Disclaimer : La licence Code : Lyoko, son univers et ses personnages sont la propriété du studio Moonscoop et de leurs ayant-droit. Il n'est fait aucun profit à partir de cette fiction.
Cette histoire est fictive. Toute ressemblance avec des personnes, groupes ou entités de la vie réelle est purement fortuite.

Réinitialisation

Chapitre Premier
Causalité

Toute cause engendre une conséquence. Toute action provoque une réaction. Sur cette base, toute existence interagit avec son milieu et le modifie. Notre monde est régi par des règles, des lois. L'univers est un immense système que l'on peut subdiviser en une infinité de systèmes de dimensions inférieures. Les galaxies, les systèmes solaires, les planètes, les organismes macroscopiques et microscopiques, les molécules et atomes, pour ne citer que les plus évidents. A côté de cela, l'humanité ne peut s'empêcher de reproduire ce qu'elle voit tous les jours dans son environnement. Le réseau informatique mondial, par exemple, n'est rien de plus qu'un système dont les lois qui le coordonnent respecte ce sacrosaint principe de la causalité. Toute information entrée au cœur de la toile en affecte le milieu, le modifie et le façonne. Le web n'est rien d'autre qu'un univers artificiel et parallèle, créé par la main de l'homme. Un système virtuel, une immense illusion sur laquelle repose aujourd'hui les fondements de notre société : notre culture, notre économie, notre savoir, notre histoire. Incroyable n'est-ce pas ? Les bases de notre civilisation repose désormais sur une création humaine, une création aussi fragile que l'homme lui-même. Bâtir un édifice sur un terrain instable. Il faut vraiment être dingue pour faire cela. Et pourtant chaque jour, nous apportons une pierre de plus à cette construction titubante. Qu'on le veuille ou non, l'ère du numérique a affectée notre pensée et notre autonomie. En fait, le web n'est pas un univers parallèle, non : c'est un univers sécant au nôtre, il le coupe en un point : Internet. Et ce point de rencontre qui permet à notre univers réel d'interagir avec cet univers que nous avons fabriqués, ce point de rencontre est la cause… La cause de tout ce qui est arrivé. Mais pouvions-nous en prévoir les conséquences ?

Perdu dans ses pensées, Jérémie regardait le paysage quasi-statique à travers la vitre arrière droite de la voiture. Cela faisait bien trente minutes que la voiture faisait du surplace au beau milieu de l'autoroute. Ce n'était vraiment pas la période idéale pour rentrer. Même à trois jours de la fin des vacances d'été, la circulation était toujours aussi dense. Les bouchons à l'approche de la capitale et aux alentours, en banlieue parisienne, étaient vraiment extraordinaires. Les yeux de l'adolescent se perdaient dans le vague, se baladant aléatoirement sur les vastes étendues d'herbes folles au bord de la route. Depuis un long moment, le jeune homme était silencieux à l'arrière de la voiture familiale, comme si il était soucieux ou pensif.

« Jérémie, tu vas bien ? lui demanda Aelita, inquiète du silence de son ami. »

L'interpellé émit un petit son qui trahit sa surprise. La voix de celle qu'il aimait venait de le ramener sur terre. Il tourna sa tête dans l'autre sens pour faire face à l'adolescente qui venait de s'enquérir de son état. Aelita lui souriait et il ne put s'empêcher de lui rendre son sourire et de prendre ses mains dans les siennes d'un air rassurant mais un peu gauche avant de répondre sans vraie conviction :

« Oui, oui ! Ne t'en fais pas. Je - J'étais juste en train de penser à… enfin, tu sais…

- Allons, Jérémie ! Tu ne vas pas me dire que tu appréhendes la rentrée, lança le père du garçon, l'air taquin, en regardant dans le rétroviseur intérieur.

- Ben, si un peu en fait… Cette année est quand même décisive et j'espère vraiment réussir en scientifique, mentit le jeune Belpois. »

Ses parents qui étaient à l'avant du véhicule commencèrent à rire en rassurant leur fils sur le fait qu'il était l'un des meilleurs et qu'il n'avait pas de souci à se faire. Mais cela, sans prétention, Jérémie le savait déjà. Ce qui le torturait était autrement plus grave que la question de la réussite d'une année scolaire.

