Disclaimer : Rien ne m'appartient, les personnages et l'univers sont à JK Rowling, la fiction est l'oeuvre d'une auteur qui souhaite rester anonyme, je n'en suis que la traductrice.
Publication:La fiction fait 8000 mots en tout, je la publie en 2 chapitres. J'ai déjà bien entamé la traduction du deuxième, j'espère être en mesure de vous le livrer prochainement...
Beta: Lylène, côté français, Prince Edwin côté anglais.
Bonne lecture!
Comme si la guerre n'avait pas eu lieu
Cette année-là, l'anniversaire de la mort de sa mère était un jeudi, ce qui irritait infiniment Drago. Le jeudi était un jour tellement commun ; son seul titre de gloire était de précéder le vendredi. Son anniversaire aurait toujours dû être un dimanche ; c'était un jour qui avait une certaine gravité. Quelque chose de suffisamment solennel pour sa mère. Pas comme ce jeudi puant, ce jour au rabais.
Drago lui aurait rendu hommage un dimanche tous les ans, si cela ne lui avait pas semblé être un peu fou. Quelque chose qu'il essayait d'éviter à tout prix. Ce qui se révélait un peu plus difficile qu'il ne l'aurait voulu.
Les années d'après-guerre n'avaient pas été douces. Pour le dire gentiment. Après avoir été élevé sous les flonflons de la tradition et de l'histoire, avec sa place dans cette histoire qu'on lui rabâchait à longueur de temps, voir lesdits flonflons réduits au silence - non, désintégrés – laissait un vide insupportable, qu'il était incapable de remplir. Le Manoir détruit pendant la guerre. Ses amis tués. Ses parents morts. Il ne restait vraiment plus rien.
Il ne s'en était pas rendu compte pendant que ça arrivait, mais c'est alors qu'il était avait été virtuellement prisonnier dans l'Impasse du Tisseur, durant la totalité de la guerre, que les flonflons s'étaient tus. Non qu'il sache cela, lui qui avait autrefois vécu dans l'illusion de savoir ; son monde s'était joliment désintégré, le laissant totalement en dehors. Chaque ami tombé, chaque centimètre carré du Manoir Malefoy, réduit à des échardes et de la poussière, avait été détruit sans qu'il le sache.
A vous rendre dingue. Votre monde tout entier se retrouvait rayé de la carte, et vous n'en saviez rien. Vous preniez votre petit-déjeuner, buviez votre thé trop clair accompagné de scones volés, pendant que votre mère se faisait tuer par Voldemort. Et vous n'en saviez rien.
Son procès avait été bref. Pointer sa baguette sur quelqu'un et souhaiter qu'il soit mort n'était, Dieu merci, pas un crime. La partie sur l'armoire à disparaître avait levé quelques problèmes, mais était quantité négligeable au regard des crimes plus sérieux commis par d'autres. Son âge avait également joué en sa faveur. Quelques personnes souhaitaient désespérément lui coller la mort de Dumbledore sur le dos, mais avec le témoignage de Potter, qu'est-ce qu'ils pouvaient faire ?
Les durs du Ministère se consolèrent en réquisitionnant la totalité de son héritage. Il ne pouvait pas toucher à l'argent qu'il avait en France, donc Drago n'était pas ruiné. Bon Dieu, ça, ça restait vraiment en travers de la gorge à certains, mais quelle importance ? Les gens étaient idiots. Ils ne se rendaient pas compte que l'argent était inutile ? Il n'avait plus rien.
En attendant de devenir fou – et Drago avait le soupçon furtif qu'il n'en était pas si loin que cela – il avait loué un petit appartement sur le Chemin de Traverse. Meubler l'appartement avait été légèrement problématique ; inutile d'acheter quoi que ce soit quand vous vous étiez sur le point de péter les plombs. Il avait dû s'introduire frauduleusement dans le Manoir Malefoy au cœur de la nuit pour voler le peu de mobilier que le Ministère n'avait pas détruit dans leur zèle à capturer son père. Est-ce que la folie était réellement si loin que ça, quand vous vous retrouviez à voler votre propre lit ?
