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Les Aimants.
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Epilogue.
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Sans son magnétisme, l'aimant n'est plus qu'une pièce de métal ordinaire.
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La nuit était sombre, le ciel maculé de nuages noirs amoncelés, et l'air glacé balayait leurs cheveux. Les étroites ruelles pavées défilaient les unes après les autres au rythme de leur avancée, toutes identiques avec leurs détritus et leurs enseignes clignotantes.
« Je ne comprends toujours pas pourquoi tu tiens tant à m'accompagner », reprit Bellatrix en lui jetant un regard en coin.
Malgré les années d'emprisonnements, malgré les rides, le teint cadavérique et les mèches grises sur ses tempes, il demeurait en Rabastan des traces de l'arrogant jeune homme qu'il avait été autrefois. Son sourire, notamment, n'avait pas changé dans son asymétrie narquoise.
« Oh, comme ça… J'avais juste envie de me dégourdir les jambes…
– Ne me prends pas pour une idiote », gronda-t-elle.
Il ricana tout bas, d'un rire enroué qui se changea en toux. Tandis qu'ils se taisaient, leurs pas résonnaient sur les pavés humides en projetant des gouttelettes de pluies en tout sens.
« En fait j'ai pensé que tu pourrais m'aider à convaincre Lucius…
– Il ne se compromettra jamais, coupa froidement Bellatrix.
– Sauf si Narcissa…
– Narcissa se moque bien de cette histoire.
– Vraiment ? Et si tu lui dis que c'est à cause de cette pourriture que tu as été enfermée toutes ses années ? Tu ne crois pas qu'elle poussera Lucius à nous fournir l'adresse ?
– Tu connais bien mal Cissy si tu penses qu'elle serait capable de prêter la main à un meurtre – aussi justifié soit-il. A moins qu'une menace ne pèse sur sa famille, elle ne bougera pas le petit doigt. »
Rabastan échappa un grognement de dépit.
« Il me faut cette adresse.
– Laisse tomber.
– Tu ne comprends pas. Je dois voir Elisha.
– A t'entendre, on ne sait pas si tu veux la tuer ou la reconquérir.
– Les deux peut-être, convint-il en riant. J'ai toujours aimé la complication, tu sais ? ».
Elle ne répondit pas. Ils étaient arrivés à un croisement et elle savait que si elle prenait à gauche, comme prévu, il devinerait ce qu'elle était venue chercher.
« Tu n'as pas changée, Bellatrix.
– De quoi tu parles ? contra-t-elle, déjà sur la défensive, en stoppant sa marche un court instant.
– Azkaban ne t'a rien appris. Ni à être prudente, ni à cesser de te surestimer. Tu crois pouvoir me berner mais je sais pertinemment ce que tu fiches dehors à cette heure. » Sa bouche se tordit dans une grimace de mépris. « Tu te figures que tes motivations sont honorables. Il n'empêche que si Rodolphus venait à l'apprendre… Pire, si le Seigneur des Ténèbres savait pour quelle raison tu nous mets tous en danger, en te faufilant au milieu de la nuit pour…
– Où veux-tu en venir ? »
Son ton vibrait de colère mal contenue.
« Tu vas à Ste Mangouste, n'est-ce pas ?
– Et pourquoi j'irais à Ste Mangouste ? rétorqua-t-elle, le cœur cognant plus fort.
– Parce qu'il est là-bas. »
Elle resta silencieuse, ce qui revenait à acquiescer, et accéléra l'allure. Il adopta la même cadence en l'épiant du coin de l'œil ; le visage de Bellatrix était dépourvu de la moindre expression.
« Nous y voilà », murmura-t-il quelques minutes plus tard en s'arrêtant devant la vitrine de Purge & Pionce Ltd. Il tira sa baguette tandis que le mannequin le plus proche, de l'autre côté de la vitre, se recroquevillait légèrement sous sa perruque défraichie.
« Je peux effacer ta venue du registre des visites, proposa-t-il à Bellatrix. Une fois à l'intérieur, un sortilège de Désillusion devrait être suffisant pour que tu passes inaperçue.
– Et en échange ?
– Tu parles à Lucius. »
Elle donna son accord, trop lasse pour argumenter, et le regarda exécuter une incantation compliquée en visant le mannequin écaillé.
Les secondes s'égrenèrent lentement.
« Tu peux y aller », lui indiqua-t-il soudain, avant de se reculer pour la laisser traverser la vitrine. Elle prit une grande inspiration et laissa Rabastan derrière elle.
L'accueil apparut, presque désert à cette heure. Une petite fille au visage bleu fluorescent leva le nez à son approche mais son regard passa sur elle sans la voir. Rassurée sur l'efficacité de son camouflage, Bellatrix se dirigea en hâte vers les escaliers après avoir consulté le plan. Si Barty était ici, comme elle le supposait, elle le trouverait probablement au quatrième étage.