Tout avait commencé quelques jours avant la fin des vacances, avant qu'il ne se retrouve enfermé dans cette voiture à patienter dans les embouteillages, au milieu de la fumée et du bruit des moteurs. Aelita et lui étaient en vacances sur la côte bretonne, puisque, comme à chaque vacances, les parents de Jérémie avaient acceptés sans poser de questions d'emmener la jeune adolescente pour faire plaisir à leur fils. Alors qu'il était retourné au bungalow que ses parents louaient pendant la durée des vacances, laissant ces derniers bronzer sur la plage, le jeune génie avait surpris son amie en train de pleurer. Celle-ci ne l'avait pas vu entrer puisqu'elle tournait le dos à la porte, assise dans un fauteuil. Jérémie n'avait pas pu voir le visage de la jeune fille, seulement sa chevelure rose et ses épaules mais à en juger par les soubresauts qui les traversaient et les bruits qu'il avait pu percevoir, cela ne faisait aucun doute : Aelita était en train de pleurer à chaudes larmes. Inquiet, le garçon s'était approché et avait posé sa main sur l'épaule d'Aelita en lui demandant ce qui se passait. Elle avait sursauté puis l'avait regardé droit dans les yeux, non sans essuyer les siens qui étaient emplis de larmes d'un revers de main. Elle lui avait alors répondu en mentant qu'il n'y avait rien du tout. Jérémie avait beau ne pas être très psychologue, il comprit qu'il était évident qu'Aelita ne lui disait pas la vérité. Il s'était donc assis aux côtés de son amie, sur l'accoudoir pour être précis et avait passé son bras derrière la nuque de sa voisine pour la réconforter. Il lui avait ensuite demandé de lui faire confiance et de lui dire de quoi il s'agissait. D'abord réticente, Aelita avait fini par céder, comprenant qu'elle ne pourrait pas garder cela pour elle seule plus longtemps et que Jérémie n'avait, de toute façon, pas l'intention de partir et de la laisser comme ça. Après tout, avec tout ce qu'il avait fait pour elle depuis qu'ils s'étaient rencontrés, elle ne pouvait pas le planter là alors qu'il s'inquiétait à son sujet. Le problème, c'est qu'elle savait que lui révéler ce qui la rendait soucieuse jetterait le trouble dans l'esprit de son ami et le ferait certainement culpabiliser. Mais elle ne pouvait pas, ne pouvait plus ne rien lui dire. Alors elle avait commencé à balbutier entre deux sanglots :

« C-C'est au sujet… d-de mon père… I-Il me manque tellement… »

Cette simple phrase continuait de le torturer, de torturer son esprit. Jérémie, depuis cette discussion qu'ils avaient eu, n'avait de cesse de culpabiliser au sujet de la disparition de Franz Hopper, le père génétique d'Aelita. La jeune fille avait tenté de lui faire comprendre qu'il n'était aucunement responsable et qu'elle ne lui en voulait pas et ne pourrait jamais lui en vouloir. En tant que créateur de Lyokô, en tant que « Dieu » de ce monde virtuel, il était le seul à pouvoir fournir l'énergie nécessaire pour vaincre X.A.N.A. Mais au-delà de cette nécessité, Jérémie se souvenait surtout du cri de désespoir et des pleurs de son amie lorsque l'orbe lumineuse, l'enveloppe virtuelle incomplète de Franz, avait explosé, laissant ses données s'éparpiller au quatre coins du réseau. Et de la phrase presque impitoyable qu'il avait formulé pour convaincre Aelita d'abandonner son père et dont il n'avait pas réalisé tout le sens : « Si tu ne relances pas le programme maintenant, ton père va se sacrifier pour rien. » En soi, cette phrase était une analyse objective de la situation. Mais au goût de Jérémie, il s'était comporté avec un trop grand sang froid, une trop grande distance : il n'avait pas envisagé une seconde les conséquences pour Aelita, pour son avenir… Aelita aurait peut-être pu sauver son père ET éliminer X.A.N.A.

« Eh ! Jérémie.. »

La voix de son amie le ramena à nouveau à la réalité, les yeux verts de la jeune fille portaient un regard rassurant sur lui et son sourire si craquant tentait d'apaiser sa peine.