Il ignora le léger toctoc à la porte. Il avait souvent entendu frapper à la porte et avait décidé depuis longtemps qu'il n'allait pas dorloter sa folie.
Et puis le toctoc appela :
— Malefoy, ouvre.
Cela ne faisait que peu de temps que le toctoc avait commencé à parler.
— Ouvre cette putain de porte.
Drago l'ignorait toujours, quand le toctoc se mettait à parler.
La porte s'ouvrit.
Si Drago n'avait pas été totalement terrifié, il aurait pu gratifier sa démence d'un signe de tête pour son ingéniosité, car là se tenait Harry Potter, un bouquet de roses, blanches, avec de longues tiges, dans les mains. Potter était généralement la voix du toctoc. C'est comme ça que Drago avait su qu'il devenait fou. Depuis quand Harry Potter (admiré vainqueur de seigneurs ténébreux) passait-il – Drago regarda sa montre – pour prendre le thé avec Drago Malefoy (ancien adepte en disgrâce de seigneurs ténébreux). Pas dans cette putain d'existence.
En tous les cas, sa folie faisait bien les choses, car Potter était en retard.
— Désolé. C'est aujourd'hui, n'est-ce pas ?
Drago hocha la tête. Il avait découvert qu'il valait mieux être courtois avec ces hallucinations.
— Quand on a fait sauter le Manoir, je me rappelle qu'il y avait ces belles roses blanches, dans le jardin noir de suie.
Drago hocha la tête à nouveau. Pas qu'il ait été là, mais il avait vu les ruines agonisantes de ce qui avait été la roseraie. La roseraie de sa mère.
L'hallucination posa les fleurs sur la table et marcha jusqu'au canapé où Drago était assis. Drago pouvait sentir le parfum lourd, presque suffocant des roses. Il inspira profondément, et réprima un souvenir d'enfance, souvenir de sa mère se tenant au-dessus d'un vase, ses boucles d'oreille en diamant étincelant dans la lumière des bougies, tandis qu'elle disposait les roses dans un arc harmonieux. L'hallucination s'assit à côté de Drago et l'entoura de ses bras.
C'était le moment que Drago préférait. Ça n'arrivait pas souvent et seulement avec l'hallucination Potter. Drago s'émerveillait toujours de la précision de sa démence car il pouvait sentir la charpente frêle du corps de l'homme qui le tenait. Et la chaleur d'un soupir contre son oreille.
— N'abandonne pas, Malefoy.
oO&O&Oo
Les roses étaient là. Et encore là. Le raisonnement de Drago était que s'il ne les voyait ni ne les sentait, alors elles n'existaient pas. Et donc, par extension, l'élaborée hallucination de Potter-livreur-de-fleurs qui le prenait dans ses bras, lui faisait une tasse de thé, et insistait pour qu'il mange la soupe qu'il avait apportée n'était pas réelle non plus. Malheureusement, Drago n'était pas capable d'empêcher les roses imaginaires d'emplir l'appartement de leur arôme sensuel, lorsqu'elles s'ouvrirent, ou de leur parfum douceâtre, quand elles moururent, se flétrissant car elles n'avaient plus d'eau.
L'odeur des roses était si intenable qu'il se retrouva à passer la semaine complète dans sa chambre, porte fermée, se bouchant le nez lorsqu'il jetait Accio sur des biscuits d'apéritifs pour les faire venir depuis la cuisine, quand son estomac protestait.
Il semblait y avoir pas mal de règles, à propos de cette histoire de démence, des règles que Drago ne connaissait pas, mais il était sûr et certain que vous ne mettiez pas des fleurs qui n'existaient pas dans l'eau.
