer, quoi que ce fut.

Et soudain il est là, devant lui, à deux mètres à peine. Il ne l'a pas vu – il lui tourne le dos. Dans sa main, sa baguette luit de puissance contenue. À peine pose-t-il les yeux sur elle qu'il sait.

C'est elle.

- Tu l'as trouvée, murmure-t-il, et cette fois il l'entend, cette fois il se retourne.

Son sourire est magnifique, à peine hésitant, d'une franchise qu'il ne lui a jamais connue. L'attitude désinvolte de l'adolescence est devenue l'assurance mûre de l'homme, jeune mais indubitablement adulte. Ses joues se sont creusées, ses sourcils se sont froncés, mais c'est lui, comment ne pas le reconnaître ?

- Tu l'as trouvée, répète-t-il, et cette fois il acquiesce, cette fois il fait un pas vers lui.

- Je l'ai trouvée, dit Gellert, et son ton est calme, apaisant, malgré l'écho, ou peut-être à cause de lui.

Il lève la main, lui fait voir cet instrument de mort qu'ils ont tant souhaité posséder, qui les a tant fait soupirer. La puissance ! L'orgueil. Tout de cet été n'est pas mort, constate Albus en contemplant le feu de la victoire qui brille dans ses yeux – ses yeux dont la couleur est incertaine dans la pénombre, mais dont son cœur lui souffle qu'ils sont verts, verts comme l'herbe de la plaine sur laquelle ils s'étendaient autrefois.

Et soudain il est si près, si près qu'il en perd le souffle, point assez pour le toucher mais bien suffisamment pour que la qualité de l'air change, se charge d'électricité.

- Viens avec moi, murmure Gellert à son oreille. Tu n'as plus besoin de veiller sur ton frère, il n'y a plus que toi et moi, comme cela aurait dû être. Je l'ai trouvée et ensemble, nous trouverons les autres, ou alors nous nous en moquerons, car tu sais comme moi que cette baguette est la clef de tout. Viens avec moi ! Je t'en prie.

Sa main s'élève, se pose légèrement sur son épaule, et à ce moment Albus ne peut que frissonner car il ne sent plus la brise sur sa peau nue, que ses doigts élancés qui le frôlent, qui esquissent avec exactitude des gestes anciens, des gestes qu'aucun d'eux n'aurait pu oublier. Et sa volonté fléchit, car en vérité, comment résister à l'appel du Graal ?

Les cheveux de Gellert se découpent dans la nuit comme la flamme d'un feu follet, lui donnent l'apparence d'une créature irréelle, qui n'aurait qu'un seul pied dans la réalité. Albus frissonne à nouveau, plus fort cette fois, car la main s'est glissée sur son torse, aussi légère que la caresse d'une feuille tombée, aussi bouleversante que la rivière doit sembler à l'assoiffé.

Il se souvient soudain, pensée incongrue, qu'en ce début d'août c'est la célébration de Lammas, l'antique fête des moissons, et que Gellert n'est peut-être venu ici que pour récolter ce qu'il a semé dix ans auparavant. Cette pensée lui glace le sang, le pousse à reculer, à échapper aux doigts effilés dont les assauts se font plus pressants sur sa peau sans défense.

- Non, laisse-t-il échapper malgré lui.

Mais c'est inutile, car à ce moment ses lèvres s'emparent des siennes, sans brutalité mais sans complaisance, et Albus se sent perdre toute volonté à nouveau. Car n'est-ce pas ce qu'il a attendu si longtemps, ce baiser dans lequel il peut oublier le drame, les souvenirs de violence, ce baiser qui l'enivre plus sûrement qu'aucun alcool, qu'aucun sortilège ?

Lorsque le baiser prend fin, il est dérouté, étourdi. Ses yeux, d'eux-mêmes, rencontrent ceux de l'homme qui se tient devant lui – il ne peut, il ne veut détourner le regard.

- Kedvesem, ne viendras-tu pas avec moi ? demande encore Gellert.

- Ne consens-tu pas, j'userai de violence (1), murmure Albus en guise de réponse, yeux mi-clos, et le mouvement de recul de Gellert est motivé par la souffrance bien plus que par l'orgueil, il le voit.

- Je ne désire pas te ravir.

Son ton est froid, à présent, et il vient à l'esprit d'Albus qu'il n'est pas venu en moissonneur, qu'il est venu s'offrir, sans savoir si le don de lui-même était acceptable. Il sait ce que dirait Aberforth : aucun don de ses mains ne vaudra jamais la vie d'Ariana. Oui, il sait ce que dirait Aberforth, mais lui, Albus, que dirait-il devant un tel sacrifice ?

- Je suis navré, dit encore Gellert, et dans sa voix s'entend le frémissement à peine perceptible de celui qui offre un masque au monde, mais qui peine à le contenir lorsque les rideaux sont tombés.

Albus lève la main pour le retenir, mais à ce moment, une porte claque bruyamment, des rires gras retentissent et le charme est rompu. À peine a-t-il le temps de réaliser ce qui se produit que Gellert se volatilise, une fois de plus. Il entend encore quelques secondes le son de ses foulées énergiques – il coupe à travers les champs – puis, plus rien. Il est partit. Pour de bon, cette fois.

Il ne reviendra pas.

- Albus ? l'appelle Aberforth. Albus ! T'es passé où, nondidjû !

- Je suis là, répond-il enfin, surpris de constater que sa voix ne tremble pas, malgré tout.

- T'es complètement fou ! Dehors, pas d'chemise, la nuit de Lammas ! Tu veux te faire enlever par un feu follet ou quoi ! Rentre tout d'suite !

En d'autres circonstances, il aurait été ému de la nuance d'angoisse dans la voix de son frère, mais ce soir, il ne peut que contempler les champs derrière la Tête de Sanglier, un goût de cendres dans la bouche.

Et lorsqu'il obéit finalement à l'injonction de son frère, il ne peut s'empêcher de se demander, brièvement, s'il n'a pas réellement fréquenté un feu follet, cet été-là.

À Suivre...

(1) : Le Roi des Aulnes, Goethe.