« Je sais à quoi tu penses, lui confia-t-elle à voix basse, il faut que tu arrêtes de te blâmer pour ce qui s'est passé. J'aurais pas dû ramener ça sur le tapis, je suis désolée… »

Madame Belpois regardait dans le rétroviseur intérieur, intriguée qu'Aelita se soit penchée à l'oreille de son fils pour lui murmurer quelque chose. Finalement, elle sourit et porta de nouveau les yeux sur la route tandis que son mari jouait de l'accélérateur et du frein.

« Ecoute, Jérémie, j'ai bien réfléchi et… Je voudrais que l'on passe à autre chose. Tous les deux… On ne peut pas ramener continuellement à la surface cette histoire. Je voudrais… enfin si t'es d'accord…. J'aimerais aller déposer une gerbe de fleurs à l'usine, en mémoire de mon père.

- Si tu penses que ça peut t'aider, répondit Jérémie. »

Aelita se pencha encore davantage et déposa un baiser sur sa joue, peut-être pour ne pas s'attirer les soupçons des parents du jeune homme. Jérémie se sentit rougir et frissonna.

« En attendant, promets-moi de penser à autre chose… »

Le jeune génie resta silencieux un moment puis promit d'essayer. Il était sincère. Elle lui avait révélé qu'elle n'avait cessé d'être tourmentée par la mort de son père durant les deux années qui s'étaient écoulées. Les cauchemars au sujet de X.A.N.A avait été remplacé par des cauchemars au sujet de son père. Il espérait vraiment que l'idée de son amie marcherait et qu'en honorant la mémoire du scientifique disparu, ils pourraient enfin tourner la page.

La circulation finit enfin par se fluidifier et la voiture put reprendre sa route. Dans moins d'une trentaine de minutes, Jérémie et Aelita seraient certainement à Kadic. Au fond, la rentrée tombait à point nommé. Cela leur fournirait de l'occupation, ils auraient moins de temps pour ressasser le passé. Une sorte de garantie : si le projet d'Aelita n'apaisaient pas leurs esprits, le travail les divertirait de leurs obscures réflexions.


Il n'y avait pas de doute : cette dernière journée des vacances étaient vraiment l'une des plus belles et des plus chaudes de l'été qui venait de s'écouler. Cela avait d'ailleurs quelque chose d'agaçant, de rageant. Ulrich Stern était étendu dans la pelouse, les yeux fermés, les mains croisées derrière la tête en guise d'oreiller. Le jeune homme avait décidé de profiter de ce dernier jour de vacances pour se prélasser à l'ombre dans le parc du lycée. Tant qu'à être enfermé dans une prison à ciel ouvert à une journée de la rentrée, autant choisir l'endroit le plus confortable. Les arbres feuillus ne laissaient passer qu'une partie de la lumière du soleil et ce n'était pas plus mal, pas question de jouer les brochettes et de se tartiner de biafine ensuite si près de la rentrée. Une odeur apaisante d'herbe et de pin arrivait aux narines du jeune homme ; il y avait un côté irréel à tout cela. Ulrich avait l'habitude de traîner dans le parc, tant pour le plaisir que lorsque, vexé ou fâché avec un ami, il s'y réfugiait pour ruminer. Cette odeur lui était donc très familière mais là, étendu au sol, les yeux fermés, ses autres sens lui paraissaient s'épanouir pleinement. Des souvenirs lui revinrent en mémoire, certains le faisant sourire, d'autres lui serrant le cœur. C'était notamment dans le parc qu'il se réfugiait après ses disputes avec Yumi, souvent de simples quiproquos rarement plus. Mais quand on n'aime quelqu'un, même si les disputes font partie intégrante de toute relation, on déteste ces turbulences passagères, notamment parce que l'on croit toujours qu'elles auront le dernier mot. Ce parc avait toutefois été le théâtre de très bon souvenirs également, cela compensait.