Il se tenait à l'entrée de sa chambre quand le toctoc revint. L'odeur avait disparu, mais ces fichues roses étaient toujours là. A se moquer de lui. Oh bon sang, comment était-il possible que la démence soit si rusée ? Les pétales, auparavant délicats et immaculés, si blancs, si innocents, étaient désormais tout fripés et brunis aux extrémités. Exactement l'apparence que vous attendriez de roses qui n'auraient pas eu d'eau durant une semaine. Mais s'il allait jusque là et les prenait dans sa main pour les jeter, les jeter pour ne plus avoir à les voir, ou plutôt penser qu'il les voyait, ce serait l'atroce aveu qu'il croyait qu'elles étaient réelles. Et si sa main se tendait pour les saisir, et qu'il n'y avait rien… Alors. Et bien alors. Il avait été capable de faire comme s'il ne les sentait pas, et qu'il voulait vraiment rester cloîtré dans sa chambre tout ce temps, parce que, et bien, c'était vrai. Et de faire comme si son estomac était trop mal en point pour autre chose que des biscuits salés. Ce qui était vrai, car ces putains de roses étaient toujours dans son salon.
Le toctoc devenait très insistant, mais il s'en irait s'il l'ignorait. La plupart de ses hallucinations étaient très arrangeantes. Une autre de ces règles à laquelle il s'habituait doucement. C'était bien sa chance que l'hallucination Potter ne respectait jamais les règles. En un sens, c'était bizarrement réconfortant, parce que ça collait avec le vrai Potter. « De la logique dans sa folie » commençait soudain à vouloir dire quelque chose.
Il sentit une perturbation dans la magie, quand les protections tombèrent, et que la porte s'ouvrit ; Potter entra. Drago ne pouvait bouger à cause des fichues roses, alors il resta là, pendant que Potter découvrait les roses toujours sur la table et lui-même s'accrochant si fort au chambranle que sa main en serait endolorie pour plusieurs jours.
Il refusait totalement de parler à ses hallucinations – ça aurait vraiment été dépasser les bornes – mais il pouvait s'abaisser à utiliser sa démence contre sa démence. Il désigna les roses et agita la main comme pour dire « Débarrasse m'en ».
A la différence du vrai Potter, l'hallucination semblait passablement intelligente. D'un mouvement de la baguette, les roses disparurent.
La démence vous rend vraiment barge. L'hallucination Potter possédait à la fois une cervelle et de l'intuition, choses dont le Potter de Poudlard manquait dans les grandes largeurs. Drago doutait franchement que le Potter de Poudlard aurait même été capable d'épeler « intuition ». Drago n'avait jamais été capable de définir comment le Potter de Poudlard s'en sortait ; il semblait un improbable mélange de pouvoir magique gigantesque et d'imbécilité complète. Pas comme ce Potter, qui avait deviné…
Potter le fixait.
Il était à moitié tenté de faire une remarque déplaisante. C'est ce que l'ancien Drago Malefoy aurait fait. Le Drago Malefoy à moitié fou ne pouvait faire plus qu'imaginer les répliques. La règle de ne pas parler aux hallucinations était une ligne qu'il était déterminé à ne pas franchir, même si c'était très tentant.
— On dirait que ça fait une semaine que tu n'as rien avalé.
Très certainement, il pouvait se permettre un regard vers la table où les roses s'étaient tenues, complotant l'effondrement total de sa raison.
— Les roses. Tu n'as pas pu manger à cause des roses.
Drago haussa les épaules. Hausser les épaules pour répondre à une hallucination ne semblait pas trop dangereux.
— Bon sang, Malefoy.
Pour une raison étrange, Potter ravalait des larmes. Quel coin totalement fêlé de son cerveau avait pu faire naître ce scénario-là ?
— Ok, tu veux bien manger quelque chose pour me faire plaisir, maintenant ? Elles ne sont plus là.
Drago hocha la tête.
— Tu veux bien t'asseoir à table ? M'attendre ? Je vais aller te chercher quelque chose à manger.
Là-dessus, Potter sortit et referma la porte derrière lui. Drago replaça les protections, mais les modifia pour que Potter puisse aller et venir à sa guise. Après tout, il l'avait débarrassé des roses. Drago fronça les sourcils. Mais c'était lui qui les avait amenées.