Elle essayait de ne pas trop penser à ce qui l'attendait. N'y parvenant pas, chaque marche enjambée lui donnait un peu plus envie de tourner les talons. Malgré tout elle poursuivit son ascension.
Des lucioles s'ébattaient dans des bocaux soudés aux murs, à trois mètres de distances les uns des autres, et jetaient dans les couloirs une lumière diffuse d'un vert peu engageant. Au tournant, elle tomba sur une infirmière de garde, par chance assoupie à son bureau. Elle la dépassa, chemina de portes vitrées en portes vitrées, en jetant à chaque fois un coup d'œil à l'intérieur pour apercevoir les occupants. Il fallut qu'elle parvienne au bout du couloir pour trouver la personne qu'elle était venue visiter.
Elle aurait parié sa baguette que la pièce avait tenu lieu de placard avant qu'on ne l'y installe. Une unique luciole fatiguée, piégée par un gobelet retourné avait pour fonction de désépaissir les ténèbres. Autant dire qu'il lui fallut s'y prendre à deux reprises pour distinguer une forme humaine dans la semi-pénombre.
Elle entra. La poussière que soulevèrent ses pas agressa aussitôt sa gorge. Elle poussa du pied un plateau-repas, échoué sur le sol, sans manquer de remarquer que personne ne l'avait entamé. Elle constata distraitement que la pièce sentait le bouillon aux légumes et la transpiration.
Elle annula le charme de Désillusion et orienta sa baguette vers Barty :
« Lumos. »
Jamais elle ne l'avait vu si mal en point, et pourtant elle avait eu tout loisir de l'observer dans sa cellule à Azkaban. Il était rachitique, mal rasé – depuis quand avait-il de la barbe ? – et arborait des cernes tels qu'ils creusaient des sillons sous ses yeux. A l'évidence, ses vêtements et ses draps n'avaient pas été changé depuis plusieurs semaines, et son teint grisâtre confirmait que le soleil n'avait pas dû souvent éclairer sa peau ces derniers mois. Nul doute qu'on avait croisé des chiens galeux en meilleur état.
Elle le rejoignit sur le lit. Il était assis de travers, les jambes repliées sur sa droite, ses bras ballants donnant l'impression d'un jouet désarticulé.
« Barty ? » hésita-t-elle.
Un pantin de chair abandonné dans un vieux débarras, voilà ce qui demeurait de lui.
Elle approcha une main de sa joue râpeuse et sursauta quand ses doigts entrèrent en contact avec l'épiderme tiède. Il était à peine plus vif qu'un légume alors, stupidement, Bellatrix s'était imaginé qu'il serait froid.
Elle tenta encore :
« Barty ? »
Son regard, fixe et aveugle, était celui d'une poupée de porcelaine.
Elle baissa les yeux sur sa poitrine, qui se soulevait avec une régularité métronomique. Il respirait et cependant il n'était plus là depuis longtemps. La moitié d'une année s'était écoulée depuis qu'il avait reçu le Baiser du Détraqueur.
Elle observa à nouveau la chambre – si on pouvait lui octroyer ce nom. Il était évident qu'on se souciait peu de son état de santé. On l'alimentait à peine, on ne le sortait guère, on ne l'allongeait même pas pour lui reposer le dos. Etait-ce parce qu'il n'était qu'un corps vacant ou bien parce qu'un Mangemort habitait encore son squelette et sa chair il y a peu ?
Elle captura sa main dans la sienne, guetta une réaction. Un tressaillement dans son poignet, un clignement de paupière aurait suffi ; elle n'obtint rien. Il eût été trop malsain de l'embrasser, puisqu'une voix dans sa tête lui répétait que ce n'était plus Barty, que Barty était mort, aussi elle s'en abstint.
La mâchoire de Bellatrix était verrouillée dans sa configuration la plus serrée. Sa langue pesait tant sur son pharynx qu'elle en ressentait une légère nausée.
Elle effleura de ses lèvres la paume de l'automate, leva sa baguette en se délestant d'une expiration tremblante et prononça le sortilège. Dans son enclos de verre, la luciole parut une seconde décontenancée par le flash de lumière verte qui colora les murs ; ensuite elle redoubla d'effort pour impressionner son concurrent imaginaire.
Bellatrix resta immobile un long moment, à se demander quoi faire, tandis que le cadavre glissait tout doucement contre la tête de lit.
Sur le chemin du retour, elle croisa l'infirmière, bien réveillée à présent et proprement paniquée à la vue de sa robe de Mangemort. Bellatrix voulut feuler dans sa direction : « Vous pourriez au moins tuer les gens correctement ! » mais sa voix se brisa au milieu de la phrase.
Lorsqu'elle réapparut devant Ste Mangouste et que Rabastan entoura son épaule d'un bras consolateur, elle put enfin cacher son visage dans ses mains pour pleurer.