Une légère brise parcourut l'étendue verdoyante et Ulrich sentit le vent caresser ses cheveux bruns. Il y avait peu de vent aujourd'hui et l'air était plutôt lourd alors le moindre courant d'air était bienvenue. Au travers de ses paupières, l'adolescent percevait la lumière qui s'infiltrait entre les feuilles des arbres. Aussi fut-il surpris lorsque, brusquement, la chaleur et la lumière du rayonnement solaire semblèrent être bloqués par une masse quelconque. Il plissa les yeux mais avant d'avoir pu les ouvrir, une voix qu'il connaissait bien s'éleva dans les airs :

« J'savais bien que je te trouverais ici ! »

Comme pour se convaincre qu'il ne rêvait pas, il ouvrit les yeux et sourit en lançant un laconique :

« Tu me bouches le soleil, Odd…

- Ah, bah bravo ! C'est comme ça qu'on salue son meilleur pote ! »

Ulrich s'amusa de la réponse de son ami :

« Alors, comment tu vas ? Et tes vacances, c'était comment ? demanda le jeune Stern à son ami.

- Bah, t'as déjà eu la sensation d'être une sardine en boîte ? Parce que moi je sais maintenant ce que ça fait. J'ai passé mes vacances sur les routes avec mes cinq sœurs, mon père et ma mère….

- Te plains pas. Au moins, tes parents ont fait un effort, cette année, lui répondit Ulrich d'un air maussade.

- Tes parents t'ont encore fait faux bond, c'est ça ? questionna Odd, désolé. »

Le jeune homme aux cheveux bruns observa son interlocuteur qui était accroupi au-dessus de lui puis poussa un long soupir. Entre Ulrich et ses parents, les relations n'avaient jamais été faciles. C'était l'une des raisons qui faisait de cet adolescent quelqu'un d'introverti en dépit des apparences et de très austère au premier abord. Quand il n'était pas avec ses amis, Ulrich souriait rarement, il pouvait paraître froid voire amer si on le connaissait pas. Son père lui mettait constamment la pression afin qu'il réussisse dans le domaine scolaire. Il était difficile pour le fils Stern de savoir pourquoi sa réussite importait tant à son géniteur : était-ce une question d'honneur pour ce haut fonctionnaire ? Une question d'argent comme il l'avait parfois suggéré ? Ou autre chose ? Sa mère était une personne plus posée, moins emportée que son mari et probablement plus aimante, plus soucieuse de ce que son fils pouvait ressentir même si elle n'osait pas le lui dire ou s'opposer à son époux. Finalement, Ulrich vivait dans un modèle familial très conservateur et en soit, cela ne lui avait pas posé de réels problèmes jusqu'à ce qu'il rencontre Jérémie et que sa bande ne se forme pour contrer X.A.N.A. S'engager à lutter contre un programme informatique pouvant à tout moment s'en prendre à votre établissement scolaire est une chose, le faire sans attirer l'attention sur soi et en continuant à travailler en cours en est une autre. Lorsqu'en 3ème, ses résultats étaient devenus alarmants, Ulrich s'était brouillé avec son père, allant jusqu'à le planter dans le bureau du Proviseur pour aller aider ses amis. Depuis ce jour, les relations n'avaient plus été les mêmes. Mais la mère d'Ulrich avait réussi à apaiser la colère de son mari et à organiser des vacances pour sa famille. Le père d'Ulrich avait cependant une nouvelle fois trop de travail. Le jeune Stern en avait vraiment assez. Son père restait son père. Il lui devait le respect. Mais la situation était vraiment pénible.

« J'préfère… ne pas en parler, plaisanta Ulrich en essayant de se vider la tête.

- Je comprends. Dis moi, tu m'accompagnes ? Je dois aller chez Delmas. J'ai un papier à lui faire signer et j'ai pas trop envie d'y aller seul. »

Ulrich réfléchit un instant, un instant de trop, Odd lui faisait déjà des yeux de cocker pour tenter de le convaincre. Odd avait vraiment changé en deux ans. Physiquement d'abord. Il avait grandi et ses traits étaient moins enfantins quoique toujours très androgynes. Il avait gagné en masse musculaire même s'il restait le « maigrichon » de la bande et du lycée. Mais c'était surtout au niveau du comportement que c'était opéré la plus grande transformation : sans abandonner définitivement les blagues débiles, Odd était maintenant plus sérieux et il avait surtout appris à amadouer Ulrich. Plutôt utile quand Kiwi se soulageait dans les draps de son compagnon de chambre ou lui abîmer un Cd tout neuf qu'il venait de s'acheter. Il suffisait souvent à Odd de lui décrocher un regard de chien battu pour réussir à le calmer… ou à le faire rire ce qui valait mieux que de se faire étrangler par le spécialiste du Pencak-Silat qu'était Ulrich. Ce regard amusait beaucoup le brun, plus qu'il ne l'amadouait réellement et plus que certaines blagues vaseuses que son ami pouvait parfois lui sortir au sujet de sa relation avec Yumi.