Drago s'assit à la table et il ruminait toujours ce paradoxe quand Potter revint.
— Tu as refait les protections pour que je puisse entrer ?
Potter avait l'air incertain et à nouveau quasiment au bord des larmes. Drago n'avait vraiment pas le temps pour ça, car il pouvait sentir la nourriture, et soudain, il n'y avait rien de plus important que de manger. Il roula des yeux.
— Cette expression est presque normale, murmura Potter en commençant à servir leur repas.
Drago avait trop faim pour dépenser beaucoup d'énergie à savoir si la nourriture servie par l'hallucination était réelle ou non. Le thé de la semaine précédente avait été réel car c'était son thé à lui. Mais, encore une fois, c'était Potter qui l'avait préparé, alors il avait quand même des doutes. Et la soupe de la semaine dernière lui avait donné l'impression d'être rassasié, tout comme le ragoût qu'il était en train d'essayer de ne pas engloutir trop rapidement. Il était peut-être fou, mais il était déterminé à ne pas abandonner les bonnes manières. Utiliser le fait qu'il était fou à lier comme excuse n'aurait pas attendri sa mère le moins du monde ; elle ne lui aurait jamais pardonné de se laisser aller. Le fait qu'elle pourrissait au fond du cimetière à l'abandon du Manoir, incapable de faire le moindre commentaire sur la façon dont il tenait ses coudes, n'était pas pertinent.
Le Potter imaginaire avait aussi apporté des petits pains et une plaquette de beurre. Drago aimait plutôt le beurre. Juste à cet instant, il décida qu'il pouvait s'accommoder de l'hallucination Potter. Elle semblait bienveillante. Sauf pour la partie sur les roses. Et, oh, le fait que c'était Potter. Dans l'ensemble, cependant, tout ce que sa démence semblait associer à Potter était plutôt positif. Il se saisit d'un autre petit pain.
— Je les ai pris au Chaudron Baveur. La femme de Tom fait un bon ragoût, non ? Je suis désolé pour les roses. Tu es vraiment, vraiment maigre. Je sais que je peux toujours parler, mais, bon sang, Malefoy. A côté de toi, j'ai l'air potelé. Tu en veux plus ? Je n'arrive pas à finir. Super. Tu peux le prendre, bien sûr. Tu ne quittes jamais ton appartement, si ? Tu ne vas jamais dehors ?
Dehors ? Drago laissa tomber son couteau. Oh putain, il n'arrivait plus à respirer. Dehors ? Dehors ? Il ferma les yeux pour se protéger du désespoir infini que ces deux minuscules syllabes convoyaient. Qu'est-ce qu'il se passerait s'il allait Dehors et qu'il n'y avait pas de Manoir Malefoy - même s'il savait qu'il n'y avait pas de Manoir Malefoy – et que sa mère n'était pas chez Madame Guipure à faire des essayages pour une nouvelle robe, parce qu'elle n'y était pas, et que son père n'était pas à Gringotts en train de conclure une affaire avec cet affreux gobelin aux dents grises et un penchant pour les vestes de mauvais goût vert citron, parce qu'il n'y était pas et que… et que…
Des sons atroces commencèrent à retentir dans la pièce. Comme si quelqu'un était en train d'écorcher un chat, et si Drago avait pu parler, il aurait hurlé : « Mais punaise, que quelqu'un mette fin aux souffrances de cet animal ! ». Est-ce que c'était Potter qui faisait ces bruits affreux ? Une part de lui éprouvait de la curiosité, mais il n'osait pas ouvrir les yeux. Parce que s'il ouvrait les yeux, et qu'il n'y avait rien ? Comme le Dehors. Que tout était blanc, de la couleur des roses, et qu'il n'y avait rien d'autre ?
L'aspect le plus terrifiant de la folie était une version complètement tordue de 'si un arbre tombe dans la forêt et qu'il n'y a personne pour l'entendre…'. Dans le cas de Drago, c'était « Si aucune des personnes qui avaient été importantes pour lui n'était vivante – et elles ne l'étaient pas – alors est-ce qu'il y avait quoi que ce soit, dehors ? »
Il ne s'était pas juste réveillé un matin en décidant que c'était le jour idéal pour devenir fou. C'était un processus graduel, insidieux, qui serpentait d'une simple idée à une autre, jusqu'à ce que, comme un Cognard entre les deux yeux, il réalise à quel point il était en train de devenir taré. Et alors, c'était comme monter un balai ensorcelé, s'accrochant à sa putain de raison comme à la seule chose qui le séparait du vide.
D'abord, il avait arrêté de sortir à moins que ce ne soit absolument nécessaire. Il y avait là une explication à la fois émotionnelle et pratique. Rien de fou là-dedans.
Parcourir le Chemin de Traverse évoquait des milliers de souvenirs qui faisaient un mal de chien. Le monde de l'après-guerre était désert pour lui. Il n'y avait pas de Pansy avec qui se moquer de l'état pathétique des robes de la Belette, pendant qu'ils mangeaient des glaces chez Florian. Sa mère n'allait pas glisser son bonbon favori dans sa bouche pendant qu'il faisait des essayages, parce qu'elle ne voulait pas qu'il mette du sucre sur le tissu. Pas de vantardises auprès de Vince et Greg sur le nouveau balai que son père lui avait offert pour son anniversaire. On pouvait être sûr que son père n'allait pas lui offrir de balai.
Et puis, il y avait le facteur « fils de Lucius Malefoy, le maléfique Mangemort répugnant et visqueux » qu'il fallait gérer chaque fois qu'il mettait un pied hors de son fichu appartement. Pourquoi s'exposer à un monde qui le mettait plus bas que terre ? Les commerçants qui, avant la guerre, léchaient les pieds de son père, prenaient maintenant grand plaisir à le regarder de haut. Il avait fini par faire presque tous ses achats dans l'Allée des Embrumes, où ses Gallions étaient toujours les bienvenus. Mais l'Allée des Embrumes était un endroit abominable, le désespoir et la souffrance si palpables qu'il pouvait en sentir l'odeur sur ses vêtements quand il rentrait chez lui. Il n'y allait que parce qu'il n'avait pas le choix.
Il aurait probablement continué comme ça longtemps, si quelqu'un n'avait pas essayé de le tuer à mains nues, au coin de chez Florian Fortarôme, moins de six mois après son procès. « Les péchés du père », vous savez. Après ça, il s'était débrouillé pour que la banque paie directement son loyer, et que la nourriture lui soit livrée. Il était clair qu'il n'avait pas sa place dans ce nouvel ordre du monde, et, encore pire, qu'il n'avait rien à en attendre, à part tenter de rester en vie. Quel était l'intérêt, quand vous ne pouviez pas sortir prendre un cornet de glace, car vous aviez besoin de vos deux mains, au cas où une espèce de dingue essaie de vous étrangler ? Il n'était même pas digne d'un sort.
Il savait exactement quand l'idée abstraite qu'il n'avait rien à faire dans ce monde était devenue concrète. Quand « dehors » était finalement devenu « le Dehors ».
Drago avait longtemps combattu ce concept, parce qu'il ne voulait pas franchement être prisonnier d'un petit appartement au-dessus d'une poissonnerie pour le reste de sa vie. Et puis, dans une certaine mesure, il savait que c'était la voix de la démence. Mais il était aussi démuni face aux flonflons de la démence qu'il l'avait été contre les flonflons de noblesse oblige dans sa jeunesse. Il se battit comme un enragé contre cette notion qu'un monde où il n'était rien puisse se transformer pour de bon en un vrai néant. Ça commença à vraiment partir en vrille quand cela fit six mois qu'il n'avait vu ni parlé à personne, et, parce qu'il avait cessé d'exister pour le monde réel, le monde réel commença graduellement à cesser d'exister pour lui.