« Bon, ok ! T'étais pas obligé de me décrocher ton regard de cocker… Bouger un peu ne me fera pas de mal, concéda l'adolescent étendu dans l'herbe. »

Odd lui adressa un grand sourire et le remercia puis se releva en tendant la main à son ami. Une fois debout tous les deux, Ulrich balaya son dos et son derrière avec ses mains pour retirer les éventuels brins d'herbe pouvant s'être collés à ses vêtements. Ils commencèrent alors à marcher en direction des bureaux de l'administration. Sur la route, les deux amis étaient plutôt silencieux. C'était une des autres choses qui avaient changé entre eux : ils avaient mûris et leur silence, loin d'être un signe de froideur entre eux, étaient en fait le témoin de leur profonde amitié : la présence de l'autre leur suffisait. Ulrich se décida toutefois à rompre le silence lorsqu'ils arrivèrent dans la cour de l'établissement :

« Au fait, c'est quoi ce papier si c'est pas indiscret ?

- Un truc pour la bourse, je crois…

- Fallait pas le rendre il y a un moment, ça ?

- Si… C'est justement pour ça que je veux que tu viennes avec moi.

- Hein ?

- Ben, oui ! Si Delmas refuse de prendre le papier, j'aurai besoin que tu m'aides à le convaincre… »

Ulrich éclata de rire et Odd le dévisagea, l'air surpris.

« Non mais attends, t'es sérieux là Odd ? Parce que moi j'ai aucun talent d'orateur.

- Non mais ça je le sais bien, lui répondit son interlocuteur. »

La remarque affecta Ulrich mais celui-ci ne laissa rien transparaître. Odd lui tapa amicalement sur l'épaule :

« Je plaisante, vieux !

- Hein, non mais… je… Je sais bien ! bafouilla Stern qui ne s'attendait pas à ce que son ami lise en lui aussi facilement.

- Bon, en fait j'aurai besoin de toi indirectement… Si Delmas refuse, je voudrais que tu demandes à Sissi de m'aider.

- Pourquoi tu lui demandes pas toi-même ?

- Ben, c'est que toi, tu pourras faire jouer les sentiments alors que moi, j'suis pas sûr qu'elle apprécie mon humour…

- Ouais t'as pas tort. »

Sissi, ou Elizabeth Delmas pour faire plus officiel, n'était autre que la fille du Principal. La bande l'avait vue au départ comme une petite peste, une starlette tyrannique amoureuse d'Ulrich et usant de la position de son père pour faire des coups en douce. Ce n'était pas faux mais c'était très réducteur. Sissi pouvait aussi être gentille et même éprouver des sentiments. D'ailleurs, Ulrich avait fini par lui faire comprendre qu'elle n'avait pas besoin d'être jalouse de leur groupe et qu'ils l'appréciaient tous. Sissi, sans devenir un membre de leur petite bande, était donc quelqu'un sur qui il pouvait compter et réciproquement. Mais il était bien sûr évident qu'elle rendait plus facilement service à Ulrich en raison des sentiments qu'elle éprouvait toujours pour lui. La fille du Principal n'avait pas changé, elle était toujours égale à elle-même, elle avait toujours ses défauts, était toujours une chipie mais savait également être là quand il le fallait.

Les deux amis étaient maintenant devant la porte de l'administration. Odd frappa trois coups rapides. La voix de Mme Weber, la secrétaire du Proviseur s'éleva derrière la porte pour demander aux jeunes gens d'entrer. Ceux-ci s'exécutèrent. C'était le mot adapter. Il y avait toujours cette impression d'entrer dans le couloir de la mort lorsque vous retrouviez dans ce bureau. La plupart du temps, Ulrich et Odd s'y étaient rendus soit à cause d'une blague jugée déplacée par M. Moralès ou un autre enseignant, soit à cause de leur lutte contre X.A.N.A. Et à chaque fois, il se faisait sermonner dans le meilleur des cas et coller dans les pires jours. Nicole les salua puis leur dit de patienter quelques instants, le temps qu'elle informe le Proviseur de leur venue. Après avoir appuyé sur un bouton et décroché le combiné, Nicole informa M. Delmas :

« Monsieur, Odd Della Robia et Ulrich Stern souhaitent vous voir… »

Elle écouta la réponse de son supérieur et le remercia puis raccrocha avant de se tourner vers les garçons et de leur dire qu'ils pouvaient entrer. Il n'y avait pas de doute, ça ressemblait vraiment à une exécution même si les jeunes gens ne risquaient aucune sanction.


Finalement, M. Delmas se contenta de rappeler à Odd que les délais « sont faits pour être respectés » mais accepta tout de même le dossier de bourse. Le Proviseur était vraiment quelqu'un de bien : un homme impliqué dans son travail qui se souciait de la réussite de ses élèves pour autre chose que pour la place de son lycée dans le classement national, c'est quelque chose de rare. Jean-Pierre avait décidé de remettre le dossier directement au rectorat en faisant passer cela pour un oubli de son administration. Odd était entré dans son établissement en 5ème et il s'était attaché à cet élève certes turbulent mais qui avait un bon fond. Dans l'ensemble, son établissement avait la chance de recevoir des élèves plutôt sympathiques. Certes, il ne s'agissait pas tous de génies comme Jérémie Belpois, Hervé Pichon ou Aelita Stones mais dans l'ensemble, l'atmosphère était plutôt studieuse à Kadic et il n'y avait jamais eu de grands problèmes entre les équipes éducatives et les élèves.

Odd et Ulrich sortaient du bâtiment administratif lorsqu'ils aperçurent Aelita et Jérémie qui sortaient du parc et arrivaient dans la cour les mains encombrés par leurs valises.

« Eh, comment vont nos deux tourtereaux ? lança Odd, taquin, lorsque ceux-ci furent suffisamment près pour l'entendre. »

Aelita qui luttait pour porter l'une de ses valises releva rapidement la tête pour adresser un large sourire à Odd. Ulrich s'avança vers elle, la voyant peiner avec ses bagages et s'empara de la valise :

« Donne moi ça, Princesse… Ouah ! Il y a quoi là-dedans ? Ta bibliothèque personnelle ? plaisanta Ulrich en pesant la valise à bout de bras. »

Aelita rit à la boutade de son ami et lui proposa de la porter avec lui. Jérémie se débattait toujours avec ses propres bagages.

« Jim va vraiment pas être content, Jérémie. Il va encore te reprocher d'avoir des bras de poulet…

- Tu veux pas m'aider Odd au lieu de me sermonner… »

Le jeune homme à la chevelure rebelle adressa un sourire à Belpois avant de l'aider.

Les quatre adolescents se séparèrent donc en deux groupes : Odd et Jérémie montèrent au deuxième et Ulrich et Aelita au premier. Totalement essoufflé par la cadence infernale que lui avait imposé son partenaire plus sportif, le jeune Belpois se laissa tomber sur le bord de son lit et passa sur son front pour éponger un peu de sueur et replacer sa mèche rebelle.

« T'es complètement malade, Odd… Pourquoi t'es allé aussi vite dans les escaliers ? demanda Jérémie après avoir à peu près repris son souffle.

- T'es vraiment pas endurant, Einstein… M'enfin bon, après trois bonnes séances en compagnie de GI Jim, ça devrait s'arranger…

- Très drôle, rétorqua Jérémie d'un air maussade.

- Euh, au risque de poser une question qu'il ne faut pas poser, il y a un truc qui va pas ? s'enquit Odd.

- Non, non, t'inquiète, tout va bien… Je… C'est juste la voiture. Je crois que j'ai le mal des transports.

- Bon, si tu le dis… Je te laisse défaire tes affaires, on se retrouve tout à l'heure au réfectoire ?