Il savait qu'il aurait dû aller dehors, aurait dû juste parler à quelqu'un, n'importe qui, que quelque chose d'horrible et peut-être irréversible était en train d'arriver, mais il ne pouvait pas bouger. Il s'était tenu à sa fenêtre, à observer l'agitation et l'affairement habituels dans le Chemin en bas de chez lui, mais il s'en sentait étrangement déconnecté. Comme si les gens n'étaient pas réels et les vitrines seulement un décor. Et ça le terrorisait plus que tout. Il aurait dû bouger ses fesses jusqu'à la porte, et s'assurer qu'ils étaient réels. Il s'était tenu à la porte, désireux de tourner la poignée, et de franchir le seuil, mais il n'avait pas pu.
Le jour où il avait fermé les rideaux était le jour où dehors était devenu le Dehors.
Il était maintenant convaincu que son ancien monde s'était simplement évanoui. Sans les gens qu'il avait aimés pour en ancrer la réalité, il n'y avait rien là dehors. Par association logique, si vous sortiez dans le rien, vous deveniez rien.
Il était donc piégé pour toujours dans un appartement, qui, quand il n'avait pas le parfum des roses mortes, puait le hareng. A être consolé par une hallucination.
Putain, même pour lui, ça semblait joliment dément.
Des cheveux très fins chatouillèrent son nez et il éternua. Les angles aigus du corps qui l'étreignait ressemblaient fort à Potter.
— A tes souhaits.
La voix de baryton de Potter résonna doucement à ses oreilles. Il ouvrit les yeux.
D'une façon ou d'une autre, ils se retrouvèrent dans sa chambre. Allongés sur son lit, Potter le berçait, le protégeait. Le protégeait du Dehors.
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Après ça, l'hallucination Potter commença à Transplaner à son appartement régulièrement. Réglé comme du papier à musique, à vrai dire. Il arrivait autour de six heures tous les soirs, avec quelque chose à manger. Ce que Drago appréciait réellement, parce qu'il en était arrivé au point où manger des biscuits salés réels lui donnait envie de vomir, et que manger de très corrects plats à emporter imaginaires était bien plus appétissant.
Ils avaient de grandes conversations, durant le repas. Potter faisait toute la conversation – parce que Drago n'avait toujours pas abandonné sa résolution de ne pas parler à ses hallucinations ; là se trouvait la vraie folie. Puisque c'était son subconscient qui générait ces histoires, il avait maintenant un certain respect pour la psychose. Chaque soir, son Potter imaginaire bavardait de ses amis. Ou de Quidditch. Ou des difficultés et tribulations de sa vie d'apprenti Auror. De comment Potter avait pensé qu'il aurait été fiancé à Ginny Weasley, à l'heure actuelle, mais que ça n'avait pas marché. C'était des conversations faciles. Pas terriblement intéressantes, notez bien, mais le Ça de Drago pensait clairement qu'il avait eu assez de trucs palpitants pour toute une vie. Il trouvait le prosaïque réconfortant. On ne parla plus du Dehors, et pour cela, Drago remerciait les dieux de la démence. Ce soir, Potter était tout en émoi à propos de Ron et Hermione qui allaient se marier. Drago perdit pas mal de respect pour son subconscient, parce que c'était tellement prévisible, mais il pouvait riposter.
Il amena deux doigts jusqu'à sa bouche et fit semblant d'avoir la nausée.
— Oui, je sais que tu ne les aimes pas, mais c'est mes amis, d'accord ?
Drago haussa les épaules.
— Malefoy…
Oh bon dieu, Drago détestait quand l'hallucination partait comme ça. Toute larmoyante et pleurnicharde. Il pouvait l'entendre dans la voix de Potter. Drago détestait le larmoyant et pleurnichard par principe. Parce qu'il avait été larmoyant et pleurnichard durant des mois, et que ça n'avait abouti à rien. Ses parents étaient morts quand même, et ses amis avaient été tués quand même. Est-ce qu'il devait à Potter de faire comme si ça le touchait ? Oui, malheureusement.