- Entendu, à tout à l'heure ! »

Odd quitta la chambre de son ami. Il trouvait son comportement plutôt étrange. Il lui avait paru triste et soucieux même s'il essayait de le cacher. S'était-il disputé avec Aelita ? En descendant les escaliers, le jeune homme aperçut Ulrich qui l'attendait sur le palier du premier. Ils continuèrent la descente ensemble.

« C'est sympa de m'avoir attendu.

- C'est rien. Dis moi : comment va Einstein ?

- Ben, si tu veux tout savoir, ça n'a pas l'air d'être la grande forme. J'ai eu l'impression que quelque chose n'allait pas mais quand je lui ai demandé, il m'a assuré le contraire et m'a sorti qu'il devait avoir le mal des transports.

- C'est bizarre, Aelita non plus n'avait pas l'air dans son assiette.

- Tu crois qu'ils se sont brouillés ? demanda Odd.

- C'est possible… Je n'en sais rien. J'ai déjà parfois du mal à savoir où on en est avec Yumi, alors entre eux…

- Surtout vu leur relation… C'est quand même grâce à Jérémie qu'Aelita est sur Terre.

- C'est clair que ça doit pas être facile pour eux si leur couple bat de l'aile… En tout cas, on garde ça pour nous. Surtout qu'on est sûr de rien…

- Compris, chef… »

Les deux garçons étaient de retour dans la cour :

« Alors, on fait quoi ?

- Tu fais ce que tu veux, moi je retourne me prélasser dans l'herbe… déclara Ulrich.

- Bonne idée… C'est notre dernière journée pour flemmarder…

- Parce que tu comptes travailler cette année ?

- Ha, ha, très drôle Ulrich, c'est vraiment pas marrant de se moquer d'un pote qui a redoublé. Je vais être tout seul dans ma classe, ça va être trop nul…

- C'est pas comme si tu allais te retrouver dans un lycée où tu connais personne. Et puis on se verra à la récré et aux intercours… Arrête la déprime.

- Ouais, ça se voit que c'est pas toi qui va te coltiner les mêmes cours inintéressants que l'année dernière… déplora Odd en passant sa main sur son visage d'un air excédé.

- Je suis sûr que tu te souviens pas de la moitié des cours de l'année dernière, le taquina le jeune homme aux cheveux bruns.

- Je me souviens qu'ils étaient hyper-ennuyeux, c'est déjà pas mal, non ? »

Odd avait une vision vraiment personnelle de l'école. Pour lui, fournir des efforts ne servait à rien. Une mentalité que la plupart de ces professeurs trouvaient d'autant plus dommageable qu'en dépit de son énergie parfois débordante, cet adolescent était un garçon agréable avec certaines capacités. Intérieurement, Ulrich était partagé entre deux sentiments : d'un côté il avait de la peine pour son ami, il savait que lui-même n'aurait pas apprécié d'être séparé de ses camarades et de redoubler sa seconde (ce à quoi il avait échappé de justesse grâce à l'appui de Jim) ; mais d'un autre côté, il ressentait une forme de satisfaction qui le mettait mal à l'aise : Odd s'en était sorti régulièrement au collège grâce aux arts plastiques qui lui remontaient sa moyenne. Sans cette matière, Ulrich avait l'impression que le rapport de force était plus égal. Ce raisonnement n'était vraiment pas digne d'un ami songea-t-il en s'efforçant de changer de conversation.

« Au fait, t'es au courant qu'un nouveau prof est arrivé à Kadic ?

- Hein, comment tu sais ça toi ? le questionna Odd.

- Ben, je l'ai vu hier. A priori, je crois qu'il va résider ici, il avait un sac de voyage avec lui.

- Et il ressemblait à quoi ?

- A un prof… répondit Ulrich, amusé par la question de son ami, un grand brun en costard. Avec le soleil dans les yeux, j'aurais pu croire un instant que c'était mon père.

- Je vois le genre. »

Odd poussa un geignement en pariant qu'il aurait certainement ce nouvel enseignant apparemment « peu commode ».

Les deux garçons venaient d'arriver au cœur du parc. Ulrich se laissa tomber lourdement dans l'herbe, sur les fesses puis s'allongea.

« Qu'est-ce que tu dirais qu'on profite de cette dernière journée sans penser à demain ?