Le plat de ce soir avait été plutôt savoureux.
Il leva les sourcils. Lever les sourcils était tout aussi inoffensif que de hocher la tête.
— Est-ce que ça te va, maintenant ? Que je vienne ici ? On est amis ?
Drago se renfonça dans sa chaise. Comment une personne saine d'esprit répondrait-elle à ça ? C'était bien joli de faire semblant d'être sain d'esprit, mais puisqu'il ne s'agissait que de faire semblant, pourquoi ne pas répondre ? Est-ce qu'une personne démente faisant semblant d'être saine d'esprit pouvait avoir une opinion raisonnable à propos d'une hallucination ? C'était juste un hochement de tête, après tout, mais une fois encore, ça semblait être comme franchir une sorte de Rubicon du Ça. Et que s'il disait oui, alors, il y aurait tout un tas d'implications.
Il n'était pas vraiment en état de gérer des implications. Le « i » de implications n'était pas très éloigné du « d » de dehors. Les deux mots finissaient par un s.
Et puis, c'était Potter. Sans être Potter.
Oh, va chier. Les dieux de la démence se fichaient de lui une fois de plus. A peine avait-il décidé qu'il était parfaitement légitime d'accepter de la nourriture imaginaire de la part d'un archi-ennemi imaginaire, que ça lui revenait comme un boomerang.
Il fallait considérer les faits. Ce n'était pas réellement Potter, parce que le vrai Potter ne lui aurait pas fait manger du poulet tandoori avec un truc appelé nan et qui était vraiment bon quand on le trempait dans cette petite préparation au concombre. Le vrai Potter lui aurait lancé des sorts mortels au moins six millions de fois, au lieu d'essayer de le rengraisser avec des plats à emporter.
Drago soupira de soulagement. Faire semblant d'être sain d'esprit marchait. Les faits avaient été particulièrement insaisissables, dernièrement, et il était bon de savoir que la capacité de penser d'une manière plus ou moins logique ne l'avait pas encore complètement déserté. Allez vous faire foutre, dieux de la démence. Voilà, ce n'était pas le vrai Potter. Il savait ça depuis le début, mais pour la première fois, l'idée lui plaisait. Même si ça voulait dire qu'il était vraiment relativement dément. Parfois, toutefois, la lumière frappait Potter d'une certaine façon, ou il riait, ou passait ses mains dans ses cheveux, et on aurait vraiment dit le vrai Potter.
Mais si c'était le vrai Potter… Drago était peut-être dingue, mais il ne voulait pas vraiment mourir, même si certains jours il n'en était pas loin. Il serait déjà mort, à l'heure qu'il était, si ça avait été le vrai Potter ; le Potter imaginaire était gentil avec lui et lui ramenait des fish and chips additionnés de vinaigre extra et de tonnes de sel. Juste comme il les aimait.
Où est-ce que ça menait ?
A un ami imaginaire qui ressemblait à Potter, mais était bien plus agréable que le vrai Potter, qui semblait s'inquiéter pour lui, qui ne l'insultait pas et ne lui jetait pas de maléfices, et qui avait à sa disposition toute une bibliothèque de menus de plats à emporter. Et plus important, à un ami qui le tenait contre lui quand le Dehors commençait à chuchoter son nom.
D'accord, ce Potter semblait avoir les mêmes amis pénibles que le vrai Potter, mais Drago apprenait à accepter les petits caprices de la démence. La connaissance absolument parfaite que Potter avait du moindre vendeur de plats à emporter dans un rayon de cinq kilomètres à la ronde compensait largement le fait d'avoir Weasley et Granger pour amis.
Alors étaient-ils amis ? Drago fit oui de la tête. Parce que c'était vrai.
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NdT : N'hésitez pas, évidemment, à laisser un commentaire.
J'essaierai de publier rapidement le deuxième chapitre.
Si toute cette Angst vous laisse un goût amer, j'ai traduit des textes beaucoup plus légers que je vous invite à aller découvrir sur mon profil.