- Parce que tu vas y arriver, toi, peut-être ? »

Ulrich tourna sa tête en direction d'Odd qui venait de s'allonger lui aussi et lui adressa un regard décontenancé :

« Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Ben, tu sais bien… J'parle de ta chère et tendre… Yumi. C'est demain que tu la revois, j'te rappelle. »

A cette pensée, Ulrich ne put réprimer un sourire. Même si il avait souvent du mal à exprimer ses sentiments, le jeune homme n'hésitait pas à le faire en présence de son meilleur ami. Il savait qu'il pouvait lui faire confiance et que même lorsque celui-ci le taquinait, cela restait gentillet et amical.

« Ca y est Roméo se souvient de Juliette ?

- Ca fait au moins une bonne nouvelle…

- Merci qui ? demanda Odd en quête de congratulations. »

Ulrich l'observait toujours, il lui sourit de nouveau, plus franchement cette fois car ce n'était pas le sourire d'un amoureux qui s'échappe à la pensée de sa bien-aimée, non là il s'agissait du sourire d'un ami à un autre ami, d'un sourire réellement destiné à être partagé. Son voisin le lui rendit au centuple. Ulrich tourna alors sa tête vers le ciel masqué par les arbres touffus. Gardant le silence un instant, il repensa à Aelita et à Jérémie. Ce n'était pas une dispute. Il en était certain. C'était autre chose. Mais quoi ? Il n'osa pas remettre le couvert avec ça et garda donc le silence en scrutant un ciel obscurci par un amas de feuilles opaques. Il était inquiet. Et une fois de plus, il gardait cela pour lui.

Les heures passèrent et les deux adolescents étaient toujours couchés dans l'herbe, à moitié assoupis. Odd fut réveillé par l'odeur du repas qui se préparait en cuisine : le hachis Parmentier de Rosa… Pas de doute, si les effectifs des professeurs avaient été remaniés, ceux de la cantine étaient inchangés. C'était un mal pour un bien : le hachis Parmentier, Odd commençait à en avoir marre mais le couscous boulette de la cuisinière qui serait probablement au menu dès la réouverture officielle de l'établissement le faisait languir.

« Euh, Ulrich, ça te dirait qu'on se bouge ?

- T'as faim, c'est ça ? demanda Ulrich avec un sourire en coin.

- Ben… »

Odd n'eut pas le temps de répondre, son estomac le fit à sa place dans un énorme gargouillis. Les deux adolescents éclatèrent de rire.

« Au fait, tu m'avais pas dit que tu en avais marre du hachis avant les vacances ?

- C'est ça ou le régime végétarien alors…

- Je vois. Bon qu'est-ce qu'on fait d'après toi ? On va manger avec les autres ou on va direct au réfectoire ? demanda Ulrich.

- Ben, j'suis peut-être un ventre à pattes mais on va pas les laisser ruminer seuls dans leurs chambres.

- T'as raison… Viens, on va les chercher. »

Le jeune Stern commença à avancer mais Odd ne le suivit pas. Il se retourna donc pour voir ce que fabriquait son ami et le vit en train d'envoyer un SMS :

« Qu'est-ce que tu fais ?

- Ben quoi ? Je leur envoie un SMS pour leur dire de nous rejoindre au réfectoire, répondit Odd le plus naturellement du monde. »

Ulrich le regardait d'un air consterné.

« On aurait pu aller les chercher, lui reprocha-t-il.

- Pourquoi se fatiguer ? Et puis on risque peut-être de les déranger ?

- Depuis quand tu te soucies de ne pas perturber l'intimité des gens toi ? se moqua le jeune expert en Pencak-Silat.

- Bon ok, c'est parce que j'ai faim et que j'ai la flemme… avoua Odd, mais ils vont pas nous en vouloir pour ça. Et puis si c'est le cas, je dirais que je t'ai forcé à rester avec moi. »

Ulrich sourit puis poussa amicalement son ami en avant :

« Bon allez, on avance sinon ils vont arriver avant nous au réfectoire, Maigrichon.

- J'suis pas maigrichon, j'suis svelte.

- Oui bah en attendant avance. »

En deux ans, des choses avaient changé à Kadic, d'autres étaient restées à l'identique. Mais les plus grands bouleversements sont souvent les plus imprévisibles et leurs causes sont parfois imperceptibles.